Le Sahara : un désert plein de vie

(Avec la collaboration de Michel et Élizaveta Aymerich)

« Là souffle l’Esprit » : la nature spirituelle

« J’ai toujours aimé le désert. On s’assoit sur une dune de sable.
On ne voit rien. On n’entend rien.
Et cependant quelque chose rayonne en silence...
 »
Antoine de Saint-Exupéry.

« 
Je me sentais attiré vers l’Afrique par la nostalgie du désert ignoré. »
Guy de Maupassant

« Comme nous allons vers des terres que nous ne connaissons pas,
voici que nous découvrons dans notre cœur de grands espaces inexplorés. »
Ernest Psichari

« Marche en avant de toi-même, comme le premier chameau de la caravane. »
Maxime nomade

« Homme, il faut savoir se taire pour écouter le chant de l’espace,
qui affirme que la lumière et l’ombre ne parlent pas. »
Poème touareg

Sculpture du vent, écriture du sable, solitude sonore, gisement de silence, révélation spontanée, plénitude du vide, paysage intérieur, source d’effrois et d’épreuves, ...à l’origine était l’inconnu et ce jour est intemporel..., les clichés surexposés ne manquent pas pour traduire l’émotion envoûtante de cette terre de dépouillement, de la soif et de la faim. La tradition perpétrée veut que le désert trempe les âmes fortes et soit le cadre privilégié de la contemplation, de la méditation.

Il n’y a pas si longtemps le Sahara n’était qu’une simple tache blanche sur les cartes, blanche d’une apparente vacuité, pays tant ouvert qu’impénétrable, horizon lisse mais cependant imperméable. Mal de sable à pied, mal de mer à dos de chameau, les aventures les plus romantiques y inspirent les explorateurs et les chercheurs de trésors cachés. Les thèmes sahariens se bousculent sous la plume de mille écrivains « atteints de désert », inspirations enrichies par l’oral d’
un patrimoine culturel immatériel endémique aux peuples Hamites (Touaregs), concept inépuisable et exaltant induit par la patiente adaptation à l’hostilité environnante, à la paucité des ressources, titres de gloire et de noblesse du grand nomadisme aujourd’hui, soudain mis en joue par l’addiction au consumérisme et la trivialité d’une civilisation de l’instantané. Desertus, « abandonné » en latin, fait naître une soif inextinguible d’inspirations, un irrésistible besoin de saisir l’insaisissable au pays de l’absolu, là où le soir « le soleil éteint tout ». Dans la mythologie de cet univers porteur de sacré, de cette terre de salut, chacun trouve sa quête, y entend les prophéties qu’il souhaite. On s’y retire du monde, on y rencontre Dieu – mirage permanent - ou l’on s’y rencontre soi-même. A cette terre de sable et de pierres est confiée la vocation divine de la révélation, tant islamique que chrétienne. Mahomet reçoit la parole divine de l'ange Gabriel lors de séjours au désert, tel Moïse recevant de Yahvé les Dix Commandements sur le Mont Sinaï. On y prie, on y médite, on s’y retire dans l’ascétisme. C’est là, sur le désert christique et porteur de sacré, que le père Charles de Foucauld poursuivit son épreuve monastique. Bien d’autres l’ont suivi dans l’expérience trappiste. « Du vent, du sable et des étoiles », le Petit Prince, le chef-d’œuvre d’Antoine de Saint-Exupéry, n’est-il pas la meilleure fable de cette aventure métaphysique ?

Une légende arabe prétend qu’à l’origine des temps, la Terre était un infini jardin paradisiaque peuplé de grands palmiers providentiels, de jasmins aux senteurs enivrantes et de rossignols au chant flutté. A cette époque et comme il se doit en tout paradis, les Hommes étaient loyaux et justes, si bien que le mot « mensonge » n’avait pas le moindre sens. Mais un jour, un fameux jour, un homme ou une femme proféra un humble mensonge, vraiment insignifiant, mais un mensonge quand même, et le prodige prit fin. Allah réunit alors les Hommes et leur dit : « 
Chaque fois que vous mentirez, je jetterai un grain de sable sur le monde » Les Hommes haussèrent les épaules : « Un grain de sable ? On ne le verra même pas ». Et pourtant, de mensonge en mensonge, petit à petit, le Sahara s’est formé. Et si l’on parle en ce jour d’une avancée des déserts, ce n’est peut-être qu’une réponse aux mille mensonges qui nous gouvernent.

Le sable est toujours très présent dans la réalité des départs, dans l’imaginaire de ceux qui souhaitent voyager « 
pour vérifier leurs rêves ». Et si on parle de désert, c’est le sable qui vient à l’esprit alors que la majorité des déserts de la planète sont de pierre ou de glace. Comment ne pas être fasciné par le Sahara, cet océan inanimée, union de l’immense et de l’infime qu’est le grain de sable ? Et qu’est-ce qu’une oasis sinon une île dans une mer de sable ?


Sahara indéfinissable

« 
Parler du désert, ne serait-ce pas, d’abord, se taire, comme lui,
et lui rendre hommage non de nos vains bavardages mais de notre silence ?
 »
Théodore Monod.

Il est essentiel pour le naturaliste de savoir discriminer le désert au sens propre et paysage finalement très rare, des steppes désertiques, les plus fréquentes et étendues, et dont les conditions écoclimatiques permettent la résistance d’espèces adaptées, leur évolution, leur différenciation, donc l’existence d’une réelle sphère tant floristique que faunistique. Dans le domaine saharien, cette ségrégation entre steppe désertique et désert vrai coïncide assez bien au tracé de l’isohyète 25 mm. Par sa nature vraie, le désert sensu stricto, est un milieu physique hostile à la vie et ne peut en aucun cas constituer un centre de maintien et de dispersion d’espèces. Quand on parle de désert, notamment saharien, c’est de la steppe désertique qu’il s’agit, un milieu bien vivant mais où la vie, soumise à une sélection très sévère, ne se manifeste comme nul part ailleurs.

Au Maroc et dans ce chapitre, il n’est question que de steppe désertique (ou érémique) et d’une région saharienne située au sud des Atlas, là où s’éteint la végétation méditerranéenne, qui s’étire vaguement de l’embouchure de l’Oued Drâa jusqu’à Figuig, où les conditions sont assez rudes avec une hauteur des pluies n’atteignant pas 100 mm, des températures estivales dépassant fréquemment 45 ºC au milieu du jour, pour, en hiver, descendre à plusieurs degrés au-dessous de zéro, avec des gelées nocturnes dès qu’on s’éloigne des bienfaits atlantiques.
Cette très forte amplitude thermique, journalière et annuelle, caractérise le climat saharien. Ici, toute culture bour est impossible, sauf sporadiquement dans certaines dépressions où peuvent s’accumuler les eaux de pluie, ainsi que dans les zones d’épandage des oueds. Le climat désertique est exacerbé par une infidélité des pluies qui peut perdurer plusieurs saisons consécutives, par une forte sécheresse de l’air et du sol entraînant un considérable déficit hydrique, par des oscillations extrêmes et une intense insolation. Le biome saharien existe principalement du fait de l’existence du climat du même nom. Sur tout le Sahara, ce climat est dans la majeure partie des cas sec et très chaud, ces deux phénomènes s'expliquant facilement. L’extrême aridité de ce milieu n’engendre aucune humidité et ne produit donc pas de nuages qui dans tout autre climat du globe tiennent un rôle de régulateur thermique en absorbant une partie de l'énergie calorique du soleil. Cette absence de nébulosité fait que le soleil tape directement sur le sol, augmentant encore l’effet de sécheresse. Seule la température nocturne chutant considérablement, jusqu’à un léger gel en certaines périodes, induit au petit jour une rosée vitale à certaines espèces végétales et animales. La sécheresse est aussi confortée par la situation géographique proche de la barrière atlasique qui fait effet de mur contre les vents, les dépressions et les anticyclones tout autant.

La végétation vivace est diffuse, voire même absente et ce n’est qu’après la pluie que germent, croissent, fleurissent et grainent en quelques brèves semaines tout un monde d’annuelles. Bien des semences peuvent « attendre » des décennies et jusqu’à un siècle ! La faible pluviométrie et l’intense évaporation favorisent en maints endroits l’existence d’une flore halophile d’espèces supportant l’accumulation de chlorures et de sulfates. La présence des plantes vivaces est liée à la réussite d’une longue évolution adaptative qui leur confère à toutes des traits morphologiques et des capacités bien particulières. Dans l’univers saharien, les arbres vrais sont rares et seulement représentés par des Acacias.

Bien adossée à l’ouest en ressaut de l’Anti-Atlas et à l’est de celui des Hauts Plateaux, favorisée par l’apport des cours d’eau descendus des montagnes, une étroite zone en ruban connaît un sort nettement moins ingrat, c’est la région des oasis où la moyenne des précipitations annuelles se situe entre 100 et 200 mm et où l’irrigation est rendue plus aisée par une très relative abondance phréatique. C’est loin d’être le désert, et ce n’est pas encore le Sahara.


Le Grand Sahara en diagonal

Le Grand Sahara, la plus vaste steppe désertique du monde, dont le nom vient de l'arabe al-sahara et signifie « désert » ou « steppe », prend en écharpe le Nord du continent africain et en représente près d'un quart de la superficie. Sur plus de huit millions de kilomètres carrés (équivalant à un continent tel que l’Australie) que se partagent dix états, de la Mauritanie à la Mer Rouge et de la Méditerranée au fleuve Niger et au lac Tchad, le Sahara gagnerait chaque année environ un million d'hectares. A l’ouest, le Sahara « se jette » dans l’Océan atlantique. L’érémial ainsi nommé en représente la frange septentrionale et la zone sahélienne en constitue le pendant méridional. Ses limites, notamment celles d'ordre biogéographique, fluctuent constamment sous l'influence de facteurs climatiques mais aussi et de plus en plus anthropiques comme le surpâturage et le déboisement.

Alors que le Massif du Hoggar (Algérie) s'élève à 2918 m au Mont Tahat, le point culminant du Sahara est l'Emi Koussi (3415 m), qui se dresse dans le Tibesti. La partie occidentale marocaine, beaucoup moins accidentée, s'élève progressivement depuis la côte atlantique. C’est un vaste secteur subtabulaire superficiellement constitué d’un complexe calcaréo-gréseux d’une trentaine de mètres d’épaisseur dont la formation remonte au Pliocène (Hamada de la Daoura, du Guir, du Drâa). On y rencontre les principaux types de la géomorphologie saharienne.
Les regs sont de vastes étendues tabulaires recouvertes d'éclats de roches noirâtres que l’active érosion éolienne a dégagé du sol en emportant les éléments fins. La couleur souvent noire et luisante de la face exposée des roches surprend. Cette patine désertique est assurée par une microcouche d’origine intermédiaire entre le minéral et le biologique puisque ce sont des oxydes de manganèse dissous en surface lors des pluies et fixés par des bactéries. On utilise cette pellicule de vernis pour dater l’époque des gravures rupestres. Le taux trop bas d’hygrométrie en vigueur de nos jours ne permet plus la formation de ce type de patine. Les hamadas sont des plateaux pratiquement démunis de sol où affleurent de vastes dalles rocheuses souvent calcaires ou gréseuses, en partie couvertes par un reg. Les ergs sont des massifs aréneux constitués de divers types de dunes aux dimensions parfois impressionnantes (jusqu’à 250 m d’élévation). Les barkhanes sont de petites dunes mobiles en formes de croissant et alignées perpendiculairement à l’axe du vent dominant. Leur particularité est d'être chantante sous certaines conditions climatiques, la courbure interne étant de nature parabolique, elle amplifie aisément le léger son dégagé par le frottement des grains de silice qui descendent le long de la pente. Ce sont les « dunes chantantes » dont la visite « auditive » est très souvent proposée par les guides sahariens. Ces massifs dunaires, parfois de grande taille et comme posés sur le reg tabulaire, offrent un spectacle assez étonnant. Contrairement à une idée répandue, les ergs, et en général les dunes qui illustrent un paysage très symbolique du Sahara, ne couvrent pas plus de 20 % de la surface du domaine. Le Sahara n’est donc pas un milieu aréneux par excellence, sauf sur les cartes postales.

