« Il n’est pas un site de forêt qui n’ait sa signifiance, pas une clairière, pas un fourré qui ne présente des analogies avec le labyrinthe des pensées humaines.Quelle personne dont l’esprit est cultivé et dont le cœur a reçu des blessures, peut se promener dans une forêt, sans que la forêt lui parle ?Insensiblement, il s’en élève une voix ou consolante ou terrible, mais plus souvent consolante que terrible. »
H. de Balzac
« The more clearly we can focus our attention onthe wonders and realities of the universe about us,the less taste we shall have for destruction. »
Rachel Carlson


Requiem pour une forêt : La Maâmora

Le Chêne-liège, un « dur à cuire » très vulnérable

Membre de la Famille des Fagacées, c’est en 1753 que Linné nomma le Chêne-liège Quercus suber. En France, ses noms vernaculaires sont Durier, Corcier, Sioure, Alcornoque ; au Maroc, ballout l-ferchi, l-fernane. Ses premières traces sont estimées à 6500 ans av. J.-C. et son évolution semble toujours avoir été liée à l’organisation sociale de l’Homme. Il n’est connu que d’Europe du Sud (Portugal, Espagne, France, Italie) et d’Afrique du Nord (Maroc, Algérie, Tunisie). D'après les données d'IPROCOR (Institut de Recherche pour la Promotion du Liège en Espagne) (1991), la suberaie dans le monde atteint environ 2.289.000 ha, avec la répartition suivante : Portugal 750.000 ha, Espagne 500.000 ha, Algérie 410.000 ha, Maroc 340.000 ha, France 100.000 ha, Tunisie 99.000 ha, Italie 90.000 ha.

C’est une essence calcifuge ne poussant que sur des sols pauvres en calcaire actif (granit, gneiss, schistes). L’arbre affectionne donc les terrains siliceux, à texture sablo-argileuse, légers et bien drainés, reposant sur une roche mère métamorphique. Un système racinaire pivotant lui procure une aptitude remarquable à s’enraciner profondément, même sur un substrat très superficiel, et à résister aux tempêtes. C'est une essence zonale, c'est-à-dire qu’elle est liée à un type de climat thermique. La zonalité exprime la correspondance biogéographique observée entre les ceintures de végétation qui se superposent dans les régions montagneuses quand on s'élève en altitude.
Le Chêne-liège est présent à l'étage thermoméditerranéen de la frange littorale, il occupe tout l'étage mésoméditerranéen et parvient à se maintenir dans le supraméditerranéen au bénéfice de compensations édaphiques et de la proximité de la nappe phréatique. Il n'affectionne pas une niche particulière et se rencontre dans un large éventail de milieux, depuis la rive des eaux jusqu'à des zones rocheuses. Il donne tant l'illusion de régner sur son étage de végétation qu'il fut un temps où les phytosociologues le considérèrent comme climacique Mais depuis les années 60 où en Europe beaucoup de suberaies ont été abandonnées par l'Homme, on a constaté qu'à la différence d'une véritable espèce climacique, le Chêne-liège ne résiste pas à la concurrence, par exemple du Chêne vert, voire même de grandes espèces du maquis comme l'Arbousier. Il apparaît donc que faute de certains soins de l'Homme, le Chêne-liège ne puisse décliner son propre écocomplexe et la suberaie apparaîtrait maintenant comme le produit d’une sylviculture ancestrale, et non pas comme une formation originelle. Mais cette vision n'est encore qu'une hypothèse. Les documents historiques montrent bien toutefois que le Chêne-liège a été considérablement favorisé par l'Homme depuis le XVIIIe siècle par semis, plantations, dégagements de la concurrence des autres essences, par tout un traitement approprié faisant de lui une espèce domestique visant à produire le meilleur liège possible en qualité et en quantité. C’est un arbre assez exigeant en ce qui concerne la chaleur et l'humidité. Il requiert des précipitations annuelles minimales de 400-600 mm, et des températures moyennes annuelles supérieures à 13,5°C environ, avec des minima supérieurs à -5°C. Ces exigences peuvent néanmoins varier en fonction de certaines particularités stationnelles : humidité élevée par la proximité océanique, fraîcheur relative due à une nappe phréatique peu profonde, etc. Il est ainsi absent des régions à tendance climatique franchement continentale et il se développe de préférence dans des zones à influences maritimes douces et humides du Bassin de la Méditerranée occidentale où il déborde sur les Côtes atlantiques. Au Maroc, on le retrouve néanmoins loin de ces critères électifs, comme dans le Haut Atlas où il ne possède que des formations précaires (embryonnaires ou résiduelles ?), ainsi que dans la partie très orientale du Moyen Atlas où dans le Djebel Tazzeka se développe une belle chênaie à Quercus suber.

Un Chêne-liège peut fêter 500 anniversaires à l’état naturel, mais les levées successives de liège en ont fait une espèce dorénavant peu longévive qui, compte tenu de l'état de dégradation des suberaies, ne survit guère au-delà de 150 à 200 ans. C’est un arbre de bonne rusticité, à croissance lente, puis moyenne, de taille modeste, puisqu’un vétéran ne dépasse que rarement les 20 m pour un diamètre de 1,5 m. Sa taille habituelle est d’une douzaine de mètres, à port chétif, dégingandé, dont les basses branches peuvent reposer sur le sol.

Quercus suber est un Chêne sclérophylle à feuilles très polymorphes, alternes, ovales, coriaces, dont les nervures aboutissent à des lobes peu profonds terminés en épines plus ou moins prononcées, vert foncé et glabres en avers, glauques avec pubescence dense au revers. Ces feuilles persistent entre deux et trois ans. Le Chêne-liège est monoïque : les fleurs mâles pendent en chatons à l'extrémité des rameaux de l'année précédente et les fleurs femelles s'insèrent à l'aisselle des feuilles de la pousse de l'année. La floraison a lieu au printemps, parfois en automne mais dans ce cas stérile. Le fruit est un gland ovoïde à cupule conique, grisâtre ou roussâtre, à pédoncule court et enfermant la moitié du gland. La maturation des glands a lieu au cours de l'année de floraison et arrive à terme à la fin de l'automne. L’arbre fructifie à partir de 15 à 20 ans et son importance fluctue selon les années. Écorcé tous les 7 à 10 ans (démasclage), le liège premier, dit liège mâle, est irrégulier et fissuré. Apparaît ensuite celui dit femelle qui est de qualité exploitable et « bouchonnable ». L’arbre atteint son optimum de production vers 120 à 150 ans. Les jeunes rameaux, d’abord pubescents puis lisses, deviennent liégeux au bout de quelques années. Le bois est dur et lourd. Sa résistance au frottement et à la pourriture sont des qualités premières pour la construction de certaines pièces de bateaux, des outils et les parquets pour lesquels il était autrefois utilisé. L'écorce épaisse, peu combustible et isolante, ne brûle que superficiellement. Elle protège les tissus conducteurs de la sève. Le liège est carbonisé, mais la vie est protégée… Tel le Phoenix, il renaît alors de ses cendres ! Après un feu, des bourgeons dormants donnent naissance à de nouvelles pousses, ce qui reforme la couronne végétale deux saisons après un incendie, pour autant que la levée du liège n'ait pas été effectuée récemment. Face au risque « feu de forêt », le Chêne-liège offre donc un comportement particulièrement exceptionnel. Cette vertu pyrophyte lui confère quelques atouts économiques et écologiques qui font de lui un arbre remarquable, mais par ailleurs très délicat.

Au Maroc,
Quercus suber appartiendrait à la ssp. occidentalis, d’une meilleure résistance au froid, aux écailles du gland plus écourtées, sous-espèce également présente sur l’autre rive au Portugal et en Espagne. Pour de nombreux auteurs, il n'y a pas lieu de retenir cette distinction taxinomique.

Petite histoire du liège

Le liège est un produit végétal tiré du tissu phellogène ou de l'assise subéreuse, laquelle se présente parcimonieusement chez de nombreuses espèces végétales, mais il n'y a qu'une essence qui fournit une quantité telle qu'elle justifie le nom qu'elle porte :
Quercus suber, le Chêne-liège.

C'est l'écorce qui fit toute la renommée du Chêne-liège et qui en représente la partie la plus singulière. Il s’agit d’un tissu végétal constitué de microcellules mortes alvéolées, essentiellement composées de matière gazeuse, d’où cette densité extrêmement faible. Le liège est un très mauvais conducteur thermique, vibratoire et acoustique et sa première application isothermique remonte à l'Antiquité pour la fabrication de ruches. Quant à son recours pour la construction, on cite des traces de son emploi comme isolant des murs, alors mélangé avec de l’argile, parmi les populations primitives d'Afrique du Nord. Aujourd'hui, le liège est concassé pour former des granulés de liège, qui, portés à 300 °C, se dilatent et s'agglomèrent avec sa propre résine sans adjonction d'aucun liant. Sous cette forme, c’est le plus écologique des matériaux à l’usage de panneaux d'isolation thermique et acoustique. Il revient en force au service de la bioconstruction. La première mention de l'utilisation du liège en bouchage, remonte à cinq siècles av. J.-C., période à laquelle on l’utilisait déjà pour boucher les amphores de vin. Mais c'est à partir de 1681, avec la généralisation de la bouteille en verre, que Dom Pérignon, moine Bénédictin, utilisa le liège pour boucher son vin pétillant. C’est alors l’expansion rapide d'une activité, celle de bouchonnier, qui s’étendra vite aux autres pays d’Europe, prenant plus tard une échelle industrielle. La grande concentration d’une substance organique propre au liège, la subérine, lui confère des cellules d’une imperméabilité à toutes épreuves, tant aux liquides qu’aux gaz. Cette qualité d’étanchéité, associée à un statut chimiquement inerte sans préjudice pour la santé, ainsi qu’à une étonnante durabilité de son élasticité, firent du liège le matériau idéal pour le bouchage des bouteilles.
Vitis vinifera et Quercus suber étant souvent géographiquement associés au sein du biome méditerranéen, les pays vinicoles sont aussi producteurs de liège, le Maroc y compris. Le liège est par ailleurs utilisé dans la confection des chaussures pour la protection contre le froid et l'humidité. Dans la décoration moderne, il réchauffe et enrichit tous les types d'intérieur. Naturel ou coloré, il est très apprécié pour son apparence, sa capacité isolante, tout en ne réclamant que fort peu d’entretien. Il est proposé en parquets (grande résistance à l'abrasion) ou en dalles murales sous forme de feuilles de liège naturel ou aggloméré. Dans l'industrie du froid, il est employé pour la construction des chambres froides, l'isolement des bacs réfrigérés, comme couvre-tubes, etc. On retrouve ce matériau dans la production de nombreux articles de sports, de pêche et il entre souvent dans la composition des jouets. Dans la musique, ses qualités d'isolant acoustique sont intéressantes pour éliminer les bruits parasites, notamment des instruments à vent tels que hautbois, clarinette et saxophone. Il est enfin repris dans des industries très contemporaines comme celles automobile, électrique et aéronautique où il est souvent employé pour ses propriétés d'isolation sur de faibles dimensions, ainsi que pour sa forte résistance à la chaleur (capacité à retarder l'entrée en feu). L'exemple le plus étonnant dans ce domaine est son utilisation comme bouclier de protection sur les navettes spatiales afin de les protéger contre la température élevée provoquée par le frottement quand la fusée rentre dans l'atmosphère.

