La cédraie dans tous ses états 
Sur les chemins de la cédraie
Noble et majestueux, le Cèdre est l’arbre des dieux

« Le cèdre ne pourrit pas ; faire de cèdre les poutres de nos demeures, c’est préserver l’âme de la corruption. »
Verset biblique 1,17 du cantique des cantiques attribué à Salomon

Le Cèdre de l'Atlas ou Cèdre bleu (
meddad ou arz en arabe, idil ou begnoum en berbère) (Cedrus atlantica) est un arbre endémique au Maroc et à l’Algérie. D'un port susceptible de dépasser 50 à 60 m, avec un diamètre de 2 m, il se différencie du Cèdre du Liban (Cedrus libani) par le fait que la partie supérieure de la ramure est pyramidale et plus érigée, surtout lorsqu'il est jeune, lui procurant un profil très élancé, mais devenant tabulaire avec le grand âge. Il se distingue en outre par ses branches plus courtes, ascendantes, ainsi que par une écorce qui demeure lisse, luisante et gris clair jusque vers l'âge de 25 ans, pour se fissurer et devenir brun écaillé ensuite. Les cônes sont plus petits (de 5 à 6 cm) avec souvent un petit creux au centre ; d'abord vert jaunâtre, ils deviennent pourpre violacé avec la maturité. Selon certains paléobotanistes, cet arbre vivait également en Europe à l'état naturel. Sa longévité est exceptionnelle : on signalait au Liban des vétérans de plus de 2000 ans ! Au Maroc, un doyen abattu au début du siècle était évalué à 900 ans. Outre le Cèdre de l’Atlas et le Cèdre du Liban, ce dernier aussi présent en Turquie et en Syrie, il existe d’autres espèces, partout en voie d’extinction plus ou moins prononcée : le Cèdre de Chypre (C. brevifolia), celui de l'Himalaya (C. deodara), qui subsiste aussi en Afghanistan et au Béloutchistan, dont l’origine de la derivatio nominis est en sanskrit indo-aryen devadara qui signifie « arbre des dieux ».

Dans l’Épopée de Gilgamesh, l’un des plus anciens écrits connus d’origine sumérienne, il est déjà question d’un Cèdre. Le héros en quête de l’immortalité et rappelant fort Héraclès, se lance dans les aventures les plus périlleuses. Un jour, il décide d’affronter le monstre Koumbaba, auquel les dieux ont confié la garde de la cédraie leur appartenant. Selon les orientalistes, celle-ci se situerait entre la Syrie et la Mésopotamie, sur le Mont Amanos. Ce n’est qu’avec l’aide des dieux invoqués que le héros vint finalement à bout de ces êtres dont «
la voix est une tempête, le souffle un vent ». Le récit atteste que dés la plus haute Antiquité, les Cèdres furent des arbres voués aux dieux, sans nul doute pour leur valeur esthétique, l’odeur de leur bois et leur incorruptibilité. C’est certainement cette résistance au temps qui, pour le pire et pour le meilleur, inspira déjà le Roi Salomon qui selon la légende envoya sur le Mont Liban 80.000 bûcherons couper les Cèdres nécessaires à la construction du temple et du palais royal de Jérusalem. L’huile de Cèdre fut employée dans l’embaumement et des fioles ont été retrouvées dans des tombes pharaoniques : le parfum en était resté intact ! Antiseptique et dépurative, il est dit que cette huile essentielle, à l’arôme chaud, boisé et balsamique, a un pouvoir structurant et renforce la confiance en soi. De nos jours, elle est encore utilisée en cosmétologie. Son encens très prisé fait office d’insecticide.


«
Ces arbres sont les monuments les plus célèbres de l’univers. La religion, la poésie et l’histoire les ont consacrés... Les Arabes de toutes les sectes ont une vénération traditionnelle pour ces arbres ; ils leur attribuent non seulement une force végétative qui les fait vivre éternellement, mais encore une âme qui leur fait donner des signes de sagesse, de prévision, semblables à ceux de l’instinct chez les animaux, de l’intelligence chez les hommes. Ils connaissent d’avance les saisons, ils remuent leurs vastes rameaux comme des membres, ils entendent ou resserrent leurs coudes, ils élèvent vers le ciel ou inclinent vers la terre leurs branches, selon que la neige se prépare à tomber ou à fondre, ce sont des êtres divins sous la forme d’arbres... Chaque année, au mois de juin, les populations chrétiennes de tous les villages des vallées voisines, montent aux cèdres et font célébrer une messe à leurs pieds. Ces arbres diminuent chaque siècle. Les voyageurs en comptèrent jadis trente ou quarante, plus tard dix sept, plus tard encore une douzaine. Il n’y en a plus que sept que leur masse peut faire présumer contemporains des temps bibliques. »
Alphonse de Lamartine, 1933 (A propos des Cèdres du Liban du site d’El-Herze.)


Bois d’œuvre noble et durable, il fut recherché depuis des millénaires à l’usage monumental (attesté au Maroc dès l’époque Idrisside), pour l’ameublement de luxe, l’art et l’artisanat, l’ébénisterie et la menuiserie. C’est un bois très apprécié à l’usage du mobilier d’art, des œuvres sculptées, de la gravure et du taraudage, pour le découpage, la peinture et l’enluminure, la marqueterie et les incrustations. Les amateurs d’art n’ont pas manqué d’admirer certains toits des médinas des villes impériales marocaines ou les portes des plus anciennes mosquées : leur bois de Cèdre a dignement traversé les siècles. Les critères qualitatifs de ce bois s’expriment dans sa fiche technique : brun jaune ou rosé, aromatique, tendre et assez léger (densité 0,5 à 0,6), grain fin, sans canaux résinifères, retrait moyen, sciage facile et séchage rapide ne causant pas de déformation et peu de fentes, bon usinage, très durable, utilisable en menuiserie extérieure, charpente, ébénisterie, déroulage et tranchage, coffrage et bois d’industrie pour les débits noueux ou les produits d’éclaircie, pâte à papier en mélange avec du bois de Pin.


La cédraie, « une forêt absolue »

« 
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. »
Charles Baudelaire


Au sein de la vaste écorégion des forêts humides (Rif centro-occidental, Tingitanie, Moyen Atlas central et oriental, Haut Atlas oriental), le Cèdre de l’Atlas organise, entre 1400 et 2500 m d’altitude, un écosystème forestier vigoureux. Mais dans les cas de futaies exclusives, denses et trop fermées où le sous-bois demeure ombreux, la formation du Cèdre apparaît comme biologiquement monotone et de diversité étroite. C’est dans les cédraies mixtes, plus ouvertes et les trouées de clairières, en préforêt ou en lisière (causses ou prairies sylvatiques) que se manifeste l’essentiel des riches biocénoses spécifiques à cet écosystème. La cédraie doit donc impliquer une biodiversité mitoyenne pour s’enrichir, comme il en va d’ailleurs de tous les boisements de Conifères qui par eux-mêmes n’engendrent guère d’humus et n’impliquent un réel cortège qu’en association avec des feuillus. Dans ce cas de figure mixte, la cédraie se révèle alors comme l’une des formations écosystémiques insignes du zonobiome méditerranéen.

L’un des indicateurs du degré de naturalité d’une forêt et en conséquence de sa viabilité est qu’elle reste l’habitat du plus grand nombre possible de plantes vasculaires, d’Invertébrés et de Vertébrés.
Dans les statistiques, la disparition de ce type de forêt vraie est occultée par les chiffres du taux de reboisement puisqu’un vétéran est « mis dans le même sac » que le jeune plant à l’hypothétique transformation.

Le Cèdre est un Conifère à large spectre écologique, à préférence calcicole mais qui s’accommode indifféremment de tous types de substrats. Sa préférence va aux sols plutôt meubles (éboulis, cailloutis) ou développés sur roches fissurées (système racinaire pivotant et puissant) et les substrats les plus favorables sont donc les sols profonds évolués (sols bruns lessivés), les sols sur substrats rocheux fissurés, les éboulis et les dépôts filtrants. Lui sont plutôt défavorables les sols superficiels et ceux argileux (sols asphyxiants) sur conglomérat ou sur dalle rocheuse peu fissurée, ainsi que les marnes et les argiles altérées (sauf si la pluviosité est abondante), les colluvions argileuses et les dépôts compacts peu aérés.
Au Maroc, il s’encarte dans les bioclimats subhumide à perhumide froid à très froid des étages supraméditerranéen et montagnard méditerranéen. Cette plasticité fait que l’arbre apparaît comme très protéiforme et change d’aspect selon les paramètres d’influences locales et altitudinales. Il évolue aussi grandement au fil de sa maturité et passe du jeune sujet en flèche au vieil arbre à carrure tabulaire, le feuillage variant quant à lui du vert sombre au vert bleuâtre. Il couvre ainsi une partie des montagnes du Rif occidental et central, le Moyen Atlas, où c’est la figure forestière prééminente après le Chêne vert, ainsi qu’un espace devenu relictuel du Haut Atlas oriental. Le contingent du Cèdre peuple globalement quelques 130.000 ha, dont 80.000 dans le Moyen Atlas. Signalons pour comparaison que de Cedrus libani, il ne reste en tout et pour tout au Liban que 2200 ha dont 700 dégradés. Il participe partout à plusieurs associations phytosociologiques, notamment avec des Chênes. Au plus haut de l’étage montagnard méditerranéen, il s’associe à une végétation souvent clairsemée de Genévriers thurifères où s’infiltre la flore des pelouses écorchées et des xérophytes en coussinets.

Par la biomasse qu’elle engendre, pour sa fonction protectrice du sol et parce qu’elle est la formation essentielle s’inscrivant dans le rôle salutaire et légitime de
« ceinture verte » de l’Atlas, ultime rempart contre la désertification menaçante, pour être un incommensurable réservoir génétique où prospère une riche biodiversité, pour l’outil fidèle que son ambiance forestière représente pour les collectivités locales et les populations rurales (vocation sylvo-pastorale, bois de chauffe, bois d’œuvre, plantes médicinales, loisirs) et pourquoi pas pour la dimension poétique, esthétique et culturelle qu’elle induit, la cédraie joue un rôle considérable à l’échelle nationale et méditerranéenne.


Les cédraies « grandeur nature » de la Cordillère rifaine et du Djebel Tazzeka

Il est judicieux d’en décrire deux unités pédologiques : celle calcicole et celle silicicole, chacune engendrant un modèle écosystémique un peu différent.


- Les cédraies calcicoles du Rif occidental

Il s’agit de peuplements exigus structurés par des conditions écoclimatiques limitantes comme la perméabilité excessive du substrat et la violence des vents. Dans ces conditions originales, les sujets y apparaissent trapus et rarement supérieurs à 10-12 m. La forêt de Cèdres du Djebel Bouhachem est la plus intéressante par sa localisation extrême aux franges de la péninsule Tingitane. Elle coiffe une masse forestière de quelques 8000 ha, remarquablement structurée de quatre espèces de Chênes (Chêne vert, Chêne-liège, Chêne zène, Chêne tauzin, dont de nombreux doyens respectifs à chacune de ces essences), ainsi qu’une belle formation de Pins maritimes et un cortège floristique original d’une grande diversité d’espèces et de groupements que favorise un bioclimat humide tempéré à perhumide frais.


- Les cédraies silicicoles du Rif central et du Tazzeka

C’est l’essentiel des peuplements rifains qui réunissent avec le Djebel Tazzeka plus de 20.000 ha de vastes et dynamiques futaies, notamment sur les revers septentrionaux aux conditions écoclimatiques optimales et où les précipitations annuelles atteignent 2000 mm sur les sommets. On y constate des futaies de très belle venue et les spécimens de 30 m n’y sont pas l’exception. Mais sur certaines crêtes aiguës fortement ventées, les arbres peuvent demeurer naniformes en ne dépassant guère la dizaine de mètres. Dans les secteurs où les activités perturbatrices sont limitées, la régénération spontanée est manifeste.
Quercus suber, Q. faginea et Q. pyrenaica y offrent çà et là de belles infiltrations. La cédraie du Djebel Tisirene qui culmine à 2100 m et celle du Tidiquin à 2448 m, sont les mieux conservées. Le Djebel Tazzeka, qui orographiquement appartient au Moyen Atlas, recèle au plancher de son étage montagnard méditerranéen (perhumide froid) une futaie de Cèdres plus ou moins âgés, dont certains sujets des cimes les plus exposées, tourmentés et suppliciés par les intempéries, sont très pittoresques. On peut inclure dans cette catégorie et pour mémoire, les très beaux restes de la cédraie continentale du Djebel Bou-Iblane, près de la maison forestière de Tafferte.


Les cédraies du Moyen Atlas central : une prospérité déjà comptée

Sur plus de 60.000 ha de cet univers volcanique tabulaire à influence océanique, c’est la cédraie de meilleure couverture et de qualité souvent climacique. Sur un substrat basaltique hydro-édaphiquement favorable, tout comme sur les versants nord à Ouest des séries supraméditerranéennes, très bien arrosés entre 1500 et 2000 m, on observe des degrés prononcés de maturité. Sur les ressauts sud aux substrats calcaires ou dolomitiques, surtout au niveau altitudinal des séries montagnardes, la densité s’atténue, souvent au profit du Chêne vert. A l’intérieur de ce « triangle du Cèdre » grossièrement délimité par Ifrane, Khénifra et Itzer, les futaies de très belle venue sont nombreuses : celles d’Azrou-Ifrane, du Mischliffen et du Djebel Hebri, ainsi que toutes celles que l’on peut découvrir depuis le village de montagne d’Aïn-Leuh jusqu’à Khénifra au sud-ouest et Itzer au sud-est, en passant par les sources de l’Oum-er-Bia. Ici, la régénération naturelle est forte, il n’est que de voir les semis spontanés et les jeunes sujets peuplant les bermes des routes forestières. Lacs et cours d’eau ajoutent ici à la beauté des sites.


Mort d’un géant

Les temps sont à la vigilance. La dégradation se manifeste par un gain du Chêne vert qui s’observe ça et là aux dépends du Cèdre, ainsi que par de vastes secteurs banalisés et gagnés par des groupements de ligneux.

Après une longue agonie, un bien illustre et symbolique vétéran vient de rendre l’âme : le Cèdre Gouraud, arbre-attraction qui, entre Ifrane et Azrou, recevait depuis des lustres les touristes autour de ses dix mètres de circonférence. Colosse végétal reconnaissable à l’une de ses grosses branches tronquée et accolée au tronc, ce qui lui valu d’être baptisé du nom du Général Gouraud, colonel sous Lyautey et estropié d’un bras. Arbre-monument sans nul doute trop carte-postalisé et pas assez protégé,
le Cèdre « perpétuel » n’est plus, le géant est mort. C’est un peu le glas qui vient de sonner dans la futaie de Cèdres.


Les cédraies du Moyen Atlas plissé et du Haut Atlas oriental : grandeur et décadence

Systématiquement associé au Chêne vert, voire au Genévrier thurifère et parfois au Buis des Baléares, c’est dans des conditions climatiques marginales, peu favorables puisque mitoyennes avec la steppe du Maroc semi-aride, parfois même dominant les nappes alfatières, que se développe ou plus exactement décline le Cèdre, d’ailleurs en sa limite géonémique méridionale. Sur un sol squelettique et azoïque, où cherchent désespérément à pâturer Moutons et Chèvres, des cédraies relictes mortes ou en lambeaux, aux ultimes vétérans moribonds, peuvent être observées avec peine sur le versant méridional du Moyen Atlas, au sud-est de Timahdite (la plus éloquente est peut-être celle du Tizi-Taghzeft) ou dans les Djebels Ayachi et Masker du Haut Atlas oriental. Déjà bien connu des voyageurs parce qu’« en vitrine » sur l’axe Meknès-Midelt, le spectacle de désolation d’un sol mort portant des Cèdres agonisants du Col du Zad et des pourtours de l’Aguelmame de Sidi-Ali, laisse songeur. Ici, le patrimoine et la biodiversité s’amenuisent sérieusement et la relecture des récits de voyage du Marquis René de Segonzac en Haute Moulouya avant le Protectorat (1899-1901) en apporte un témoignage manifeste car il s’agissait alors d’un réel paradis vert.