Le réseau hydrographique est formé d'oueds, cours d'eau à alimentation spasmodique, dont certains sont fossiles. L'écoulement est rarement exoréique (en surface) et le plus fréquemment endoréique (souterrain) et avec de très longues périodes d’étiage (interruption). Dans la plupart des cas, il s’agit d’une hydrographie strictement aréique et l'eau de pluie s'infiltre sur place.
Les gueltas sont des bassins naturels, pérennes ou temporaires, accumulant l’eau après le passage d’une crue ou alimentées par des sources ou un inféroflux. Certaines, de moins en moins, contiennent des formes de vie datant du temps du Sahara humide (Poissons, derniers Crocodiles). Les dépressions au sol salé par accumulation de chlorures et de sulfates, avec ou sans eau superficielle, sont les sebkhas. Les zones d’épandages des crues succédant aux pluies violentes sont les maaders quand elles surviennent dans les lits d’oueds, ou les grarats dans les dépressions où convergent les eaux superficielles.

En raison de la prééminence de son action physique,
le vent est l'une des données fondamentales dans la morphologie de ce milieu dont il représente l’agent primordial d’érosion. On estime que sur l'ensemble du territoire, la force éolienne déplacerait chaque année entre 60 et 200 millions de tonnes de poussières en suspension, arrachées aux sols et aux roches, et de 10 à 20 millions de tonnes de sable. La désagrégation est forte tant en raison des écarts de température que de la rareté du substrat végétal. La dilatation différentielle décompose la roche, surchauffée elle éclate, mais il s’agit d’une action remarquablement lente. L’incidence éolienne exerce une action tant destructrice (érosion) que constructrice (sédimentation) nettement plus active, notamment sur les zones continentales recouvertes de formations meubles. Ces phénomènes sont désignés par les termes respectifs de déflation, corrasion et attrition. Les modifications qui interviennent par déflation résultent d’un réel balayage, y compris des dépressions, et ce jusqu’au niveau hydrostatique. Les sebkhas en sont un exemple. Lorsque le vent transporte des particules minérales, elles tendent à buriner les reliefs lorsqu’ils sont de pierre tendre (effet d’alvéolisation) ou à polir lorsqu’ils sont de plus forte densité (poli éolien). Les cailloux à facettes sont ainsi d’anciennes roches déchaussées sur lesquelles les grains de quartz projetés ont réduit les aspérités. Les « Champignons du désert » sont de grosses roches isolées dont la base la plus éprouvée a été ainsi surcreusée par les projections. L’usure par effet différentiel engendre, selon la dureté relative de la roche, des formes souvent remarquables dans le domaine des structures ruiniformes. Ce type d’action éolienne est nommé corrasion. Quant à l’attrition, c’est une action d’usure par frottement : les grains de sable, usés et roulés, prennent l’aspect de sphères dépolies dans le cas du quartz, sont réduits en poussière quand il s’agit de roches clivables (micas) ou argileuses et alors emportés nettement plus loin. Le vent effectue ainsi un véritable tri. C’est ainsi que l’on peut déterminer un sable d’origine éolienne d’un autre résultant du transport des eaux. Et le vannage va délaisser sur place les cailloux les plus lourds qui forment les grandes étendues des regs, d’un aspect souvent pavé. Les effets de la force éolienne supportée par les milieux subdésertique et désertique sont ainsi très diversifiés : déflation directe des substrats meubles sablo-limoneux, formation de dépressions hydroéoliennes, figures de transport du sable sous forme d'édifices, d'accumulation et d’envahissement sableux, figures de transport dues à la saltation (poches de sable sur les versants ou ennoyage de petits accidents topographiques), traînées de déflation, stries de corrosion (sculptures éoliennes) engendrant des systèmes crêtes-couloirs ou des traces rectilignes sur roches patinées, griffures millimétriques à centimétriques jalonnant les surfaces de sols, vannage de la fraction fine des sables dunaires et fluviatiles, déchaussement de plantes, etc. Ils remettent chaque fois en cause les efforts de la lutte contre l’ensablement tant continental que maritime, laquelle ne connaît pas de répit puisqu’une remise à vif de zones stabilisées ne peut être écartée. Résultant pourtant d’une expérience ancienne (mais souvent aussi empirique), les stratégies de fixation de dunes par des moyens mécaniques (quadrillage à l’aide de palmes) et/ou biologiques (rétablissement d’un couvert végétal autochtone ou d’un cordon littoral de plantes spécialisées, plantations de boutures de tamaris, etc.) n’étant dictées que par l’urgence sont du type curatif (lutte contre l’ensablement de cultures, de palmeraies, de ksour, réhabilitation d’infrastructures, intervention de desennoyage des routes) et s’en prémunir semble dénué de tous fondements.


L’histoire d’une désertification

C’est au Primaire que la mer pris une première fois possession de l'actuel Sahara. Puis au Carbonifère, le mouvement hercynien suscite la surrection de tout le plateau saharien, provoquant, après le retrait de la mer, le continental intercalaire formé de grés et de dépôts lagunaires et représentant un inestimable réservoir d’eau. Au Crétacé supérieur, la mer inonde de nouveau cette contrée et les dépôts marins d’argiles et de marnes procurent une couverture imperméable rendant la nappe captive. Quand la mer se retire une seconde fois (Crétacé supérieur), intervient une forte érosion induisant une nouvelle strate d’accumulation argileuse : c’est le continental terminal engendrant la nappe phréatique. C’est ainsi qu’au Sahara entre autres, on dispose de deux types de réserves aquifères : la nappe alimentée par l’apport des précipitations contemporaines occasionnelles et celle moins accessible et fossile du continental intercalaire où peuvent être stockées des masses incommensurables d’eau. Comme les deux nappes ne sont pas respectivement étanches, les eaux de surface et particulièrement des crues spasmodiques sont susceptibles d’enrichir autant l’une que l’autre. C’est quand la plus profonde suralimente la nappe supérieure, suite aux diaclases (fissures) de la roche, que l’eau vient à jaillir spontanément (et inutilement !) sous la forme d’un puits artésien comme celui bien connu de la Source Al-Aati, au nord d’Erfoud (Tafilalt), dont l’inutilité provient de sa forte teneur en sel et la dangerosité des conséquences nuisibles pour les sols ainsi stérilisés.

Les études paléoclimatiques et paléontologiques montrent que le Sahara a connu une alternance de périodes d'humidité et de sécheresse. Entre 10000 et 8000 Av. J.-C., l'eau en était une composante essentielle et le Sahara accueillait alors une faune aquatique de Poissons, de Crocodiles, et d’Hippopotames dans des lacs, et terrestre d’Éléphants, de Rhinocéros, de Girafes et de Lions au sein d’habitats du type savane herbeuse. Ce qui ne fut pas le cas d’autres déserts, tels ceux d’Afrique australe dont l’ancienneté remonte à quelques dizaines de millions d’années. L’actuel périmètre de ce jeune désert qu’est le Sahara se mit en place entre 3000 et 2000 Av. J.-C., à la suite d'une période d’aridification qui se poursuit. Le sous-sol saharien n'est pas dépourvu en richesses minérales et si le Maroc n’a guère de pétrole qui vaille l’exploitation, il est l'un des premiers producteurs mondiaux de phosphates. L'un des plus importants gisements au monde, dont les réserves sont estimées à 10 milliards de tonnes, est précisément celui du Sahara marocain. De plus, son sous-sol renfermait d'autres ressources telles que le fer, le pétrole, le cuivre, le nickel, l'uranium…

D’innombrables vestiges archéologiques attestent une présence humaine assez fortement densifiée de 5000 à 2000 Av. J.-C. Occupé par l'Homme dès le Paléolithique, le Sahara a vu se succéder au Néolithique plusieurs civilisations, dont les peintures et gravures rupestres portent encore témoignage : la civilisation dite des chasseurs ou du bubale (VIe millénaire), celle des pasteurs à Bovidés (IV-IIIe millénaire) et, vers la fin du IIe millénaire, celle du Cheval, qui permit aux Garamantes, Berbères libyens et possibles ancêtres des Touaregs, d'affirmer leur supériorité par leur cavalerie équipée de chars et qui servirent dans l’armée d’Hannibal. Théodore Monod, l’infatigable arpenteur des sables, s’en réfère dans son célèbre carnet « L’émeraude des Garamantes ». C’est au cours du Ier millénaire avant notre ère que la région s'assécha progressivement et, au IIe siècle Av. J.-C., le Dromadaire fut importé d'Arabie. Grâce au vaisseau du désert, le trafic caravanier allait désormais assurer des échanges incessants entre l'Afrique méditerranéenne et le Soudan (actuel Mali).


Les régions sahariennes du Maroc

Le Sahara marocain, dont les écosystèmes, la flore et la faune nous préoccupent ici, s’étend avec quelques 300.000 km2 sur près de la moitié de la superficie du Maroc. Il convient d’en démarquer le territoire jusqu’au rebord atlasique s’encartant dans le bioclimat semi-aride, nonobstant le fait que l’on peut discuter de l’inclusion du strictement aride dans l’étage de végétation du Maroc saharien. Pure subjectivité en ce qui concerne des frontières imaginaires, mais une bonne connaissance des biocénoses communes nous feraient choisir cette option. C’est aussi tenter une dichotomie hasardeuse entre la végétation du biome méditerranéen et celle du domaine saharien, lesquelles s’interpénètrent évidemment tout au long de cette marge. Au sud-ouest, le domaine saharien épouse une ligne allant des localités de La Gouira et de Guerguarat (région de l’Adrar Souttouf), non loin de Nouâdhibou à la frontière mauritanienne, en remontant l’Aguerguer littoral jusqu’au Cap Juby par Dakhla, Laâyoune, Tarfaya, puis rejoignant l’embouchure du Drâa par El-Quatia et Tan-Tan jusqu’à la région d’Ifni et la limite septentrionale saharienne que l’on peut situer aux confins de l’Oued Assaka. On esquive ici l’essentiel de l’arganeraie (Souss-Massa) et de ses associations macaronésiennes, pour la plupart liées à l’inframéditerranéen, avec pourtant pas mal de résonances sahariennes puisque partiellement en bioclimat aride (isohyète 200 mm). Au nord, ses limites approximatives passent par une ligne allant d’ouest en est de l’Oued Assaka à Foum-El-Hassan (bassin inférieur du Drâa), Tata, Agdz (Haut Drâa), Er-Rachidia (Tafilalt), puis épousant le Sud du Maroc oriental à Boudnib, Bouânane, (Bouârfa) et Figuig, ville frontalière avec l’Algérie. Dans la seconde option et côtoyant mieux l’isohyète 200 mm du bioclimat aride, et non plus strictement la ligne des précipitations annuelles inférieures à 100 mm du bioclimat saharien au sens propre, absorbant alors et depuis Tata les djebels subdésertiques Bani et Sarhro, cette limite septentrionale peut être étendue jusqu’à Ouarzazate, se prolongeant dans ce cas par Tinerhir jusqu’à rejoindre le Tafilalt. A l’ouest, longeant les Hauts Plateaux de l’Oriental à une latitude bien supérieure à celle correspondant au Djebel Grouz, l’immixtion de la steppe à Alfa et à Armoise avec celle, très lâche, à Anabase, rend la disjonction des deux mondes (méditerranéen et saharien) peu aisée.