La subericulture ne s’exerce valablement que sur des sujets proches du demi-siècle. La qualité du liège est pratiquement indépendante des variations climatiques qui se compensent au fil des années de croissance. La qualité est par contre très dépendante de la situation de l'arbre. Plus le terrain est fertile, humide et bien exposé au climat atlantique, plus le liège pousse vite, avec une élasticité renforcée et une densité diminuée. A l'inverse, sur un terrain maigre ou sur une crête, le liège sera plus nerveux et dense. Après que l’écorce ait été démasclée une première fois, quelques dix ans sont nécessaires pour un second prélèvement, et ce, guère plus d’une dizaine de fois dans la vie de l’arbre. Il convient de manier la hache avec doigté pour ne pas entailler la mère, c’est-à-dire la matrice des cellules générant l’écorce, et compromettre ainsi la formation de la future nouvelle écorce.

Avec un capital de 15 % de la superficie mondiale du Chêne-liège, le Maroc ne contribue présentement qu’à hauteur de 4 à 6 % dans la production mondiale de liège. L’exploitation des plans de gestion des suberaies marocaines sur une période de 12 ans (1985-1996) a permis de constater que sur un potentiel annuel indicatif de 178.000 stères, le volume annuel moyen mobilisé se situe autour de 129.500 stères (environ 15.000 tonnes), soit un taux de réalisation moyen de 73 % et une productivité de 0,56 stères par hectare/an. La subericulture représente 40 % des recettes annuelles générées par la commercialisation des produits forestiers locaux, assurant l’activité à 45 entreprises de récolte et de 13 unités industrielles de transformation et de valorisation du produit. 95 % de la production marocaine de liège est exporté. Les ressources du Chêne-liège génèrent environ 375.000 journées de travail par an. La production non ligneuse représente quant à elle l’équivalent de 5000 tonnes de glands doux, de 115 tonnes de Champignons (dont 85 tonnes de Truffes) et de 2000 tonnes de miel à l’année (Source : Hammoudi Abdelaziz, 2002).


La suberaie marocaine

A l’exception de petits groupes ou sujets épars en quelques points du Haut Atlas, le Chêne-liège peuple le Rif, le Moyen Atlas, le Plateau central et la Maâmora, pour une superficie totale de 350.000 ha, dont 188.000 ha sont aménagés et exploités pour la subericulture. Cette essence montre le plus souvent un faciès pur mais des mixités interviennent en certaines régions favorables, notamment avec le Chêne vert et le Chêne zéen. La suberaie s’organise essentiellement en futaie mais compte tenu de l’aptitude du Chêne-liège à régénérer de souche, des taillis après coupes peuvent être reconnus.

Les suberaies thermoméditerranéennes occupent les plaines et les moindres altitudes depuis le niveau de la mer où ce sont d’ailleurs les seules forêts survivantes de cet étage, l’utilité de l’arbre depuis la nuit des temps ayant sans doute été la clé de sa sauvegarde. Elles témoignent toutes d’une forte homogénéité et sont encore bien conservées dans les régions les mieux arrosées. Celles mésoméditerranénnes et supraméditerranénnes peuvent attester d’une certaine densité au profit d’ambiances humide, voire perhumide. On y rencontre alors une mixité avec des Chênes caducifoliés, ainsi qu’un sous-bois plutistratifié lorsqu’il n’est pas saccagé.

Les suberaies de plaine sont celles de la Maâmora et de la Côte atlantique de Larache (Rharb littoral). La première, immense et de grande notoriété, est en phase finale et ne montre plus qu’une architecture dénudée. Nous verrons pourquoi plus après. Véritable poumon vert pour la région du Grand Casablanca, la forêt Oued Nfifick disparaît à un rythme alarmant en dépit d’opérations de plantations avortées. Elle a vu sa superficie rétrécir de moitié depuis 1994 et son état présent est des plus piteux. Celles de Larache, assez résiduelles, attestent d’une moindre dégradation et leur transformation n’est actuellement formalisée que par un épais sous-bois de Cistes et de Bruyères. Les chênaies-liège des régions collinéennes sont celles du Plateau central : Djebel El-Khatouat, Pays Zaër-Zaïane.
Quercus suber y est souvent associé à Quercus rotundifolia et les formations apparaissent ça et là comme encore bien stratifiées, notamment par un matorral dense de Cistes et d’Arbousiers. Certains secteurs y jouissent d’une conservation moyenne à bonne. Celles des montagnes se rencontrent dans le Rif et le Djebel Tazzeka. Dans le Rif atlantique, la forêt de Bouhachem conserve une suberaie assez indemne en mélange avec Quercus faginea. Dans le Rif occidental et la région de Chefchaouen, il faut déplorer que le Chêne-liège soit encore placé sous le signe d’une trop intensive subericulture, associée à une gestion sylviculturale à base d’un toilettage excessif du sous-bois. Dans le Rif central (région de Ketama), la suberaie a été clandestinement dévorée par les champs de kif, mais il en n’aurait pas été autrement au service d’une agriculture moins « scabreuse ». Dans le Tazzeka et après un recul important de cette essence, certaines parcelles plus ou moins en défends sont de bonne conservation et contiennent quelques vétérans.


La Maâmora : la politique de la terre brûlée au service d’une forêt assaillie par la ville

« La destruction à grande échelle est l'affaire de Dieu,
les hommes n'ont pas le droit de s'en mêler.
 »
Paul Auster
« La ville écrase la forêt pour y installer son décor
sans songer au bruit que ferait le chant de tous les oiseaux morts. »
Francis Blanche

Les derniers Éléphants d’Afrique du Nord qui déambulaient dans les jardins de Salé sont rapportés par Pline l’Ancien (Ier siècle). La Maâmora existait-elle déjà ? Les données paléobotaniques les plus récentes donnent à penser que non et que la formation à Chênes-liège n’est intervenue que quelques siècles après. La Maâmora signifie « la fructifère » et l’origine de ce nom proviendrait de la qualité exceptionnelle des glands doux de ses Chênes, autrefois très appréciés jusqu’à la cour d’Espagne. Cette forêt marquait jadis la frontière entre deux puissantes tribus, les Beni-Hassen et les Zemmours. En ces temps, seules ses orées étaient exploitées car des bandits qui sévissaient dans la région se réfugiaient à l’intérieur. La forêt n’étant alors qu’irrégulièrement pâturée, de fréquents feux attisés par les hautes herbes sèches la parcouraient fréquemment.

Investissant un plateau d’altitude médiocre (280 m), faiblement incliné vers le nord-est et incisé de quatre vallées arrosées par des oueds, la forêt de la Maâmora se développe depuis la frange atlantique jusqu’à 80 km à l’est. Elle repose sur des terrains primitifs constitués de substrats marneux du Miocène et gréseux du Pliocène, recouverts de sables sur argiles. Ce type de sol acide est celui électif de
Quercus suber, exigeant toujours des terrains pauvres en calcaire actif. Le bioclimat est subhumide dans la partie la plus occidentale et submaritime, semi-aride et nettement continental avec une plus longue sécheresse plus à l’est. La moyenne de précipitation régionale correspond à l’isohyète 400-600 mm. L’étage de végétation est du type thermoméditerranéen. A la gloire du printemps lorsqu’il succède à un hiver suffisamment pluvieux, la Maâmora reverdi et le débourrement des Chênes est alors de grande vigueur. Au sortir d’un hiver et d’un printemps sec ou trop peu arrosé, la forêt conserve son feuillage de l’année antérieure et offre une piteuse image, avec ses mares temporaires desséchées. C’est alors que les « ravageurs », nos concurrents Insectes et Champignons, profitent opportunément de l’état de stress des arbres.


La curée : mille hectares perdus par an

Parler aujourd’hui d’une forêt, c’est de suite faire une soustraction. 130.000 ha en 1910 – 55.000 ha en 2003 = un recul de 75.000 ha au débit de la Maâmora. Mais si ce n’était qu’une régression spatiale ! Il en va surtout d’une perte qualitative, d’une effroyable érosion de toute la biodiversité forestière, d’une banalisation à nulle autre pareille. Mais en dépit de sa régression chronique, la Maâmora reste la plus vaste suberaie existante, se développant aux limites géonémiques méridionales de l’aire globale de l’essence. Les 55.000 ha contemporains sont représentés par une formation dépourvue du moindre indice de régénération, au capital biologique détérioré, qui plus est morcelée par les nocifs aménagements successifs et un trop dense réseau de layons et de pistes à large emprise. Il s’agit donc d’une forêt « fossilisée » et compromise. Encore une ! Rien à voir avec la suberaie enchanteresse du début du siècle passé et que nous décrivent les documents.

Durant le protectorat français (1912-1956) et aux lendemains de la main mise sur le Royaume marocain (1912), les forestiers français, forgés à l’expérience du « contrôle » du milieu naturel algérien (depuis la conquête en 1830), s’efforcèrent de ne pas répéter les mêmes erreurs dans l’Empire chérifien. Compte tenu des exigences du marché français pour les produits du liège et des bouchons (viticulture oblige !), la suberaie est alors estimée prioritaire. La Maâmora est de suite reprise en main et sa restauration commence dès 1914 sous l’impulsion du Maréchal Lyautey. Les premières mesures sont coercitives et entendent réglementer la divagation des troupeaux en forêt, interdire l’écorçage aux fins de la fabrication des tanins, tradition qui était fatale aux arbres, restreindre l’activité des charbonniers (charbon de bois) aux seuls arbres morts, etc. Les forestiers entreprennent ensuite le démasclage des peuplements, qu’ils conjuguent à des opérations de régénération essentiellement basées sur le recépage. Le succès rencontré ici encourage l’extension d’une même politique à d’autres suberaies devenues entre-temps publiques (1917), telles celles mitoyennes de Casablanca, de Meknès, de Fès, de Taza, etc. Ainsi, à la fin de l’occupation française, le Maroc présentait 300.000 ha de suberaies régénérées et en florissante production. Trente cinq ans plus tard, ce capital était jugé en état avancé de décrépitude. Cinquante ans après, seulement 188.000 ha sont aménagés et exploitables (Source : Jean-Yves Puyo, maître de conférence à l’Université de Pau). Que faut-il en penser ?

Dans les secteurs où le Chêne-liège a déjà succombé, des reboisements artificiels et douteux ont été entrepris dès 1980 à base d’essences allochtones ou exotiques : Pins divers, Acacias à tanin, Eucalyptus variés (notamment
E. camaldulensis et E. gomphocephala, très mellifères). Ces apports sont responsables de profondes transformations dans les cortèges floristiques. La suberaie subsistante l’est sous forme de « parc de ville », avec l’aspect homogène et si monotone des peuplements équiennes qui peuvent encore ravir quelques sylviculteurs taciturnes mais qui révulsent les amoureux de la forêt. Cette architecture creuse peut plaire aux promeneurs néophytes qui se croient dans une forêt. Une telle structure en futaie jardinée et sans maquis pluristratifié en sous-bois, ne comptant que des arbres récemment démasclés, est un type artificialisé qui occupe dans le Sud-Ouest de la péninsule Ibérique d’immenses étendues à vocation agro-sylvo-pastorales : ce sont les dehesas et les montados. En Maâmora, les Herbivores domestiques paissent paisiblement sous une identique frondaison systématiquement tondue à hauteur des deux mètres qui illustrent le « plafond des Vaches ». 24 millions annuels d’unités fourragères y sont produites. La charge pastorale est de 6,4 unités petit bétail (UPB) à l’année alors que la charge d’équilibre convenu est de 1,5 UPB. Comme partout, ce débordement insidieux et particulièrement néfaste à la forêt, est en contradiction avec certains textes et recommandations supposés établir la capacité de charge des parcours et de décider de la taille du troupeau que peut soutenir la forêt. L’émondage intempestif des branches latérales pour le prélèvement de rameaux feuillés (ramées) prive la plupart des arbres de leur esthétique charpente et certaines zones sans canopée ne sont plus qu’un univers de chandelles, charpentes réduites à un axe et à quelques moignons. Exceptionnellement et parce qu’ils sont estimés très fructifères, certains sujets sont épargnés de telles pratiques archaïques et apparaissent de belle venue. Les chiens de bergers ou errants poursuivent partout le moindre animal ou anéantissent les couvées au sol. Le sous-bois est inexistant, démuni de stratification (strates arborée, arbustive, herbacée) et vidé de la moindre plantule, si ce n’est par places un embroussaillement (matorralisation) de Génistées épineuses et d’autres plantes coriaces et récalcitrantes, non consommées par le cheptel, comme la Passerine, voire des pans de chaméropaies (doum ou Palmier nain). Le tassement du sol induit par l’impact des sabots, notamment des innombrables Bovins, perturbe totalement la rhizosphère du Chêne-liège et menace le système racinaire. Le broutage des glands et des espèces végétales alibiles, y compris les éventuels jeunes Chênes-lièges démunis de protection sur un sol scalpé, sont des handicaps à toute régénération. Non seulement le ramassage mais aussi le gaulage (très violent et très mutilant) et la vente des glands le long des routes et sur les souks se fait au grand jour. Pour parachever l’œuvre, d’importantes parcelles ont été récemment rasées pour des besoins militaires (camps), sportifs (instituts) et routiers : l’autoroute Rabat-Kénitra a extorqué 500 ha à la forêt, enclavé des secteurs urbanisés depuis et dressé un barrage continu au cœur de la forêt.