Phytocénose du Cèdre

Du point de vue phytosociologique, la cédraie s’encarte dans la classe des Quercetea pubescentis enveloppant les associations forestières des étages supraméditerranéen et montagnard méditerranéen, illustré au Maroc par l’ordre des Querco-Cedretalia atlanticae se déclinant en trois alliances et de nombreuses sous-alliances (Benabid, 2000).

Pour ce qui concerne
les séries phytodynamiques incluant Cedrus atlantica et qui occupent des tranches altitudinales de 1400 à plus de 2000 m, il s’agit de la série supraméditerranéenne mixte Cèdre-Chêne tauzin (Djebels Bouhachem et Tisirene), de celle mésophile mixte Cèdre et Chêne vert (Rif central : Ketama, Tizi-Ifri, Moyen Atlas tabulaire et Djebel Tazzeka), de la série supraméditerranéenne mésoxérophile mixte Chêne vert-Cèdre (Moyen Atlas plissé, Haut Atlas oriental), de la série montagnarde méditerranéenne mésophile de Cedrus atlantica et ses sous-séries avec le Houx (Ilex aquifolium) (Moyen Atlas oriental calcaire de 2000 à 2500 m) et avec l’Adénocarpe endémique Argyrocytisus battandieri en bioclimat très froid (Moyen Atlas tabulaire à plus de 2000 m), de la série montagnarde méditerranéenne calcicole du Cèdre (Rif occidental calcaire de 1800 à 2170 m), des séries montagnardes méditerranéennes de Cedrus atlantica-Quercus rotundifiolia mésoxérophile (Moyen Atlas et Haut Atlas oriental à plus de 2000 m) et préforestière (Moyen Atlas plissé et Haut Atlas oriental de 2100 à 2500 m) (Benabid, 2000).


La richesse floristique de la cédraie est (était) estimée à un millier d’espèces
et les botanistes sont (étaient) encore loin d’avoir recensé tous les taxa dans les parties originelles et les moins accessibles de ce fabuleux patrimoine forestier. L’aperçu très succinct ci-après peut déjà donner une idée de ce trésor caché, puis saccagé.


Les arbres et arbustes qui s’associent directement au Cèdre

Les noms vernaculaires en vigueur au Maroc (arabe, dialectes berbères), sont indiqués quand disponibles, mais font rarement la différence entre espèces de ressemblance superficielle.
Abies (pinsapo) maroccana, le Sapin du Maroc (chohh) (Rif occidental),
Pinus halepensis, le Pin d’Alep (snouber, taïda) (Rif et Atlas),
Pinus pinaster maghrebiana, le Pin maritime du Maghreb (snouber, taïda) (des sous-espèces peuplent le Rif, le Moyen Atlas et le Haut Atlas oriental),
Pinus clusiana mauretanica, le Pin noir du Maroc (anagro, taïda) (Rif occidental),
Juniperus thurifera, le Genévrier thurifère (ârâar, awal, tawalt, adroumane) (Moyen et Haut Atlas),
Juniperus phoenicea, le Genévrier rouge (ârâar l-horr, aïfs) (exceptionnel),
Juniperus oxycedrus, le Genévrier oxycèdre (taqqa, tiqqi) (Rif et Atlas),
Taxus baccata, l’If commun (dakhs, imerwel, igen) (Rif, Moyen Atlas et Haut Atlas oriental),
Quercus rotundifolia, le Chêne vert (ballout lakhdar, kerrouch, tassaft) (Rif et Atlas),
Quercus suber, le Chêne-liège (ballout-l-ferchi, l-fernane) (Rif et Djebel Tazzeka),
Quercus faginea, le Chêne zène (ou zéen) (ballout ez-zane, techt) (Rif et Moyen Atlas central),
Quercus pyrenaica, le Chêne tauzin (techt) (Rif occidental et central),
Alnus glutinosa, l’Aulne (Rif, dans les montagnes de Chefchaouen et Ketama),
Betula fontqueri, le Bouleau verruqueux (Rif, dans la cédraie de Ketama),
Salix cinerea catalaunica (Rif), et autres Saules (oum soualf) (Rif et Atlas),
Fraxinus angustifolia, le Frêne oxyphylle (dardar, aseln, tuzzalt) (Rif, Moyen Atlas),
Fraxinus dimorpha, le Frêne variable (imts, aseln, tuzzalt) (Rif, Moyen Atlas),
Acer opalus granatense, l’Érable de Grenade (Rif),
Acer monspessulanum, l’Érable de Montpellier (Moyen Atlas),
Daphne laureola latifolia, le Laurier des bois (lezaz, metnane) (Rif).

Ainsi que :
Ribes uva-crispa (Groseillier à maquereau, aanb dib), R. alpinum, Ilex aquifolium (Houx commun, âbd-l-iser, tasaft-n-yizem), puis dans les Rosaceae : Sorbus torminalis (Alisier torminal, mechtehi, zaârour), S. aria, Crataegus laciniata (une Aubépine, admam, busorulu, guendoul), Cotoneaster nummularia, et les Eglantiers Rosa canina et R. micrantha (ward, âisus, tihfert, nesrin). Le Buis des Baléares, Buxus balearica, touche la forêt de Cèdres, notamment dans le Haut Atlas oriental (région de Tounfite) et le Djebel Tichoukt dans le Moyen Atlas central (région de Boulemane), où mitoyen d’une cédraie relicte, subsiste aussi l’une des rares stations marocaines à Juniperus communis (Genévrier commun). Celle-ci se situe à l’étage oroméditerranéen subhumide extrêmement froid d’un anticlinal du Moyen Atlas plissé, connu pour l’inversion de ses processus pluviaux et interpluviaux. Enfin, sur les hauteurs « alpines » du Rif et spécialement aux limites supérieures des quelques cédraies du Haut Atlas oriental, mitoyennes de reliefs steppiques, la xérophytaie des « zones de combat » s’exprime avec ses sempiternels épineux : Alyssum spinosum (Alysson épineux) (Brassicaceae), Erinacea anthyllis (Cytise hérisson, timchwid) (Fabaceae) et Bupleurum spinosum (Buplèvre épineux, akerbaz) (Apiaceae), association rupicole adaptée à ces conditions inhospitalières et contrastées (vent desséchant, grand froid ou soleil ardent riche en rayons ultra-violets) par un développement en coussinet et des racines abondamment ramifiées.

Durant la belle saison, la Fougère aigle (
Pteridium aquilinum) forme une couverture assez constante dans les sous-bois depuis des suberaies de plus modestes altitudes jusqu’aux cédraies élevées du Rif et du Moyen Atlas humide. Bien d’autres Fougères spécialisées y occupent des localisations particulières (rochers suintants, fentes et fissures ombreuses, rives des ruisseaux et proximités des sources, mouillères), comme Botrychium lunaria en milieu très humide, Dryopteris filix-mas, plusieurs espèces du genre Asplenium comme A. septentrionale, puis Pleurosorus pozoi, Athyrium filix-femina, etc.


Quelques plantes vasculaires de la cédraie et de son écocomplexe


Outre les arbres et arbustes majeurs précédemment cités, cet aperçu d’inventaire non exhaustif est donné toutes régions confondues (Rif, Moyen et Haut Atlas) et comporte bien des endémiques et des subendémiques. On retrouvera bon nombre de ces taxons dans la sapinière rifaine. Classement alphabétique par défaut, avec mention quand disponibles des noms vernaculaires français et arabo-berbères.

AMARYLLIDACEAE :
Narcissus albimarginatus
ASTERACEAE :
Artemisia absinthium (Grande Absinthe, Herbe aux vers, Herbe sainte, Armoise amère, siba, siba smaymiya) (Bou-Iblane !), Centaurea triumfetti (Centaurée de Lyon), Cirsium casabonae, Lapsana communis (Grande Lampsane), Onopordum macracanthum
APIACEAE :
Balansaea glaberrima, Bunium alpinum mauritanicum (Noix de terre), Bupleurum atlanticum (Buplèvre de l’Atlas), B. spinosum (Buplèvre épineux, akerbaz), Eryngium bourgatii (Panicaut de Bourgat), E. campestre (Panicaut champêtre, Chardon Roland, Chardon bénit, Épine à Scorpion, etc., zerriga, sekkour, kaf sbaâ), Heracleum montanum (Berce de montagne), Pimpinella tragium (Boucage)
ARALIACEAE :
Hedera helix (Lierre grimpant, louwaya, tanesfalt)
ARISTOLOCHIACEAE :
Aristolochia longa paucinervis (Aristoloche longue, barreztem, perraztame)
BERBERIDACEAE :
Berberis hispanica
BRASSICACEAE :
Alyssum atlanticum, Arabis josiae, Iberis atlantica, I. gosmiqueli, I. linifolia, Hypochoeris laevigata, Vella mairei
CAPRIFOLIACEAE :
Lonicera arborea (Chèvrefeuille arborescent), L. etrusca (Chèvrefeuille d'Étrurie, louayate el yasmine), L. kabylica (Chèvrefeuille de Kabylie), Sambucus nigra (Sureau noir), S. ebulus (Hièble, Petit Sureau Boule de neige), Viburnum lantana (Viorne lantane, Viorne cotonneuse, Viorne mansienne)
CARYOPHYLLACEAE :
Cerastium gibraltaricum
CELASTRACEAE :
Evonymus latifolius (Fusain à larges feuilles)
CISTACEAE :
Cistus laurifolius (Ciste à feuilles de Laurier, amziwet), Halimium atlanticus, Helianthemum croceum
CONVOLVULACEAE :
Convolvulus dryadum
CRASSULACEAE :
Sedum forsterianum (Orpin élégant)
CYPERACEAE :
Carex halleriana (Laîche de Haller)
DIOSCOREACEAE :
Tamus communis (Tamier commun, Herbe aux femmes battues, Navet du Diable)
FABACEAE :
Adenocarpus boudyi, Anthyllis vulneraria (Vulnéraire), Argyrocytisus battandieri, Astragalus armatus numidicus, A. ibrahimianus, A. nemorosus, Coronilla minima (Petite Coronille), Cytisus balansae, C. purgans (Genêt purgatif), Genista pseudopilosa, G. quadriflora (Genêt à quatre fleurs), G. tournefortii, Hedisarum humile, Medicago suffruticosa (Luzerne sous-ligneuse), Ononis cristata (Bugrane à crête), Pterospartum tridentatum (Genestrolle), Sarothamnus megalanthus, Trifolium ochroleucum (Trèfle jaunâtre), Vicia cedretorum (Vesce du Cèdre), V. onobrychioides (Vesce faux sainfoin), V. tenuifolia (Vesce à feuilles étroites)
GERANIACEAE :
Erodium cheilanthifolium, Geranium malviflorum
IRIDACEAE :
Iris tingitana (Iris de Tanger), I. planifolia (Iris)
JUNCACEAE :
Luzula forsteri baetica (Luzule bétique) , L. nodulosa mauritanica (Luzule de Maurétanie)
LAMIACEAE :
Calamintha baborensis (Calament des Babor), Lamium flexuosum (Lamier flexueux), Marrubium ayardii, M. heterocladum, Nepeta amethystine (Nepéta améthyste), Salvia argentea (Sauge argentée), Teucrium oxylepis, Thymus algeriensis (Thym d’Algérie)
LILIACEAE :
Asphodelus cerasiferus (Asphodèle porte-cerises, berwag, ingri,), Fritilaria hispanica (Fritillaire), Scilla hispanica algeriensis (Scille), S. peruviana (Scille du Pérou), Tulipa sylvestris (Tulipe sauvage)
LINACEAE :
Linum austriacum (Lin d’Autriche)
PAEONIACEAE :
Paeonia maroccana (Pivoine, telfât g-iddawn)
POACEAE :
Anthoxanthum odoratum (Flouve odorante), Brachypodium silvaticum, Festuca rifana (Fétuque rifaine), F. triflora (Fétuque à trois fleurs), F. yvesii
POLYGONACEAE :
Rumex atlanticus (Oseille de l’Atlas), R. tuberosus (Oseille tubéreuse)
PRIMULACEAE :
Primula vulgaris (Primevère commune)
RANUNCULACEAE :
Ranunculus paludosus (Renoncule des marais), R. ficaria (Ficaire fausse Renoncule)
ROSACEAE :
Geum heterocarpum (Benoîte à fruits divers), G. sylvaticum (Benoîte des bois), G. urbanum (Benoîte des villes), Potentilla micrantha (Potentille à petites fleurs), Rubus ulmifolius (Ronce rustique, Ronce à feuilles d’Orme, üllig, sermu, aseddir, tabgha), Sorbus aria (Alisier blanc, Alouchier)
RUBICEAE :
Asperula laevigata (harricha), Galium aparine, G. ellipticum (hraïricha, isaïsika, tarroufia), Rubia peregrina (Garance voyageuse, fuwa, tarubia, tigmit, lhamri)
SCROPHULARIACEAE :
Digitalis purpurea (Digitale pourpre)
SOLANACEAE :
Atropa belladona (Belladone, zbib l-idur)
SAXIFRAGACEAE :
Saxifraga granulata (Saxifrage à bulbilles, Saxifrage granulée, Herbe à la gravelle)
S. tricrenata
VIOLACEAE :
Viola arvensis (Pensée des champs), V. maroccana (Pensée du Maroc, belsfenj), V. munbyana rifana (Pensée du Rif), V. parvula (Tidiquin !), V. pyrenaica (Violette des Pyrénées) (Tidiquin !), V. reichenbachiana (Violette des bois), V. saxifraga (Violette saxifrage)

Dans cette ambiance humide, les Champignons sylvicoles saprophytes, terricoles, parasites et symbiotiques (Tricholome chaussé, Cèpe, Pleurote et Morille), aux poussées fongiques hélas limitées, sont les comestibles les plus appréciés. Un impressionnant cortège de Lichens et de mousses, ont aussi la cédraie rifaine ou atlasique, supraméditerranéenne ou montagnarde, comme habitat et vivent souvent en étroite dépendance avec elle.


Petit cours de lichénologie...

Comme nos pas dans la cédraie nous permettent d’admirer les plus beaux Lichens colorés, tant sur les écorces que sur les rochers, portons un regard sur ces êtres doubles dont l’ancêtre remonterait à 400 millions d'années. 760 espèces ont été dénombrées pour le Maroc au début du siècle passé, oeuvre essentielle de Werner. Depuis, personne ne s’en préoccupe et c’est regrettable. Même observation pour les mousses (inventaire de 350 espèces remontant à... 1930 !).

Les Lichens posèrent quelques problèmes au systématicien. D'abord regardés comme des mousses, ensuite rapprochés des Fougères, puis des Algues et finalement classés dans le règne fongique, ils furent bien difficiles à caser ! Ce n'est qu'en 1867 que le botaniste suisse Schwendener découvrit la dualité profonde de ces organismes formés de l'union d'une Algue et d'un Champignon. Lorsque cette conception fut acceptée, les scientifiques nommèrent cette union « symbiose », un terme issu du grec signifiant « vivre ensemble ». Une sorte de mariage au sein duquel chaque partenaire dépend de l'autre pour survivre. Depuis, la symbiose lichénique est un symbole. Cette union est plutôt une réussite si l'on considère que sur 65.000 espèces de Champignons, 20 % ont choisi de s'unir avec une Algue. Il existe 13.500 Lichens répertoriés et un très grand nombre à découvrir. Les couleurs des Lichens sont principalement dues aux acides lichéniques qui leurs sont spécifiques. Ils changent très facilement de teinte et donnent alors la couleur typique jaune, rouge ou brune du thalle ou des parties du thalle. Les Lichens qui savent attendre patiemment le moment propice à leur développement doivent leur succès à une remarquable adaptation aux grandes variations de sécheresse et d'hygrométrie. Quand l'eau vient à manquer, ils cessent leur croissance et entrent en dormance souvent sur de longues périodes. Capteurs de la moindre trace d'humidité, ils l’absorbent comme du papier buvard. C'est la reviviscence : un Lichen s'hydrate, se gonfle comme une éponge jusqu'à pouvoir contenir 30 fois son poids en eau ! Certaines espèces alpins pourraient être âgées de 1000 ans et d'autres au Groenland dépasseraient les 4000 ans.