Phytocénoses sous climat saharien

La protéiformie du milieu saharien est la conséquence d’un jeu complexe de la pluviométrie et de son régime aléatoire, avec la morphologie du terrain et la lutte inégale de la flore contre les pressions climatiques, notamment exacerbée par les affres du vent et les longues périodes de stress hydrique. L’aridité est un facteur drastique et limitant pour la vie végétale (et animale). Dans le meilleur des cas, elle réduit les contrées qui y sont soumises à des écosystèmes steppiques, parfois maigrement arborés. Peu doté, ce milieu n’en est pas moins privé de vie. Il s’en dégage deux figures qui peuvent être catégorisées en formes extensives que sont les vastes étendues où les biocénoses sont effectivement soumises à des aléas extrêmes dont la réduction récurrente de la biomasse est la plus incisive, et des formes ponctuelles nettement favorisées, d’une luxuriance très relative mais fortement contrastante et confinées en des secteurs de quasi-permanence de l’eau, ou du moins d’un type d’apport hydrique qui peut aussi résulter de la proximité maritime et de ses bienfaits, comme la rosée nocturne qui est une véritable pluie ascensionnelle. Dans les systèmes ponctuels et outre les sources ou les gueltas dans les lignes de dépression, il convient d’inclure les agrosystèmes humains du type oasien où toute la biocénose, y compris la phytocénose, devient parfaitement commensale.

Au Maroc, la flore saharienne est fortement pénétrée d’éléments irano-touraniens, notamment Chenopodiacées des genres
Halocnemum, Hamada, Noaea et Salsola, d’autres à chorologie saharo-arabe appartenant à de nombreux genres tels que : Aristida, Astragalus, Echiochilon, Fagonia, Launaea, Pituranthos, etc., hébergeant bien des espèces à affinités paléotropicales parmi les genres : Acacia, Argania, Zygophyllum, Kalanchoe, Commelina, Warionia saharae (noms locaux : afezdad, afessas, tirnet), Enteropogon rupestre, Oropetium africanum (ces deux derniers taxa en limite septentrionale), ainsi que des Euphorbes cactoïdes.

Certains ergs et de nombreuses étendues graveleuses ensablées sont l’empire de nappes graminéennes essentiellement formées par de grandes
Poaceae pastorales et fixatrices des ergs comme Panicum turgidum et Stipagrostis pungens (nommée drinn). A cette végétation psammophile peuvent s’associer : Calligonum comosum (Polygonaceae), Cornulaca monocantha (Salsolaceae), des espèces annuelles de Farsetia (ud labiad, zaazaa, tissit) (Brassicaceae), Fagonia zilloides (tleha)(Zygophyllaceae)(vallée du Drâa), puis dans la zone littorale divers Cyperus. Les barkhanes ont une capacité de charge nulle et sont quasiment dépourvues de couvert végétal.

Les formations steppiques et arborées forment des écorégions que l’on rencontre ça et là dans tout le Sahara marocain, depuis les confins maroco-mauritaniens jusqu’à ceux maroco-algériens. Elles sont toujours individualisées à la faveur de cours d’eau temporaires, de ravenelles ensablées et de dépressions (grarats) pour les forêts lâches, se situent sur les regs, les rocailles et les hamadas pour les steppes. Si ces écosystèmes reçoivent plus de 150 mm sur la frange nord et dans le nord-est du Sahara, les précipitations s’effondrent à moins de 50 mm dans le Sud et ces contrées sont définies par un bioclimat saharien chaud et tempéré, voire microclimatiquement frais. Les espèces caractéristiques sont :
Acacia raddiana (amrad, talha) et A. ehrenbergiana (tamat), Balanites aegyptiaca, Capparis decidua, Maerua crassifolia (atil), Tamarix articulata (tlaya, takkawt, udba). Dans ces savanes désertiques de l’acaciaie dominée par Acacia raddiana, figure écosystémique la plus commune dans les thalwegs, les oueds et tous les bas-fonds depuis l’Adrar Souttouf jusqu’au Djebel Grouz, participent exceptionnellement Faidherbia albida (= Acacia albida)(confiné au saharien chaud, notamment au sud du Djebel Ouarkziz, dans la région d’Assa et dans le secteur d’Amot où il a été récemment retrouvé par A. Benabid), rarement Acacia ehrenbergiana (souvent très dégradé), Balanites aegyptiaca (saharien chaud), et fréquemment Zizyphus lotus (sedra, azuggwar, nbeg), Calotropis procera (turja), Panicum turgidum (mmu, rokba, tigusin), Maerua crassifolia, Caparis decidua, Foleyola billotii, etc. L’acaciaie à Acacia ehrenbergiana est plus localisée et rarement étendue, par exemple à l’ouest du Djebel Bani (Drâa moyen), dans l’Amoukrouz et l’Adrar Souttouf. Dans la région du Bas Drâa, tout comme dans l’Adrar Souttouf, la balanitaie à Balanites aegyptiaca, souvent présente en banquettes alluviales, est un petit écosystème qui se complait aussi dans les zones d’épandages des crues, sur sol limono-sableux profond. Rhus tripartita (le Sumac à trois feuilles, jdari) qui se rencontre dans certains écosystèmes semi-arides plus au nord, organise aux confins atlantiques du Sahara marocain des milieux assez fermés dans les grarats. Les velléités céréalières qui visent souvent les mêmes dépressions à sol épais sont une concurrence parfois fatale (défrichement) au maintien du Sumac à trois feuilles. Maerua crassifolia est un arbuste très prisé par les Gazelles (et les Dromadaires !) que l’on rencontre habituellement de façon éparse, sauf en quelques points de l’Adrar Souttouf et du Bas Drâa où il développe quelques formations qui méritent d’être nommées maeruaie. Enfin, les mornes étendues caillouteuses des regs, parfois plus ou moins ensablés, sont investies d’écosystèmes steppiques pas toujours évidents car parfois très mosaïqués, où s’illustrent des espèces d’Aristida, de Salsola, Hamada scoparia, Nucularia perrini, Anvillea radiata, etc. Ces formations revêtent une certaine prépondérance quand elles s’unissent à l’un des écosystèmes à structure arborée préalablement décrits, induisant alors une biomasse exceptionnelle pour le domaine saharien.

Sur le littoral de l’Océan atlantique, les précipitations occultes très appréciables se manifestant sur une étendue de terre basse à géomorphologie simplifiée, engendrent une écorégion assez homogène représentée par la steppe et où dominent des haloxérophytes, par places ponctués par des arbustes torturés par les vents incessants. Y vivent la Gazelle dorcas et de nombreux petits Mammifères, côtoyant une avifaune plus affine à l’écosystème maritime. Cette frange est discontinue depuis La Gouira jusqu’au Cap Bojador. Plus au nord et alors quasiment jusqu’à Essaouira et même Safi, le littoral océanique qui peut sembler tout aussi saharien pour le visiteur, du moins jusqu’aux confins de Tiznit, relève en fait de l’inframéditerranéen. Il est individualisé par une steppe plus arborée qui est celle de l’arganeraie, où prennent place le Gommier et le Thuya, et qui se trouve parfaitement identifiée par la végétation macaronésienne à dominante aphylle et succulente partagée avec les Iles Canaries.
Euphorbia echinus, E. resinifera, E. regis-jubae, Senecio anteuphorbium, Zygophyllum fontanesii, ainsi que : Asparagus pastorianus, Polycarpaea nivea, Sonchus pinnatifidus, Scilla latifolia, Helianthenum canariense, Astydamia canariensis, Odontospermum odorum, Lithospermum microspermum, Linaria sagittata, Chenolea canariensis, etc., donnent ce cachet macaronésien à des sites originaux de cette côte subsaharienne et de ses embouchures du Drâa, du Massa, du Souss et du Tennsift.

Les structures phytosociologiques sahariennes (source : Benabid, 2000) se divisent en associations arborées et groupements des regs. L’ordre des
Pergulario Tomentosae-pulicarietalia Crispae enveloppe deux alliances : Antirrhino ramosissimae-Zillion macropterae qui réunit les associations sahariennes septentrionales où Acacia raddiana (Mimosaceae) est prééminent et où se joignent selon les sites : Pergularia tomentosa (Asclepiadaceae), Pulicaria crispa (Asteraceae), Antirrhinum ramosissinum (Scrophulariaceae), Zilla macroptera (Brassicaceae), Rhanterium adpressum (Ateraceae), Fagonia zilloides (Zygophyllaceae), Zizyphus lotus (Rhamnaceae), Retama sphaerocarpa (Fabaceae). Quant à l’autre alliance, Acacio raddianae-Panicion turgidi, elle rassemble les structures du type savane désertique notées depuis l’Adrar Souttouf jusqu’au Drâa inférieur, et tient compte de : Acacia raddiana (Mimosaceae), Panicum turgidum (Poaceae), Balanites aegyptiaca (Zygophyllaceae), Acacia ehrenbergiana (Mimosaceae), Foleyola billotii (Brassicaceae), Rottboellia hirsuta (Poaceae), Maerua crassifolia (Capparidaceae), Aristida pungens (Poaceae). Le type rencontré sur les rocailles et qui occupe des surfaces considérables correspond à un seul ordre, celui de Gymnocarpo decandris-Atractyletalia et une unique alliance décrite, celle d’Atractylion babelii, avec : Atractylis babelii (Asteraceae), Fredolia aretioides (Anabase ou Chou-fleur de Bouhamama, dit sellaa) (Chenopodiaceae), Fagonia harpago et F. longispina (Zygophyllaceae).


Des Truffes dans le désert ?

Le jardin planétaire n’est pas avare en surprises, pour peu que l’on n’ait pas d’idées préconçues. Les amateurs de Truffes (du Périgord !) seront donc stupéfaits d’apprendre que des Truffes du genre
Tirmania (Tirmania pinoyi, T. nivea, T. ovalispora et T. africana), localement connues et confondues sous les noms de terfass blanc du Tafilalt ou zoubaïdi, peuvent être abondantes en périodes favorables sous climats aride et subsaharien, notamment dans les régions d’Erfoud et de Rissani (Tafilalt), ainsi que dans le Sud-Est, dans les secteurs de Figuig, Bouârfa, Tendrara et Aïn-Benimathar (Hauts Plateaux). On les récolte sous Helianthemum hirtum, le plus généralement dès la deuxième semaine du mois de décembre et jusqu'à la fin du mois de mars.


