De l’inconscience à l’écoconscience

Écodéveloppement, gestions durable, viable, supportable et autres recettes écologiquement correctes

« Une génération méchante et adultère demande un miracle. »
Matthieu

« Nous entrons dans l’avenir à reculons. »
Paul Valery

« 
Nous nous sommes enrichis de l’utilisation prodigue de nos ressources naturelles,
et nous avons de justes raisons d’être fiers de notre progrès.
Mais le temps est venu d’envisager sérieusement ce qui arrivera quand nos forêts ne seront plus, quand le charbon, le fer et le pétrole seront épuisés, quand le sol aura été appauvri et lessivé vers les fleuves, polluant leurs eaux,
dénudant les champs et faisant obstacle à la navigation.
 »
Théodore Roosevelt, 1908

« Les valeurs des taux d’érosion évaluées sur les versants sud du Rif oriental et dans le Prérif, atteignent les records mondiaux. »
Abdelmalek Benabid

« 
Il n’est pas douteux que les pays du Maghreb, à quelques nuances près, constituent
dans le monde méditerranéen la région actuellement soumise à une somme de menaces
sans doute égalée nulle part ailleurs, en zone tempérée tout au moins
. »
Pierre Quézel

« Maman, ne me dessine surtout pas un Mouton... »

Selon certains bilans, le Maghreb serait l’une des contrées méditerranéennes la plus affectée par l’action de l’Homme. Le pastoralisme, activité prégnante des populations berbères en place depuis la préhistoire, en est sans nul doute la cause essentielle. L’agriculture n’est effectivement intervenue en Afrique du Nord qu’avec l’avènement des Phéniciens, puis des Romains. Même si certaines cultures se sont définitivement installées (céréales, fruitiers, vigne), la conquête arabe puis l’occupation française amplifièrent à leur tour l’élevage des Ovins et des Caprins, dont le nombre de tête n’a fait qu’augmenter jusqu’à nos jours où il est exponentiel et en totale inadéquation avec les ressources disponibles, même les bonnes années de pluies utiles. Le Maghreb, dont le Maroc, n’a donc jamais joui d’une utilisation rationnelle du sol et les prémices de la dégradation des paysages forestiers sont anciennes. La forte démographie (la population a quadruplé en soixante ans) est dernièrement responsable de l’accroissement des troupeaux, essentiellement dans les zones steppiques. C’est une situation dramatique pour des écosystèmes fragiles relevant pour la plupart de l’aride et à très faible pouvoir de régénération. Si l’on entre dans les détails par une approche anecdotique et locale des méthodes, on constate le maintien d’options irrationnelles dont le dénominateur commun tend toujours vers un plus grand nombre de têtes, parfois même pour le seul prestige et quitte à devoir certaines saisons procéder au sacrifice des agneaux (région de Timahdite dans le Moyen Atlas.) Bien des aspects de ce surpâturage seront développés plus loin, au fil des chapitres relatifs aux écorégions étudiées.


Paysages défigurés, écosystèmes dénaturés, forêts dégarnies, biodiversité banalisée, sol étrépé, érosion consommée, désertification galopante, lessivages catastrophiques, destructions irrémédiables, le Maroc est atteint par le surpâturage chronique, le Maroc est malade du Mouton.

La pression de l’Homme n’est évidemment pas uniquement exercée par le seul élevage et ses parcours intensifs jusqu’au plus profond des formations forestières, pratique ahurissante et seulement présente sur cette rive de la Méditerranée. D’autres impacts dont l’intensité varie selon les régions et qui ne cessent de s’accentuer, comptent aussi au détriment du biopatrimoine. Le second facteur de destruction du paysage marocain est sans nul doute l’application de traitements forestiers inadéquats et qui entravent gravement le fonctionnement des écosystèmes forestiers. Cette foresterie malade de la sylviculture sur un mode agronomique élimine toute concurrence jusqu’à l’éradication du sous-bois dans son intégralité. Elle est excessivement néfaste et aboutit à des abolitions irréversibles. Ces traitements sylvicoles sans discernement, hérités de la sylviculture européenne et déjà très critiqués en zone plus tempérée, avec leurs coupes rases, leurs éclaircies, leurs taillis simples, génèrent une perturbation globale qui s’ajoute à une déforestation aux origines diverses. Le corollaire de cette disparition du couvert végétal (35.000 hectares à l’année) organisant l’écran vert des montagnes est l’érosion du sol. Les dégâts du forestier rejoignent ainsi ceux du berger, de quoi exagérer « à merveille » les méfaits climatiques d’un certain réchauffement de la planète. Le constat de ces atteintes aux forêts marocaines sera détaillé aux chapitres concernés de la cédraie, de la suberaie, de l’arganeraie et de la thuriferaie.