Comme il en va de toutes les formations forestières contiguës aux grandes villes, la Maâmora est actuellement l’aire récréative de quelques millions de personnes avides de grand air. Les habitants de Rabat, Salé, Kénitra et Khémisset assaillent une forêt déjà gravement aridifiée et meurtrie par la pression du pacage et la surexploitation forestière. Une récente évaluation hebdomadaire rapporte une moyenne de 30.000 visiteurs et de 5.000 véhicules pouvant séjourner quotidiennement en Maâmora. En dépit de la proximité du pouvoir décideur de la capitale, nonobstant l’incalculable manège de discussions nationales et de congrès internationaux sur la gestion durable, aucune mesure particulière ne vient au secours de cette forêt en péril afin de limiter la casse. Il en va de même pour certaines forêts à Chêne-liège du Pays Zaër les plus proches de Casablanca. Les activités de grand air élues par les citadins ne sont pas particulièrement d’ordre environnemental, contemplatif et respectueux. Quiconque ayant déjà fréquenté les plus proches forêts de Madrid, de Paris ou de Bruxelles sait ce qu’on y découvre après le passage ravageur de ces nouveaux « vandales ».

Pour l’État, gestionnaire du domaine, l’objectif est le liège mais les efforts de plus de deux siècles sont menacés par la Fourmi du liège dont les galeries envahissent l’écorce subéreuse, la rendant en grande partie inexploitable. Ainsi déprécié, le liège de la Maâmora voit ses cours très inconstants et ne peut rivaliser avec d’autres productions, telle la portugaise. Outre le pâturage dont l’excès de charge est co-accusé de dégradation avec la gestion forestière, les riverains récoltent les glands et les Champignons. Le bois quant à lui est illégalement utilisé pour la carbonisation à domicile et trop fréquemment pillé pour le revente aux hammams, délinquance induite par la précarité des populations riveraines et qui généralement fait l’objet de procès-verbaux magnanimement dressés contre des inconnus. Ces « inconnus » habitent des douars de ruraux sans terre et sans ressources : douars Hancha, Zalagh, Oulad M’lik, Oulad Taleb, Oulad Nçar, soit une population totale de sept mille habitants généralement issus de l’exode rural. Ici comme partout on reste sur sa soif du fameux programme de lutte contre la pauvreté. Dans un contexte aussi peu propice, la chasse intervient pour sonner l’hallali et achever la curée.

La plus grande suberaie du monde ne donne plus naissance à aucun jeune Chêne et voit sa population vieillir inéluctablement.


Dayas de la Maâmora et merjas du Nord

Le surpompage aux fins des activités agricoles intensives des exploitations alentours serait enfin responsable d’une baisse de la nappe phéatique d’une moyenne de dix centimètres par an depuis les trente cinq dernières années. L’un des traits écologiques fondamentaux de cette forêt est qu’elle est parsemée de dayas. Les dayas sont des mares d’eau éphémères, petites dépressions au fond argileux qui collectent les eaux de pluie et se retrouvent généralement sèches durant l’été. Quant aux merjas, ce sont des sortes d’étangs permanents alimentés par la nappe phréatique. Il s’agissait de biotopes aux critères écologiques fortement diversifiés, mettant en contact des entités paléarctiques et cosmopolites aux exigences aquatiques. La principale menace, notamment identifiée sur les mares et les étangs du Maroc, est le changement du fonctionnement hydrologique et de la dynamique de la végétation par modification des usages (en particulier le pâturage). D’autres périls pèsent sur ces milieux et notamment la pollution (eutrophisation) et les dépôts de matériaux. Outre leur dégradation, ces milieux ont récemment subi l’invasion d’espèces immigrantes.

En Maâmora comme dans le Rharb, ces espaces saturés d’eau abritent des phytocénoses composées d’hygrophiles ou même d’hydrophytes, de petits et de grands gazons amphibies, de Fougères aquatiques, tous types de végétation d’eau douce très intéressants nonobstant leurs faibles étendues, car s’y localisent des éléments floristiques spécifiques comme
Benedictella benoistii (un Lotier très menacé dans la région de Rabat), Damasonium alisma bourgaei, Alisma plantago-aquatica michaletii, Echinodorus ranunculoides, Ranunculus aquatilis, Glyceria fluitans, G. plicata, Eleocharis palustris, Mentha pulegium, Pulicaria arabica, Verbena supina, Lythrum graefferi, Agrostis verticillata, Heliosciadium nodiflorum, des Joncs, des Scirpes, des Roseaux, des espèces septentrionales comme les Fougères Osmunda regalis et Dryopteris spp., Lobelia urens, la Bourdaine Frangula alnus, la Potentille Potentilla tormentilla, la Laîche Carex flava, en association avec quelques espèces tropicales (telles : Utricularia exoleta, Rhyncospora glauca et Fimbristylis annua). Certaines espèces d’isoètes bénéficient d’une protection en Europe méditerranéenne. Dayas et merjas représentent aussi au cœur de la chênaie-liège de la Maâmora l’habitat d’un dense microcosme composé de formes aquatiques de Coléoptères et d’Hétéroptères, d’Annélides achètes (sangsues), de Crustacés et de Mollusques (Planorbes et Limnées parmi les Gastéropodes, ainsi que certains Lamellibranches). C’est un milieu irremplaçable pour la reproduction et le développement des premiers stades de certains Invertébrés (notamment les Odonates) et le vivier naturel d’Amphibiens (tels le Pleurodèle de Waltl, le Pélobate marocain et les Bufonidae) et de Reptiles (Tortues Emydidae).

Ces eaux mortes sont désormais quasiment abiotiques, vidées de l’essentiel de leur richesse biologique par la dégradation d’une fréquentation trop prononcée du bétail. Les dayas ont cessé d’exercer le moindre rôle écologique et ne sont plus que des abreuvoirs domestiques, sortes de cloaques. Le sort des merjas n’est guère plus enviable. Souvent drainées (Rharb) pour la mise en culture ou la lutte antipaludique, de plus en plus contaminées par les pesticides des cultures intensives mitoyennes, leur avenir est inquiétant. Zerga (lagune de Moulay Bousselham), Oulad Skhar, Bargha, Halloufa et tant d’autres merjas, les zones humides du Bas-Loukos (marais de Larache), etc., sont dans le Nord-Ouest des lagunes d’importance capitale au regard de la diversité de l’avifaune, certaines en communication avec l’Océan, toutes des escales essentielles car très proches du passage obligé que représente le Détroit de Gibraltar sur la route des migrations. Le Hibou du Cap y possède ses quartiers et c’est aussi une étape très appréciée sur la voie des zones sahéliennes. D’autres figures humides prennent le relais : c’est le cas du plan d’eau du domaine royal de Douyiet dans la région de Fes. Moins stratégique que dans le Rharb et plus à l’intérieur, bien des espèces de valeur l’ont néanmoins adopté. L’Érismature rousse, et particulièrement de l’Érismature à tête blanche qui y niche depuis 2000, avec un record de comptage de 187 individus durant l’hiver 2003-2004 en sont des exemples.

La disparition des mares, des marais, des étangs, des salines et des lagunes suivra peut-être celle déjà consommée des embouchures des grands oueds de la Côte atlantique et de leurs précieuses steppes salées, telle celle de l’Oued Bou-Regreg, qu’entre Rabat et Salé, l’urbanisation a bien évidemment et par « force majeure » anéanti.

La stricte application de la politique nationale relative aux zones humides fait cruellement défaut. On dispose pourtant de tout un arsenal pléthorique de textes bureaucratiques, y compris certains engagements avec la convention de Ramsar relative aux zones humides d'importance internationale. Mais là aussi, il y a disjonction entre la bonne volonté théorique et son application pratique.


Nos concurrents du Chêne-liège

Limiter la concurrence est le souci équivoque de l’Homme, proxénète empirique et bien légitime des écosystèmes : innombrables et chers enfants à nourrir, infinie fortune à amasser... A tel point que tout autre être vivant qui viendrait à s’attaquer à son pactole est agressivement étiqueté « ennemi », « parasite », « ravageur », etc.

Le forestier distingue les ravageurs primaires, se manifestant sur un arbre vigoureux, des ravageurs secondaires, ne se développant que sur des sujets endommagés ou moribonds. Certains de ces ennemis ont été récemment apprivoisés et cela se nomme lutte biologique ou intégrée. Mais chaque fois qu’on y regarde de plus près, il n’est que de constater que les écosystèmes bien portants, notamment ceux du type climacique, ne subissent guère de pullulations. Une fois de plus, agresseurs de la biosphère devant l’Éternel, nous avons donc créé nos propres ennemis, une fois de plus « la sorcière était dans le placard ». Il n’y a pas à dire, si le sylviculteur voulait philosopher un peu (rêvons...), le pire ennemi de l’Homme, c’est l’Homme. Nous avons relaté, simple anecdote dans le contexte des Monts de l’Oriental (Papillonnites : les invasions de Nymphagogues), comment la Likénée du Chêne qui infeste partout au Maghreb les chênaies vertes dépourvues de sous-bois, se faisait discrète et pondérée dans les formations encore en équilibre car non sylviculturées et non surpâturées. La Maâmora nous offrait jusqu’en 1997 ou 1998 (voir « normalisation » en fin de chapitre) un autre exemple cinglant de l’effet boomerang de notre surexploitation par des invasions récurrentes. Il existait à l’est de la forêt, une assez vaste parcelle où depuis le temps du protectorat et sans la moindre défaillance, le pâturage et l’émondage étaient prohibés. C’était la Réserve royale d’Aïn-Johra, ex-chasse résidentielle du maréchal Lyautey. En dépit de conditions plus arides, la suberaie s’y présentait hétérogène, avec des arbres de toutes tailles, certains de fort belle venue et tout à fait exceptionnels pour la Maâmora, aux branches redescendant à terre, et dominant une prairie de Graminées bien fournie. De mémoire de forestier (étonné) et de naturaliste (autosatisfait),
cette zone en réserve intégrale était la seule qui soit épargnée par le Bombyx disparate, grand défoliateur des suberaies aménagées. Les exemples similaires et documentés sont innombrables au Maroc et dans le monde. Les espèces invasives ne sont que la conséquence d’une déstabilisation de l’écosystème. « Il n’y a pas de catastrophe naturelle ».