Survivre au Sahara : mille et une stratégies d’adaptation

« Être une plante au Sahara, ce n’est pas une sinécure :
il va falloir se défendre, ruser, trouver des trucs
pour limiter les pertes en eau par évaporation. »
Théodore Monod

« La plupart des gens trouvent que ce qui leur est arrivé est incroyable.
Les imbéciles, s'ils savaient ce que l'on sait faire. »
Anonyme

La Sahara n’ayant pas toujours été un désert, c’est en se desséchant que la région a contraint certaines espèces à s'adapter à des conditions extrêmes de chaleur et de xéricité, d’autres ont pris la tangente et ont cherché refuge plus au nord ou encore aux confins des régions tropicales, d’autres encore, moins chanceuses dans la grande loterie de l’évolution, ont rendu l’âme.

Dans cette immensité aride couverte de sable, de pierres et, on l'oublie souvent, de vieilles montagnes disséquées par l'érosion, la ténacité de la nature et la résistance des Hommes sont les atouts nécessaires à la survie. Le désert est un environnement très âpre où
le plus modeste avantage apporte une différence cruciale. L'adaptation au biome saharien induit un panel de micros perfectionnements métaboliques qui, pris isolément n'apportent qu'un mince avantage comparatif, mais qui perçus dans leur ensemble et conjugués à une modification du comportement, permettent la survie. De nombreuses espèces habitant les zones arides ne subsistent qu’à la faveur de ces types d’adaptations leur permettant de faire face aux facteurs les plus défavorables, notamment à l’extrême sécheresse, à la violence des vents chargés de poussières et de grains de sable. Comme dans tous les milieux extrêmes, l’adaptation la plus pointue est ici un passage obligé.

Les espèces devenues vraies déserticoles évoluent dans les hamadas, les regs et les ergs, au prix de subtils mécanismes favorisant l'économie de l'eau et permettant une salutaire régulation de la chaleur. Vivre la nuit ou sous terre est aussi un excellent mode pour esquiver les températures excessives. Certains subsistent au moyen de téguments durs et imperméables, d'autres métabolisent l'eau contenue dans les plantes consommées. Chez les animaux terrestres, la déperdition en l’eau se fait par la respiration, la transpiration et l'excrétion de l'urine. Nombreux habitants des écosystèmes sahariens rafraîchissent leurs narines et condensent l'eau qu'elles contiennent avant d’expulser l’air qu’ils respirent. Les déserticoles produisent des excréments très concentrés en acide urique solide et c’est une autre façon d’économiser les pertes d’eau par voies urinaires et fécales.

Si certains animaux résistent aux fortes chaleurs en vertu d’une régulation thermique particulière, la vie au fond d’un terrier représente pour les petites espèces un moyen quasi universel pour se protéger des ardeurs solaires. Les cavernes ont toujours été peuplées par des espèces épigées s’y repliant, notamment par exigences sciaphiles. Les caractéristiques avantageuses des vies troglodytes, souterraines ou endogées sont l’obscurité, une atmosphère plus humide et une amplitude thermique réduite. L'air y joue le rôle d'isolant thermique, en même temps qu'il est réchauffé et humidifié par la présence et la respiration des habitants. Mais comme on y perd l’espace pour se mouvoir largement, certaines adaptations morphologiques interviennent et autorisent alors de s’enfouir et de se déplacer.
Les espèces de grand gabarit n’ont pas cette faculté fouisseuse et ne peuvent se soustraire à la rudesse des conditions ambiantes, mais ils ont développé certaines facultés physiologiques particulières. Le Dromadaire, nommé vaisseau du désert, est connu pour sa résistance à la soif, à la chaleur, à la sous-nutrition protéique. Face aux contraintes du milieu désertique, il a développé un ensemble de facultés physiologiques remarquables qui lui ont conféré sa réputation légendaire. Grâce aux cils longs et aux muscles de leurs narines susceptibles de s’occulter, les Dromadaires sont ainsi protégés des vents de sable. Leur épaisse toison et leurs réserves dorsales de graisse constituent un écran protecteur à l’encontre des radiations solaires. Leur température corporelle variable augmentant le jour et diminuant la nuit leur économise les pertes d’eau par évaporation, d'autant qu'ils ne transpirent qu'au-delà de 41°C. Ils ne stockent pas l’eau mais sont aptes à supporter de fortes déshydratations et s’ils ne perdent qu’un litre d’eau par jour en urinant, ils peuvent en des conditions plus drastiques contrôler ce volume en deçà. Ils ne boivent que pour compenser leurs pertes et peuvent absorber alors 120 litres d’eau sans risque d'indigestion hydrique. Un Dromadaire qui a perdu un tiers ou plus de son poids ne montre aucun signe de fatigue. Des travaux menés par l'Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II de Rabat, ont permis de mettre en évidence d’autres particularités physiologiques témoignant également de son adaptation à la sous-nutrition minérale. Son taux élevé de vitamines D3, de dix à quinze fois supérieur que dans le sang des autres ruminants, contribue à expliquer une meilleure assimilation du calcium et du phosphore. La résistance des globules rouges aux déséquilibres osmotiques permet également de concentrer de fortes quantités de chlore ou de sodium. D’où la capacité hors normes du dromadaire à ingérer des fourrages et de l'eau salée sans que ses fonctions métaboliques en soient affectées. En résumé, tout se passe comme si son métabolisme était tourné vers une anticipation des périodes de sous-nutrition minérale, signant son adaptation à ces périodes de disette alimentaire par un complexe de mécanismes : augmentation du pouvoir d'absorption en prévision des pénuries, plus grande capacité de stockage de certains éléments minéraux, plus haute tolérance aux électrolytes, et maintien des activités enzymatiques de base en dépit des situations déficitaires. Les Gazelles ne sont pas aussi bien nanties mais elles misent sur le nomadisme pour assouvir leurs besoins, franchissant aisément de grandes distances aréneuses grâce à leurs larges sabots et puisant dans les plantes la majeure partie de l’eau qui vient à manquer en surface.

Quant aux petits Mammifères, pour parer aux chaleurs torrides, ils se réfugient dans des terriers durant le jour et ne recherchent leur nourriture que la nuit venue. Certains ont recours à la somnolence d’une diapause estivale durant les mois les plus chauds. Ils ne boivent pas, extrayant l'eau des plantes ou des graines dont ils se nourrissent. Presque toutes leurs fonctions physiologiques concourent à l'économie de l'eau et leur urine est particulièrement concentrée. Les Gerboises et les Gerbilles se déplacent très rapidement par sauts grâce à leurs pattes postérieures allongées, tandis que celles antérieures, courtes et fonctionnelles, servent à mieux creuser dans le sable. Les oreilles de ces Rongeurs sont fortement développées et ce caractère évolutif enseigne qu’une audition améliorée est privilégiée dans le domaine steppique où il convient de rester aux aguets. Chez le Lièvre, les larges oreilles irriguées par de nombreux vaisseaux sanguins contribuent aussi à une régulation thermique du corps.

Les Oiseaux sont démunis de glandes sudoripares sous leur peau et c'est leur plumage qui les protège du soleil, tendant à diminuer les risques de déshydratation. Ils ne s’adaptent à la vie désertique que par leur comportement, voire parfois par quelques modifications physiologiques, mais rarement anatomiques. La majorité se contentent de l'eau contenue dans leur nourriture mais quelques granivores se devant de boire, ils restent alors inféodés aux points d'eau. Les nidificateurs ne peuvent être que de véritables déserticoles : Corbeau brun, Bouvreuil githagine, Alouettes, Sirli, Traquets, Gangas, Courvite isabelle, Outarde houbara. Diurnes pour la plupart, ils se réfugient pour le repos et la nidification dans les rares zones dispensatrices d'ombre, les alouettes sous les buissons, les traquets dans les trous des rochers, unique stratégie pour éviter l’immédiate cuisson des œufs. Les championnes de l’adaptation à l’écologie saharienne sont peut-être les Gangas. La femelle est apte à nicher à même le sol, en vertu d’une poche abdominale antithermique lui permettant de rester couchée sur un sol brûlant jusqu’à 70 °C ! Les Gangas peuvent couvrir quotidiennement une centaine de kilomètres pour aller se désaltérer. Leur plumage ventral revêt des barbules lisses, démunis des habituels crochets traditionnels qui, enroulées en spirale, se déploient dans l'eau et l’absorbent par un jeu d’extensions capilliformes. De retour au nid, les poussins tètent le duvet gorgé d'eau

Les Reptiles steppicoles sont également dépourvus de glandes sudoripares, leur peau presque imperméable limite les déperditions aqueuses, leur urine est quasiment solide et leur ration d’élément liquide est satisfaite par leur seule nourriture. Variable, leur température est induite par le milieu. Léthargiques par temps froid, les Sauriens voient leur température interne s’élever au soleil et c’est leur propre comportement qui régit leur optimum corporel. Le Fouette-queue stock des réserves graisseuses dans sa queue afin de subsister durant les périodes de stress hydrique. La Tortue striée du Sud saharien se rafraîchit les membres avec sa salive, et son urine, très concentrée, n’est émise que lorsqu’une source d'eau lui permet de boire pour compenser sur-le-champ. Certaines espèces s’aménagent un terrier ou profitent de l’opportunité de crevasses rocheuses. D’autres, bien adaptées aux ergs, optent pour l’enfouissement. Face au sable sec et fin, certains Scinques montrent une morphologie très spécifique : leurs pattes sont atrophiées et leur corps est oblong. Une des espèces de Scinque a même totalement perdu ses pattes. Ces Scincidés évoluent donc en nageant sur le sable, comme des poissons dans l’eau, d’où le nom populaire de l’un d’eux : Poisson de sable. Chassant les Insectes à la surface de leur mer aréneuse, ils se meuvent dans le substrat sableux et s’immergent à la première alerte. Ces Scinques, tout comme les Seps, échappent aussi aux ardeurs solaires en s’enfouissant. La technique de certaines Vipères des dunes et des lits d’oueds, enfouies et ne laissant émerger que les cornes ou les yeux, obéit à une technique similaire. La chaleur n'est pas seulement un problème pour la vie de l'animal. Dans certaines régions de milieu désertique, les problèmes concernent le déplacement. Le sable mouvant des dunes est particulièrement hasardeux, notamment pour une fuite hâtive. Un simple pas de travers peut mettre le fuyard en danger. En conséquence, bien des Geckos des zones arides présentent des franges de poils garnissant leurs pattes et leurs doigts. Cet équipement autorise une locomotion sans enlisement dans le sable et permet ainsi de poursuivre avec une grande agilité les Insectes qui constituent leurs proies. Une espèce de Gecko habitant le désert du Namib possède même des pattes palmées bien qu'il ne marche jamais sur un sol humide et qu'il nage encore moins.
Les Arthropodes s’abstiennent de la moindre activité diurne aux heures chaudes et les espèces sont matinales, vespérales ou nocturnes. C’est le cas des Fourmis, Termites, Scorpions, Galéodes, Araignées, Ténébrions, Anthias, etc. Leur protection primordiale est la cuticule de leur exosquelette, véritable cuirasse de chitine (polysaccharide azoté) rendue quasi-imperméable par la sécrétion d'une matière cireuse. Beaucoup de larves de Lépidoptères mènent une vie hypogée ou endophyte à l’intérieur des racines, des bulbes, des stolons et des tiges aériennes. D’autres se protègent en tissant des fourreaux de soie agglomérant même parfois leurs excréments et des débris végétaux, fourreaux fixes ou mobiles. Les fourreaux fixes sont utilisés comme abris pendant le jour et les larves n’en sortent que pendant la nuit ou durant les journées calmes où le ciel est couvert, en quête de leur nourriture. D’autres espèces tissent des gaines de soie dans le sable, au pied des plantes nourricières et s’y réfugient les heures chaudes et ensoleillées.