Les Lichens sont néanmoins fort sensibles à certaines pollutions et la plupart d’entre eux semblent fuir les cités et son dioxyde de soufre. Même à très faible dose, le SO2 émanant des foyers domestiques et industriels les fait rapidement disparaître. Ce gaz transforme les centres urbains en véritables déserts  lichéniques. N’ayant ni cuticule rigide et imperméable, ni orifice pour contrôler les échanges gazeux, ils ne possèdent pas de barrière protectrice. La moindre dégradation de la qualité de l'air se traduit par une éradication majoritaire. Réagissant
ipso-facto aux conséquences des activités humaines, la bioindication lichénique est maintenant d’une utilisation privilégiée pour le contrôle de la pollution atmosphérique. L’indice de présence-absence de certaines espèces corticoles urbaines reflète le taux de pollution de l'air. Dans un milieu naturel comme la cédraie marocaine, l'abondance et la diversité des Lichens sont les signes d'une bonne santé écologique. Ils n'ont pas tous la même sensibilité et les fruticuleux (en forme d'arbuscule) sont les plus fragiles, les Lichens crustacés ou encroûtants étant les plus résistants..

Les Lichens sont appréciés dans le domaine de la parfumerie depuis la Rome antique et ils gagnèrent l’industrie à la moitié du siècle passé. C’est alors que celle-ci se met à absorber des milliers de tonnes de
Pseudevernia furfuracea, d’Evernia prunastri et depuis peu de Lichens du Cèdre des Atlas marocains. De l’origine dépend la senteur. Les extraits de Lichens sont des fixateurs de parfums mais ils apportent aussi leurs propres arômes. En s'évaporant plus lentement, ils donnent aux parfums une vie plus longue. Mais désormais soupçonnés de contenir des substances allergisantes, ils se voient écartés de la parfumerie par une réglementation internationale et le spectacle affligeant de ces cargaisons de Lichens quittant la cédraie par camions est peut-être sur le point de finir.


Zoocénose de la cédraie

Les Mammifères : petit safari pacifique dans la cédraie...

Dans l’ordre des Rongeurs, le Maroc est riche en familles intéressantes comme celle des Gerbilles. Mais leur habitat étant les vallées désertiques, aucune Gerbille, ni Gerboise n’accepte la cédraie, pas plus que l’on y rencontre le Porc-épic. Autre ingratitude pour la futaie : le charmant Écureuil de Barbarie est érémicole et terrestre ! Le Hérisson d’Algérie peut entrer en contact avec la cédraie mais n’en est pas un habitant invétéré. Le Chacal s’y aventure mais c’est surtout le domaine du Renard roux, voire de la Genette, de la Mangouste ichneumon et très exceptionnellement du Chat ganté. L’on sait que la Panthère tachetée, ancienne espèce emblématique et grande prédatrice, a vécu ses dernières heures pour le pire et pour le meilleur des Magots de Barbarie qui n’ont désormais plus le moindre régulateur. De plus en plus astreint à une approche fatale de la curiosité humaine et risquant de sombrer dans la dépendance alimentaire qui en résulte, le Magot de Barbarie est en passe de devenir le mendiant de la cédraie, pour le plus grand plaisir des amateurs plus ou moins juvéniles et toujours fortement désinformés. Quant au Sanglier, il n’est pas en reste en matière de bioindication négative. Si l’apparente fréquence des Singes à portée de regard en cache le drame d’un réel déclin, il n’en va pas de même pour
Sus scrofa barbarus qui se taille la part du lion... et il n’est pas difficile d’en surprendre une compagnie dès que l’on pénètre un peu dans les profondeurs du sous-bois. Chassé en battue, sa reproduction, rehaussée par un élevage in situ, est exponentielle et le Suidé de consommation prohibée, pullule. Les cultures vivrières contiguës à la forêt s’en ressentent... Le Mouflon à manchettes, autrefois répandu dans toutes les régions montagneuses boisées ou steppiques du Maghreb, a vu son aire se morceler gravement suite à la chasse intensive dont il fut l’objet. Par le biais de quelques mesures conservatoires dont un Parc naturel, la cédraie du Haut Atlas oriental protège un effectif de ce splendide et robuste Bovidé aux cornes puissantes et au long pelage soyeux sur le cou et autour des membres antérieurs. Le Cerf élaphe, ou Cerf de Berbérie, disparu du Maroc au Néolithique, a été récemment réintroduit dans le Parc national du Tazzeka et dans la Réserve naturelle d’Aïn-Leuh où il hante tant les chênaies que la cédraie.


L’avifaune : plumages et ramages de la cédraie

« 
Tous les oiseaux font de leur mieux, ils donnent l'exemple. »
Jacques Prévert

L’ampleur de l’habitat couvrant trois axes montagneux induit un riche cortège d’Oiseaux, tant sédentaires que migrateurs, le Maroc représentant une importante voie de passage entre l’Europe et l’Afrique. Les Passereaux, espèces chanteuses et très liées à la végétation de la forêt, y sont les mieux représentés. En voici une liste non commentée :

Circaète Jean-le-blanc, Aigle botté, Milan noir, Buse féroce, Épervier d’Europe, Faucon crécerelle, Faucon hobereau, Faucon lanier, Pigeon colombin, Pigeon ramier, Tourterelle des bois, Coucou gris, Chouette hulotte, Huppe fasciée, Rollier d’Europe, Pic de Levaillant, Pic épeiche, Alouette lulu, Troglodyte mignon, Rouge-gorge familier, Rouge-queue à front blanc, Rubiette de Moussier, Grive draine, Grive mauvis (en hiver), Grive musicienne (en hiver), Merle noir, Pouillot de Bonelli, Pouillot véloce (en hiver), Pouillot fitis (de passage), Pouillot siffleur (de passage), Roitelet triple bandeau, Gobe-mouche-gris, Gobe-mouche noir de l’Atlas, Mésanges charbonnières, Mésange noire, Mésange bleue, Sitelle torchepot, Grimpereau des jardins, Geai des Chênes, Grand corbeau, Étourneau unicolore, Loriot d’Europe, Moineau soulcie, Pinson des arbres (sous-espèce africaine), Pinson des arbres (sous-espèce européenne en hiver), Pinson du nord (rare), Linotte mélodieuse, Chardonneret élégant, Verdier d’Europe, Serin cini, Gros-bec casse noyaux, Tarin des Aulnes (en hiver, rare), Bruant zizi.

Certaines zones humides comme les dayas et les prairies détrempées du Moyen Atlas tabulaire attirent un tout autre cortège aviaire en partie très saisonnier et qui se trouve ainsi mitoyen de la forêt de Cèdres. C’est ainsi que l’Agelmame de Sidi-Ali reçoit notamment des Grèbes (le Grèbe huppé et le Grèbe à cou noir) et que non loin, en lisière même de la cédraie, les mouillères du col du Zad sont animées par le Foulque à crête et ce gros Anatidé multicolore qu’est le Tadorne casarca, lequel y niche occasionnellement dans les trous des Cèdres morts, bien étrange site de nidification pour un canard des vasières. En juin et parfois bien avant, l’arrivée dérangeante des transhumants, de leurs troupeaux et de centaines de chiens divagants vient rompre brutalement le charme et ces visiteurs s’en vont alors à tire-d’aile.


Plein le dos !

Sur le miroir des eaux calmes du Lac de Sidi-Ali (300 ha), dans l’écrin un peu sélénique de son cimetière de Cèdres morts sur sol squelettique, on pourrait s’imaginer sur les bords de la Mer de Humboldt. Quand surgit soudain au raz des eaux une tête d’aspect triangulaire et porteuse d’une belle huppe, latéralement ornée de plumes rousses et noires, surmontant un long cou. Cet artiste plongeur aux « oreilles » fauves est le Grèbe huppé (Podiceps cristatus), appartenant aux Podicipédidés, Oiseaux plus trapus que les plongeons et pourvus de doigts lobés. A peine a t’on vu son dos gris-brun que le fier oiseau a de nouveau basculé dans l’eau la tête la première. Il pêche ainsi le poisson, apte à s’immerger près d’une minute et réapparaissant loin de son point d’immersion, avec parfois sa prise dans le bec. A l’instar d’un sous-marin, son corps hydrodynamique permet au Grèbe huppé de pénétrer l’élément liquide et en réglant la quantité d’air insufflée dans son duvet, il accélère ou ralentit à la demande. Surchassé pour la beauté de son plumage, il fut aussi très longtemps combattu par les pisciculteurs comme prédateur des alevins. D’autres grèbes se rencontrent dans les dayas, les merjas et autres plans d’eau calme du Maroc, notamment dans la réserve de Souss-Massa. Il s’agit du Grèbe à cou noir (Podiceps nigricollis) (également observable à l’Aguelmame de Sidi-Ali) et du Grèbe castagneux (Tachybaptus ruficollis), ce dernier ayant aussi comme prises les Insectes aquatiques, les Mollusques et les Crustacés. Le nid des Grèbes est un amas flottant de débris végétaux arrimé aux joncs ou aux roseaux

Lorsque l’habitat est favorable, des colonies s’y forment et leur observation est un spectacle, depuis les couveurs immobiles sur leurs nids en marge des roselières, jusqu’aux familles complètes où les jeunes rayés noirs et blancs sont conduits, surveillés, nourris et transportés par les parents. Parce que chez les Grèbes, les petits investissent le dos de leurs parents pour leurs premiers pas dans la vie. Des premiers pas qui durent tout de même une quarantaine de jours durant lesquels papa et maman les ont quotidiennement « sur le dos » !


Amphibiens et Reptiles de la cédraie : attention, fragiles !

« 
Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? »
Racine (Andromaque)

Ces crapauds et ces Serpents qui ne font peur qu’aux imbéciles...

La Salamandre d’Afrique du Nord,
Salamandra (salamandra) algira est uniquement représentée au Maroc par des isolats relictuels et fort restreints, la plupart cantonnés jusqu’à 2000 m dans les secteurs forestiers les plus froids de quelques massifs rifains, du Djebel Tazzeka et de la cédraie de Tafferte dans le Bou-Iblane. Cet Urodèle se terre durant toute la saison sèche et, ovovivipare, dépose au printemps ses larves dans des petits ruisseaux d’eau vive et fraîche. C’est un élément eurasiatique exceptionnel en Afrique du Nord, appartenant au groupe des Salamandres tachetées (Salamandra salamandra). Les herpétologues ont assigné un rang spécifique à la Salamandre maghrébine (Algérie, Maroc) pour présenter une morphologie nettement plus élancée et plus curieusement, une manifestation éthologique singulière et unique chez les Urodèles, qui consiste dans le rassemblement des individus en file indienne pour se diriger vers les lieux de reproduction. Cette attitude processionnaire n’est connue que d’Afrique du Nord. L’Alyte accoucheur (Alytes obstetricans maurus) n’occupe au Maghreb qu’une aire qui se superpose à celui de la Salamandre tachetée et il est de rencontre difficile. Dans toutes les régions de la cédraie, le Discoglosse peint (Discoglossus pictus scovazzi), au chant nocturne caractéristique, partage l’habitat des Grenouilles, dans les mares et sur les rives des cours d’eau des bio-étages subhumide et humide. Le Crapaud commun (Bufo bufo) est au Maroc en limite de sa chorologie médio-européenne et c’est le Crapaud de Maurétanie (Bufo mauritanicus), bien reconnaissable à sa « tenue de parachutiste » qui le remplace progressivement au sud. Les deux espèces cohabitent et s’hybrident spontanément dans la cédraie. Le plus ubiquiste des Crapauds est sans nul doute le Crapaud vert (Bufo viridis) qui ne manque pas d’occuper aussi la cédraie jusqu’aux plus hautes altitudes. Seul représentant de sa famille au Maroc, la Rainette (Hyla meridionalis) n’est pas rare dans les trouées sylvatiques, les lisières et la préforêt. Quant à la Grenouille verte d’Afrique (Rana ridibunda), c’est un figurant constant du milieu humide, même peu ouvert, voire pollué.

Un Chélonien bien représenté au Maroc peut aussi se rencontrer dans les ruisseaux calmes et les eaux dormantes de l’écosystème du Cèdre, surtout dans le Moyen Atlas central, c’est l’Émyde lépreuse, l’une des deux Tortues d’eau douce du Maroc. Les Tarentes et les Geckos, adeptes rupicoles des biotopes xérothermiques, sont absents de ces futaies mais il est possible d’y rencontrer parfois l’Agame de Bibron lorsque le site est suffisamment ouvert et rocheux. Le Lézard ocellé y est mieux à sa place, notamment là où domine le Chêne vert, ainsi que quelques autres Lézards moins spectaculaires mais d’une valeur bioindicative tout aussi importante (le Lézard à lunettes, le Lézard hispanique, l’Acanthodactyle commun.) Les Seps ne sont pas forestiers, mais une espèce fréquente tout de même la xérophytaie mitoyenne de la cédraie du Djebel Bou-Iblane, dans le Moyen Atlas septentrional. L’Orvet, ce Saurien apode bien original, possède un représentant marocain de présence très discrète dans les cédraies du Moyen Atlas où il est plus aisé de le surprendre écrasé par un véhicule sur une route forestière que vivant sous une souche. Quelques belles Vipères hantent les sous-bois, les pierriers et les ourlets épineux  : la Vipère de Lataste, strictement rifaine et la Vipère de l’Atlas dans les secteurs les mieux arrosés du Moyen Atlas. Les Couleuvres complètent ce panorama herpétologique avec la Couleuvre fer à cheval, la Coronelle girondine, la Couleuvre à collier (très rare), la Couleuvre vipérine qui colonise toutes sortes de points d’eau et enfin la plus répandue et la plus impressionnante (elle peut dépasser 2 m !) : la belle Couleuvre de Montpellier.

Les montagnes rifaines et du Moyen Atlas montrent au Maroc l’herpétofaune la plus riche, censément grâce au maintien en altitude d’éléments paléarctiques. Le Rif et ses belles masses forestières révèlent un fort taux d’endémismes.


On a toujours besoin de plus petits que soi : les Invertébrés

« 
Un insecte vaut un monde. »
Alphonse de Lamartine


L'entomologue britannique C. B. Williams calcula un jour la population globale d'Insectes pouvant vivre dans le monde à l’instant donné et il obtint le nombre d'un milliard de milliards. En précisant qu’avec quelques 1 % de Fourmis à raison de 1 à 5 milligrammes par sujet, la masse des Formicidés est du même ordre que celle de l'Homme. Si en plus on calcule ce rapport en joignant les Termites, le statut d’espèce dominante revendiqué par l’Homme est peut-être usurpé.

Les Invertébrés et les Insectes en particulier régissent grandement le fonctionnement global des écosystèmes forestiers. Leur développement agit sur les microclimats et le cycle des nutriments, conditionnant à leur tour la croissance des végétaux. Ainsi la défoliation des arbres par les Insectes phytophages peut induire pendant un temps une certaine variation du microclimat d'un peuplement en augmentant les flux d'air, la pénétration lumineuse et l’apport pluvial qui ne sont plus filtrés par le couvert. L’impact d’un dépérissement dû à des « ravageurs » et provoquant l’anéantissement de plusieurs hectares de feuillus ou de Conifères peut être très dommageable, par exemple au cœur même d'un bassin hydrographique. La réduction simultanée de l'interception et de la transpiration de l'eau par les arbres entraîne un accroissement du ruissellement et de l'infiltration qui augmente alors et pendant des décennies le débit des cours d'eau régionaux. Mais l'action des Insectes est très généralement plutôt bénéfique pour la fertilité des sols forestiers. Les phytophages frondicoles y accroissent la chute des feuilles, celles-ci sont ensuite fragmentées par le microcosme épigénique, favorisant finalement le recyclage des nutriments. De plus les dépouilles et les déjections représentent un apport très appréciable de minéraux mobilisables pour la croissance des arbres. Après une défoliation de Chênes, on a pu ainsi mesurer que 40 à 70 % des dépôts d'azote et de phosphore dans le sol provenaient directement des Insectes. Le travail des nobles décomposeurs que sont les coprophages fouisseurs (recyclage, aération, fertilisation), les nécrophores, les saprophages et tous détriphages contribue considérablement aux valeurs physico-chimiques du sol. Quant à l’apport des agents saproxyliques, se nourrissant du bois mort ou moribond, il est essentiel et reste pourtant mal perçu par les gestionnaires du milieu. L’hygiène forestière qui consiste à éliminer les branches et les troncs tombés au sol, à enlever les souches et les chandelles, est à proscrire puisqu’elle menace tous les xylophages et les corticoles. Les Myriapodes (fragmentation de la litière, recyclage des minéraux) et les Mollusques terrestres sont d’un similaire intérêt.