Bien d’autres maux influent sur le dysfonctionnement des écosystèmes du pays, hypothèquent le futur de la biomasse et du capital génétique, contribuent à banaliser la biodiversité par l’anéantissement des espèces de valeur, toujours d’une moindre résilience, et d’une manière générale saccagent l’horizon paysager. Une crainte de plus en plus réaliste de l’amenuisement des ressources se manifeste, notamment au niveaux du sol et de l’eau qui ne sont pas intarissables. L’accroissement dans les zones favorisées de l’agriculture moderne et de son cortège néfaste à base de défrichement, de remembrement et de bioterrorisme par pollutions chimiques, tout comme certains aménagements d’un tourisme mal compris, sont d’autres thèmes récurrents qui talonnent le surpâturage et la foresterie dans le groupe de tête des menaces majeures et du disensus croissant entre nature et civilisation. Les attitudes individuelles, encore trop souvent absentes de citoyenneté, sans le moindre respect pour le vivant, ou en proie à de vieux et cruels démons, comptent aussi dans la balance, ne serait-ce que par l’enlaidissement et la pollution des paysages.


Le rat des villes et le rat des champs

Si comme au temps du fabliau de La Fontaine, le rat des villes invitait le rat des champs à deviser sur l’état de la planète et notamment sur leurs respectives empreintes écologiques, le Rat noir (qui est le rat des champs) n’aurait guère de leçon de citoyenneté à recevoir du Surmulot (le rat des villes). On le dit et on le redira, le délire des champs est toujours moindre que celui des villes.

Bien qu’il s’agisse d’un hors sujet quant au thème essentiel de ce livre, entièrement voué au patrimoine naturel, mais comme tout est lié et plus spécialement la qualité de la vie quand il s’agit du cadre environnemental, il faut signaler qu’à l’instar de la plupart des pays en voie de développement, le Maroc doit supporter des causes de pollutions de plus en plus nombreuses et sur un taux parfois insupportable. Qu’il s’agisse d’une qualité de l’air très dégradée par un parc automobile vétuste et sans entretien préventif, notamment et le comble pour ce qui concerne les camions d’entreprises et municipaux, les bus urbains dégageant des panaches de résidus toxiques de combustion d’un gazole curieusement raffiné ; d’un paysage trop souvent recouvert d’un « poubellien supérieur » à nul autre pareil : décharges publiques et sauvages surnuméraires en secteurs sensibles (rivières, nappes) et démunies du moindre effort de tri ; du décor des jardins de villes, des banlieues et des écosystèmes fréquemment jonchés des fameux sacs de plastique noir irrémédiablement accrochés aux haies d’épineux ; ou des eaux usées rejetées dans les cours d’eau et en mer en présence parfois de stations d’épuration mort-nées ; etc., liste interminable. Mais tout ceci est une autre histoire, faisons grâce d’un tel inventaire consternant et fuyons au plus profond de la cédraie ou de ce que les déconstructeurs de la forêt en ont laissé. Les mesures correctives sont censément hors de portée de l’économie intérieure et bien des partenariats internationaux doivent converger,
avec vigilance dans la destination budgétaire, pour contribuer à résoudre ces mille et une nuisances. Tout commence à l’école et long sera le chemin, tant les mauvaises habitudes sont ancrées et tant les gestionnaires locaux semblent démunis de la moindre sensibilité écologique. Exemple prosaïque : cherchez donc une poubelle publique dans une petite ville ou un village...


L’art de piller le bien commun
(tout doit disparaître...)

« 
Nous n’héritons pas la terre de nos ancêtres,
nous l’empruntons à nos enfants.
 »
Antoine de Saint-Exupéry

« 
Face à la merde
Tout doit disparaître
Face à la merde
On liquide la planète.
 »
Jacques Lanzmann, Jacques Dutronc