Dotées d’adaptations adéquates pour affronter les contraintes écoclimatiques extrêmes, on peut cataloguer les plantes déserticoles en trois catégories : les annuelles, les Cactées et les plantes vivaces. Puisque les annuelles ne vivent qu'une saison, chaque génération doit produire assez de graines fécondes pour perpétuer l'espèce. Les graines dormantes ne germent que lorsque le taux d'humidité est assez élevé pour favoriser une croissance rapide et produisent alors une floraison tout aussi surprenante par sa profusion que par sa fugacité. Les Cactées, dont la morphologie est une véritable armure pour affronter le désert, survivent aux longues périodes de sécheresse en emmagasinant de l'eau dans leurs tissus spongieux. La plupart des plantes vivaces du désert sont de petits arbustes ligneux qui perdent leurs feuilles au cours de la saison la plus sèche.
Le substrat saharien est constitué de sols minéraux bruts, au mieux peu évolués (régosol, lithosol, ergs, barkhanes, regs), ponctués de nappes sodiques, qui résultent d’une érosion mécanique sans pareil. Sol et air surchauffés, évaporation intense, pénurie chronique d'eau, vents asséchants, températures nocturnes très basses, voilà bien des éléments hostiles, tant l'eau conditionne la vie. La disparition végétale est ainsi le trait dominant de ce paysage dont seuls les sols gris de steppe saharienne conservent néanmoins une modeste phytocénose et même encore quelques formations forestières, lesquelles ne s’expriment qu’au prix d’une pugnace adaptation ayant développé des stratégies de vie en réponse à ces contraintes. Outre leur nécessaire adaptation aux exigences inhospitalières de l’aridité, ces plantes doivent aussi accepter des sols très pauvres en humus mais particulièrement riches en sels (sulfates, chlorures, etc.). « Vivre au Sahara, pour une plante, n’est pas à la portée du premier pissenlit venu : ni le perce-neige, ni l’ancolie, ni la pivoine ne s’y trouveraient à leur aise. » (Théodore Monod).

On nomme éphémérophytes les plantes qui, à la faveur d’une pluie, bouclent leur cycle en un temps record après que la graine renfermant l'embryon à l'état de vie latente ait connu une longue période de dormance. C’est le mode opportuniste le plus spectaculaire. De la graine à la graine, en passant par la plante, la fleur et le fruit, peut ne demander que quelques jours en des conditions hydriques providentielles ! Le sol du Sahara se recouvre alors de ces splendides achebs de fleurs aux couleurs éclatantes. Les cryptophytes, quant à elles, rassemblent toute leur résilience dans des organes de repos leur permettant de franchir avec un métabolisme ralenti les périodes de sécheresse : bulbes, bulbilles, rhizomes. Ces deux catégories n’offrent aucun type d’apparence extérieur durant les périodes de stress hydriques et font coïncider leur phase de vie active (croissance, floraison, fructification) avec l’opportunité des précipitations. A l'inverse des autres plantes xérophytes, éphémérophytes et cryptophytes sont donc apparemment « absentes » de la steppe désertique en dehors des périodes humides. Les plantes succulentes (à sève) (aussi désignées sous les vocables de plantes grasses, charnues ou crassulescentes) bénéficient d’une autre stratégie : elles stockent l’eau dans leurs tissus. Ces sclérophytes misent sur l’économie et les xérophytes sur la résistance à la grande minéralisation qui est la conséquence d’une l’évaporation maximale. Les arbres et arbustes de la steppe désertique optimisent l’eau par un système racinaire démesuré atteignant les couches humides les plus profondes, réseau pouvant être kilométrique ! Ils sont équipés de feuilles à la cuticule épaisse et cirée. Chez certaines Graminées, c’est la multiplicité des racines qui fait leur force avec plus de 80 % de la surface de la plante enfouie. De tels végétaux sont surtout importants dans les ergs dont ils participent à une relative fixation. La plupart de ces psammicoles ont la capacité de développer des racines à partir de chaque élément recouvert par le sable. Il est dès lors difficile qu’ils soient étouffés totalement. Ils s’enracinent de nouveau et ouvrent leur chemin vers la lumière. Le sable porté par le vent s’entasse autour de la plante, retenu par l’enchevêtrement racinaire. De petits monticules atteignant parfois plusieurs mètres de diamètre se forment alors autour de ces plantes, créant des refuges et un environnement essentiel pour d’autres formes de vies déserticoles, notamment animales. Il suffit de constater le nombre de terriers creusés en couronne de ces élévations aréneuses autour d’une touffe de Graminée ou d’un ligneux : petits Mammifères, Reptiles, Invertébrés, tout le monde s’y retrouve. Dans les parties les mieux abritées d’un erg, certaines plantes peuvent même s’accrocher à la crête d’une dune. Interviennent aussi des racines fines et superficielles servant à l’absorption de l'eau des pluies fugaces ou bien de la rosée. Optimiser l'absorption de l'eau par l'appareil aérien est un autre système, très raffiné. Le port cactiforme, ou en candélabre, est alors privilégié et complété par la présence d’organes durs et pointus. La vapeur d'eau est ainsi condensée par les épines (c’est pourquoi il y a des épines aux Cactus !), puis en partie absorbée à travers les aréoles (zones situées à la base des épines), les cannelures des tiges ou les feuilles spécialement disposées en gouttière ou en rosette. Les épines acérées sont en fait des feuilles atrophiées. Toute cette structure pleureuse permet à l'eau collectée de s'écouler le long des plantes avant que de se perdre au sol et ces végétaux agissent comme de véritables brumisateurs de la steppe désertique. La forme en raquette du Figuier de Barbarie est également tout aussi ingénieuse qu’efficace. Les tiges vertes des Cactées, recouvertes d'une cuticule épaisse et caoutchoutée conservant l'eau emmagasinée, sont le siège d’une photosynthèse nocturne (ouverture des stomates où le CO pénètre sans perte d'eau). La plupart des plantes déserticoles ont ainsi l’épiderme protégé par un type de cire imperméable

Mais la forme la plus performante reste la sphère qui offre une surface minimale pour un volume maximal et c’est pourquoi la morphologie en coussin est si répandue dans les milieux steppiques tant sahariens que montagnards. L’Anabase ou Chou-fleur de Bouhamama, nommé
sellaa (Fredolia aretioides) est le modèle du genre. Appliquée au sol en coussin très dense, incrustée de sable, cette drôle de plante est hémisphérique avec une racine centrale pivotante, noire et excessivement profonde. Ce végétal champion de l’adaptation la plus opportuniste est si robuste et apte à la dessiccation externe qu’il présente l’aspect d’un petit rocher vert grisâtre. Spectaculaire et partout présent depuis Figuig jusqu’au Sud-Ouest saharien, il forme parfois des écosystèmes exclusifs. L’adoption d’un port sphérique n’induit pas uniquement l’aspect en coussin dru et serré mais peut revêtir l’élégante forme ouverte d’une touffe de tiges nombreuses. Ce « travestisme » opportun peut prêter à confusion et rendre une espèce déserticole parfaitement méconnaissable par rapport aux normes habituelles des autres membres de sa famille. Un exemple déroutant sont les espèces du genre Deverra, appartenant à la famille des Apiacées (ou Ombellifères) et qui sommairement ont davantage l’apparence d’une grande Graminée du type d’un Sparte que d’une Carotte ou d’un Fenouil. Dans la catégorie des habitus ambigus, on peut aussi citer les Euphorbes cactoïdes qui pour le néophyte ressemblent plus à des Cactus qu’à des Euphorbes habituelles. Les exemples sont innombrables.

Dû à la compétition pour l'obtention de l'eau, les végétaux sahariens sont généralement bien distancés par un phénomène d’allopathie. Les racines et les feuilles de certaines espèces vont jusqu’à produire des toxines qui tuent ou inhibent la croissance d'autres plantes à proximité. Tout ce génie de gestion des ressources hydriques pourrait initier une bénéfique réflexion chez l’Homme. A quelques pas de ces xérophytes à l’économie redoutable et qui font du développement durable comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, la première chose que demande le touriste dans une auberge saharienne est une douche de plusieurs litres d’eau.

L’Homme n’est pas naturellement adapté au désert et le Saharien tente par des stratèges comportementaux et quelques astuces vestimentaires de palier à cette déficience. Le besoin quotidien d’un humain actif dans le désert est de l’ordre de dix litres de boisson. Abandonné sans eau par une chaleur de 40 ou 50 °C, il meurt en quelques heures, deux journées au mieux. Depuis la préhistoire, toutes les grandes zones désertiques du globe sont néanmoins peuplées par un grand éventail de races humaines. Une peau fortement pigmentée assure une meilleure protection contre les rayons ultraviolets, mais les individus de peu de mélanine supportent bien la vie en pays chauds, il leur suffit d’éviter les risques d’une exposition trop directe au soleil. Faute d’oasis, le déplacement reste le stratège suprême. La plupart des peuplades du désert, telles que les Bédouins d'Arabie et les Touaregs du Sahara, sont des pasteurs nomades. Leur marche infatigable est dictée par le besoin de trouver de nouveaux pâturages et de nouveaux points d’eau pour leurs troupeaux. Les habitants du Sahara se couvrent le visage d’un voile ne montrant que les yeux et les membres de toutes les tribus vivant dans la steppe désertique s’enroulent un chèche sur la tête pour se protéger du sable, du soleil et des mouches, motivation physique à laquelle s’en ajoute d’ailleurs d’autres, d’ordres politique et religieux, notamment chez les Touaregs. Soit dit en passant, il n’y a pas de « vrais » Touaregs au Maroc, tous (300.000) vivent au Niger, en Algérie, en Tunisie, au Mali, en Libye et au Burkina Faso. Cette bande d’étoffe de fin coton et assez transparente puisqu’elle peut aussi faire office de lunettes qu’est le chèche, doit mesurer au moins trois mètres et se noue en ruban autour de la tête. Le reste de la tenue saharienne est constitué de vêtements « climatisés », c’est-à-dire amples et légers, en fibre naturelle, telle la gandoura ou la djellaba qui flottent au vent. Chez les populations sédentarisées dans des douars, la conception de l’habitat est riche en enseignement bioclimatique : murs épais en pisé traditionnel (argile crue et battue) assurant une isolation naturelle et maintenant une température assez constante, petites fenêtres privilégiant l’ombre au soleil, structuration de l’espace favorisant la circulation de l’air par convection, etc. Selon certains auteurs, le développement améliorable des habitations de terre aurait été freiné non pas par des limites technologiques, mais par une bureaucratie à laquelle ce matériau trop lié au concept de pauvreté faisait honte. La conception et le lieu d’installation de la tente nomade sont tout aussi riches d’enseignement et correspondent à une connaissance fort judicieuse du milieu et à des techniques opportunes de survie.

Pour qu’une surmortalité de 15.000 décès par déshydratation survienne en France durant une canicule très relative d’un mois d’août 2003, ou que certains touristes inconscients trouvent une mort subite par insolation dans l’Anti-Atlas de Tafraoute, il faut vraiment que l’Homme occidental soit devenu une « race » fragilisée et affaiblie à force de perte d’identité, de compromissions, de suréquipements illusoires, de peurs irrationnelles, de renoncement à la nature et d’une manière générale de divorce avec les éléments.