La zoocénose de la litière, plus ou moins liée aux moisissures ou utilisant ce substrat comme niche écologique, est richement représentée dans la cédraie mixte où l’humus profite grandement de la présence des Chênes. Les
Carabidae y sont légion et pour ne parler que des espèces emblématiques et de grande taille, il faut citer le sympathique et bien connu Calosoma sycophanta, prédateur très actif de chenilles et de chrysalides. Il est parfois très abondant en tout début d’été aux orées forestières de la région d’Azrou-Ifrane. Deux Carabes ont la cédraie comme habitat électif : Carabus rifensis et C. favieri. Le premier est un « petit mastodonte » macrocéphale, grande rareté des collectionneurs pendant très longtemps, présentement mieux connu et démythifié. Il est exclusif aux cédraies rifaines les plus humides et pénètre aussi dans les vieilles chênaies caducifoliées (Tauzaie du Djebel Lalla-Outka). Le second, appartenant à un complexe thyrrénéen, est une espèce éminemment plastique et dont les conditions écologiques ont entraîné une pression sélective graduée et relative à chacune des régions habitées. Chaque djebel, chaque forêt, chaque cédraie possède sa race de Carabus favieri. Le type, dont la teinte pourpre est du plus bel effet, est rifain. Les autres sous-espèces, liées à la cédraie et plus ou moins alticoles, sont revêtues d’un noirâtre éclairé d’un reflet vert sur les marges.

Dès les premiers beaux jours et jusqu’aux prémices caniculaires, les lisières et les clairières s’animent d’une grande diversité de Coléoptères frondicoles, floricoles et fouisseurs de toutes familles, notamment
Geotrupidae et Scarabaeinae coprophages à l’effectif stimulé par les parcours ovins et caprins et partout occupés à façonner leurs boules d’excréments qu’ils roulent à reculons ; Cetoniinae, Glaphyrinae, Hopliinae et quelques Cerambycidae aux mœurs floricoles comme Purpuricenus desfontainei se regroupent sur les grandes carduacées.

Avis de recherche ! Un
Cerambycidae Lamiaire du genre Dorcadion (Longicornes terrestres à antennes plus courtes que le corps et aux élytres souvent parcourus de bandes blanches longitudinales caractéristiques), le seul connu du Maroc, est porté disparu depuis presque un siècle, c’est Iberodorcadion atlantis. Les coléoptéristes fréquentant le Maroc au temps du Protectorat l’observaient sur les pelouses des cédraies du Moyen Atlas central de la région de Timahdite et Bekrite, aux alentours du Col du Zad. Sa disparition reste une énigme. Larves et adultes se nourrissent de racines de Graminées. A l’instar des autres Dorcadion d’Europe et du Proche-Orient, la ponte se produit à la base de brins d'herbes et selon un protocole particulier : la femelle s'enterre partiellement, la tête la première, puis mordille une petite ouverture dans la gaine extérieure de la plante, après quoi elle se retourne, plonge son ovipositeur dans la fente et y lache un oeuf.

Une promenade entomologique dans la cédraie peut entraîner aussi la rencontre avec quelques Buprestes du genre
Antaxia, dont deux espèces sont inféodées au Cèdre (Antaxia pleuralis et A. nigritula) ou bien avec Phaenops marmottani dont la larve est justement parasite du Cèdre.


Les Papillons marqueurs de la cédraie

« 
Ce que la chenille appelle la mort, le papillon l'appelle renaissance. »
Violette Lebon

Sur les chemins de la bioindication et selon le calendrier de la saison, en relation avec l’amplitude altitudinale et l’exposition, l’observateur pourra noter plusieurs types de cortèges lépidoptériques propres aux sites bien conservés et façonnés par l’écosystème forestier organisé par le Cèdre de l’Atlas. Depuis l’étage supraméditerranéen jusqu’à celui montagnard, les Papillons hantent toutes les séries de végétation avec comme condition
sine qua non la présence de leurs plantes-hôtes.

Pour une meilleure identification, des donnés plus complètes concernant les espèces ci-dessous nommées et les références à celles non citées, on se reportera à un ouvrage d’identification des Papillons de jour du Maroc.


L’éveil du printemps

Le premier et timide cortège qui fait place à l’hiver (avril-mai) se manifeste évidemment dans les lieux ouverts et les mieux ensoleillés, c’est-à-dire loin de la forêt dense, en boisement clair ou troué, en pré-cédraie, là où la formation boisée compose avec la prairie ou le causse, au profit des premières inflorescences de Crucifères et de Légumineuses thérophytes. Les Papillons pionniers qui se manifestent dans cet espace privilégié de lisière sont surtout quelques piérides vernales et une faunule de fins Lycènes multicolores, association d’espèces solidaires et qui constituent une réelle guilde de la cédraie.

La première génération de la Piéride des Biscutelles (
Euchloe crameri) vole alors en nombre, accompagnant parfois (Moyen Atlas) la plus rare et attractive Piéride du Raifort (Zegris eupheme), toutes deux inféodées aux Crucifères. On rencontrera dans la foulée la précieuse Aurore de Barbarie (Anthocharis belia), à affinités nettement plus sylvicoles que les précédentes et qui, parcourant sans répit un périmètre choisi, pénètre les sentiers et les layons jusqu’aux plus profondes clairières. Les mâles de ces trois espèces sont toujours très actifs, recherchant leurs femelles lors d’un manège infernal d’inlassables patrouilles sans cesse recommencées. Leur dédoublement écologique est faible car ces Piérides butinent essentiellement les inflorescences des plantes-hôtes de leur chenille. Insecte de terres incultes avec des incursions « ségétales », le Zegris ou Piéride du Raifort, excessivement rapide dans son vol soutenu et en zigzags, met à profit son homotypie avec les fleurs du Pastel (Isatis tinctoria) (messoussa, fajjigh) ou d’autres Crucifères jaunes pour s’y endormir, posé dessus et parfaitement invisible. Ce Papillon est un indicateur fidèle du maintien d’un minimum de « mauvaises herbes ». Pitié pour les herbes adventices qui développent des trésors de courage pour survivre ! Une trop grande répression des mauvaises herbes ou un fauchage trop précoce impliquent un grave effondrement de la biodiversité dont le microcosme représente la part essentielle. Zegris eupheme reste ainsi une constante de bien des orées des boisements de Cèdres (cédraie et thuriféraie du Bou-Iblane, causse d’Ifrane, cédraie du Col du Zad, périmètres du Tizi-n-Tanout-ou-Fillali, grandes clairières du Djebel Tarhahat, etc.) dont il témoigne du maintien des composants écologiques. Tant que volent ces trois Piérides, on peut considérer que l’espace n’est ni menacé par la pression pastorale, ni victime d’une fauche trop précoce. En cas contraire, ils sont irrémédiablement biffés du paysage sylvatique qu’ils nous bioindiquent. Dans certains groupements préforestiers mitoyens de l’association du Cèdre et du Chêne vert (Azrou, Ifrane, Itzer), quand intervient l’Aubépine, on peut surprendre une curieuse chorégraphie de « plumes d’anges » : c’est une éclosion de Gazés (Aporia crataegi) dont la larve est une sévère défoliatrice. L'imago évacue un liquide rouge sang (le méconium), lequel en cas de pullulation est à l’origine de la croyance populaire des « pluies de sang ».

C’est peu ou prou à la même période qu’émergent plusieurs espèces de Lycènes atlasiques ou rifains. Les plus précoces ne sont concernés que par le causse contigu à la cédraie (comme à Ifrane) ou les pelouses sèches des ressauts et des parties sommitales, voire quelques affleurements en clairières mésophiles. Ce sont le Faux-Cuivré smaragdin (
Tomares ballus), élément des deux rives de la Méditerranée occidentale, et le Faux-Cuivré du Sainfoin (Tomares mauretanicus), endémique maghrébin. Ils peuvent voler de concert, le second plus rupicole et émergeant entre les plaques de neige dès les premières ardeurs solaires de février-mars. Les mâles ont une livrée plutôt terne mais leurs femelles sont enluminées d’orange lorsqu’elles ouvrent les ailes. Tomares mauretanicus évolue parfois par myriades, puis disparaît en hécatombes aux dépends d’une baisse du mercure ou de nouvelles chutes de neige, puis ressuscite encore par le biais de nouvelles éclosions. Il prouve ainsi la grande capacité et la ténacité opportuniste des Papillons, mais aussi leur merveilleuse adaptation aux plus rudes conditions environnementales. Pourtant, la moindre agression de l’Homme, par atteinte au milieu, peut les voir s’effacer irréversiblement... Le Faux-Cuivré du Sainfoin n’est déjà plus qu’un souvenir sur des immensités atlasiques où le parcours du cheptel n’est pas régi par l’agdal et menace tout regain en étant pratiqué trop tôt par les bergers semi-nomades ou sédentaires. Ces petits Papillons sont inféodés à de minuscules Légumineuses thérophytes qui craignent beaucoup l’impact des sabots et la compaction qui en résulte. De distribution nettement plus précaire, le Faux-Cuivré berbère (Cigaritis monticola) est un endémique marocain de toute beauté dont la chenille vit en association avec une espèce de Fourmi. Ce Lycène vif comme une Mouche ne vole que dans les petites trouées sèches de la cédraie infiltrée de chênaie verte ou en lisière sur quelques terrains âpres, notamment dans la région d’Ifrane, ainsi que dans les parages des vieux Cèdres du versant nord du Djebel Ayachi, là où pousse sa petite Coronille nourricière. Tout parcours répétitif ou piétinement humain le biffe irrémédiablement du paysage. L’Azuré grenadin (Cupido lorquinii), un petit Bleu très sensible, est le plus humble Rhopalocère de la cédraie. Ses discrètes localisations sont celles des fonds de ravins forestiers, des orées humides de halliers et de quelques pelouses abritées. L’Azuré de la Sauge (Pseudophilotes bavius) possède censément des origines sylvicoles mais, orphelin de la forêt, il s’adapte à la prairie mésophile où mâles et femelles ne quittent guère les grandes feuilles velues et argentées de la Sauge (Salvia argentea) dont se nourrit sa larve. C’est un des plus merveilleux Lycènes du Maroc et ses stations sont comptées. Strictement localisé au Moyen Atlas, on le rencontre encore à l’intérieur de la cédraie mixte, lorsqu’il dispose de vastes espaces herbeux où se développe sa source trophique. Qu’il s’agisse de milieux ouverts ou davantage forestiers, il ne résiste pas une seule saison au passage du cheptel, d’où l’hyper fragilité de ses dernières colonies. Suite au pacage trop prolongé de troupeaux lors d’une saison sèche, il a totalement disparu du périmètre « en défends » du Tizi-n-Tanout-ou-Fillali où il se complaisait. Même observation pour sa station dans la Vallée des Roches (Ifrane). Et au train où vont les choses, il ne va pas faire long feu à Ifrane, près de la Source Vittel, d’où la dense colonie est connue depuis des lustres. D’autres petits Bleus sont concernés par les groupements du Cèdre et les habitats qu’ils génèrent, tel l’Azuré lavandin (Plebeius martini), devenu de rencontre accidentel quand il dépend d’Astragalus incanus, l’un des plus beaux Astragales du Maroc, aux tiges et inflorescences porteuses des oeufs et des chenilles, mais hélas vite brouté par le bétail lorsque le biotope leur est ouvert ou toléré. Les planches de cette plante précieuse ne comportent jamais plus de quelques pieds et nous avons pu observer au Col du Zad (Moyen Atlas) les dégâts d’un âne soudainement épris des saveurs de la plante : liquidation de toute la planche en moins d’une heure ! Plebeius martini ne doit son salut et sa pérennité qu’à la seconde plante-hôte de sa chenille, un Astragale récalcitrant, épineux et inconsommable : Astragalus armatus ! Plus héliophile et tout autant victime de la dent du bétail est l’Azuré des Atlas (Polyommatus altantica), à la femelle largement bordée d’un bel orange sur la marge des ailes. Il est encore présent dans les vastes clairières et sur les bermes des pistes et des routes de l’étage montagnard du Rif et des Atlas, quand se maintient le Vulnéraire (Anthyllis vulneraria) dont les têtes pédonculées et bractées d’inflorescences charnues rougeâtres ou blanches sont toujours un festin pour les Chèvres. Ce Papillon est encore à l’inventaire du Rif et du Moyen Atlas, grâce justement à l’effet protecteur de la forêt stratifiée et à quelques figures de conservations aléatoires. Il a par contre presque disparu du Haut Atlas, moins couvert et plus exposé. L’Azuré de Chapman (Polyommatus thersites) n’est connu en Afrique du Nord que de quelques stations dont celle de la cédraie ifranaise. Il en est une sentinelle essentielle. Son effectif très en baisse de ces dernières années laisse croire à une issue fatale. N’escamotons pas des vieilles cédraies la très délicat Azuré des Nerpruns (Celastrina argiolus), surtout inféodé au lierre (et ailleurs à l’Arbousier), qui par au moins deux fois (début du printemps et juillet-août), nous indique les meilleures localisations de la plante grimpante des sous-bois humides qui, tout comme son Azuré, « meurt ou s’attache... »

De mars à mai, lorsque se complait une Aristoloche (
Aristolochia baetica ou paucinervis) dans les parages des cédraies mixtes les plus ouvertes, leurs sous-bois ou les prairies de clairières, une sous-espèce nord-atlasique et rifaine de la Proserpine (Zerynthia rumina africana) est une bioindicatrice majeure de ces régions. Elle est en régression aux alentours d’Ifrane.


Une nursery de Papillons dans des prairies multicolores

Un second cortège fait interface entre les Papillons pionniers de premier printemps et ceux qui vont ensuite illustrer les premières chaleurs estivales s’abattant sur ces montagnes. C’est en mai-juin qu’au plus fort de leur floraison, les prairies des orées de la cédraie s’animent d’espèces praticoles, essentiellement alors des Nymphales spécialisées et assez hygrophiles, voire quelques Satyrines inféodées à de grandes Graminées sur les marges plus sèches. L’écosystème à
Cedrus atlantica engendre, dans les variantes fraîches des bioclimats subhumide et humide de l’étage supraméditerranéen, une formation naturelle herbacée à base d’hémicryptophytes et de géophytes mésophiles et hygrophiles, notamment Graminées et Cypéracées. Cette végétation puissante (plus d’un mètre de hauteur) se distingue au premier coup d’œil de la pelouse. Sa localisation écologique est d’ailleurs souvent au bord des oueds, des sources et des suintements. C’est la prairie ! Quand on n’a du Maroc que des connaissances stéréotypées et parcellaires, on n’imagine guère son existence entre montagnes arides et oasis sahariens.