Peu après l’établissement du protectorat et une réduction subséquente de la fréquence des incendies, un phénomène frappa les observateurs : la défoliation printanière de vastes étendues de la Maâmora par la chenille d’un Lépidoptère nocturne
Lymantriidae bien connu, le Bombyx disparate (Lymantria dispar). L’animal tient son nom vernaculaire de son extrême dimorphisme sexuel, la femelle étant d’une taille très forte. Ce « Gypsy moth », originaire du Japon, échappé de caisses d’élevage états-uniennes en 1872 et ayant envahi depuis tout l’hémisphère Nord, est le phyllophage prééminent en Maâmora. Les effets résultant des infestations furent comparés à ceux des incendies ! Des moyens considérables et souvent très contestables (DDT des années 50) furent mis au service d’une lutte de longue haleine contre l’Insecte, avec trop peu d’études en amont. Puis les experts prirent conscience qu’il y avait peut-être plus de peur que de mal, constatant chaque fois la reprise des arbres. Le Bombyx disparate ne mettait pas en péril la Maâmora. Les défoliations spectaculaires et cycliques ont depuis perduré et l’évaluation de leur gravité n’est plus sujette à inquiétude majeure.

Chaque pullulation revêt une identique dynamique, se répandant d’est en ouest depuis le même secteur-foyer le plus anthropisé et proche de la capitale Rabat où les arbres affaiblis offrent le feuillage le plus favorable. La manifestation a lieu en juin et une défoliation intégrale de la chênaie s’étend parfois sur plus de 20.000 ha. Le spectacle est alors pour le moins traumatisant pour l’observateur. Des myriades de larves se laissent choir des rameaux et regrimpent sur les Chênes ; une véritable pluie de crottes est audible et jonche le sol sous les arbres dénudés ; une couronne d’exuvies et de cadavres ceinture les troncs ; jusqu’à 30.000 chenilles ont été dénombrées sur un seul Chêne-liège ; la désolation n’excède pas trois semaines, trois semaines infernales après lesquelles les arbres débourrent de nouveau et la vie reprend... Lors des années d’acmé du Bombyx disparate, les autres espèces défoliatrices (Orgyie, Tenthrède, Catocale ou Likénee, Tordeuse verte, Charançons et Chrysomèles) offrent des effectifs pondérés et l’effet de forte prééminence d’une espèce exerce une action répressive sur les autres. La nuisibilité potentielle du ravageur que notre mauvaise gestion forestière a dynamisé ne touche finalement que la production en glands. La lutte actuelle contre
Lymandria dispar ne met désormais en oeuvre que des substances actives sélectives et sans effets secondaires préjudiciables à l’écosystème quand elles sont à base de la bactérie entomopathogène Bacillus thuringiensis, d’un diagnostic bien plus réservé quand il s’agit de Diflubenzuron, induisant un blocage de croissance par inhibition de la chitine et donc de la mue.

Quercus suber est la plante-hôte d’autres Lépidoptères dont les conséquences ravageuses sont très inégales, il s’agit surtout de : Biston strataria (Geometridae), Catocala nymphagoga (Noctuidae) (parasite in primis le Chêne vert), Orgya trigotephras (Lymantriidae) (sur tous les Chênes sclérophylles), Tortrix viridana (Trotricidae), Acrobasis glaucella (Pyralidae), Gracilaria sulphurella aurentiella (Gracilariidae), Lithocolletis messaniella (Gracilariidae) (larve endophyte mineuse des Chênes à feuilles persistantes), Cossus cossus (Cossidae) (larve très notable par sa taille de plus de 10 cm et son odeur spéciale, cuisinée par les Romains qui en étaient friands, est purement xylophage notamment des arbres fruitiers, d’où son nom populaire de Gâte-bois ; aux dépends du Chêne-liège elle emprunte les anciennes galeries annulaires et emplies de vermoulure tassée du Capricorne).

La Fourmi du liège (
Crematogaster scutellaris) est une espèce noire et rouge creusant ses nids à partir d’une blessure de l’écorce du Chêne-liège. Sa fourmilière interne et peu repérable héberge jusqu’à 5000 individus. Les ouvrières exploitent surtout les Pucerons arboricoles de la frondaison et élèvent certaines cochenilles dont elles se régalent du miellat. Leurs colonnes de récolte s’étendent à très grande distance du nid, y compris sur l’arbre. Cette Fourmi est fortement redoutée des liégeurs, qu’elle mord vigoureusement, et représente un facteur de grande dépréciation du liège, les planches « fourmillées » n’étant pas viables pour la fabrication de bouchons. Elle ne s’attaque qu’aux arbres de qualité douteuse. Quant au Termite à cou jaune (Calotermae flavicollis), il ne fait que coloniser le bois pourri du Chêne-liège.

D’autres ennemis entrent en scène, comme les xylophages, et la question de savoir s’ils sont « naturels » et non induits par des dysfonctionnements anthropogènes, est essentielle pour les apprentis-sorciers que nous sommes. De savantes études bioécologiques ont récemment répondu qu’il n’en était rien et que ces parasites étaient fonction de modifications par l’Homme, toujours négatives. Les xylophages sont des Insectes qui se nourrissent du bois en y creusant des galeries et dont la présence entraîne des ruptures de branches et des bris du tronc sous l’effet du vent mais aussi, en interrompant la circulation de la sève, provoquent la mort de la partie distale du sujet attaqué. On distingue les xylophages primaires qui s’attaquent au bois sain de ceux secondaires qui ne profitent que d’ambiances en dépérissement, et des saproxylophages se nourrissant de bois mort ou moisi, avec toutes les nuances quant aux qualités ou arbres de stades intermédiaires. En Maâmora, trois espèces appartenant à la première catégorie vivent aux dépends du Chêne-liège sur pied : le Grand Capricorne, le Platype cylindrique et le Gâte-bois que nous avons mentionné ci-avant au sein des Lépidoptères ravageurs de la suberaie.

Le Grand Capricorne (
Cerambyx cerdo mirbeckii) est un beau et impressionnant Coléoptère Cérambycidé que l’on peut apercevoir dans toutes les formations marocaines à Quercus, en Maâmora sur Quercus suber. Il vole en juin-juillet durant les fins de journées, se délecte d'exsudations de sève et les grands mâles (5 à 6 cm), aux antennes dépassant la longueur du corps, se livrent sur les troncs ou les basses branches à des combats territoriaux saisissants. Le développement larvaire demande plusieurs années et les ravages du beau Longicorne n’affectent pas gravement l’arbre, à tel point qu’en Europe où Cerambyx cerdo est assez rare, les naturalistes à la recherche de la sympathique bestiole la guettent chaque début d’été et au fil de longues années sur le même arbre sénescent parasité. Mais les trous de sortie des adultes servent ensuite d’accès à des antagonistes secondaires nettement plus nocifs. Cet Insecte est de toute façon repris sur des listes de protection pour sa valeur patrimoniale et ce statut fait que le forestier doit le supporter ! Les grosses larves du Grand Capricorne sont activement recherchées par les riverains de la Maâmora qui les dégustent en brochettes.

Le Platype cylindrique est un Coléoptère minuscule et identifié comme l’agent de la « piqûre noire », nom donné aux traces de son attaque. Aidé par le mâle qui déblaye la sciure, c’est la femelle qui commence à creuser un réseau de galeries que poursuivront ensuite les larves qui se nourrissent d’un Champignon noir qui confère aux galeries cette teinte. Les ravages du platype sont effectifs en Maâmora et ailleurs, et des agents biologiques sont recherchés pour tenter de l’éliminer.

Les autres xylophages ne se préoccupent que de Chênes dépérissant dont ils finalisent le déclin. Ce sont principalement des Coléoptères Buprestidés, Cérambycidés, Scolytidés, Scarabéidés, Lucanidés, Anobiidés, etc.


Phytocénose du Chêne-liège

« L’eau, le sol et le vert manteau terrestre de plantes constituent
le monde qui soutient la vie animale de la Terre.
Pourtant l’homme moderne se souvient rarement du fait
qu’il ne pourrait exister sans les plantes qui captent l’énergie solaire
et fabriquent les aliments de base dont il dépend pour vivre.
Notre attitude envers les plantes est particulièrement bornée.
Si nous envisageons une utilité immédiate à une plante,
nous l’entretenons et la nourrissons.
Si, pour quelque raison que ce soit, nous trouvons que la présence d’une plante
est indésirable ou simplement que nous y sommes indifférents,
nous pouvons la condamner sur-le-champ à la destruction.
 »
Rachel Carson.

Les séries phytodynamiques thermoméditerranéennes de
Quercus suber sont de deux types : une sous-série sur sables et sous bioclimat subhumide chaud et tempéré (Maâmora, Temara) dont le climax est le Pyro mamorensis-Quercetum suberis ; une sous-série sur substrats compacts (grès et schistes) sous bioclimats subhumide et humide chauds et tempérés (Rharb littoral et Tangérois) qui est le Myrto-Quercetum suberis. Dans les séries du mésoméditerranén, elles correspondent au Teucro afrae-Quercetum suberis avec diverses sous-associations en vigueur dans les régions rifaines, le Moyen Atlas et le Plateau central de 800 à 1300 m. Dans celles du supraméditerranéen aux variantes froides (dès 1300 m dans le Rif), il s’agit alors et uniquement dans le secteur rifain humide frais et froid sur substrat siliceux, du Teucrio afri-Quercetum subris sous-association Quercetosum rotundifoliae (Benabid, 2000).

Les suberaies résidant sur des substrats siliceux, cela limite forcément leur cortège floristique et c’est la raison pour laquelle le Chêne-liège n’individualise que bien peu de groupements. En plaine, les Éricacées comme l’Arbousier,
Erica arborea et d’autres Bruyères sont, avec plusieurs Cistacées, les indicateurs récurrents d’une ambiance bien arrosée. Dans les contextes moins favorables, comme dans quelques parties de la Maâmora, on note surtout avec les Cistes : le Lentisque, Teline linifolia, Thymelaea lythroides. En montagne, lorsque l’arbouseraie ou la cistaie n’ont pas gagné tout le sous-bois, on rencontre parfois une flore mieux diversifiée.

L’échantillonage suivant est très partiel et s’inspire d’un mélange de plantes vasculaires notamment abritées par les chênaies-liège de la Maâmora, du Plateau central et du Rif. Les
Quercus suber que l’on peut rencontrer éparsement dans le Haut Atlas centro-occidental s’inscrivent évidemment dans un cortège quelque peu différent, mais toujours avec la cistaie comme note dominante des trouées.