Une diversité de biotopes fragiles et fragilisés, des espèces et des espaces menacés

« Ici plus qu’ailleurs peut-être l’équilibre naturel est précaire. »
Yves et Mauricette Vial

« Parler de l’Homme dans la nature revient presque aujourd’hui à parler de l’Homme contre la nature. »
Théodore Monod

Le climat régional du Sahara marocain est parmi les plus arides avec une dominante océanique qui seule en atténue les extrêmes. La pluie n'y est pas régulière, et si peu abondante que la vie biologique ne peut réellement en dépendre. L'importance de l'alizé maritime boréal est le facteur le plus déterminant qui induit les caractéristiques si particulières de ce désert côtier « froid ». Températures modérées, humidité relative élevée, nébulosité bienfaitrice et fréquence des vents façonnent les milieux et les biocénoses locales. Il faut s'enfoncer loin dans les terres pour retrouver le grand climat saharien avec ses terribles écarts thermiques et ses écrasantes chaleurs estivales, comme sur le plateau du Tiris, un peu au nord-est de l'Adrar Souttouf, où l'on peut passer de 65 ° à - de 0 °C en quelques heures ! L'oscillation des masses d'air continentale et maritime qui s'opposent à cette latitude n'est guère favorable depuis quelques décennies à une pluviosité, déjà naturellement rare. Sa diminution progressive a aboutit à la persistance d'un cycle de sécheresse qui a conditionné une surdésertification réelle et préoccupante. L'assèchement de ces territoires depuis trente ans, n'est pas une hérésie, bien que nous soyons en régime désertique, la sécheresse n'est pas un corollaire automatique. Le gradient ouest-est qui voit diminuer les influences modératrices de l'Océan, au fur et à mesure que l'on s'enfonce dans les terres, témoigne parfaitement de l'influence de cet assèchement, aisément perceptible sur les strates arborées et arbustives des steppes arides de la région. A ces modifications climatiques, dorénavant exacerbées par le réchauffement global, qui ont déshydraté au siècle passé des gueltas auparavant généreuses et riches en Crocodiles, qui ont contraint tant d’espèces à l’extinction ou à l’exil, l’Homme ne s’est pas gêné pour « en rajouter ». Chasse intensive condamnant jusqu’au dernier survivant, avec des regrets pour les espèces éteintes et des alibis pour celles dont la persécution se poursuit froidement, pastoralisme désordonné saccageant des habitats sahariens très sensibles ou menaçant la quiétude des animaux sauvages, fureur destructrice de rallyes tout-terrain sillonnant le paysage hors piste sans le moindre souci de respect et cautionnée par l’évènementiel toujours récréatif, pression touristique anarchique condamnant certains secteurs (régions d’Erfoud et de Zagora entre autres), infrastructures et nouveaux aménagement démunis de la moindre étude d’impact, actions et présences militaires peu compatibles avec la fragilité des écosystèmes, etc., sont quelques exemples du mauvais traitement infligé aux espaces et aux espèces sahariennes.


Un peu de sang froid ! 
par Michel Aymerich

Michel Aymerich se définit lui-même « comme un politologue de formation et naturaliste de terrain par passion ». Il est engagé dans la lutte pour la sauvegarde de la faune (plus particulièrement de ses représentants victimes des préjugés) et des écosystèmes sahariens, notamment ceux du Maroc, pays d'où il est natif. Fidèle « au temps du rêve » de son enfance (clin d'oeil aux cultures des aborigènes d'Australie), il est un des fondateurs et animateurs du GERES (Groupe d'Études et de Recherches des Écologistes Sahariens).  A travers le GEOS (Groupe d'Étude et d'Observation pour la Sauvegarde des animaux sauvages et des écosystèmes), il milite aussi en faveur de l'émergence d'une nouvelle relation aux autres espèces ne consistant plus à croire que l'Homme est le couronnement de la création ou de l'évolution. Selon lui, il faut admettre que nous sommes une espèce parmi d'autres qui ont également évolué et que notre culture, du fait qu'elle a conduit à l'acquisition d'une capacité inégalée de nuisance, doit être profondément réformée afin de pouvoir enfin commencer à s'engager dans une démarche responsable envers les êtres vivants. Un rapport nouveau doit être instauré qui  nous permette de nous transformer en espèce généreuse et responsable, soucieuse de l'existence tant des autres formes de vie et des écosystèmes que des cultures restées intégrées à la nature. Il en va de notre propre survie.

« 
Tu traiteras avec les mêmes courtoisies serpents,
scorpions, tarentules et toutes espèces de bêtes nuisibles.
Nuisible, tu l'es toi-même plus que la bête :
est-ce toi-même que tu voudrais punir en elle ?
Laisse-la partir, et tes malices avec elle.
 »
Lanza del Vasto.

« 
Tu crois pouvoir écraser cette chenille ?Bien, c’est fait : ce n’était pas difficile.Bien, maintenant, refais la chenille…»Lanza del Vasto.

Fort de mon expérience saharienne du Maroc et animé depuis toujours pour des raisons philosophiques par le désir légitime de réconcilier « les sales bêtes » avec leurs tortionnaires que nous sommes par manque de connaissance et de rigueur sur nous-mêmes, je propose un dossier des Arachnides, avec une approche des Scorpions, des Solifuges et de quelques Araignées de rencontres faciles, ainsi qu’une approche de quelques Ophidiens du domaine saharien marocain. Tous animaux respectables et avec lesquels j’entretiens d’excellentes relations. Cela fait deux mille ans qu’une partie de l’humanité abhorre pour d’obscures raisons ces animaux et il me semble qu’avec un peu de « sang froid » étayé de quelques connaissances, ce jardin d’un purgatoire inventé pourrait enfin fermer ses portes. A moins que le Moyen-Âge ne doive se poursuivre, pour quelques temps encore...


Les Scorpions

« 
Comme le scorpion, mon frère,
Tu es comme le scorpion, dans une nuit d'épouvante.
Comme le moineau, mon frère,Tu es comme le moineau, dans ses menues inquiétudes.Comme la moule, mon frère,Tu es comme la moule, enfermée et tranquille.Tu es terrible, mon frère,Comme la bouche d'un volcan éteint...Et tu n'es pas un hélas, tu n'es pas cinq,Tu es des millions !Tu es comme le mouton, mon frère,Quand le bourreau habillé de ta peau,Quand le bourreau lève son bâton,Tu te hâtes de rentrer dans le troupeauEt tu vas à l'abattoir en courant, presque fier...Tu es la plus drôle des créatures, en somme,Plus drôle que le poissonQui vit dans la mer sans savoir la mer.Et s'il y a tant de misère sur terre,C'est grâce à toi, mon frère.Si nous sommes affamés, épuisés,Si nous sommes écorchés jusqu'au sang?
Pressés comme la grappe pour donner notre vin,
Irai-je jusqu'à dire que c'est de ta faute ?Non,Mais tu y es pour beaucoup, mon frère. »
Nazim Hikmet (La plus belle des créatures)

Ainsi donc, ces remarquables vers exaltent t’ils encore de mauvais sentiments à l’égard du Scorpion, vraiment bien mal loti dans l’émotionnel collectif, même sous l’instigation des poètes.

Le Scorpion est probablement la créature la mieux pourvue pour affronter les affres des zones dites désertiques. Il supporte des températures plus élevées que les Insectes ou les Araignées, et a le taux de perte d'eau le plus bas des animaux de ce milieu.


La famille des
Buthidae est particulièrement bien représentée au Sahara marocain où la liste non exhaustive comprend les espèces : Androctonus amoreuxi amoreuxi, A. aeneas A. australis A. crassicauda, A. mauretanicus mauretanicus, A. m. bourdonni, A. sergenti ; Buthacus occidentalis (faisant partie du complexe de B. leptochelys) ; Butheoloides (gigantoloides) aymerichi ; Buthus atlantis parroti, B. mariefranceae, B. rochati ; Hottentota franzwerneri gentili ; Microbuthus fagei maroccanus ; Orthochirus innesi.

Androctonus amoreuxi est une grande et magnifique espèce aux très belles proportions, de couleur jaune paille, pouvant atteindre une douzaine de centimètres. Sa zone de répartition couvre tout le Sahara, de Ghardaia jusqu’à Niamey, et se retrouve sans discontinuité du Sénégal jusqu’en Égypte. C’est un animal répandu dans les zones sablonneuses et les lits d’oueds où il creuse des galeries assez profondes. Il attend la nuit tombée, souvent posté à l’entrée de son terrier, les pinces à l’extérieur, ou bien en se tenant à l’affût à proximité de sa cachette, qu’une proie passe à sa portée pour se précipiter sur elle, l’attraper de ses pinces aux mains renflées, la neutraliser rapidement en la piquant, puis s’engouffrer aussitôt dans son terrier afin de pouvoir consommer l’objet de sa capture à l’abri de tous dangers. Et le Scorpion est perspicace car les dangers ne manquent pas : un homme ou un enfant malveillant, intimement persuadé qu’il ne s’agit là que de « mauvaises » bêtes ne méritant qu’un jet de pierre, un coup de bâton meurtrier ou un coup de talon vengeur, un chat domestique aux griffes adroites, un Chat ganté, un Oiseau encore. J’ai en effet été témoin d’un Cratérope fauve (Turdoides fulvus) consommant un gros Androctonus amoreuxi adulte. Un spécimen que je conservais à des fins d’observation illustre la puissance relative de ce magnifique représentant de la faune scorpionique. S’étant échappé du terrarium dont j’avais omis de refermer le couvercle, je retrouvais mon agile pensionnaire dans le terrarium voisin où la présence de l’ancien habitant des lieux, un Androctonus mauretanicus adulte, n’était plus attestée que par une pince encore munie de l’avant bras, de quatre anneaux et du telson. Androctonus amoreuxi, dont la DL (dose létale) est évaluée à « seulement » 0.75, était donc parvenu à vaincre l’espèce considérée comme potentiellement la plus dangereuse du Maroc (DL50 (mg/kg) 0.31 égale à celle d’A. australis = 0.32). Il faut savoir que la DL 50 ou dose létale 50 se mesure par la quantité de venin, administrée en une seule fois, qui cause la mort de 50 % des représentants d'un groupe d'animaux d'essai (généralement des Souris). Certains auteurs se basant sur sa ressemblance avec Androctonus australis (les jeunes des deux espèces sont très affins) commettent à mon avis l’erreur de considérer sur la base d’un « délit de faciès » cette espèce comme étant au même titre qu’Androctonus australis « redoutable » (Vial & Vial, 1974). Je prendrai pour élément de preuve l’expérience suivante.


Trois espèces, trois envenimations scorpioniques

Le 26 août 2000 au Maroc, à Tin-Zoulin (village situé entre Agdz et Zagora dans le Haut Drâa), j’avais été piqué du fait d’une maladresse par un très gros
Androctonus amoreuxi adulte. La conséquence, à mon grand soulagement, ne fut qu’une paralysie assez complète de l’auriculaire de la main gauche n’excédant pas une vingtaine d’heures. J’ai ressenti un engourdissement très résiduel jusqu’à la vingt-quatrième heure. Je n’ai eu ni fièvre, ni aucun autre désagrément. La douleur était parfaitement supportable et tenait davantage des suites d’une anesthésie que d’une douleur proprement dite. J’ai ensuite photographié mon Scorpion et par précaution je me suis rendu une heure trente plus tard à l’hôpital de Zagora. Je craignais de la fièvre ou d’autres symptômes susceptibles de contrarier la suite de mes prospections. A l’hôpital, les deux médecins de garde m’ont affirmé qu’ils recevaient chaque jour une quinzaine de personnes piquées mais que jamais depuis de longues années ils n’avaient eu à déplorer le moindre décès. Par contre, ils relatèrent que dans les environs de Marrakech, il y aurait des cas létaux occasionnés par des piqûres d’autres Scorpions. Je suppose qu’il s’agit d’Androctonus mauretanicus, voir d’A. aeneas, sans doute les seules espèces pouvant impliquer au Maroc des accidents sérieux. Ils me firent une injection à base de cortisone, puis je suis reparti de suite, aussi frais qu’un gardon, poursuivre mon travail de terrain et mes reportages photographiques.