C’est donc là l’empire de quelques précieuses Nymphales praticoles mésophiles ou hygrophiles, comme le Damier des Knauties (
Euphydryas desfontainii), la Métitée du Plantain (Melitaea cinxia), la Mélitée des Centaurées (Melitaea phoebe) et la Mélitée andalouse (Melitaea aetherie). Lors des plus douces fins de journées, quand le soleil décline lentement sur la prairie, le « coucher » de ces Papillons est un merveilleux spectacle. Alors que l’essentiel de la prairie est déjà à l’ombre, les imagos se regroupent en dortoirs dans les parties encore ensoleillées pour profiter, ailes grandes ouvertes, des derniers rayons, puis ils se referment les uns après les autres comme s’éteindraient les taches de couleurs d’un immense tapis en patchwork. Les hordes de touristes qui passent en autocars, du Mischliffen à Ifrane, ne partageront jamais cette émotion, privilège de l’écotouriste attentif... Ces Nymphales de la prairie ne sont pas repérables les années de trop grand déficit hydrique et sont irrévocablement expulsées des espaces où sévit un trop fort contingent de cheptel. Quelques exemples : les prairies sylvatique d’Ousmaa, au-dessus d’Azrou, où depuis 1994 il a été procédé à une razzia concertée de l’espace prairial et de la strate du clair-bois au profit des Bovins, des Caprins et des Ovins, avec broutage-massacre de tout un reboisement récent ; l’essentiel du Plateau d’Ito où la destruction éhontée des clôtures de mises en défends par le cheptel fut longtemps récurrente et désormais définitive ; certaines prairies à Festuque du Val d’Ifrane victimes du piétinement des visiteurs et des affres de leurs pique-niques. Il suffisait de parler de « dévelopement durable » pour que tout s’évanouisse. Ces Papillons sont les meilleurs indicateurs de ce type d’espace utile à l’avenir pastoral et à la conservation d’un ample panel floristique. Quelques Échiquiers plus xérophiles et enclins aux bromes des grandes Poacées, comme Melanargia occitanica (larve notamment sur Lygeum spartum) et Melanargia lucasi (euryèce, éclectique et polyphage sur plusieurs Graminées), sont à considérer dans cet espace-temps.


Premières chaleurs

La troisième vague de Papillons évocateurs et marqueurs de la cédraie est celle estivale de juin-juillet, période des « allées aux vols roux »...

Nous avons maintenant quitté la lisière et ses fins Papillons printaniers pour, les premières chaleurs aidant, nous réfugier dans la fraîcheur des tapis de Fougères et sous les frondaisons. Les « vols roux » parce que les espèces du moment sont presque toutes de grandes Nymphales rousses qui hantent fébrilement le sous-bois et les allées forestières du Rif et du Moyen Atlas : le Cardinal maghrébin (
Argynnis pandora seitzi), le Grand Nacré berbère (Mesoacidalia lyauteyi), le Chiffre de l’Atlas (Argynnis auresiana), le Petit Nacré (Issoria lathonia), la Grande Tortue (Nymphalis polychloros), le Gamma (Polygonia c-album) (lorsque le Groseillier sauvage Ribes uva-crispa est en place), le Damier de la Succise (Euphydryas aurinia), la Mélitée des Centaurées (Melitaea phoebe) et seulement en de rares localités rifaines la rare Mélitée des Linaires (Melitaea deione). Tous ces Papillons de jour sont des sylvicoles pour la plupart frondicoles. Ils ne volent que dans des forêts en bonne santé dont le sous-bois conserve encore ses strates végétale et arbustive, et n’est pas victime de l’arasement pour raison d’hygiène ou de rentabilité immédiate, dont le couvert est ainsi suffisant pour assurer l’effet sciaphile, dont l’édaphisme n’est pas altéré, où s’écoulent encore quelques ruissellements non pollués, et un large etc. sous-entendant une nature libre et en bonne santé. Certaines futaies « policées » par la sylviculture ou ravagées par le surpacage ont été rapidement vidées de ces espèces qui exigent aussi le maintien de leurs ressources trophiques que sont notamment les Violettes pour les chenilles des quatre premiers cités et une abondance de grandes Carduacées, de Thyms et de Cistes en guise de source nectarifère des imagos. Un Fadet peut aussi indiquer par sa présence la série supraméditerranéenne mixte du Cèdre et du Chêne tauzin, c’est le Fadet de l’Atlas (Coenonympha fettigii), ami de la strate de Fougères aigle, qu’il partage dans le Djebel rifain Tisirene et toute la région de Ketama avec l’Ocellé du Rif (Pyronia tithonus distincta).


Le début de la fin...

En fin d’été, les ultimes Papillons à voler dans la cédraie perdent encore des couleurs et s’enfoncent davantage dans la forêt...

Ce sont les Satyrines dont la livrée brun noirâtre est souvent parcourue de bandes plus claires et dont la présence d’ocelles tend à dévier les Oiseaux et les Lézards. Ils pondent sur des Graminées, il ne reste d’ailleurs plus grand chose d’autre que des bromes à cette époque ! Et comble de l’adaptation, véritablement photophobes, ils évoluent à l’ombre des grands arbres et se posent haut sur les troncs des plus vieux Cèdres où ils trouvent dans l’air coulis ventilé par les arbres en galerie une compensation à la chaleur caniculaire. Ils ne butinent pas ou peu mais se gorgent des exsudations que secrètent les arbres à travers leur écorce, voire des sources énergétiques de déchets organiques divers et d’excréments frais des animaux de la forêt. L’Agreste flamboyant (
H. algiricus) n’est d’ailleurs pas rare sur les « merdes » de touristes...! Citons aussi le Petit Sylvandre (Hipparchia alcyone) et le Faune mauresque (H. statilinus). Il y en a d’autres... Ces Rhopalocères estivaux sont les gardiens de la futaie.


Les Zygènes

Pour être tout aussi sensibles à l’état du milieu et chacune étroitement dépendante d’une plante fine, les Zygènes, Hétérocères diurnes aux couleurs aposématiques (c’est-à -dire prémonitoires dans le registre rouge-bleu-noir), révèlent avec fiabilité les traits qualitatifs d’un habitat. Certaines espèces ont déjà été éradiquées des Atlas marocains par suppression de leur plante ou par saccage de leur espace de vol. Plusieurs Zygènes volent au pays du Cèdre et les aborder dans ce chapitre qui se doit cursif nous entraînerait trop loin. Les plantes-hôtes des espèces liées à des groupements végétaux impliquées par le Cèdre sont des Panicauts (Eryngium), des Astragales (Astragalus nemorosus et incanus), des Bugranes (Ononis natrix, fructicosa et cristata), des Coronilles (Coronilla minima et valentina), des Sainfoins et des Esparcettes (comme Hedysarum humilde et Onobrychis argentea), une Vesce (Vicia tenuifolia) et d’autres Fabacées (Dorycnium, Anthyllis, Lotus).

Estimée comme méconnue, voire mythique depuis sa description en 1957, l’unique race maghrébine de
Zygaena nevadensis : la sous-espèce atlantica, a été redécouverte en 1998 au plus profond de quelques ravins protecteurs de la cédraie du Djebel Tarhahat (région d’Itzer). Sont portées disparues suite aux mauvais traitements de leurs biotopes : Zygaena fausta elodia, nommée du Val d’Ifrane en 1934 (broutage de la Coronilla valentina-hôte), Z. lavandulae michaellae (jamais retrouvée au Col de Tarambta, près d’Ifrane), Z. trifolii lachiveri, tributaire de la ripisylve de l’Oued Tizguid (pression de la fréquentation). Dans la même écorégion, sont en mauvaise situation : Zygaena youngi peripelidna, Z. maroccana harteti, Z. algira ifranica (cédraies du Moyen Atlas central) et oreodoxa (cédraies et sapinières du Rif).


Un Papillon d’or et d’argent sort d’une fourmilière noire...


Val d’Ifrane, fin de matinée radieuse d’un jour bénit du mois de mai, il faut être attentif au moindre miracle, tenter de voir ce que les Hommes ont rarement vu. L’ « immensité » en cause est une modeste pente à végétation rase et clairsemée, en marge de la chênaie verte. La marche du lépidoptériste se fait un œil en l’air (un Papillon peut toujours voler...), un œil en bas (un Papillon peut toujours être posé...) L’œil baissé fut ici le plus perspicace : une miniature de passementerie divine, sèche ses ailes encore froissées au seuil d’une active fourmilière. C’est un joyau fauve orangé, au revers orné d’un chapelet mordoré, drapé de blanc neige et enluminé de points d’argent. Le bijou de soie est une femelle du Faux-Cuivré berbère, finement caudée aux ailes postérieures, habitant subtil de la cédraie et de ses formations mitoyennes. Les Fourmis, pourtant prédatrices héréditaires des Papillons, semblent ici courtisanes. Elles s’affairent sans la menacer, ni la déranger, ne semblent pas étrangères au miracle. On a même l’impression qu’elles en seraient les sages-femmes ! Dans le secret de son habitat microcosmique, le Faux-Cuivré aurait-il fait un pacte avec son pire ennemi ? C’est exactement cela et la recette se nomme myrmécophilie. Quand on pense que nous sommes capables tout à la fois de faire des heures de queue devant une galerie d’art pour y contempler des œuvres aléatoires (« vanité des vanités ») et d’écraser sous nos semelles de si belles créatures (dont Dieu est immanent...), de faire silence pour prier l’irrationnel en nos temples de plâtre, puis d’araser les paysages naturels pour en faire des stades tonitruants, on est en droit de se poser quelques questions sur le bien-fondé du sacré...

« 
Et les tableaux noircis, les trônes, les pierres que baisent les pèlerins,
Les poèmes qui mettent mille ans à mourir
Ne font que singer l’immortalité de cette
Étiquette rouge sur un petit papillon.
 »
Vladimir Nabokov

De très nombreux Papillons de la famille des Lycènes sont devenus de véritables commensaux des Formicidae et l’association se fait sur des modes plus ou moins prononcés. Dans le cas qui nous préoccupe, le partenariat est extrême. Au commencement, rien d’anticonformiste et la jeune chenille naît sur sa Coronille-hôte où elle séjourne au fil des deux premiers stades, sauf qu’elle est déjà choyée sans relâche par les Fourmis
Crematogaster laestrygon, espèce méditerranéenne construisant des nids souterrains. Mais quelques jours plus tard, c’est l’enlèvement au sérail et, chargée entre les mandibules d’une Fourmi avec toutes les précautions requises, la larve sera transportée, installée, élevée et choyée au sein de la fourmilière. Quand on sait que la vie larvaire de Cigaritis monticola perdure onze mois, hivernation comprise, longue sera la tâche pour les amphitryons. Mais qu’est-ce qui fait courir la Fourmi derrière cette chenille ?


Merveilleuse myrmécophilie

« 
Va apprendre dans la nature. »
Léonard de Vinci

C’est une histoire parallèle à celle de l’exploitation déjà bien connue des Pucerons par les Fourmis, une histoire facile à imprégner d’images anthropomorphiques si nous pensons aux étables où nous trayons nos Vaches et à tout le rituel humain relatif à l’élevage dont nous nous croyons les inventeurs ! Il faut dire que contemporaines des Dinosaures, les Fourmis avaient quelques longueurs d’avance... De nombreuses espèces d'Arthropodes vivent en relations plus ou moins accentuées avec les Fourmis et présentent des degrés divers de myrmécophilie, laquelle correspondrait davantage à un commensalisme plutôt qu’à une relation symbiotique, comme on l’écrit souvent. Cet admirable partenariat est d’ailleurs désigné sous le vocable de clepto-parasitisme. Parmi les Insectes de l’ordre des Lépidoptères, ce modèle s'est particulièrement développé dans la famille des
Lycaenidae où la moitié des espèces fait preuve d’une telle association. Selon les recherches, de plus en plus actives sur le thème, ce commensalisme serait fondateur du succès évolutif de ces Papillons. Les modalités de cette relation sont très variables d’une espèce à l’autre. On observe des liaisons myrmécophiliques temporaires, prolongées, accidentelles, obligatoires à l’extérieur ou à l’intérieur de la cité pharaonique qu’est le nid. Dans ce dernier cas, les chenilles dépendent exclusivement des Fourmis pour leur développement et la disparition de l’espèce de formicidé présente alors les mêmes conséquences que l’éradication de la plante-hôte : elle entraîne la fin du Papillon. Ces relations privilégiées reposent sur des échanges chimiques. Les larves de Lycènes possèdent une glande abdominale (glande de Newcomer) qui, palpée par les Fourmis, laisse perler une sécrétion mielleuse attractive, riche en acides aminés, à senteur de Puceron et qui modifie le comportement des hôtes. Courtisée, la chenille entre en catalepsie et s’abstient de toute réaction de défense. On savait déjà et depuis longtemps que les Pucerons étaient une source de provende dont les Fourmis étaient friandes. La « contrefaçon » aphidienne que constitue l’exsudat des larves de Lycènes est tout autant exploitée par les Hyménoptères. Pour pouvoir bénéficier de cette gourmandise, les Fourmis sont aux petits soins avec les chenilles élevées, allant dans les cas les plus sophistiqués jusqu’à les installer au sein du couvain de leurs fourmilières pour ensuite leur descendre des rations de la plante-hôte particulière ou les nourrir par trophallaxie. Il n’y a guère de différence de taille entre cette minuscule chenille onisciforme de Lycène et une larve de Formicide, d’autant plus qu’elle produit une substance allélochimique qui confond la Fourmi ouvrière. Ce sont probablement les Lycènes aux chenilles les plus attractives qui sont installées au sein du nid. Mince avantage, les Fourmis veillant sur elles les protègent des parasites, autres Hyménoptères et Diptères. Dans l’incapacité de produire un miellat équivalent, la chrysalide porte « astucieusement » des glandes strictement odoriférantes lui assurant une similaire sécurité. La nymphose a lieu dans un secteur paisible de la fourmilière d’où l’imago en émerge, comme ce fut le cas de mon Cigaritis monticola du Val d’Ifrane. Voici donc les lépidoptéristes soucieux de la conservation de tels Lycènes en charge de veiller non seulement à la protection du Papillon, de sa plante et de son habitat, mais aussi des espèces de Fourmis qui les soignent !

Il existe également des plantes myrmécophiles, notamment dans les Tropiques, vivant en similaire association avec des Fourmis. Il s’agit d’arbres, de plantes herbacées, d’épiphytes et le phénomène est localement connu sous la désignation de « jardin des Fourmis », quand celles-ci ensemencent un tronc avec les graines d’une plante épiphyte, tout en façonnant un substrat approprié à la croissance des plantules. Le processus qui ne relève plus que de la coévolution est bien sûr moins spectaculaire, mais il présente tout de même « un échange de bons procédés » puisqu’en contrepartie de l’abri (et parfois même de la nourriture) fourni par le végétal, il reçoit des Fourmis un appui protecteur contre les Herbivores, qu’ils soient chenilles ou Mammifères.


L’histoire d’une perte sans grand profit

Après la narration du merveilleux partenariat entre les Lycènes et les Fourmis, où tout est respect et « intelligence » pure, revenons donc au chaos humain et à ses pratiques imbéciles.

Une remarquable espèce, exclusive au territoire marocain et inféodée à un fin Géranium rupicole, se retrouve orpheline de la cédraie qui fut pourtant son berceau originel : c’est
Maurus vogelli, l’Azuré du Bec-de-Grue. Pour avoir une distribution qui calque les limites géonémiques méridionales de la forêt de Cèdres, à savoir ce rude écotone que forme l’espace intra-atlasique entre le versant méridional du Moyen Atlas central et le Haut Atlas oriental (région de Boulemane à Midelt), aux limites des hauts plateaux à Alfa, le charmant Azuré doit affronter les vicissitudes du territoire malmené : sol squelettique ou purement scalpé, strate végétale de désolation, thuriféraies et cédraies moribondes, fossiles ou en lambeaux, enfin un revêtement qui ayant perdu toutes les valeurs physico-chimiques de son substrat, passa en moins d’un demi-siècle au stade minéral. C’est sur ce lit caillouteux et lessivé, « transloqué » par l’ahurissante pression pastorale qui s’y acharne, que survivent le Bec-de-Grue et son élégant parasite.

Pourtant, si vous parlez de « 
Maurus vogelii » à un « collectionneur de Papillons », vous observerez immédiatement une attitude convulsive de celui-ci, tant la bestiole est rare et recherchée. Mais « rien » pour ce qui concerne sa sauvegarde in natura. Le lépidoptériste, doux hurluberlu psycho-maniaco-depressif dont l’auteur de ces lignes aimerait ne pas faire partie (mea culpa), participe au mieux à l’« omerta » de cette majorité silencieuse des agresseurs de la biosphère et, à l’image du décideur dont il est le complice muet, n’a strictement rien du militant « khmer vert ». Il n’est qu’un gardien passif de quelques connaissances illusoires et muséologiques. Pauvre naturaliste déphasé et en voie d’extinction, puisque exclu du moindre lobbying !