D'après une dépêche de l'AFP, datée de Rabat du 5 juin 2000, le Secrétariat d'État à l'Environnement marocain a chiffré ce que coûte au Royaume la dégradation de l'environnement : 20 milliards de dirhams (2 milliards d'euros), soit plus de 8 % du produit intérieur brut. Dans la partie Nord du Maroc, une étude donne 12,5 millions d’hectares, dont 5,5 millions de terres agricoles, actuellement sous l’effet de l’érosion. Les pertes totales actualisées dues au phénomène de l’érosion s’élèvent annuellement à 10 milliards de dirhams. Il est peut-être bien d’envisager un ambitieux plan national d’aménagement des bassins versants contre l’érosion hydrique, la construction de nouveaux barrages pharaoniques et une lutte en aval contre l’envasement catastrophique, mais faudrait-il faire cesser les causes en amont, en laissant en paix la forêt et en recherchant des moyens alternatifs ou de compensation pour convaincre les propriétaires à une réduction progressive du nombre d’Ovins et de Caprins. Il y a urgence. Après les océans, le sol est le deuxième réservoir de carbone en contact avec l'atmosphère. Il peut soit émettre, soit piéger du carbone atmosphérique sous la forme de gaz carbonique (CO2) et joue ainsi un rôle sur l'effet de serre. Les stocks de carbone piégés sous forme de matière organique dans les sols augmentent ou diminuent suivant l’opportunité des pratiques culturales.

"Chaque pas vers le progrès de l'agriculture capitaliste, chaque gain de fertilité à court terme,
constitue en même temps un progrès dans la ruine des sources durables de cette fertilité.
Plus un pays, les États-Unis du nord de l'Amérique par exemple, se développe sur la base de la grande industrie, plus ce procès de destruction s'accomplit rapidement. La production capitaliste ne développe donc la technique et la combinaison du procès de production sociale qu'en épuisant en même temps les deux sources d'où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur."

K. Marx,
Le Capital, 1867


Tout le monde pille la planète allègrement depuis toujours sans se poser de questions sur les préjudices encourus.
Ce pillage menace l'équilibre des ressources et met en cause la qualité de la vie sur Terre. En 1867, Marx précise déjà le souci du développement durable. Mais jusqu’aux années 70, la nature n’avait ni droit, ni coût, elle était à dominer, à maîtriser, à valoriser, le « surhomme » de Nietzsche veillait avec orgueil et égoïsme comme vertus suprêmes. Jusqu’à l’avènement d’une prise de conscience qui donna naissance à cet objectif désormais obsessionnel d’un recours à un développement qui puisse être durable. Au moins pour limiter la casse et conserver quelques restes. Comme l’altermondialisme est là pour lutter contre les excès d’une mondialisation aux mains d’un libéralisme aveugle, le souci de gestion viable se charge de dénoncer les agressions de la biosphère et d’imposer un principe de précaution. Non pas comme contre-pouvoir systématique mais si possible en concertation.

Mais la plupart des valeurs naturelles, notamment celle d’une bonne conservation des espèces fines et sensibles, peu spectaculaires ou non-emblématiques, ne sont pas encore perçues avec justesse par le grand public. L’inflation médiatique uniquement axée sur le plus facile et événementiel de la chose (paysages grandioses, espèces climaciques, symboliques ou richement colorées, mœurs extravagantes ou au contraire affines aux nôtres), le tout teinté du fatal regard anthropomorphique (largement transmis par les usines Disney), ne va pas dans le bon sens. L’héritage de phobies, de croyances ancestrales et autres archaïsmes encore bien ancrés (pouvant nuire, par exemple, aux Reptiles, aux Batraciens et aux arachnides), ainsi que certaines pratiques coutumières (pharmacopée, animaux d’exhibition) ou modernes (commerce à l’usage de la terrariophilie ou des animaux de compagnie), ou même la petite prédation encore trop souvent exercée par les enfants (usage du lance-pierre à l’encontre des Oiseaux, dénichages, persécution des petits Mammifères, etc.) constituent aussi un lourd handicap, et pas seulement dans les zones rurales.


L’enfant au lance-pierre

« Deux choses sont infinies : l’univers et la bêtise humaine.
En ce qui concerne l’univers je n’en ai pas acquis la certitude absolue.
 »
Albert Einstein

Hélas plus symbolique qu’anecdotique, tout promeneur ayant goûté les charmes du paysage marocain, notamment forestier ou oasien, ou ayant flâné dans les parcs et les jardins de villes, n’a pas manqué de rencontrer l’enfant au lance-pierre. Tout comme le randonneur véhiculé circulant dans le Sud ou dans la périphérie des plus grandes villes, connaît l’enfant bourreau offrant à tout imbécile l’Écureuil ou le Fouette-queue prisonnier, le lot de Tortues terrestres ou aquatiques cruellement ligotées par ordre de tailles et exhibées mourantes. A noter que cette pratique de vente de jouets vivants sur les bords des routes contribuant à une mauvaise image de marque, a été réprimée par les autorités et enregistre un net recul depuis quelques années, ou pour le moins les jeunes braconniers font désormais preuve d’une plus grande discrétion.