La seconde envenimation fut plus banale. Fin décembre 2000, un mois après la première mésaventure, je me faisais piquer cette fois en France (se faire piquer à domicile est comme un luxe !), dans les environs de Montpellier, par un
Buthus occitanus adulte. La douleur, du moins dans les deux premières heures, m’a semblé plus intense (toute chose étant relative) que celle occasionnée au Maroc, bien que parfaitement supportable puisque je continuais à retourner les pierres et à photographier. J’ai ressenti quelque chose jusqu’aux environs de la quatrième heure, puis tout effet a ensuite disparu. Je me souviens qu’une piqûre de vive à la plage avait produit sur moi de bien plus désagréables conséquences, avec une douleur intense et m’empêchant d’entreprendre quoi que ce soit pendant une bonne demi-heure.

La troisième envenimation fut occasionnée également par un
Buthidae, une grande femelle d’Hottentota franzwerneri gentili que j’avais capturée à Agdz, dans la haute vallée du Drâa. Je conservais ce sujet vivant dans une boîte depuis une bonne semaine, il n’avait donc pu gaspiller tout le contenu de sa vésicule à venin. La piqûre fut parfaitement banale, je ressentis certes l’envenimation, mais elle me parut être plus indolore que celle du Buthus occitanus évoqué plus haut. Alors que j’étais parti à pied en excursion, continuant mes recherches sous les pierres, tout effet disparut au bout d’environ deux heures. Beaucoup d’habitants d’Agdz et de Zagora, où Hottentota franzwerneri gentili est assez répandu, m’ont raconté avoir été piqués par cette espèce et n’en avoir guère souffert la moindre conséquence. Ces expériences, les miennes comme celles des personnes assez nombreuses qui me relatèrent leurs bénignes piqûres, semblent contredire Vial & Vial dans leur ouvrage « Sahara milieu vivant » quant à la dangerosité supposée des espèces Androctonus amoreuxi et Hottentota franzwerneri gentili. L’expérience empirique souligne aussi le fait que les couleurs jaune d’A amoreuxi ou noire d’H. franzwerneri ne sont pas des critères valables d’évaluation de la dangerosité potentielle. Il va de soi toutefois qu’il faut éviter toute piqûre ne serait-ce que pour des risques éventuels d’allergie. Je tiens à préciser que ces piqûres ont toutes été le fait de maladresses de ma part, jamais l’expression d’une quelconque agressivité de la part des Scorpions.


Envenimations par
Androctonus australis et Androctonus mauretanicus. Des chiffres contradictoires...

Ces deux espèces potentiellement dangereuses peuvent occasionner des décès, notamment chez les jeunes enfants. Une étude portant en Algérie sur 20.164 cas de piqûres imputées à Androctonus austalis pendant une période allant de 1942 à 1958 a donné les résultats suivants : 386 décès, soit 1,27 % de décès chez les adultes (sans précision sur leur âge et leur état de santé), 3,66 % chez des enfants en âge d’être scolarisés, 7,78 % chez les petits enfants. D’autres études ont donné des résultats différents. Une étude réalisée à Sfax en Tunisie de 1967 à 1977, portant sur 29.402 piqûres qui seraient majoritairement imputables à A. australis a fourni le résultat suivant : 136 décès, soit 0,46 %. Un rapport réalisé à Sidi Bouzid, également en Tunisie, sur une période de 4 ans (de 1984 à 1987) et portant sur 118.000 piqûres, révèle 450 décès (0,38 %). Concernant A. mauretanicus, des auteurs marocains avancent une létalité globale de 8,2 % variant selon l’âge et les régions de 0 à 53 %. Toutefois les chiffres en ma possession n’indiquent pas les tranches d’âges et les pourcentages correspondants. D’où la possibilité qu’A. mauretanicus puisse causer plus de décès qu’A. australis, nonobstant le fait que la DL50 soit comparable.

Androctonus australis
est un Scorpion à très vaste répartition puisqu’il peuple l’Afrique (Mauritanie, Algérie, Tunisie, Libye, Égypte, Tchad, Somalie, Soudan) et l’Asie (Palestine-Israel, Arabie-saoudite, Yemen, Pakistan, Inde). Selon Günter Schmidt, elle serait également présente au Maroc (sans doute la ssp. hector), mais sans indication de sources, ni des stations dans ce pays. Rien d’étonnant compte-tenu de la proximité avec les sites algériens appartenant à la même zone bioclimatique.

Androctonus mauretanicus est une assez grande espèce de couleur noire qui peut atteindre 8 cm, caractérisée par une « queue » (metasoma) très épaisse, semblable par son aspect à celle d’Androctonus australis, une caractéristique qui associée à des pinces relativement fines permet généralement d’identifier une espèce potentiellement dangereuse pour l’Homme (notamment pour les jeunes enfants, personnes malades et âgées). Bien que très venimeux (DL 50 = 0.31), ce Scorpion est d’après toutes mes observations très placide. Si aucun Arachnide ne peut être considéré en toute rigueur comme « agressif » (un adjectif que je réserverais à un certain nombre de représentants de l’espèce humaine), certaines espèces sont plus excitables que d’autres, c’est-à-dire réagissent plus nerveusement et rapidement à une menace. Max Vachon en distinguait deux sous-espèces : celle nominative Androctonus mauretanicus mauretanicus et Androctonus mauretanicus bourdonni. Bien que Vial & Vial omettent d’en référer dans leur ouvrage, il s’agit d’un Scorpion remarquable à la fois du fait de sa dangerosité potentielle - il est sans doute l’espèce la plus dangereuse au Maroc (avec Androctonus aeneas qui lui ressemble beaucoup) - mais aussi parce que c’est un magnifique représentant des Buthidae de ce pays et de ses zones sahariennes. On peut le trouver parfois sous une pierre, parfois dans un trou creusé dans de la terre assez sèche, ou déambulant à l’occasion d’une nuit chaude à la recherche d’un meilleur substrat, d’eau, de nourriture ou d’une femelle lorsqu’il s’agit d’un mâle. Je l’ai appréhendé dans des secteurs variés mais le plus souvent semi-arides, dans une palmeraie à Zagora, aux abords des Oueds Assaka et Noun, aux environs de Bou-Jérif, à l’est de Guelmin (bioclimat aride) ou peu avant Tan-Tan (même bioclimat aride).

Orthochirus innesi est un Scorpion de petite taille qui adulte atteint 3,5 cm. Il est distribué sur la majeure partie du Sahara. Je l’ai personnellement contacté au sud de Zagora, à Assa et entre Assa et Aouinet-Torkoz. Il est également présent dans le Tafilalt. Il apparaît comme cantonné à des niches de survie, diffusion résiduelle témoignant d’une ancienne et plus homogène aire de distribution. Très impassible, même menacé il tente rarement de piquer. Il présente la particularité d’avoir la plupart du temps le metasoma nettement replié sur le dos de l’abdomen. Lorsqu’il se déplace, cette queue penche tantôt à droite et tantôt à gauche. Il semblerait qu’il soit tout à fait inoffensif, bien que son apparence extérieure le rapproche des espèces potentiellement dangereuses (pinces fines ou assez fines et queue épaisse). Malheureusement, lorsqu’il est découvert, il paye de sa vie les préjugés répandus à l’égard des Scorpions quels qu’ils soient.

Hottentota franzwerneri gentili, grande espèce de couleur foncée qui peut atteindre plus de 10 cm, est facile à reconnaître du fait de ses pinces allongées, de son telson légèrement rougeâtre et, chez les adultes, de sa queue dotée de nombreux et longs poils sensoriels. Dans les palmeraies de la Vallée du Drâa, il est assez commun. C’est un Scorpion ubiquiste qui fréquente tout aussi bien le Haut Atlas que le littoral atlantique ou le domaine saharien. Menacé, il peut fuir à toute allure jusqu’à son refuge, frappant de sa queue l’animal ou l’Homme qui tente de le saisir. Mais une fois rassuré, j’ai toujours pu prendre les différents exemplaires sur ma main. Il suffit de les laisser monter, sans jamais faire pression sur leur dos. J’ai rencontré de nombreuses personnes qui ont été piquées par Hottentota franzwerneri gentili sans conséquences sérieuses (voir également ma propre expérience). Toutefois des auteurs marocains rapportent que des cas de décès auraient eu lieu (O. Toloun, T. Slimani & A. Boumezzough).

Buheloides (gigantoloides) aymerichi est une espèce rare de taille moyenne (un peu inférieure à 5 cm), dont on ne connaît pas grand chose. Je l’ai découverte près de Tinerhir et Philippe Geniez l’a photographié près de Tan-Tan. La mise à jour ces dernières années de sept nouvelles espèces du genre Butheoloides (B. anniae de la Côte d’Ivoire, B. wilsoni du Burkina Faso, B. polisi de l’Éthiopie, B. hirsiti du Soudan et B. charlotteae du Nigeria, B. (Butheoloides) schwendingeri d’Algérie et enfin B. (gigantoloides) aymerichi du Maroc), dont certaines très éloignées des espèces déjà connues, a non seulement élargi considérablement l’aire de répartition de ce genre mais permis d’établir un modèle de répartition périsaharien. A la question posée par Max Vachon (1950) - comment expliquer la présence de formes apparentées de part et d’autre du Sahara ? - une hypothèse a été avancée par W. Lourenço. Le genre Butheoloides a certainement connu une géonémie plus vaste dans des régions qui se sont desséchées dans un laps de temps relativement court (quelques milliers d’années) jusqu’à former ce que nous appelons aujourd’hui le Sahara. La répartition du genre s’est alors rétrécie et celui-ci s’est retrouvé confiné dans des régions périphériques où les espèces composant ce genre pouvaient continuer à survivre tout en évoluant indépendamment les unes des autres. La découverte en 2000 de l’espèce Butheoloides (gigantoloides) aymerichi démontre que les régions présaharienne et saharienne du Maroc recèlent encore bien des richesses biologiques et notamment relictes du lointain passé verdoyant. Ne serait-ce qu’à ce titre la transformation parfaitement imbécile des Scorpions en porte-clefs vendus à des touristes ignares du respect de la biodiversité devrait être sanctionnée. Les phobies et préjugés ne peuvent servir de critères de non-considération pour telle ou telle « sale bête ». Les conséquences pour l’équilibre sont les mêmes que l’espèce soit subjectivement estimée récalcitrante ou sympathique et les retombées du génocide animal ou végétal sont déjà démontrées au niveau du devenir humain, dans le concept d’une qualité de vie libérée de la crise existentielle qui secoue la plupart des sociétés ayant dominé la nature.