PTERIDOPHYTES
EQUISETACEAE :
Equisetum maximum (Grande Prêle)
ISOETACEAE :
Isoetes hystrix (Isoète épineux) (dans les dayas), I. velata (Isoète voilé) (dayas)
MARSILEACEAE :
Marsilea strigosa (Marsiléa pubescent) (dans les dayas)
OPHIOGLOSSACEAE :
Ophioglossum lusitanicum (Ophioglosse du Portugal)
OSMUNDACEAE :
Osmunda regalis plumieri (Osmonde royale)
POLYPODIACEAE :
Asplenium spp. (Asplénies, Doradilles), Athyrium filix-femina (Fougère-femelle), Blechnum spicant (Fougère pectinée, Blechnum en épi), Gymnogramma leptophylla (Anogramme à frondes minces), Pteridum aquilinum (Fougère aigle), Polypodium vulgare (Réglisse des bois)
GNETOPSIDES
ALISMACEAE :
Alisma plantago-aquatica michaletii (dans les dayas), Damasonium alisma bourgaei (dayas), Echinodorus ranunculoides (dayas)
ANACARDIACEAE :
Pistacia lentiscus (Lentisque, dru)
APIACEAE :
Eryngium tricuspidatum.
ARISTOLOCHIACEAE :
Aristolochia longa paucinervis (Aristoloche longue, barreztem)
ASTERACEAE :
Anacyclus radiatus (Anacycle radié, lgentus), Andryala integrifolia (Andryale à feuilles entières, bu nail), Carlina corymbosa (Carline en corymbe, l-fris, usfur) (*), Centaurea sphaerocephala, Hyoseris radiata, Ormenis mixta (Anthémide bicolore), Onopordum dissectum, Pulicaria odora (Pulicaire odorante, henniwa, hannioua), Volutaria lippii
(*) On attribue éthymologiquement
Carlina à Carolus, armée de Charles Quint, laquelle avait été guérie de la peste de Barbarie par une plante de cette famille.
CAMPALUNACEAE :
Campanula rapunculus (Raiponce, djara)
CAPRIFOLIACEAE :
Lonicera implexa (Chèvrefeuille, juher-ed-dar), Viburnum tinus (Laurier-tin)
CARYOPHYLLACEAE :
Corrigiola littoralis (Corrigiole des sables, Corrigiole des grèves) (dayas)
Paronychia argentea (Paronyque argentée)
CISTACEAE :
Cistus albidus (Ciste blanc, bou chikh, tanaghoust), C. crispus (Ciste ondulé), C. ladaniferus (Ciste à résine), C. laurifolius (Ciste à feuilles de Laurier, amziwet), C. monspeliensis (Ciste de Montpellier), C. populifolius (Ciste à feuilles de Peuplier), C. salviifolius (Ciste à feuille de sauge, chettaba, irgel, tuzzalt), C. varius (Ciste variable), Halimium atlanticum , H. commutatum, H. halimifolium, H. lasianthum, H. ocymoides, Helianthemum guttatum (Hélianthème à gouttes)
CYPERACEAE :
Carex halleriana (Laîche de Haller), C. muricata (Laîche de Paira), Scirpus holoschoenus (Scirpe en Jonc) (dayas), S. maritimus (Scirpe maritime) (dayas)
ERICACEAE :
Arbutus unedo (Arbousier, bakhannou, sasnou), Erica arborea (Bruyère arborescente, hlenj, bou heddad), E. australis (Bruyère d'Espagne), E. ciliaris (Bruyère ciliée), E. scoparia (Bruyère à balai), E. umbellata (Bruyère)
FABACEAE :
Adenocarpus complicatus (Adénocarpe à feuilles pliées), A. telonensis Adénocarpe à grandes feuilles, Cytisus biflorus (Cytise biflore), C. triflorus (Cytise triflore, Cytise velu) , Genista cephalantha, G. tournefortii, G. triacanthos, G. tridens, Ononis maweana, Retama monosperma (Genêt blanc, rtem, algou), Sarothamnus arboreus (Genêt de la forêt), S. grandiflorus (Genêt à grandes fleurs), Stauracanthus genistoides spectabilis, Teline linifolia (Genêt à feuilles de lin), T. monspessulana (Genêt de Montpellier)
FAGACEAE :
Quercus faginea (Chêne zène, Chêne zéen, ballout ez-zane, techt) (Rif occidental), Q. pyrenaica, (Chêne tauzin, techt) (Rif occidental), Q. rotundifolia (Chêne vert, ballout lakhdar, kerrouch, tassaft)
HYPERICACEAE :
Hypericum metroi (Djebel Tazzeka), H. perfoliatum (Millepertuis)
IRIDACEAE
Iris sisyrinchium (Iris), Iris tingitana (Iris de Tanger), Romulea ligustica
JUNCACEAE :
Luzula atlantica (Luzule de l’Atlas)
LAMIACEAE :
Ajuga iva (Bugle ivette), Lavandula stoechas (Lavande stéchade, chelchel), Prasium majus (thé sicilien, uden-el-kheruf), Thymus broussonetii (Thym de Broussonet, zâitra), T. ciliatus, T. maroccanus
LILIACEAE :
Aphyllanthes monspeliensis (Aphyllanthe de Montpellier), Asparagus albus (Asperge à tiges blanches, Asperge blanche, sakkum), A. aphyllus, A. stipularis, Asphodelus cerasiferus (Asphodèle porte-cerises), A. microcarpus (Asphodèle à petits fruits, berwag, ingri, tigri, ansel), Smilax aspera (Salsepareille, luwâya, uchba, tanesfalt), Urginea maritima (Scille maritime, Urginée, âansal, bsal l-khenzir, timzirt)
LINACEAE :
Linum numidicum (Lin de Numidie)
MYRTACEAE
Myrtus communis (Myrte commun)
OLEACEAE :
Fraxinus angustifolia (Frêne oxyphylle, dardar, aseln, tuzzalt), Phillyrea angustifolia (Filaire à feuilles étroites), Ph. latifolia (Filaire à larges feuilles)
PALMACEAE :
Chamaerops humilis (Palmier nain, doum, ghaz, jemmar, tigeztemt)
POACEAE :
Corynephorus articulatus (Corynéphore articulé), Dactylis glomerata (Dactyle vulgaire), Vulpia alopecuros (Vulpin, diel al far, boussibousse)
PRIMULACEAE :
Androsace villosa (Androsace velue), Asterolinum linum-stellatum (Astéroline étoilée, Astérolinon), Cyclamen africanum (Cyclamen d’Afrique) (Rif occidental)
RANUNCULACEAE :
Clematis cirrhosa (Clématite à vrille, louwwaya, mouqbila), C. flammula (Clématite petite flamme, nar l-barda, azenzou)
RESEDACEAE :
Astrocarpus sesamoides purpurascens (Astérocarpe)
RHAMNACEAE :
Rhamnus alaternus (Nerprun, Alaterne, ambîles, amlilis), R. frangula (Nerprun bourdaine)
ROSACEAE :
Crataegus monogyna (Aubépine, Aubépine monogyne, Épine blanche, admame ), Pirus mamorensis (Poirier de la Maâmora, njach)
RUBIACEAE :
Rubia peregrina (Garance voyageuse, fuwa, tarubia, tigmit, lhamri)
SOLANACEAE :
Solanum sodomeum (Pomme de Sodome)
SPARGANIACEAE :
Sparganium erectum neglectum (Rubanier dréssé, Rubanier rameux) (dayas)
THYMELAEAECEAE
Daphne gnidium (Garou, elzaz, lezzaz, inif, metnane), Thymelaea lythroides (Passerine)
TYPHACEAE :
Typha angustifolia australis (Massette à feuilles étroites) (dayas)
VERBENACEAE :
Verbena supina (Utriculaire) (dayas)
VIOLACEAE :
Viola arborescens (Violette arborescente), Viola sp. (Violette, Pensée)


Truffes des sables et autres Champignons

Par son ambiance humide, sa couche humique riche en tissus morts et la protection que forme son sous-bois pluristratifié, la suberaie de bonne conservation est l’un des milieux méditerranéens parmi les plus favorables aux Champignons. Mais dans un climat aussi capricieux que celui maghrébin, les grandes poussées fongiques sont fugaces et les fructifications des cryptogames marocains dépendent de conditions toujours très aléatoires, parfois satisfaites au printemps et à l’automne. Non chlorophylliens et donc à nutrition carbonée tributaire de la matière organique, on sait qu’ils ne se développent qu’en dépendance mutuelle avec un végétal ou l’un de ses produits. Les symbioses sont vitales pour la forêt, à tel point qu’en reboisement, il est recommandé d’inoculer les jeunes plants de mycélium de Champignons symbiotiques afin de leur assurer une bonne reprise. De nombreuses espèces saprophytes participent à la décomposition des matières organiques et jouent le rôle prépondérant d’éboueurs et de producteurs d’éléments minéraux (phosphore, cuivre, azote) essentiels pour les végétaux supérieurs. Parmi les espèces populaires comestibles à chapeau, le délicieux Bolet de la Maâmora (
Boletus mamorensis) mycorhize le Chêne-liège dont il partage le milieu avec des Pleurotes, des Cèpes et des Agarics qui forment un parterre lors de certains automnes propices. Mais les Truffes des sables sont au Maroc les cryptogames les plus originaux.

La Truffe, communément nommée
terfass, désigne l'ascocarpe d'Ascomycètes hypogés classiquement reconnus comme des Discomycètes de l'ordre des Pézizales (ou Tubérales selon les auteurs). Les Truffes marocaines sont récoltées au voisinage des plantes herbacées du genre Hélianthème ou des Pins maritimes. On les pressent au sol fendillé en surface au pied de la plante-hôte. Les Truffes des suberaies du Nord-Ouest, et notamment de la Maâmora, où leur commerce sur place est très actif, sont Terfezia arenaria (vrai terfass) T. leptoderma et Tuber asa (terfass mâle), associées à Helianthemum gattatum dans les clairières acides et sablonneuses de la forêt, ainsi que Tuber oligospermum et Delastria rosea (terfass amère de taïga),  associées à Pinus pinaster atlantica dans les reboisements de celui-ci. Fin février à avril est la période idoine pour les rechercher.


Zoocénose de la suberaie

Les Mammifères

La suberaie marocaine n’étant pas étanche et mis à part quelques îlots tant appauvris qu’ils se retrouvent vidés de l’essentiel de leur contenu en Mammifères (le prototype du genre est justement la Maâmora), cette formation forestière partage sa composition faunique avec les chênaies de tous types (sclérophylles et caducifoliées), et l’on retrouvera la trace de ces éléments dans d’autres chapitres du Maroc septentrional faisant références aux étages thermoméditerranéen, mésoméditerranéen, voire supraméditerranén, aux bioclimats subhumide et humide, tel notamment celui des « sentiers du Rif ». Il en est ainsi pour toutes les catégories traitant de la zoocénose.

Rongeurs : la Gerbille champêtre, le Porc-épic, le Lérot, la Souris sauvage, le Mulot, le Rat rayé, le Rat noir, le Surmulot, la Souris grise.
Insectivores : le Hérisson d’Algérie, la Musaraigne de Whitaiker, la Musaraigne musette.
Chiroptères : le Nyctère de la thébaïde (Oued Cherrat), le Petit Rhinolophe Fer à cheval, le Grand Rhinolophe fer à cheval, le Rhinolophe de Mehely, le Petit Murin, la Pipistrelle commune, la Pipistrelle de Kuhl, le Minioptère.
Lagomorphes : le Lièvre, le Lapin de garenne.
Carnivores : le Chacal doré, le Renard roux, la Belette, le Furet (rarissime dans Rif occidental boisé), la Genette, la Mangouste ichneumon, le Chat ganté (Rif, récemment éteint du Plateau central), le Lynx caracal (aurait dernièrement disparu du Rif et du Plateau central), La Loutre (vulnérable et en régression).
Artiodactyles : le Sanglier (abondant), le Cerf élaphe (introduit en quelques secteurs concernés par la suberaie, comme le Djebel Tazzeka en 1993), le Cerf sika (originaire d’Asie mineure, avait été introduit en Maâmora et dans le Tazzeka, où les animaux ont vite été exterminés), le Daim (avait été acclimaté dans l’arrière-pays de Rabat).