C’est en 1920 qu’Harold Powell découvrit cette espèce dans un coin perdu du Moyen Atlas, au Tizi-Taghzeft, à 2200 m, au sein d’une riche association lépidoptérique jusque là insoupçonnée. Bien d’autres explorations subséquentes du site donnèrent lieu dans les décennies suivantes à des découvertes complémentaires, notamment de la part d’un autre entomologiste anglais, Colin Wyatt, qui en décrivit une nouvelle sous-espèce de la Piéride de l’Ibéride (
Pieris mannii haroldi), unique présence – rien que ça ! - pour le Continent africain. En ces temps et selon leurs écrits, le vocable « forêt » n’était pas usurpé pour désigner cette cédraie mixte alors luxuriante mais désormais moribonde. On ne parlait pas encore de préserver le capital vert…

Outre le cortège lépidoptérique devenu posthume, d’autres zoologistes (mammalogistes, ornithologues, herpétologistes) attestèrent bibliographiquement ou non de la valeur de ce secteur connu et référencé administrativement par la maison forestière d’Aghbalou-Larbi (centre administratif de Timahdit), puis s’inquiétèrent plus tard des éradications du Tizi-Taghzeft dans leurs spécialités respectives. Car sur ces montagnes à relief très accidenté, vivait une dizaine de Mammifères intéressants ou endémiques, dont l’Hyène rayée, le Lynx caracal, le Chat ganté, la Mangouste ichneumon, la Genette, la Loutre, le Porc-épic, la Musaraigne musette, l’ « indésirable » Magot, etc. C’est ainsi que dans le contexte du Plan directeur des Aires protégées du Maroc (1995), cette localité fut classée en priorité dans la liste des SIBE (Sites d’Intérêt Biologique et Écologique). Aucune mesure pratique n’a accompagné depuis cette décision cosmétique visant à sauvegarder ici 14.000 ha de l’apocalypse. La conservation des espaces est surtout destinée aux discours, statistiques et subventions.

Au fil de soixante quinze années et jusqu’à la fin du siècle précédent, en dépit de prospections acharnées de certains voyageurs, on pensait
Maurus vogelii indigène et exclusif à ces lieux. L’auteur de ces lignes en retrouva récemment quelques isolats aux alentours, notamment au nord-est dans les montagnes semi-arides d’Enjil, puis au sud-ouest dans un décor dantesque de chandelles de Cèdres vétérans surplombant le Col du Zad, puis dans plusieurs stations guère plus enviables du Djebel Ayachi (Haut Atlas oriental). Partout la découverte se fit sur des sols détruits et il n’était que d’ouvrir les yeux pour contempler pantois une ambiance désolée et lunaire de fin du monde, et de déclamer avec le poète : « Objets inanimés avez-vous donc une âme ? » Ce Papillon, mémoire vive de l’Atlas, est en déclin. Exclusif à ces biotopes en grave dépérissement pour cause de minéralisation de la structure organique, il est enclin à rendre l’âme.

« 
Aucune espèce animale ou végétale ne doit disparaître à cause des activités de l’Homme. » Cette déclaration n’est pas celle d’un Ubu-roi utopiste ou d’un Don Quichotte « aveuglé de trop voir », mais bel et bien inscrite à la Chartre sur les Invertébrés. Elle fait bel effet. Extraire des parcours de cette immensité de montagnes quelques modestes habitats du Géranium et de son Papillon n’aurait probablement pas eu la moindre répercussion économique dans la vie des bergers en haillons qui y subsistent... Mais faudrait-il encore que les Papillons aient le pouvoir d’intéresser les autorités « capricieuses », ce qui n’est paradoxalement pas à l’ordre du jour de la nouvelle politique cyniquement dite de gestion durable. La punition ne se fera pas trop attendre car après la forêt morte et démunie de sa strate végétale par trop d’abus de toutes natures, c’est aussi la mort du sol et la fin de l’emprise pastorale en ces lieux. Pourtant, si les entomologistes avaient pu parler... Il suffit de compiler la bibliographie (toujours disponible !) testamentaire de quelques chercheurs désintéressés (ou collectionneurs de l’époque !) pour s’enquérir de la haute diversité, notamment du Tizi-Taghzeft, depuis le protectorat jusqu’aux années 60. Impressionnant ! De cet Eldorado, il ne reste rien ! Les naturalistes témoignent, la caravane passe... et les congrès, gesticulations et discours futiles se multiplient.

Les hauts indices en vigueur, tant de biodiversité (qualitatif) que de populations (quantitatif) font de la cédraie un réservoir génétique de premier rang dont les Papillons cités et quelques autres sont les fidèles sentinelles. A l’Homme de savoir décrypter ce qu’ils nous « disent » quand ils commencent... à régresser.

Faut-il de meilleurs arguments pour présenter notre « lépidoptéromètre », pour considérer les Papillons comme d’excellents agents indicateurs de la santé des sites ? Ces Papillons qui, des décennies à l’avance, se raréfiant chaque jour, nous disent : « Attention !  Trop c’est trop ! Usez mais n’abusez pas ! »


Rendez-vous au Tizi-n-Tretten... et merci pour le méchoui !

Le nom du lieu-dit n’est pas hasardeux : le col des Chèvres ! On s’y rend depuis Ifrane par la route du célèbre Mischliffen. Jusqu’en 2003, à partir du col et sur une dizaine de kilomètres, un côté de la route était sous protection, l’autre pas. Consensus des temps. D’un côté le Rollier chantait, de l’autre pas... L’habitat était une prairie mésophile plutôt sèche, botaniquement très riche et diversifiée, éminemment florifère en mai-juin, avec quelques affleurements du causse, le tout en orée de la cédraie mixte. Un petit paradis pour le promeneur, l’écotouriste, le naturaliste ; un peu d’avenir pour le berger.

Pour ne se référer qu’aux Papillons diurnes en guise de pièces à conviction du haut degré de naturalité du versant alors sauvegardé, en voici le cortège au fil de la saison : le Voilier blanc, le Machaon, le Gazé, la Piéride de la Rave, la Piéride du Chou, le Marbré-de-vert, la Piéride des Biscutelles, la Piéride du Sisymbre, la Piéride du Raifort, l’Aurore de Barbarie, le Souci, le Citron, le Citron de Provence, la Thécla du Chêne, le Faux-Cuivré berbère, le Faux-Cuivré smaragdin, le Faux-Cuivré du Sainfoin, la Thécla du Kermès, la Thécla de la Ronce, le Cuivré commun, l’Azuré grenadin, l’Azuré des Nerpruns, l’Azuré de la Cléonie, l’Azuré de la Sauge, le Collier-de-corail, l’Argus de l’Hélianthème, l’Azuré de la Bugrane, l’Azuré de l’Esparcette, l’Azuré du Maghreb, le Cardinal maghrébin, le Grand Nacré berbère, le Chiffre des Atlas, le Petit Nacré, la Grande Tortue, le Vulcain, la Vanesse des Chardons, le Gamma, le Damier des Knauties, la Mélitée du Plantain, la Mélitée orangée, la Mélitée des Centaurées, la Mélitée andalouse, le Tircis, le Satyre, le Fadet commun, le Myrtil, le Misis tingitan, le Louvet, l’Échiquier berbère, l’Échiquier d’Occitanie, le Petit Sylvandre, l’Agreste flamboyant, le Faune mauresque, l’Hermite, le Grand Hermite (retrouvé récemment en ces lieux), plusieurs Hespéries et quelques précieuses Zygènes (
Zygaena favonia cadillaci, Z. youngi, Z. maroccana harterti, Z. alluaudi, Z. algira ifranica). Auxquels s’ajoutaient d’innombrables Hétérocères, des Coléoptères, des Orthoptères et autres Invertébrés, Reptiles, Oiseaux, etc.

De l’autre côté, le charme était rompu, aucune fleur, aucune couleur, le sous-bois était depuis longtemps scalpé, la prairie n’y était qu’un paillasson récalcitrant, le printemps n’y chantait plus, un seul Papillon s’aventurait : la Vanesse des Chardons, vétille ubiquiste et quasiment apte à pondre sur les peaux de Mouton ou sur les dossiers ministériels... C’était le versant dévolu au pastoralisme intensif et des troupeaux exponentiels y séjournaient dès les premiers beaux jours, jusqu’à l’épuisement des ressources, chaque année plus avares sur ce sol rendu squelettique. Miracle ! Les bergers semblaient jouer le jeu, ou bien la surveillance y était de fer, la moindre crotte révélant l’exaction. Rarissime au Maroc et quelqu’un devait être félicité pour la conservation « unilatérale » de ces beaux restes. Tous les Papillons de la cédraie répondaient présent du côté épargné, vacuité totale de l’autre. L’Homme présidait pleinement à l’état de naturalité de son milieu, à la volonté ou non d’un développement durable, et le Papillon témoignait bien qu’il était le reflet de ce qu’il y avait dessous. Ceux qui pouvaient en douter prenaient rendez-vous au Tizi-n-Tretten pour une exemplification, une preuve par neuf alors indubitable.

2005 : nous voici depuis quelques années au temps d’un meilleur respect de la biodiversité, attitude planétaire de contrition, s’il n’est pas trop tard pour un repentir et pour faire amende honorable, un temps qui devrait être béni pour la sauvegarde des vestiges d’une nature éreintée. Le Maroc n’y fait pas exception dans ses déclarations. Pour « être dans le coup », l’ex-Ministère des Eaux et Forêts, aux mains tachées de sève, est relooké, rebaptisé Haut Commissariat à la lutte contre la désertification, oubliant vite qu’il fut aussi appelé Ministère de la conservation des sol et que sémantiquement cette succession appellative a le courage d’un aveu d’échec. Mais ce second millénaire est surtout celui du mensonge, du charlatanisme électoral, des effets d’annonce, d’une psychose mondiale identifiée par une dissociation délirante et paranoïde générant une grave perturbation du rapport au monde extérieur. Ce que les psychiatres nomment pure schizophrénie. 2005 au Tizi-n-Tretten : plus rien, table rase ! Un sol scalpé, compacté ou pulvérulent selon les secteurs, recouvre les deux côtés de la route, pas la moindre fleur, les Abeilles et les Papillons ont déserté l’habitat qui offre désormais toutes les caractéristiques d’un terrain de football (signe des temps…), à l’ombre d’une cédraie vidée de sa substance. Le Rollier n’y chante plus, le Rollier n’y chantera plus. Centaurées, Vulnéraires, Coronilles, Vesces, Thyms, Sauges, Lins, Oeillets, Scabieuses, Scilles du Pérou, Tulipes sauvages sont éteintes, broutées, piétinées, jusqu’à la moindre Pensée dans le sous-bois dénudé. Nous questionnons le garde de la maison forestière qui nous apprend qu’il s’agit de mesures préventives de lutte contre les incendies… Au feu les Moutons ! Des Moutons extincteurs (et des bergers pompiers) en quelque sorte. Ici, on ne lésine pas puisqu’il faut rappeler que le seul Parc naturel d’Ifrane compte un effectif 800.000 Ovins, soit huit fois la charge recommandée. De quoi faire face à des incendies sur tous les fronts forestiers. Extincteurs non pas des bromes estivaux et estimés pyrophytes, mais des jeunes pousses dès les premiers beaux jours ! « 
Si nous parvenons au moins à sauver les arbres », nous a-t-on confirmé à la Direction régionale de cette administration. Lutter contre la désertification en désertifiant, en quelque sorte, tel un médecin qui tuerait son malade pour le protéger des maladies. Ce radicalisme ne nous a pas été confirmé au niveau ministériel où, tout en nous informant que « la conservation est une approche linéaire », il semblerait que la tendance coupable d’un tel ravage soit celle d’un respect démocratique soudainement épidermique, et qui voudrait satisfaire une demande usagère devenue exigeante. Comme si les « années de plomb » avaient été seules aptes à une protection des écosystèmes et que l’avènement démocratique puisse correspondre à un aller simple pour l’enfer, sans la moindre attente prospective. La démocratie mal comprise ou sciemment démagogique devrait ainsi rimer avec aujourd’hui, sans futur possible. Ne rien garder pour plus tard, tout donner en pâture pour « les » satisfaire, la senteur des prairies multicolores se voyant compensée par un parfum de fin du monde.

Tandis qu’on pleure sur la forêt de Chênes-lièges de la défunte Maâmora (voir plus loin), fossilisée par le pâturage, on s’acharne à achever le Moyen Atlas et sa cédraie, tandis que de vains efforts sont employés pour un afforestage coûteux de certains secteurs du Haut Atlas, écorégion qui n’en demande pas tant puisque de mémoire contemporaine, naturellement peu couverte. De quoi apitoyer les bailleurs de fonds.


La Source Vittel, une ancienne « Arcadie »

« O lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure !Vous que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir,Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,Au moins le souvenir ! »Alphonse de Lamartine


Au sein de l’étage bioclimatique humide de la cédraie de l’Atlas, Ifrane dénommée « la Suisse marocaine », ses alentours et sa région, sont connus depuis fort longtemps pour leurs peuplements végétaux et animaux remarquables, exceptionnellement riches en endémiques et subendémiques. Véritable réminiscence du « Jardin des Délices », nombreux sont les naturalistes qui s'y rendirent pour leurs études. Le célèbre entomologiste anglais Harold Powell y tenait officine jusqu'en 1950 sous l’enseigne enchanteresse de la pharmacie des Lycènes. Lacs à Nymphéas, cours d'eau, prairies florifères, Cèdres séculaires, Chênes et Frênes centenaires, Érables, pléthores d’Oiseaux et de Papillons, sont un cadre de vie hors pair. L’Homme en a donc fait un lieu électif pour ses séjours, tant d’hiver (ski occasionnel) que d’été (ombre bienfaisante et microclimat appréciable dans une contrée aux ardeurs solaires impitoyables). La charmante ville apparaît désormais comme un peu débordée par son succès et le milieu naturel enregistre ses premières altérations et atteintes résultant d’une pression anthropique exponentielle, avec comme grave conséquence un substrat affecté. Face à cette fréquentation croissante, voire envahissante en saison, cet Eden est désormais au purgatoire et si l’on veut éviter que ce paradis ne devienne un enfer, le site doit bénéficier urgemment d’une gestion plus rapprochée dont les autorités ne semblent pas parfaitement soucieuses. Afin de pérenniser la valeur de ces sites régionaux, des mesures ne sont donc que théoriquement prises. Seulement voilà, l'enfer étant pavé de bonnes intentions, aucune n’est pour le moment appliquée ! Ah si : la police locale à-cheval persécute quelques amoureux illégaux dont les tendres baisers sont interdits !

La Source Vittel et autres lieux mitoyens comme la Cascade des Vierges, situés au fil du Val d’Ifrane (Oued Tizguid), sont certainement les emblèmes tant de la splendeur passée d’une nature riche et exubérante, que de l’actuelle « chienlit » résultant d’activités récréatives abandonnées à leur propre et pitoyable inspiration ravageuse. L’habitat était d’une exceptionnelle valeur biopatrimoniale, tout à fait unique pour le Maroc atlasique, avec notamment une remarquable formation arborescente en ripisylve, essentiellement composée d’hygrophytes dominés par
Fraxinus excelsior, infiltrés d’autres essences comme Quercus rotundifolia, de beaux sujets de Taxus baccata , et trouée de remarquables prairies à Festuca elatior. On peut y noter encore quelques témoignages de l’exceptionnelle vigueur de la végétation, avec abondance de lianes dont pas mal de vieux Lierres enveloppant les Frênes de leurs rideaux centenaires. Piétinement, parcage sauvage et saccage, pollution des eaux, y ont atteint un seuil limite dont le pic se situe chaque année en juillet-août. Selon des études bien documentées, concernant par exemple les plantes et les Papillons de jour, certaines espèces cardinales en on déjà fait les frais.


In memoriam...

La dégradation de bien des secteurs de la cédraie, sa déconstruction sous forme de déboisement, l’éradication de certains de ses composants et le dérangement provenant des parcours ont engagé une fragilisation, voire une perte définitive de nombreuses espèces végétales et animales. L’impact est irréversible. Sans remonter au temps du Lion de l’Atlas (ultime signalement pour le Moyen Atlas : 1930) dont le dernier représentant ifranais est taillé dans le granit, ou dresser une liste posthume exhaustive, nous citerons quelques espèces dont nous sommes « sans nouvelle » depuis les dernières décennies.