L’enfant au lance-pierre a pour cible tout ce qui bouge, les Oiseaux en priorité. L’enfant au lance-pierre évolue librement au milieu des promeneurs locaux et n’est que très rarement l’objet de reproches. L’enfant au lance-pierre est très souvent le fils d’un garde forestier et, avec une ribambelle de frères et de copains, il organise d’impitoyables razzias dans tous les alentours du périmètre forestier dont son père est en charge, lequel profite le plus souvent du poste pour engraisser ses Vaches et ses Moutons sur le dos des espaces et des reboisements en défends (très nombreuses observations documentées). L’enfant au lance-pierre en dit long sur les mauvaises habitudes et l’ « ornithologue » qu’il sera demain. Faute de l’enseignement familial, l’enfant au lance-pierre pourrait être au moins mentalisé par son instituteur... Démographie aidant, le nombre de lance-pierre est surnuméraire, y compris dans les terrains vagues des grandes villes, et le potentiel de cette force de frappe contre le vivant correspond à celui d’un armement de destruction massive à l’encontre du petit monde enchanteur dont la contemplation serait une meilleure source de bonheur et d’enrichissement que l’assassinat. Et même si certaines espèces sont protégées par mille conventions, la plupart sont comestibles. On peut toujours confisquer le lance-pierre, il se régénère en un instant. On ne peut pas confisquer l’enfant ! « 
Pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font... »


Éduquer...

« 
C’est... prendre la main d’un petit d’homme et, délicatement, y déposer quelques graines de curiosité, un grand souffle de considération,une cascade d’enthousiasme,et l’étincelle du sourire.C’est... sur l’échelle du temps avec lui, s’asseoir un instant pour conter le mariage de l’algue et du champignon, l’alliance du Casse-noix et du Pin Cembro, l’histoire de l’Homme qui plantait des arbresC’est... sur le chemin de l’épanouissement l’accompagner sur quelques pas, sereinement, entre terre et eau, ciel et feu,à l’école des sens, jusqu’au carrefour des quatre éléments,Et... à la porte du présent, le laisser s’en aller avec, assurément, dans son être une confiance naissante, dans sa poignée de main une humanité jaillissante, et dans son horizon, les yeux de ses enfants. »

Geneviève Clapiz


Prise d’écoconscience

« 
En dehors de quelques vieux fossiles,
qui, aujourd’hui, n’est pas écologiste ?
 »
Brendan Prendiville

« 
La société dans laquelle nous vivons ressemble à une espèce d’avion de ligne
où tous les voyants seraient au rouge dans le cockpit et qu’à l’arrière on continuerait soit à boire le champagne
soit éventuellement à se quereller.
 »
Nicolas Hulot

L’ingrate dotation géographique des Pays du Maghreb ne doit pas occulter les agissements coupables de l’amenuisement des ressources pour un profit immédiat d’une ou deux générations. L’écoconscience qui surgit alors qu’il est déjà çà et là un peu tard impose le message d’une Terre que nous devons céder aux générations ultérieures, de la notion de colocataires des écosystèmes qui nous servent de cadre de vie. Il est grand temps de ne plus cultiver la disjonction culture contre nature, de faire cesser cette triviale zizanie entre l’Homme et son environnement, divorce dont l’issue sera parfaitement dramatique, y compris pour les habitants des grandes métropoles qui prétendent « exécrer » la campagne. Ce fut, par ignorance, une bien mauvaise partition.

La sauvegarde de l’essentiel des écosystèmes marocains et de leurs sites passe obligatoirement par une politique volontariste d’allègement et de régulation de la charge du cheptel, en complète inadéquation avec les ressources disponibles. Faute d’un tel contrôle de la pression pastorale devenue intolérable et de propositions de solutions alternatives, tout programme conservatoire serait vain. S’il ne visait qu’à « gérer les préjudices », sombre est l’avenir.

A l’image écocidaire de tous les pays de notre planète, le Maroc n’a jamais autant saccagé son capital naturel et souillé son environnement que de nos jours.
Le plus affligeant n’est pas de constater l’érosion de cet inestimable biopatrimoine mais d’en diagnostiquer le caractère imparable de son processus. Aimer un pays c’est comme aimer un être, et lorsque sa santé décline, il faut avoir le cynisme de certains salariés de la fonction publique pour ne pas s’en inquiéter. L’âme du naturaliste conduit spontanément à cette vigilance et à la moindre atteinte, l’indignation préside toujours au souci de protection.

Un Maroc se meurt, celui d’une nature très riche, variée et généreuse par le passé ; celui du sol, de l’eau et des ressources naturelles. Destruction des paysages, extermination des espèces, il y a désormais grand risque d’extinction massive de la biodiversité marocaine et les préjudices sont déjà palpables.