Richesse aviaire

« 
Dieu inventa la plume : dessous, il mit des chants, sous l’appellation Oiseaux.
Dieu créa l’oiseau pour parer au gris du silence qui baignera le monde.
 »
Loys Masson

La ressemblance de l'avifaune des suberaies est grande avec celle des iliçaies, et les espèces nidificatrices les plus représentatives connues sont (pour la forêt de la Maâmora en tout cas) : le Milan noir (
Milvus migrans), l’Élanion blanc (Elanus caeruleus), l’Aigle botté (Hieraaetus pennatus), l’Engoulevent à collier roux (Caprimulgus ruficollis), la Tourterelle des bois (Streptopelia turtur), l’Alouette lulu (Lullula arborea), la Grive draine (Turdus viscivorus), le Pic épeiche (Dendrocopos major), le Pic de Levaillant (Picus vaillantii), le Gobe-mouches gris (Muscicapa striata), la Mésange bleue (Parus caeruleus), la Mésange charbonnière (Parus major), le Pinson des arbres (Fringilla coelebs), le Serin cini (Serinus serinus), le Chardonneret élégant (Carduelis carduelis), la Linotte mélodieuse (Acanthis cannabina) et le Verdier d’Europe (Carduelis chloris).
Dans d’autres suberaies atlantiques de la Meseta centrale marocaine (région des Zaërs), se rencontre encore aussi le très localisé et fort menacé Francolin à double éperon (Francolinus bicalcaratus).
La liste, exceptionnellement riche et à peu près exhaustive, des espèces aviaires pouvant se rencontrer dans les suberaies des diverses régions marocaines (Rif, côte de Larache, Pays Zaër-Zaïane, Tazzeka, etc.), est la suivante. De nombreux éléments de cet inventaire se trouvent désormais menacés par la réduction croissante de l'habitat et par un grand nombre de dérangements survenus depuis quelques décennies.
Abréviations : NS = Nicheur sédentaire ; VE = Nicheur visiteur d'été ; H = Hivernant (le plus souvent d'origine européenne) ; P = espèce de passage (migrateur de printemps et/ou d'automne). Certaines espèces pouvant cumuler plusieurs de ces statuts.

Cigogne blanche (VE, surtout dans les prés et au finage des agglomérations humaines, P, NS ?), Cigogne noire (P), Vautour fauve (P), Percnoptère d’Égypte (P), Balbuzard pêcheur (P, H), Aigle royal (erratique, rarissime), Circaète Jean-le-Blanc (VE, P), Aigle botté (VE, P), Aigle de Bonelli (NS. erratique), Milan royal (NS très rare dans le Rif, P et H très rare), Milan noir (VE, P), Busard des roseaux (P, H), Elanion blanc (NS), Busard Saint-Martin (P rare, H rare), Busard cendré (P), Buse variable (P, H rare), Buse féroce (NS), Bondrée apivore (P), Épervier d’Europe (NS, H), Autour des Palombes (NS très rare dans le Rif, H très rare), Faucon crécerelle (NS), Faucon crécerelette (VE, P, H potentiel), Faucon hobereau (VE, P), Faucon d’Eléonore (P rare), Faucon pèlerin (NS, H), Faucon émerillon (H très rare), Faucon lanier (NS), Perdrix Gambra (NS), Caille des blés (VE, H et/ou NS partiel), Francolin à double éperon (NS très rare et très localisé), Grue cendrée (P), Oedicnème criard (NS, erratique), Bécasse des bois (H rare), Pigeon biset (NS), Pigeon colombin (NS local), Pigeon ramier (NS), Tourterelle turque (NS, près des agglomérations humaines, en expansion), Tourterelle des bois (VE, P), Coucou gris (VE, P), Coucou-Geai (P printanier hâtif dès l’automne ou l’hiver, pouvant se confondre avec de l’hivernage), Grand-duc ascalaphe (dit Grand-duc du désert) (NS très rare), Hibou moyen-duc (NS), Chouette chevêche (NS), Chouette effraie (NS), Chouette hulotte (NS), Hibou petit-duc (VE, P), Engoulevent d’Europe (VE, P), Engoulevent à collier roux (VE, P), Martinet noir (P), Martinet pâle (VE en agglomérations, P), Martinet à ventre blanc (VE très local, P), Martinet à croupion blanc (NS en agglomérations), Huppe fasciée (VE, P, H rare), Guêpier d’Europe (VE, P), Rollier d’Europe (VE, P), Pic de Levaillant (NS, endémique nord-africain), Pic épeiche (NS), Torcol fourmilier (P, H très rare), Cochevis huppé (NS local), Cochevis de Thekla (NS), Alouette des champs (P rare), Alouette lulu (NS), Alouette calandrelle (VE, P rare), Hirondelle de rivage (P), Hirondelle paludicole (erratique possible, sur les plans d’eau ou sur les oueds), Hirondelle de rochers (NS, erratique hivernale), Hirondelle rustique (VE, P, H très rare), Hirondelle de fenêtre (VE locale, notamment en agglomérations, P, H très rare, Hirondelle rousseline (VE rare, P), Pipit rousseline (VE, P), Pipit farlouse (P), Pipit des arbres (P), Pipit à gorge rousse (P très rare), Bergeronnette grise (NS var.
subpersonata, P, H), Bergeronnette printanière (NS locale, P, H locale), Bergeronnette des ruisseaux (NS, P, H), Bulbul des jardins (NS), Tchagra à tête noire (NS local), Accenteur mouchet (P et H très rare), Rouge-gorge familier (NS, P, H), Rossignol Philomèle (VE, P), Agrobate roux (VE, P), Rouge-queue à front blanc (NS très local dans le Rif, P), Rouge-queue noir (NS très local, P, H), Rubiette de Moussier (NS), Traquet motteux (NS var. locale seebohmi rare, P var. européenne oenanthe), Traquet oreillard (VE, P), Traquet rieur (NS), Tarier des prés (P), Tarier pâtre (NS, P, H), Monticole bleu (NS), Grive musicienne (P, H), Grive mauvis (P, H), Grive draine (NS), Merle noir (NS), Fauvette des jardins (P), Fauvette à tête noire (NS, P, H), Fauvette Orphée (VE, P), Fauvette mélanocéphale (NS, P, H), Fauvette grisette (NS locale, P), Fauvette passerinette (VE locale, P), Fauvette à lunettes (NS, P), Fauvette pitchou (P, H) ,Bouscarle de Cetti (NS), Hypolais polyglotte (VE, P), Hypolais pâle (VE, P), Roitelet triple bandeau (NS), Pouillot fitis (P), Pouillot véloce (P, H), Pouillot ibérique (N très local, P, H probable), Pouillot de Bonelli (NE, P), Pouillot siffleur (P surtout printemps, rare), Gobe-mouches gris (VE, P), Gobe-mouches noir (P), Mésange charbonnière (NS), Mésange bleue (NS), Sittelle torchepot (NS locale), Grimpereau des jardins (NS local), Pie-grièche à tête rousse (VE, P), Pie-grièche méridionale (NS), Geai des Chênes (NS), Pie bavarde (NS locale), Grand Corbeau (NS), Crave à bec rouge (NS local), Choucas des tours (NS), Etourneau sansonnet (H), Étourneau unicolore (NS surtout en agglomérations), Loriot d’Europe (NE, P), Moineau domestique (NS), Moineau espagnol (NS, erratique), Moineau soulcie (NS local), Pinson des arbres (NS ssp. locale africana, P et H ssp. européenne coelebs), Linotte mélodieuse (NS), Chardonneret élégant (NS), Verdier d’Europe (NS), Tarin des Aulnes (H), Serin cini (NS), Grosbec casse-noyaux (NS), Bruant ortolan (P rare), Bruant zizi (NS), Bruant fou (NS local), Bruant proyer (NS local en zones cultivées.)

Pousse-toi de là que j’y mette mon petit !

Clamator glandarius est le Coucou geai de la forêt à Chêne-liège et ne ressemble pas vraiment à son cousin le Coucou gris. Il a une longue queue étroite et une petite tête gris pâle portant une crête se déployant depuis l'arrière de la calotte. Sa gorge et les côtés de son cou sont blanc jaunâtre. Son dos et ses ailes sont gris sombre saupoudré de petites taches blanches, son dessous est blanc lavé de jaunâtre. Il se tient perché ailes et queue tombantes. En vol, il est long et mince et cette silhouette allongée est très caractéristique. Bavard et bruyant, son cri grinçant en crécelle est un « kre kre kre » peu agréable. Il affectionne les chenilles des processionnaires et n’est donc pas sans se régaler dans la forêt de la Maâmora !
Il se manifeste souvent en petits groupes, volettant et sautillant au sol, queue levée, demeurant de longues heures aux aguets pour épier les activités des pies alentours. Dès que celles-ci sont en passe de construire leurs nids, les Coucous geais s'apprêtent à les parasiter. Cet Oiseau ne vit qu’aux dépends des Corvidés, surtout de la Pie bavarde et de la Pie bleue. D’avril à juin, la femelle peut pondre jusqu'à dix-huit œufs qui ont l’aspect de ceux des Pies-hôtes. Mais le jeune Coucou geai n'expulse pas du nid les œufs et les jeunes de ses parents adoptifs, comme c’est l’habitude du Coucou gris. Le jeune grandit en parfaite compagnie de ceux de l'espèce hôte et jusqu’à huit petits peuvent même parasiter le même nid. Privées de nourriture par le développement plus rapide des jeunes Coucous, les poussins pies souffrent souvent de carence alimentaire, d’autant plus que les jeunes coucous demeurent longtemps sous la dépendance des pies nourricières, qui ont fort à faire pour rassasier toute cette nichée vorace.


Composition de l’herpétofaune

Amphibia
Urodela
Salamandridae
La Salamandre tachetée (exceptionnelle dans les suberaies rifaines).
Le Pleurodèle de Waltl (l’une des deux espèces du genre, strictement ibéro-maghrébine, ce gros Urodèle ne s’éloigne pas des mares temporaires ou permanentes et de quelques oueds eutrophisés du Nord-Ouest marocain ; très fréquent en Maâmora, il y est progressivement menacé par la dégradation et les dérangements qui interviennent au niveau des dayas).
Anura
Discoglossidae
Le Discoglosse peint.
Pelobatidae
Le Pélobate marocain (spécifiquement différencié depuis peu de l’espèce affine européenne, c’est un précieux élément de la Maâmora et de la frange atlantique de Tanger jusqu’au-delà d’El-Jadida, où des restes osseux contenus dans des pelotes de réjection de Rapaces nocturnes en ont dénoncé la présence).
Bufonidae
Le Crapaud commun.
Le Crapaud de Maurétanie.
Le Crapaud vert.
Hylidae
La Rainette méridionale.
Ranidae
La Grenouille verte d’Afrique.
Reptilia
Chelonia
La Tortue grecque (encore victime du ramassage et d’une vente éhontée, notamment les fins de week-ends sur le bord des routes des alentours de Casablanca, Rabat, Kénitra, Khemisset, etc. Les Tortues ne sont pas des Truffes !).
Emydidae
La Cistude d’Europe ou Émyde bourbeuse (relicte paléarctique cantonnée dans l’extrême nord-ouest marocain humide où elle est rare et mériterait une mise en réserve intégrale des marais et dayas qui l’abritent).
L’Émyde lépeuse ou Clemmyde lépreuse.
Gekkonidae
La Tarente commune ou Gecko de Mauritanie.
Le Gecko turc ou Hémidactyle verruqueux (strictement localisé sur la côte nordique du Maroc où ses tendances rupestres le conduisent à habiter les agglomérations humaines et les constructions et ruines isolées).
Chamaeleonidae
Le Caméléon commun.
Agamidae
l’Agame de Bibron.
Lacertidae
Le Lézard ocellé d’Afrique du Nord.
Le Lézard à lunettes (forme
chabanaudi).
Le Lézard hispanique.
Le Psammodrome algire.
Les Acanthodactyles communs (
Acanthodactylus lineomaculatus en Maâmora et sur la Côte Atlantique ; A. erythrurus belli dans les suberaies rifaines et au Tazzeka).
Scincidae
Le Seps rifain (montagnes rifaines et côte de Larache).
Le petit Seps tridactyle ( ?).
L’Eumécès d’Algérie.
Anguidae
L’Orvet du Maroc ( ?).
Amphisbaenidae
L’Amphisbène cendré (Blanus tingitanus peut se rencontrer dans les suberaies de la péninsule Tingitane et du Rif occidental ; Blanus mettetali dans la Maâmora et sur le Plateau central).
Trogonophidae
Le Trogonophis mauve.
Colubridae
La Couleuvre fer à cheval.
La Couleuvre girondine ou Coronelle bordelaise.
La Couleuvre à capuchon (
ssp. brevis) (dans les secteurs aridifiés).
La Couleuvre à collier (?).
La Couleuvre vipérine.
La Couleuvre de Montpellier.
La Couleuvre de Schokar ou Psammophis (forme rayée).
Viperidae
La Vipère de Mauritanie.