La Panthère fauve tachetée : le tueur en série que nous sommes est parvenu à ses fins, non sans efforts (safaris-trophées, fourrure, braconnage, égocentrisme pastoral, phobies, bêtise et vieux démons...) Bien que très méfiante, la Panthère était pourtant le plus ubiquiste des félins et habitait au Maroc un grand spectre de biotopes. Nos plus vieux collègues naturalistes la surprenaient encore jusque dans les années 50, par exemple dans les cédraies de l’escarpement d’Azrou ou dans la doline boisée du Mischliffen. Mais déjà de 1986 à 1996, les quelques signalements (traces, excréments, Magots dévorés, témoignages locaux) ne provenaient plus que du Haut Atlas oriental et ne portaient que sur quelques sujets errants et sans viabilité génétique. Le déclin final fut l’œuvre discrète de quelques bergers, l’animal pouvant évidemment causer des dégâts non remboursés parmi le bétail. Une réintroduction aléatoire doublée d’une veille soucieuse devraient être engagées. Hors la cédraie, il est deux autres espèces marocaines climaciques qui vivent actuellement un purgatoire damoclésien en vue d’un même destin muséologique : le Guépard et l’Hyène.
Le Lynx caracal : le bel animal n’a plus été observé des cédraies rifaines et du Moyen Atlas depuis les années 80 du siècle passé.
La Truite de Pallary (
Salmo pallaryi) : ce Poisson endémique des eaux continentales, propre à l'Aguelmame de Sidi-Ali situé au cœur de la cédraie « morte » du Col du Zad (Moyen Atlas central), est porté éteint.
L’Écrevisse à pieds rouges, caractéristique des cours d’eau de la cédraie, va suivre la même voie en raison de ses prélèvements excessifs (ex. : Oued Tizguid) et de la pollution galopante des eaux vives (notamment par l’usage direct de détergents non biodégradables par les populations riveraines).
Lépidoptères : trois espèces de Rhopalocères (Papillons diurnes) propres à la cédraie et à ses formations mitoyennes n’ont plus été revues depuis près d’un demi-siècle :
Pieris napi atlantis, une sous-espèce endémique de la Piéride du Navet, exclusive à quelques sites des alentours d’Azrou (responsabilité : pression pastorale) ; Pieris mannii haroldi, unique race africaine de la Piéride de l’Ibéride, indigène du Tizi-Taghzeft (causes : déboisement et surpâturage) ; Polyommatus escheri ahmar, unique sous-espèce de l’Azuré d’Escher connue d’Afrique du Nord , du Djebel Bou-Iblane (cause méconnue).


Un Parc pour sauvegarder le legs

Les hauts indices de biodiversité font de l’écosystème du Cèdre un réservoir génétique de premier rang. Ces critères ont présidé à la classification conservatoire du Parc naturel d'Ifrane, d’une superficie de 53.000 ha d’amplitude sylvatique tabulaire, contenant l’une des plus belles formation du Cèdre de l’Atlas sur calcaires et dolomies, avec des schistes et des épanchements volcaniques. La création de cette figure de protection se conjugue au projet d'aménagement et de protection des massifs forestiers de la Province d'Ifrane (en partie financé par l'Agence Française de Développement) et dont les composantes sont : forêt et bois de chauffe, parcours, gestion de la biodiversité, activités agricoles. La double ambition est de préserver la quintessence du biopatrimoine de la cédraie et de sa biocénose (dont le Chêne zéen qui participe à la typicité du site), tout en conciliant les activités vivrières des populations locales. Le Parc enveloppe d’autres formations associées à la cédraie comme : la zénaie, l’iliçaie (chênaie verte), la pineraie, la ripisylve à
Fraxinus angustifolia, le matorral troué, le matorral clair à Thymelaea, celui bas et dense à Adenocarpus, celui dense et élevé à Arbutus unedo, la prairie à Festuca elatior, la pelouse en dépressions froides, le causse asylvatique calcaire et des formations hygrophiles de daya où se développe, entre autres splendeurs floristiques, Nymphaeae alba. Vergers et cultures extensives sont inclus. L’ensemble abrite un très grand nombre de plantes vasculaires et d’Invertébrés, dont des endémismes précieux. Cette région est aussi par excellence et grâce à son couvert un exceptionnel château d’eau (précipitations annuelles de 650 mm à plus de 1200 mm sur les sommets exposés). C’est donc une composante bio-écologique essentielle de l’ « écran vert » qu’il est de toute première instance de mettre à l’abri des agressions si l’on entend chercher à ralentir le processus fatal de la « remontée du désert » et de ses corollaires l’érosion et la translation de la flore et de la faune.

La mise en sauvegarde d’un espace induit celle de ses composants floristiques et faunistiques et il faudra bien du talent dans la gestion pour ménager cette mission prioritaire avec le maintien des activités tant forestières qu’agro-pastorales. Quand il y a la volonté, il y a le chemin...


Les risques majeurs de dégradation de la cédraie

Les ennemis « naturels » du Cèdre

Les consommateurs (que les convoiteurs de bois nomment « ravageurs ») effectifs du Cèdre sont de tous ordres. Parmi les Microlépidoptères Hétérocères, il y a les incontournables Processionnaires, dont la très redoutée
Thaumetopoea pityocampa, ainsi que T. bonjiani, spécifique au Cèdre de l’Atlas, et deux Tordeuses de peu de nuisibilité : Acleris undulana et Epinotia cedricida, dont les larves se développent à l’intérieur des aiguilles. Quelques Pyrales s’attaquent aux cônes. Thaumetopoea pityocampa, qui n’est autre que la Processionnaire des pins, bien connue du grand public en raison du déplacement en fil indienne de ses chenilles grégaires (ce qui lui valu son nom vernaculaire), hiverne dans des bourses consistantes et compactes qui agissent comme des capteurs solaires au profit du réchauffement thermique des chenilles durant la période hivernale. Quand d’autres facteurs aggravants comme le déficit hydrique, quelques Champignons phyto-pathogènes, des Insectes xylophages, voire des agissements anthropiques de mauvais aloi, n’interviennent pas ou sans excès, l’arbre se rétabli quelques années après l’infestation ayant causé sa défeuillaison. Comme il est rapporté par l’administration que l’utilisation d’insecticides microbiologiques respectueux (à base de toxines de la bactérie Bacillus thuringiensis), n’a d’effet contre l’agent défoliateur qu’aux tous premiers stades larvaires, le relais du traitement reste le funeste Diflubenzuron, un produit chimique bloquant le développement larvaire par inhibition de la chitine et de la mue, donc de la croissance, mais qui agit indistinctement sur toute la zoocénose entomologique et dont on connaît encore mal les répercussions sur les Oiseaux insectivores. Une méthode traditionnelle et mécanique consistait à récolter les nids au sécateur ou à l'échenilloir, puis à les incinérer. Ce pourrait être, les années de grandes infestations, une parade au chômage des zones rurales ! Dans ce combat contre les agents biotiques, la surveillance est essentielle en permettant de détecter les ravageurs, d'évaluer le risque de dégâts en estimant les effectifs, de mesurer les déprédations effectives puis de prévoir l'évolution des populations. On dispose dorénavant de moyens propres pour améliorer l'étendue et la qualité des opérations de surveillance des ravageurs forestiers, comme la télédétection (notamment par le satellite ERTS), les pièges à phéromones, l'échantillonnage séquentiel et les ordinateurs pour accumuler et analyser les données. L’utilisation de l'analogue de la phéromone sexuelle des femelles pour le piégeage de masse des mâles ou par confusion est le meilleur moyen de veille. Il ne semble pas utilisé au Maroc, sans doute pour des raisons de coût et de gardiennage.

Pour ce qui concerne les Coléoptères xylophages subcorticoles, les prédateurs majeurs sont des Scolytes, comme
Blastophagus piniperda, Scolytus numidicus et d’autres. Le Charançon (Curculionidae) Scythropus warioni et la Chrysomèle (Chrysomelidae) Luperus pardoi, qui tous deux s’attaquent aux aiguilles, représentent des parasites bien plus innocents. Un Puceron est aussi concerné : Cedrobium laportei, causant des défeuillaisons pouvant entraîner la mort des arbres à basse altitude dans les mauvaises classes de fertilité. Les indices en sont la chute d’aiguilles non consommées et la présence d’un manchon noir sur les branches. Un Hyménoptère parasite peut être introduit pour le combattre. Et enfin un Champignon, Phellinus chrysoloma, peut également commettre de grands ravages dans les secteurs les plus humides.


Gestion durable : vivre avec les Insectes

L'impact le plus visible des Insectes en forêt reste les nombreux dégâts qu'ils infligent aux arbres. Le taux de défoliation annuel imputable aux Insectes varie par exemple de 5 à 15 %.
Pour répondre aux objectifs de gestion durable, il convient de développer des méthodes respectueuses de l'environnement. Dans ce contexte, l'emploi des insecticides en forêt est presque toujours à déconseiller. Ces produits, souvent peu sélectifs, peuvent en effet induire une pollution des sols et des nappes phréatiques, mais surtout entraîner la destruction des Insectes utiles et conduire à terme à l'apparition de résistances chez les Insectes visés. L'un des objectifs prioritaires de l'entomologie forestière est donc la mise au point de méthodes de lutte préventive, fondée sur l'utilisation ou le renforcement du potentiel de résistance naturelle des arbres, des peuplements ou des massifs forestiers. Une autre façon de prévenir les pullulations d'Insectes consiste à renforcer ou rétablir les mécanismes de régulation existant en forêt. Par exemple, le Puceron du Cèdre a été importé en France sans ses ennemis naturels, ce qui a causé des pullulations importantes. L’introduction depuis le Maroc d’un des Insectes parasites de ce Puceron a ainsi permis la réduction des niveaux d'infestation du Cèdre.


Le Singe... comme bouc-émissaire

Contrairement aux dires des services forestiers, la densité populationnelle des Singes Magots est en constante diminution. Cette densité qui était d’environ 60 individus au km2 il y a dix ans, est tombée à 28 au km2 en 1995 et n’était plus que de 10 au km2 selon l’évaluation de 2002. Ce Singe est un indicateur fiable de l’état de la forêt
et la mortalité des Cèdres du Moyen Atlas ne peut lui être attribuée.


Pour le mieux connaître...

« 
Singe. Animal arboricole qui se sent également très à l'aise
dans les arbres généalogiques.
 »
Ambrose Bierce

Le climat atlasique est dit tempéré, c’est-à-dire avec les variations d’un été chaud et sec, puis d’un hiver froid et enneigé. Ceci constitue une exception pour les Singes : la plupart des espèces vivent dans des zones à climat chaud. Le Magot (Macaca sylvanus) présente donc des adaptations importantes aux variations climatiques dont un changement de poils au printemps, l’absence de queue longue (diminution de la surface corporelle exposée au froid) et un rythme de reproduction strictement saisonnier.

Il vit en groupe de 20 à plus de 100 individus, avec une vie sociale très importante.
Le chef du groupe est toujours un mâle adulte mais les femelles en constituent l'élément stable (matrilignage). Les bandes sont donc dirigées par un mâle dominant, mais la hiérarchie sociale est en principe linéaire. Chaque individu occupe une place sociale déterminée. Les filles « héritent » du statut social de leur mère et occupent une place hiérarchique proche d'elle. Chez les mâles, l'acquisition du rang social se passe différemment. Si, chez les juvéniles et adolescents, c'est l'âge qui détermine le rang social, chez l'adulte, plus que la force physique, c'est la faculté d'entretenir de bonnes relations avec d'autres mâles du groupe qui prédomine. Ceux-ci servent alors d'alliés lors de conflits et permettent la domination. La sex-ratio est équilibrée. Chaque communauté possède son propre espace vital. Cette vie sociale se caractérise par un riche éventail de comportements caractéristiques. Elle nécessite un système de communication élaboré, à base de sons, d’attitudes et de gestes mimiques, dont le claquement des dents est le plus original. Les couples se forment toute l’année, avec une meilleure fréquence de décembre à mars. La femelle en chaleur s'accouple avec plusieurs mâles. De ce fait, les paternités ne sont pas connues. La période de gestation est de 210 jours, supérieure d’un mois à celle des autres Macaques. Les bébés sont presque chauves à la naissance et sont nourris par la mère pendant environ une année. La relation mère-enfant est très intense et durable. Les relations entre femelles en parenté (grands-mères, mère, sœurs, tantes, cousines) sont entretenues et renforcées durant toute l’existence. La vie en groupe est régie par des relations personnelles privilégiées concernant chaque individu. En règle générale, les mâles participent à l'éducation des petits et il n'est pas rare de voir un mâle porter un jeune. Le jeu des jeunes Magots est le vecteur dominant d’apprentissage, tant sur le plan moteur que social, la plupart des comportements étant acquis et non innés chez les Singes. La longueur de la jeunesse, caractérisée par les jeux, est un indicateur d'évolution : les espèces les plus évoluées ont une période de jeunesse très longue. L'épouillage n’est pas seulement le nettoyage de la fourrure, mais surtout d'un comportement ritualisé exprimant une relation positive. La fréquence et le sens dans lequel se fait l'épouillage sont souvent corrélés avec le rang social des individus, l'inférieur épouillant plus souvent le supérieur.

L’habitat préféré du Magot de Barbarie est le causse boisé, creusé de cavernes et de trous, où il s'abrite la nuit pour dormir et se protéger des prédateurs. Le jour, il y recherche sa nourriture composée de fruits, herbes, graines, feuilles, écorces, bourgeons, bulbes, tubercules, racines, Scorpions, Insectes.


Et mieux le comprendre...

Malade du mauvais état de son habitat, il y est aussi excessivement dérangé par le cheptel envahissant accompagné de hordes de chiens agressifs. De plus en plus sollicité par l’Homme qui l’approche pour le nourrir et qui le nourrit pour l’approcher, de trop nombreuses familles de Magots sont désormais composées de mendiants dépendants, véritables commensaux et commencent donc à déranger. Sur les sites les plus stratégiques, comme celui de feu le Cèdre Gouraud, les marchands de souvenirs et de fossiles ont ajouté à leur étale des cacahuètes... Cette déclaration de Théodore Monod pourrait faire ici l’objet d’une pancarte didactique :
« Les animaux ne demandent pas qu'on les aime, ils exigent qu'on leur fiche la paix. »
  
Pour cause d’occupation permanente des points d’eau par les troupeaux, le Singe doit rechercher cette eau et les sels minéraux dans la sève des Cèdres juvéniles et se trouve accusé d’écimage et d’écorçage. Dans un habitat en rupture par la disparition des grands prédateurs comme l’était la Panthère, il n’est plus régulé que par quelques Chiens sauvages, Renards et de rares Chacals, voire quelques grands Rapaces. Le Magot de Barbarie est un animal protégé par conventions internationales mais que certains gestionnaires voudraient voir disparaître. Pourtant, le Magot et le Cèdre sont deux éléments d’une même communauté écosystémique. Dans un passé très récent où le Singe montrait un effectif nettement plus fourni, aucun dégât dommageable n’était relevé. D’ailleurs, les dégradations actuelles ne sont signalées que dans des secteurs précis, justement ceux déjà victimes de dysfonctionnement forestier entraînant des dérèglements au niveau des populations, structures et architectures des composantes végétales et animales. Quand le faciès sylvicole est diversifié, ce type de dégâts n’existe pas. Certaines études et expérimentations l’ont prouvé. Quant au transfert des Singes, ce serait une contribution de plus à la destruction de la biodiversité dans le Parc naturel d'Ifrane qui a été créé pour conserver, valoriser et développer celle-ci sur un mode intégral, et non à la carte.


Les Cèdres de la dernière chance 
(acte I) :

Foresterie, surexploitation forestière, déconstruction de la forêt : la cédraie n’est pas une mine !