Le « Serpent » à deux têtes

Les Amphisbènes aux noms vernaculaires de Couleuvres aveugles ou Lézards-vers, sont d’étranges Reptiles vermiformes que le néophyte confondra avec de gros Lombrics. Ce ne sont pas des Ophidiens (Serpents) mais plus tout à fait des Sauriens (Lézards). Apodes, ils forment un ordre intermédiaire, les Amphisbéniens qui compte 140 espèces dans le monde. Trois espèces d’Amphisbènes cendrés se partagent la zone ibéro-maghrébine : une habite la péninsule Ibérique (
Blanus cinereus) et deux autres le Maroc (Blanus tingitanus et B. mettetali) , très affines et toutes récemment distinguées en vertu de leurs distances génétiques. D’une trentaine de centimètres maximum, les Amphisbènes ressemblent fortement à un vers de terre dont il n’est pas évident de reconnaître la tête de la queue, d’autant que ses yeux sont très petits et masqués d’écailles translucides. De mœurs strictement fouisseuses, ils ne sont pas aisés à contacter, sauf en période humide lorsqu’ils remontent et se dissimulent parfois sous les pierres. Leurs proies sont les Fourmis et les Termites. Blanus mettetali habite la Maâmora.

De moeurs très similaires mais vrai Serpent cette fois et le plus petit du Maroc, la Couleuvre vermiforme (
Leptotyphlops macrorhynchus) ressemble superficiellement beaucoup aux Amphisbènes. Elle ne partage pas les mêmes bioclimats et vit dans les écosystèmes arides. Très rare au Maroc.


L’entomofaune de la suberaie

Tout ce qui a six pattes est un Insecte et aux espèces considérées comme « ennemies », il faut joindre les constantes entomologiques suivantes à la formation à Chêne-liège.

Insectes xylophages et saproxylophages : très nombreux Coléoptères Cérambycides, Buprestides, Scolytides, Curculionides ;
Corticoles : Coléoptères Carabiques, Staphylinides, Histéricides, Rhizophagides, Anthribides ;
Frondicoles : Insectes phytophages vrais, découpeurs, suceurs, mineurs, glandivores et gallicoles  parmi des Lépidoptères Lymantriidae, Tortricidae, Noctuidae, Geometridae, Gracillariidae ; des Coléoptères Chrysomédides, Curculionides ; quelques Diptères et plusieurs Hyménoptères ; certains prédateurs comme des Hymémoptères et les Coléoptères Calosomes (
Calosoma sycophanta), nombreux butineurs pollinivores (dont l’Abeille domestique) ; enfin simple adeptes du refuge sciaphile ;
Insectes des cavités (niches de conservation aléatoire) : Cétoines, Élatérides, Histérides, Staphylinides, Nitidulides, certains Ténébrionides, larves de Diptères, certaines espèces se développant dans le « phytohelme » qui est l’eau croupissante qui stagne dans les meilleures cavités des vieux arbres ;
Coléoptères phytophages des clairières : Chrysomélides, Charançons ;
Entomocénose de la litière comme les Staphylins, les Carabes et les Carabiques forestiers ou ripicoles tributaires de cet habitat, tels
Carabus favieri mamorensis, C. rugosus, Dyschirius rufoaeneus, D. antoinei, Philochtus vicinus, Princidium laetum, Pogonus smaragdinus, Poelipus crenulatus mauritanicus, Steropus globosus, Agonum numidicum, Calathus mollis encaustus, Laemosthenus complanatus, Sphodroides favieri, Anisodactylus heros, A. antoinei, Acupalpus maculatus, A. ibericus, A. brunneipes, Stenopholus teutonus, Chlaeniellus olivieri, Chaenius velutinus, Brachinus sclopeta, etc. ;
Silphides nécrophages ;
Méloïdes : ces curieux Coléoptères aptères dont un liquide jaune suinte des articulations dès qu’on les touche, végétariens à l'état adulte, ont une larve prédatrice des ruches d’Abeilles sauvages. Les grosses femelles ventrues pondent leurs oeufs au sol. Lorsque les larves émergent, elles montent sur les fleurs et y attendent l'arrivée d'une Abeille. Pendant que l'Abeille butine, la petite larve du Méloé s'agrippe à ses poils et voyage jusqu'à son nid où elle mange l'œuf puis le miel de l’Hyménoptère. Les sols sablonneux favorables à bien des Abeilles le sont donc aussi aux Méloés, héliophiles et parfois nombreux dans les trouées sèches des suberaies marocaines ;
Coprophages : ce sont des Coléoptères Scarabéides, au rôle important dans le recyclage de la matière organique, l’aération et la fertilisation des sols. Ils sont amplement représentés dans les suberaies, notamment par des espèces spectaculaires, et profitent pleinement tant de l’abondance et de la variété du cheptel (et des excréments humains !), que d’un sol aréneux meuble et favorable à ces fouisseurs ;
Coléoptères floricoles des milieux de dégradation comme la cistaie ;
Entomofaune ripicole et aquatique des eaux temporaires, dont les stades larvaires d’Odonates, divers Hétéroptères nageurs, Hémiptères Gerridés, les hydrocanthares et leurs Dysticides ;
Espèces psammophiles des trouées aréneuses : telles quelques Cicindèles (l’imago chasse à la course et sa larve utilise un piège au sol), les Névroptères Myrméléonidés (Fourmilions dont les larves creusent là leurs pièges-entonnoirs pour la capture des Fourmis) ;
Catégories auxquelles il faut ajouter de très nombreux Diptères, Hyménoptères, Hémiptères, Orthoptères (Criquets, Grillons, Sauterelles et Mantes aux poses spectrales effrayantes) ;
Etc.

Pour les Arthropodes, les Arachnides (huit pattes !) des formations à Chêne-liège, plus de 200 espèces d’Araignées auraient été recensées rien qu’en Maâmora et le Scorpion
Buthus maroccanus n’y est pas rare. Quant aux Myriapodes (de huit à « mille » pattes !), ils sont évidemment légion.


Et pourtant ils volent !


Par son aspect soco-économique très prononcé, aussi parce qu’elle est au Maroc assez souvent mitoyenne de grandes villes ou que son espace est uniformément rudéral quand saupoudré de hameaux, la suberaie appartient à la catégorie des écosystèmes aménagés, un peu comme c’est le cas pour l’arganeraie ou comme l’oliveraie si on en retenait l’espèce comme symbole écosystémique campagnard. Qui plus est, quand la suberaie est ouverte en plaine, elle subit évidemment une pression majeure et si l’arganeraie ne disposait pas d’un faciès montagnard, il y a longtemps qu’elle serait totalement éreintée. C’est pourquoi les Papillons ont quasiment déserté la suberaie et que saison après saison les espèces qui peuplent encore les forêts de Chênes-liège les plus reculées s’en éclipsent, rattrapés par la surexploitation ovine ou forestière. Ajoutons à cela que les sols calcaires sont toujours porteurs d’une meilleure diversité de Lépidoptères et qu’exception faite du matorral à Bruyères (notamment l’arbouseraie), les milieux acides et chimiquement pauvres ne correspondent jamais à une abondance de ces Insectes, ni de leurs plantes-hôtes (les substrats siliceux réduisent l’éventail du cortège floristique).

En Maâmora, il ne vole aucun « mégareste » d’intérêt lépidoptérique et quelques vétilles hautement opportunistes sont les ultimes traces de vie en ce domaine. Quelques-unes sont liées à des Légumineuses, la plupart à des Crucifères thérophytes bien adaptées par la brièveté de leur cycle biologique. Le panel sert d’indication à l’avancée d’une désertification documentée : dématorralisation des groupements ligneux, puis therophytisation par déchaussement des chaméphytes et des hémicryptophytes, au profit d’entités à croissance rapide pouvant esquiver les périodes de stress hydrique. Ces Papillons, ici strictement indicateurs d’une rapide altération des fonctions environnementales du sol et de leurs composantes, sont tous des Piérides vernales du genre
Euchloe, aux générations successives et enchaînées, s’accomplissant en un temps record de la fin de l’hiver au tout début du printemps : la Piéride des Biscutelles (Euchloe crameri), la Piéride du Sisymbre (E. belemia) et la Piéride de la Cléome (E. charlonia), les deux premières espèces étant atlanto-méditerranéennes, la troisième une « efficace » afro-érémienne qui, du Pakistan aux Canaries, ne rate pas la moindre zone de steppisation annoncée ou accomplie. D’autres piérides participent à cette ruée sur les annuelles thérophytes, comme le Marbré-de-vert (Pontia daplidice), la Piéride de la Rave (Pieris rapae), l’Aurore de Barbarie (Anthocharis belia) (néanmoins toujours en retrait des grandes invasions), voire le Souci (Colias crocea), ce dernier sur des Fabacées. Quand ces espèces ne se manifestent plus dans le cadre d’un cortège équilibré et agrémenté d’autres, mais quasi monospécifiquement, voire en pics populationnels, ils peuvent être révélateurs d’une mort annoncée de l’écosystème, et plus précisément du sol, interface fragile de notre biosphère. Il n’y a pas grande chose à ajouter pour le compte (ou plutôt le décompte...) de la Maâmora, qu’il s’agisse de la partie orientale où il peut persister un matorral élevé à Oléastre et à Lentisque, ou de celle occidentale avec quelques secteurs denses à Genista linifolia. Il fut un temps où, en juillet-août, volait abondamment dans les clairs bois riches en bromes le Faune mauresque (Hipparchia statilinus sylvicola), sombre Satyrine habituelle des lisières ombragées et des trouées des chênaies. Sauf en quelques secteurs miraculés jusqu’il y a peu (abords de la réserve d’Aïn-Johra), ce Papillon n’est plus guère à l’ordre du jour depuis longtemps.

Au sein des chênaies-liège du littoral atlantique le plus nordique, par exemple entre Larache et Asilah, la présence de
Quercus rotundifolia ajoute un invincible parce qu’arboricole Lycène : la Thécla du Kermès (Satyrium esculi). Contrairement à son nom restrictif, ce Papillon n’accompli pas son cycle larvaire que sur le Chêne kermès. Sa présence peut confiner à l’infestation certaines années et cette surpopulation est toujours celle caractéristique d’un sous-bois dégarni. Les secteurs envahis de Bruyères et les arbouseraies présentent l’avantage d’une couche humique protectrice du sol et litière d’une riche entomocénose. Que ce soit sur la frange côtière ou plus à l’intérieur dans le massif rifain, avec l’apport du couvert de la Fougère aigle (le meilleur site est alors le plancher inférieur du Djebel Bouhachem), on dénombre quelques espèces nettement plus exigeantes comme la Thécla de l’Arbousier (Callophrys avis) et la Nymphale de l’Arbousier, ou Pacha à deux queues (Charaxes jasius) (tributaires d’Arbutus unedo et aussi d’Osyris lanceolata pour le dernier cité), l’Azuré des Nerpruns (Celastrina argiolus) (sur Rubus sp., Rhamnus frangula et diverses Bruyères, ainsi que Hedera helix), plus rarement le Cardinal maghrébin (Argynnis pandora seitzi) (sur Viola spp. qui exigent l’ombre d’une végétation basse et dense) et l’excellent outil de biosurveillance d’un sous-bois en équilibre qu’est le Fadet maghrébin (Coenonympha arcanioides), souvent annonciateur d’une cocciféraie résiduelle et dont la larve se développe sur quelques petites Graminées forestières. Les suberaies du Tazzeka reprennent l’essentiel de cette association rifaine.

Ce sont finalement les forêts à Chêne-liège du Plateau central qui peuvent encore réserver quelques belles découvertes du domaine des Papillons diurnes. L’une d’elle est un endémique marocco-algérien fortement sténoèce : le Faux-cuivré mauresque (
Cigaritis allardi). C’est un joyau ailé et caudé, à l’avers brun-rouge maculé de brun sombre et au revers blanc-neige strié de perles brunes bien alignées et incrustées d’argent vif. Myrmécophile, sa larve est élevée par des Fourmis du genre Crematogaster et sa plante-hôte peut être selon les stations un Genêt, un Ciste, très souvent un Hélianthème (Helianthemum hirtum ruficomum, Fumana thymifolia). Dans le Pays Zaër-Zaïane, la ssp. occidentalis du Nord marocain ne fréquente que certains secteurs clairs et bien exposés, car l’imago est héliophile, lorsque les Chênes sont sociologiquement isolés (au moins à raison d’une cinquantaine de mètres l’un de l’autre). L’espace de vol correspond à ce type d’erme lorsque l’une des plantes-hôtes est sur place et qu’une source nectarifère est disponible pour l’adulte fortement butineur, avec Lavandula stoechas comme préférence. Ne fréquentant que très peu de localités, la plupart en suberaie ou en tétraclinaie, Cigaritis allardi occidentalis peut offrir un effectif assez dense de mars à mai. Mais nous avons assisté à une succession d’années de recul suite à un parcours trop intensif (cheptel caprin très regrettable à El-Harcha, près d’Oulmès), occasionnant une mise à sac des strates inférieures et un tassement du sol, rapidement suivi par une invasion d’Asphodèles. Cet excellent indicateur synécologique devrait être pris en considération pour une évaluation fidèle de l’état de conservation de ce type de milieu. Si ses stations sont si rares, c’est bien que l’essentiel de la suberaie marocaine se trouve trop malmenée et désormais porteuse d’une flore de grande banalité.


Sauver la Maâmora n’est plus qu’une promesse électorale

Que faire quand il n’y a plus à rien à faire ?

La Maâmora « gisant » non loin de Rabat, de ses universités et de ses administrations, les projets les plus amphigouriques ne manquent pas de fuser, émanant soit de chercheurs idéalistes et respectables dans leur grande naïveté (nous pourrions en être…), soit de monteurs de projets et « faiseurs » lobbyistes de gestion durable qui trouvent, en ces cas désespérés, matière à subsides auprès de bailleurs de fonds étrangers et innocents. Car il y a dorénavant et au chevet des écosystèmes malades du monde entier des monteurs de projets comme il existait des bateleurs de foire. C’est l’une des tartufferies contemporaines. Entre-autres. Et ça marche ! Enfin, pour eux...

De ce gargarisme de congrès et de cette jonglerie de dossiers, certains aménagements sylvopastoraux sont avancés par des acteurs biotechnocrates en proie à une crise dialectique et s’affichant avec le masque passe-partout du grand carnaval (de Rio) de la gestion durable : « régénération de la suberaie », « valorisation des fonctions sociales de la forêt », « développement rural des zones périforestières à travers une approche participative et partenariale », « les actions de sensibilisation doivent amener les populations à s’investir dans la sauvegarde des ressources forestières... » Etc. Quand entre Rabat et le Pays Zemmour, on se heurte aux troupeaux qui sautent les murs de protection et les garde-fous pour traverser l’autoroute qui tranche la Maâmora en deux parties étanches, on comprend alors qu’on est encore loin de l’approche participative des populations usagères ! C’est la seule « autoroute broutée » du monde ! Quant la forêt est « azoïque », les bermes de l’autoroute restent herbacées !

Mauvaise gestion forestière, saccage du sous-bois, déliégeage, reboisements artificiels surpâturage, éradication de la strate herbacée, écimage et ébranchage, gaulage, main basse sur le moindre gland, prélèvement délictueux du bois, dépérissement des arbres, tassement du sol, érosion et processus de désertification
, constitution de vastes champs dunaires, ravages d’espèces invasives, banalisation de la flore et de la faune, fréquentation récréative anarchique, infrastructures routières, circulation automobile, urbanisation, baisse de la nappe phréatique, dessèchement des mares, etc. Une telle litanie de la désolation n’autorise pas la moindre lueur d’espérance. C’est le sort regrettable d’une forêt victime d’une emprise humaine multifonctionnelle hors du commun.

Régénération. La méthode du recépage, utilisée en Maâmora depuis 1920, se heurte désormais au problème du non-renouvellement de matériel sur pied. Les souches ne peuvent plus rejeter après l’âge de 200 ou 250 ans, et l’on ne peut guère envisager ça et là plus d’un ou deux recépages. Quant à la plantule qui pourrait germer du gland chanceux et miraculé, elle ne bénéficiera pas du berceau naturel et de la protection vitale dans un sous-bois victime du nettoyage agronomique de forestiers dont le zèle est inversement proportionnel à l’efficacité. L’échec d’assistance à la régénération naturelle intentée depuis une vingtaine d’année a ainsi englouti des budgets considérables (ameublissement du sol, pôtets, amendements chimiques, clôtures, arrosages, gardiennage). Selon quelques fins observateurs, seule la redynamination par le feu a pu entraîner la survie de jeunes semis d’une dizaine de mètres en favorisant le développement du sous-bois protecteur. Un modèle du genre est constatable à la sortie d’Allal-Al Bahraoui vers Tiflet, suite à un « salutaire » incendie d’il y a une vingtaine d’années. Et plutôt que de s’acharner à nettoyer encore ce type de parcelle en regain, les services forestiers auraient dû tirer tous les enseignements offerts par ce modèle de régénération naturelle sans la moindre dépense. Le surpâturage et l’hyper fréquentation sociale rendent rapidement les mesures de mise en défends (enclos) inopérantes, alors qu’elles sont les seules capables d’assurer la survie de la forêt. Le développement des semis exige de nombreuses contraintes et un travail de pépinière assorti d’une surveillance « militaire » qui s’avèrent parfaitement utopiques dans ce contexte fataliste.

Ici et ailleurs, une nouvelle charte forestière s’impose, tout comme la formation de nouveaux forestiers non-marchands, ne percevant plus la forêt comme une mine à exploiter mais comme un trésor à préserver. Si l’on confiait les monuments historiques à des carriers, ils en négocieraient évidemment les pierres. Eh bien c’est ce qui se passe pour les forêts, bradées et non conservées ! Le biopatrimoine aurait-il moins de valeur que les vestiges humains ? Combien de « piqûres de rappel » faudra-t’il injecter à ces forestiers en proie à de mauvaises habitudes ? Alors si les professionnels garants de la gestion conservatoire agissent ainsi, comment vouloir mentaliser des riverains analphabètes, parfois en proie à de vieux démons, et dont le besoin extrême génère l’urgence ? En vertu d’une telle fronde de mauvaises habitudes aussi peu citoyennes, tout plaidoyer semble vain et la garantie du non-renouvellement des arbres est ainsi formulée.

Faute de régénération, la Maâmora n’est plus et son actuelle surface boisée d’ossatures correspond à une forêt virtuelle.
La désertification en marche va se traduire par la mobilisation de ses sables en voie de constitution de vastes champs dunaires menaçant les grands centres urbains et les cultures de légumes et de fruits environnants.

Partout la pression pastorale et la production ovine cernent ces espaces reliques telle une menace fatale et damoclésienne. Des structures largement anthropisées, l’anéantissement du sous-bois, le dépérissement des arbres, l’envahissement d’espèces rudérales et nitrophiles, une avancée prononcée de la désertification, la persécution de la faune, garantissent à la Maâmora une durabilité nulle et l’ancienne plus grande suberaie du monde ne sera plus qu’une morne lande. C’est le résultat d’une bien mauvaise et bien connue partition, de l’opposition Homme-nature, et faute de pouvoir l’éviter, l’annoncer est remplir son devoir de mémoire envers la biosphère. C’est peu et indigeste !

Résultat de ce grand gâchis, voici des milieux et des Hommes au devenir incertain.


Ailleurs...
Dans le Rif central (Ketama, Bab-Berred), entre 1984 (8000 ha), 1990 (500 ha) et aujourd’hui (quelques bouquets), la suberaie a disparu par suite du défrichement pour la culture du kif. L’amplification de l’érosion qui en résulte entraîne un grave dysfonctionnement du cycle de l’eau. Nonobstant l’exemple affligeant de la Maâmora, les formations à Chêne-liège du Rif occidental sont victimes d’une surexploitation sylviculturale les défigurant et tendant à les vider progressivement de tous leurs éléments biocénotiques. Des milliers d’hectares de Chênes sclérophylles ont été biffés depuis 1980 du versant oriental du Djebel Tazzeka pour servir de terrains de parcours.

S’il fallait dresser un bilan final du strict point de vue éco-entomologique, les dernières suberaies que l’on pourrait considérer de bonne ou moyenne conservations correspondent à
des parcelles des secteurs suivants : Bouhachem, El-Harcha, El-Khatouat, Tazzeka.

Cinq massifs subericoles figurent parmi les SIBE (Sites d’Intérêt Biologique et Écologique) classés prioritaires. Il s’agit de :
- La forêt de Bab-Azhar, située au niveau de la zone centrale du Parc national de Tazekka, au nord-est du Moyen Atlas (Province de Taza) ;
- La forêt du Djebel Bouhachem dans le Rif (Province de Chefchaouen) ;
- La forêt d’Outka dans le pré-Rif (Province de Taounate) ;
- La forêt d’El-Harcha, sur le Plateau central (Province de Khémisset) ;
- Et ..., pour la beauté du geste, la forêt de la Maâmora, dans la région du Nord-Ouest.


Normalisation (CQFD)

« Ne dévaste pas la Terre avec la violence de tes mains. »
Antigone
(Antigone défendait les lois non écrites du devoir moral
contre la fausse justice de la raison d’État.)

 « Longtemps il y eut, au cœur de la forêt de Chênes-liège de la Maâmora (au Maroc), une parcelle pas comme les autres, belle avec de grands arbres vigoureux au feuillage tombant jusqu'au sol, avec un sous-bois verdoyant et touffu, avec de jeunes Chênes prêts à assurer la relève. Cette « chasse royale » ex-chasse résidentielle délimitée par Lyautey, enclose et fort bien gardée, était exempte d'animaux brouteurs, de riverains coupeurs, de forestiers déliégeurs et même de souverains chasseurs. Un chercheur - qui est devenu depuis rédacteur en chef du
Courrier - s'est servi de ce témoin pour affirmer dans ses publications que la Maâmora devait son allure délabrée et sa durabilité nulle très peu aux Insectes et beaucoup à des causes anthropiques : surpâturage et surexploitation.
Réunis à Salé du 26 au 29 octobre 1998, les participants au IIe Meeting du groupe « Protection intégrée des forêts de Chêne » de l'Organisation internationale de lutte biologique (OILB) se devaient de se fixer cette réserve comme but de leur excursion. Laquelle leur offrit le spectacle d'un terrain « aménagé » : déboisé, labouré, avec des restes de Maïs, sillonné de routes goudronnées. Et aussi parsemé de détritus, aux arbres restants déliégés, ébranchés, au sous-bois chétif. Avec des traces de bétail, de roues, d'abattage de petit gibier. Entre-temps, expliquèrent les accompagnateurs locaux, Sa Majesté le Roi avait offert ce terrain à un « émir saoudien » friand de chasse, lequel serait venu quelquefois abattre quelques-unes des Gazelles Oryx qu'il y avait fait élever. Sinon, en dehors de ces périodes de tir et de bruits de moteurs de 4 x 4 et d'hélicoptère, la Maâmora, en ce lieu, est devenue normale. CQFD. »
(Le Courrier de l’environnement de l’INRA n°36, mars 1999.)