« Ecoute, bûcheron, arrête un peu le bras !Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas ;Ne vois-tu pas le sang, lequel dégoutte à forceDes nymphes qui vivraient dessous la dure écorce ? »Pierre de Ronsard

« 
Il ne faut jamais perdre de vue qu’une forêt n’est pas seulement une collection d’arbres économiquement exploitable, c’est avant tout un milieu biologique, l’un des plus complexe de la nature, dont tous les éléments (arbres, arbustes, herbes, sol, micro-organismes, faune) sont interdépendants. On ne peut détruire l’un de ces éléments sans risquer de bouleverser l’équilibre biologique de l’ensemble et de provoquer à plus ou moins brève échéance la disparition de la forêt elle-même. »
H. Pabot (1957)


La biodiversité est biffée, les superficies s’amenuisent, les plans directeurs se suivent et se ressemblent dans leur incapacité manifeste à juguler les causes du déboisement croissant et à faire montre d’imagination écologique. On s’enfonce au contraire dans
une gestion « minière » et destructrice dont les remèdes sont pires que les maux, quand ils ne sont pas d’une évidente mauvaise foi. Le forestier s’acharne à déconstruire la forêt. Les coupes rases, par exemple des chênaies vertes arbustives formant le sous-bois de la cédraie, constituent le premier facteur favorable au processus d’érosion. L’éradication du feuillu expose le sol au stress hydrique puis le prive de tous ses éléments essentiels jusqu’au stade de la rocaille dépourvue de capacité de rétention.

Ce traitement illusoire et néfaste, trop souvent exercé à l’encontre des peuplements forestiers, enclenche inéluctablement un changement radical du microclimat facteur d’une minéralisation rapide de l'humus, une destruction du substrat, un lessivage des éléments nutritifs et toute une chaîne de conséquences additionnelles provoquant cette aridification tant redoutée. Dans la mesure où cette technique des éclaircies mal dosées et du traitement de la futaie régulière génère une perturbation profonde de la cédraie comme de toute grande formation forestière, elle entraîne subséquemment une modification radicale de l’architecture, ainsi que des conditions écoclimatiques et édaphiques. Sans la régénération naturelle, le dynamisme ligneux diminue, le vieillissement se fait précoce et un dépérissement global ouvre une porte à la désertification. Aux yeux - peut-être naïfs - du naturaliste, le comportement « agronomique » du forestier (c’est le sylviculteur...) semble pour le moins réducteur, pour le pire stérile et en tout cas bien pathétique. L’agronome cherche à travailler au profit d’une seule espèce contre toutes les autres, végétales ou animales car l’agronome est aveugle par nécessité. A l’opposé, une forêt n’étant pas un champ de petits pois, mais un organisme intrinsèque à considérer globalement, la technique ségrégative, sélective et réductrice va à l’encontre des phénomènes de mutualisme, de symbiose entre les individus des divers taxa. Dans une forêt saine, l’émulation est une loi fondatrice et la compétition n’a de cesse. En cédraie, le potentiel de transformation le plus fort des semis naturels réside dans les parties les plus confuses du sous-bois, dans les trouées et les lisières envahies de Cistes, de Genêts, de Lamiacées et de Graminées, au sein d’un système pluristratifié.
Ce sont là les berceaux des arbres de demain. A leurs côtés, les plants coûteux, installés par le sylviculteur dans leurs pots après nettoyage intempestif du sol et de la strate protectrice des bienfaisantes « mauvaises herbes », crèvent dès le premier été ou nécessite un suivi hors de prix. Vouloir dissocier une essence forestière naturelle de sa biodiversité contextuelle vieille de centaines de milliers d’années est la vue de l’esprit coupable de la perte des forêts. Les espèces végétales et animales vivent en communauté. Ainsi, le forestier qui ne travaille pas avec, travaille contre. Il déconstruit la forêt. Toutes les preuves de cette vérité première sont désormais engrangées et l’on se demande quelle peut être la philosophie des cours dans les écoles forestières. C’est devenu une vérité première que de constater que la stricte vocation forestière (exploitation, rentabilité) est toujours un défi gagné contre la nature et les générations futures.

Dans le Rif sauvage et dans le splendide Moyen Atlas,
la forêt « désossée » est pourtant déjà la figure actuelle de très nombreuses cédraies sur le déclin. Pour d’autres, comme celles du Moyen Atlas septentrional, du versant méridional du Moyen Atlas central ou du Haut Atlas oriental, l’appauvrissement est total et le point non-retour est atteint. Car la cédraie ainsi fragilisée par ces aménagements impropres n’a pu affronter les affres climatiques de ces régions mitoyennes de la steppe.

C’est au XIXe siècle que ce phénomène de gestion dégradante des forêts rifaines et atlasiques a commencé, pour s’amplifier durant les protectorats espagnols (Rif) et français (Atlas). A la veille de l'indépendance du Maroc, l'administration forestière espagnole procédait déjà à une regrettable exploitation « minière » de toutes les riches forêts de cette région. Ces exploitations ont prélevé tout le capital forestier, n’épargnant que les arbres chétifs et sans valeur économique. La pression anthropique tant « délinquante » par les riverains (défrichement de la végétation naturelle pour l’extension des cultures sur de fortes pentes, délestage de bois à usage domestique, parcours forestiers, feux de forêts), que légale par les forestiers (coupes, toilettage illusoire et nocif du sous-bois, plantations artificielles), s'est amplement intensifiée de nos jours. Cette analyse concerne non seulement la cédraie, mais tout autant la sapinière, les pinèdes, la suberaie, la chênaie verte, la tauzaie, la zénaie, etc.
Un rapport confidentiel de la Banque Mondiale atteste de cette dégradation pernicieuse et alarmante de la forêt rifaine et certains constats sont effarants. Il faut savoir que le Rif qui ne couvre que 6 % du territoire national représente 60 % de la terre érodée du Maroc, alors que les Moyen et Haut Atlas qui en couvrent 20 %, ne produisent que les 17 % restant. La cédraie de Kétama aurait perdu 30 % de son stock et dans la région de Targuist, on enregistre la destruction légale et clandestine de 700 ha par an.

Le régime pluvial participe au désastre, notamment dans le Rif et le pré-Rif caractérisés par des pluies à régime torrentiel et concentrées sur des périodes assez brèves. Les précipitations brutales et abondantes sur un sol vulnérable parce que dénudé par les agissements humains façonnent une l'érosion de ruissellement, que n’arrange en rien la forte inclinaison des versants propre à ce massif. Mais il existe
un paradoxe de la pente, dans la mesure où le ruissellement diminue lorsque la déclivité augmente. Des études ont montré que selon l’énergie cinétique de la pluie, celle-ci frappe la surface du sol des faibles pentes quasiment à angle droit, avec une énergie qui tend à la compacter et à induire ainsi un fort ruissellement. Alors que sur les versants très pentus, l’angle que forme la pluie avec le sol est moindre, la compaction résultante moins prononcée et le processus érosif moins incisif. A cela s’ajoute le fait que les pentes les plus vives ne sont pas cultivées et que la terre entraînée par les lessivages provient des terrasses et autres versants doux mis en culture.

Ces traitements des forêts en taillis simples ou en futaies régulières compromettent la régénération et conduisent à une fossilisation de la forêt, puis à leur éradication. Certains travaux forestiers essentiels sont aussi trop souvent confiés à des entreprises incompétentes. Avec le déboisement, c'est la couche humifère qui disparaît, les capacités d’infiltrabilité qui se perdent sur un sol devenu strictement climatique, le ruissellement qui s'accélère, l'eau et le sol qui s’en vont en mer lors d'effroyables catastrophes, la fertilité globale qui diminue, le pays qui se dessèche, la ruine qui menace et transforme le tout en désert.


Les Cèdres de la dernière chance
(acte II) :
anachronique et abusif, le parcours intensif en cédraie est un véritable écocide


« 
Le cheptel caprin, élément d’émancipation de la femme rurale » était, il y a quelques années dans les rues de Chefchaouen (Rif), un slogan bien (dé)plaisant... Car des efforts internationaux et notamment espagnols (aide à l’amélioration des races caprines...) sont « innocemment » entrepris pour aller à l’encontre d’une certaine déprise de l’élevage extensif de cette région mieux soutenue par la rentabilité de la culture de Cannabis sativa. Dans les sapinières et les cédraies des Djebels Tasaot, Tizuka, Lakraa, Tisirene, Tidiquin, les derniers troupeaux de Chèvres semblent commettre leurs ultimes forfaits à l’encontre du monde végétal.

Dans les Atlas au contraire, les transhumants se sédentarisent, les terrains de parcours diminuent et les troupeaux d’Ovins augmentent,
souvent pour le prestige. La problématique frise l’absurde quand on sait que les propriétaires tirent profit d’un nombre de têtes qu’ils savent excessif, en acceptent une mortalité de 50 % d’agneaux, pour le seul stratège du pouvoir conféré et des droits qui en résultent. Ces séjours prolongés en forêt par manque de transhumance mutilent par émondage et écimage la lisière des cédraies. Le Cèdre et les autres résineux qui n’ont pas la résistance des feuillus finissent par mourir sur pied à cause du déséquilibre physiologique qui survient suite à la diminution de la biomasse aérienne par rapport à celle du système racinaire.

Dans les conditions actuelles et puisqu’il reste la première ressource des populations humaines de ces montagnes,
la problématique du pâturage en forêts devrait être l'une des préoccupations fondamentales des aménagistes sylvo-pastoraux et des gestionnaires des aires protégées. Pour l’instant, le nombre de têtes ne fait qu’augmenter, au fur et à mesure de la dégradation des écosystèmes forestiers, de l'appauvrissement de la biodiversité et de la perte du sol.


Les Cèdres de la dernière chance
(acte III) :
le sol sur la mauvaise pente...

Un sol, une forêt sont tout d’abord un formidable potentiel de vie encore inexprimé dont dépendent la fertilité de l’écosystème, son pouvoir d’adaptation et de régénération. C’est pourquoi il eut été essentiel pour l’avenir d’en protéger l’expression actuelle plutôt que de l’anéantir en deux temps, trois mouvements. Dans le concept d’une telle décrépitude du sol, il n’est plus possible de se positionner avec un moindre espoir face aux défis écologiques du futur que pourraient imposer des modifications radicales du milieu, tant à l’échelle locale (érosion) que globale (réchauffement). Ici il n’y a plus rien en stock et, triste bilan, l’espoir se conjugue donc au passé.

Dans le secteur septentrional du Moyen Atlas, depuis Timahdite jusqu’au Bou-Iblane, c’est paradoxalement les cédraies déjà vétustes des adrets et des ressauts orientaux qui sont victimes de la plus féroce agression pastorale. L’action ahurissante est causée par la mitoyenneté de pâturages arides exploités par les transhumants d’été qui n’hésitent pas à se rabattre sur la cédraie lors des fréquentes années de disette dues à un grave déficit hydrique. Sous-bois ravagés et inexistants, écimage, ébranchage, substrat rendu squelettique par le piétinement, translocation des sols largement étrépés, acidification, puis lessivage des pentes lors des orages et inondations des vallées. Dans cette région, tout comme dans le Haut Atlas oriental (régions de Midelt et de Tounfite), il ne reste plus qu’un triste et macabre spectacle de cédraies d’outre-tombe d’où émergent éparsement les spectres menaçants des ultimes vétérans morts sur pied.

« L’arbre endormi profère des oracles verts. »
Octavio Paz

« Le ciel même peut-il réparer les ruines
De cet arbre séché jusque dans ces racines. »
Racine

Dans cette forêt
post-mortem, l’action érosive des lessivages offre des conséquences parfaitement dramatiques. A tel point que sur le lit caillouteux, ersatz du sol, il est même devenu hasardeux de pouvoir se tenir debout !

Ainsi naît la désertification locale sans qu'il y ait diminution dans les volumes des précipitations annuelles.


La « mode » des incendies

La forêt étant un bien collectif et usager, l’habitant de ces montagnes ayant en outre une pratique parfaitement réaliste du feu
in situ qu’il utilise encore au quotidien, pour ces motifs les incendies sont l’exception accidentelle et le pyromane une race méconnue en Afrique du Nord. La surface forestière incendiée n’excède pas 3000 ha par an au Maroc et bien entendu, le plus souvent dans des périmètres de reboisements en résineux. Ce qui est somme tout satisfaisant quand on connaît les statistiques européennes en la matière. En 2003, 392 feux ont parcouru 2858 ha. Ce sont 320.000 ha au Portugal, 90.000 en Espagne et 85.000 en France qui furent ravagés la même année. Pour ce qui concerne certains pays à vocation crématoire, comme l’Espagne (300.000 ha sont certains étés la proie des flammes) et le Sud espagnol en particulier, on se demande parfois comment il peut rester encore quelque chose à brûler ! Les chiffres sont nettement plus modestes au Maroc, avec 1983 comme année record (11.300 ha pour 338 incendies) et 2002 comme année sage (593 ha pour 202 incendies). Il faut donc espérer qu’entre autres modes, celle des incendies « à l’occidental » (Europe, Etats-Unis, Australie) continue à épargner la forêt marocaine qui a déjà son lot de misères. Un esprit chagrin pourrait insinuer que vu la rareté de la strate herbacée et l’état du sol majoritairement squelettique, les affres du surpâturage sont un efficace remède contre les méfaits incendiaires. Dans le Rif, de nombreux reboisements sont souvent l’objet d’incendies récurrents et difficilement maîtrisables. L’été 2002, des formations forestières essentielles de la région d’Ifrane ont été la proie du feu. La cédraie y échappe partiellement en raison de sa forte hygrométrie.


Pour un peu de miel..., la fin justifie les moyens

Les traditions qui perdurent sont les plus mauvaises, dit-on. Celle des chercheurs de miel peut mettre en péril les plus beaux Cèdres. La méthode artisanale, dérisoire et délinquante, consiste en la fumigation de l’essaim d’Abeilles découvert dans un arbre, à l’aide de bouse de Vache séchée, mettant ainsi en flammes la base du tronc du Cèdre. Une mort inéluctable attend donc tout arbre séculaire sujet à cette méthode apicole peu enviable.
Un vétéran de moins pour quelques dirhams de plus...


Conclure...

Certains boisements à
Cedrus atlantica jouissent encore d’une bonne conservation qu’atteste une évidente régénération, notamment dans les formations rifaines et medio atlasiques des bioclimats les plus humides. Une veille est néanmoins nécessaire face à quelques atteintes. Une révision des méthodes forestières selon une gestion moins « agronomique » et intégrée s’impose car dans le concept d’une gestion durable, il n’est plus de mise de continuer à désintégrer l’écosystème en éliminant des composants qui semblent à première vue subsidiaires mais dont l’absence a prouvé qu’ils étaient au contraire essentiels à une bonne régénération.

Une dynamique régressive très inquiétante est en marche dans certains djebels du Moyen Atlas centro-oriental, ainsi que dans toutes les cédraies du Haut Atlas oriental. Les causes en sont évidemment multiparamétriques, mais la raison essentielle et dispensatrice du coup de grâce donné à ces forêts est sans conteste une pression pastorale excessive. De larges secteurs sont déjà irréversiblement désertifiés et la cédraie morte est déjà un phénomène notoire. Si l’on entend sauver quelques restes en limitant les effets du dysfonctionnement, il est urgent de fixer des contraintes et de les faire respecter sur le terrain.

Le Cèdre est une unité écosystémique majeure et très fragile à l’intérieur du biome méditerranéen. Le Maroc en conserve la majeure partie et c’est un grand atout patrimonial. Il serait regrettable qu’il soit traité avec désinvolture. Il est probable que la domanialisation de la forêt par l’État fut l’élément fondateur des violences écologiques constatées entre les communautés et le gestionnaire, au sens où elle peut être comprise comme une violation, une spoliation de la tribu. Avec un tel sentiment qui de nos jours demeure, les usagers ne respectent plus les disciplines ancestrales imposant une conscience collective et s’en remettent à la hiérarchie du garde forestier, agent étranger dont l’existence incite à maximiser leur profit d’une ressource désormais propriété d’autrui. C’est le sentiment d’expropriation, qui plus est exacerbé par le mauvais exemple d’une conduite trop exploiteuse de l’administration de tutelle.

Les pronostics ne sont pas très optimistes, les diagnostics d’une tentative de pérennisation sont dans la raison.