La famille des
Scorpionidae comprend les plus grandes espèces de Scorpions existantes, parmi les plus inoffensives aussi, tel Pandinus imperator qui peut atteindre 20 cm. L’unique espèce qui se manifeste au Maroc est Scorpio maurus, presque omniprésent avec un minimum de cinq sous-espèces recensées sur le territoire marocain sur les dix-neuf que compte l’espèce sur toute son aire couvrant le Nord de l’Afrique, la Mauritanie, le Sénégal, le Niger, le Tchad, le Soudan, l’Érythrée et l’Asie mineure. Une sérieuse révision des formes géographiques marocaines pourrait amener à quelques rectifications dans les statuts taxinomiques et contraindre à l’élévation au rang spécifique de certaines sous-espèces fortes. Peut-être alors faudra-t-il parler non plus de Scorpio maurus comme d’une entité monospécifique mais comme du complexe de Scorpio maurus. C’est un Scorpion de taille moyenne susceptible d’atteindre 8 cm, doté de très larges pinces. Le concernant, j’ai parfois lu des choses surprenantes en parfaite contradiction avec mes nombreuses expériences liées à des représentants de cette espèce. A titre d’exemple, je cite la note d’élevage suivante parfaitement étonnante : « Son attitude défensive est des plus caractéristique : pinces ouvertes, queue relevée, haut sur pattes, il essaye de vous faire peur. Il ne détalera qu'après avoir essayé de vous faire goutter de son venin. Faites attention, il est très rapide sur une attaque ! » Rien de comparable quant à mon expérience. Les dizaines et dizaines de Scorpio maurus capturés n’ont jamais tenté de piquer, alors même que je les capturais sans précaution aucune, après les avoir contraints à sortir de leur terrier. Dans un livre récent d’une maison d’édition connue que je feuilletais par curiosité, quelle ne fut ma stupéfaction en découvrant le titre tapageur : « L’animal qui peut tuer en sept secondes » (sept, comme les sept merveilles du monde, comme les sept nains, comme les sept crétins...). Il est vrai que même concernant l’espèce la plus dangereuse, « sept secondes »… se vendent mieux auprès des esprits abouliques que des explications circonstanciées, des tableaux de chiffres contradictoires et nuançant les affirmations simplistes. Et sous ce titre, une prétendue représentation du « Scorpion du désert », illustré par un Androctonus australis (potentiellement dangereux) puis par des illustrations en vrac de Buthus occitanus (ou d’une espèce proche) et de deux photos représentant Scorpio maurus. Ce dernier tuerait donc en « sept secondes » ? Rien n’est plus faux ! Pour une personne non allergique (on peut être allergique aux cacahuètes ou à l’intelligence et mourir d’une piqûre d’Abeille...), cette espèce peut être considérée comme largement inoffensive.


Les Scorpions sont-ils « agressifs » ?

Je défends depuis des années l’opinion, qu’il m’est aisé de démontrer preuves en main à l’appui et ce à l’encontre de préjugés assez répandus, que les Scorpions ne sont absolument pas « agressifs » et ne piquent que dans certaines conditions, plus précisément quand on leur marche dessus, qu’on fait pression sur eux, de la main par exemple. Ainsi n’étais-je évidemment pas surpris d’entendre un habitant d’un village marocain me raconter l’histoire suivante : « Je dormais lorsque je ressentis se mouvoir sur mon corps, sous mes vêtements, quelque chose que je pensais être un Scorpion. Je frappais alors une première fois sur l’animal et il me piqua, je refrappais plusieurs fois et il me repiqua. Je fus piqué en tout trois fois à différents endroits de mon corps… » Cet habitant aurait évité l’envenimation scorpionique, qui certes fut sans gravité, s’il ne s’était pas imaginé à tort que la présence de ce Scorpion impliquait une volonté de le piquer. Il convenait tout bonnement de patienter jusqu’à ce que le Scorpion débouche hors des vêtements où il s’était glissé par erreur. Ou dans l’hypothèse où le Scorpion recherchait précisément la température et le substrat particuliers (un certain taux d’humidité peut-être) qu’offraient ce corps, il aurait fallu calmement, sans précipitation et surtout sans frapper, ôter un par un les vêtements en prenant soin de ne pas exercer de pression sur l’animal. Dans le cas où ce dernier se serait immobilisé sous les vêtements, une légère poussée aurait décidé le Scorpion à se déplacer sans le provoquer à piquer. Une fois l’attirail vestimentaire retiré - s’il ne s’agissait que d’une djellaba la chose est aisée – il convenait de l’inciter à entrer dans un quelconque récipient, voire même dans le creux de la main, en le poussant doucement derrière le bas de la queue, mais sans l’agresser en pressant sur le dos de l’abdomen, ce d’autant qu’un Scorpion de peut piquer une surface horizontale. Ainsi l’Homme aurait-il pu éviter simultanément les piqûres suivies d’envenimation et épargner la vie du Scorpion, prouvant qu’un Homme averti sait vivre en bonne santé physique et morale, et en paix avec la nature.

Pour ma part, bien que déconseillant de m’imiter car il m’a fallu des années d’observation pour apprendre à les manipuler, je prends dans les mains, je capture avec les mains et je referme mes mains sur toutes les espèces de Scorpions présentées ici. Le but n’étant pas une fanfaronnade comme de mauvaises langues pourraient le suggérer, mais de prouver la non-agressivité de ces animaux mal-aimés. Pourquoi vouloir démontrer cela ? Afin de contribuer à faire comprendre que la nature en tant que telle n’agresse pas l’Homme, mais que ce sont les femmes et les hommes des cultures issues de l’agriculture (celles de la « révolution » néolithique) qui l’agressent avec pour résultat non seulement la sixième grande extinction d’espèces (mais la première strictement occasionnée par les errances du comportement humain), mais aussi avec pour résultat la séparation artificielle de l’Homme en âme et corps, en Homme et animal, en Homme civilisé et sauvage ou barbare, des guerres incessantes, la malnutrition à grande échelle, la pollution chimique et autres de la biosphère, la raréfaction de l’eau potable manquant à des centaines de millions d’habitants, le désarroi, le pessimisme quant à l’avenir, etc.

L’Homme peut et doit se ressourcer auprès de la nature, la nature véritable. Pas celle des seuls petits Oiseaux qui chantent et des Moutons dans les pâturages ou de la nature stérilisée des gazons ras voleurs d’eau si précieuse, et encore moins celle des jardins géométriques à la française. Mais la nature sauvage qui « décide » elle-même de ce qui peut exister et comment. Les premiers Scorpions, animaux marins à l’époque, sont apparus au Silurien il y a 400 millions d’années, les Scorpions terrestres 50 millions d’années plus tard. Ils existaient donc bien avant l’apparition de l’
Homo sapiens, bien avant celle des Hominidés et des Mammifères en général. Ils ont fait la preuve de leur capacité à traverser les âges, c’est une des raisons qui forcent au respect et à reconsidérer l’ensemble de notre rapport à la nature sauvage. Un rapport qui doit être à l’opposé de ce que reflètent ces quelques lignes trouvées sur un site internet déplorable : « Les Scorpions... On en a « chassé » quelques-uns sous les Arganiers. Méthode : soulever les pierres plates (de la forme d'un gros pain), saisir la bête avec une pince, tremper l'Arachnide détesté dans de l'alcool à 90° et attendre cinq minutes qu'il crève. Fermer le pot et aller faire peur aux copains. » Ce qui précède est une manifestation du résultat désastreux dont nous avons hérité après plusieurs milliers d’années de développement d’un processus nuisible que Théodore Monod expliquait avec les mots suivants. L’Homme « va sauter en dehors du dispositif naturel auquel hier encore il appartenait et auquel le maintenait lié un pacte magico-rituel. Il va pouvoir dès lors intervenir de l’extérieur, dans le sens que l’on devine, libéré de tout scrupule et avec des moyens matériels sans cesse perfectionnés (...) A ce rythme, la prédation est devenue destruction, la Raubwirtschaft, l’ « économie de proie », peut enfin se donner libre cours, le divorce entre l’Homme et sa biocénose est acquis, celui qui obéissait désormais commande ; la nature pour lui est une proie à saccager plus qu’un capital à ménager. »

Il reste pourtant l’argument des accidents, dont certains mortels, occasionnés par certaines espèces. A cela je réponds, certes il y a des accidents, mais ils sont avant toute chose le fait de la misère et de l’ignorance, c’est-à-dire un fait économique et social, donc un fait politique dans la mesure où le politique n’est qu’un concentré de l’économique. En d’autres termes des Hommes portent la responsabilité de la misère d’autres Hommes et le « scorpionisme » ou la nature en général ont bon dos. Que chacun puisse porter des chaussures et soit en mesure de comprendre qu’il n’est pas recommandé de marcher pieds nus une nuit chaude d’été, ou encore que les femmes ne soient pas contraintes par la misère à ramasser du bois mort, faute de pouvoir se payer du gaz, et alors beaucoup d’accidents seront évités. Par ailleurs si certains se préoccupent tant d’éviter les accidents, alors qu’ils s’attaquent à ceux occasionnés par d’autres facteurs que la seule « nature » dont l’humanité a besoin comme une plante son sol nourricier. Elle en a aussi besoin ne serait-ce que pour ne pas risquer de se retrouver seule face à elle-même.
Rien que les accidents de la route au Maroc ont en vingt ans fait 1.200.439 victimes, dont 60.878 morts ! « En 2002, il y a eu 52.137 accidents sur les routes marocaines, ce qui représente une hausse de 308 % ; 3761 personnes sont décédées et 81.465 ont été blessées. 73 % des accidents se sont produits dans des villes, mais 66 % des décès sont intervenus à la suite d'accidents en rase campagne. 49 % des véhicules impliqués dans des accidents de la circulation étaient âgés de plus de 10 ans », précise La Vie Économique du 18 juillet 2003. Ne peut-on pas penser qu’après Auschwitz et les massacres à la machette du Rwanda, un des problèmes fondamentaux de notre époque désenchantée et obnubilée par le fétichisme techniciste est le rapport de l’Homme à l’Homme perdant tout repère existentiel dans un tête à tête désespérant ?


Les Amblypyges

Ces Arachnides étonnants, semblant sortis tout droit des fonds marins, présentent des caractéristiques les unes propres aux Scorpions, les autres aux Araignées et à d'autres groupes d'Arachnides. Ils ressemblent par ailleurs assez aux Uropyges absents du continent africain (à l'exception d'une espèce importée).  Les Amblypyges possèdent huit yeux et un corps très aplati à abdomen segmenté. Leur première paire de pattes extrêmement fines et à la taille démesurée leur sert à appréhender le monde environnant en tâtonnant et en tapotant. Ils déambulent alors à l’aide de leurs six pattes restantes. Leurs pédipalpes sont quant à eux très épineux, ce qui leur sert à saisir et percer leurs proies avant de pouvoir les déchiqueter avec leurs chélicères. Peu nombreux en Afrique du Nord et au Sahara en raison de leurs besoins hygrométriques élevés, une espèce au moins témoigne par son existence relictuelle d’une répartition passée considérablement plus importante, alors que le Sahara était une vaste contrée bien arrosée. Il s’agit de
Musicodamon atlanteus qu’on retrouve au Maroc, notamment à Agdz et à Tata.


Les Solifuges

Voici un autre animal « parfaitement adapté à son milieu », comme on dit ! Observation sotte : comment en serait-il autrement ? Les Solifuges (littéralement « qui fuient le soleil ») appartiennent à un groupe particulier, s'apparentant à la fois aux Araignées et aux Scorpions. La preuve, les habitants - fins taxinomistes - le nomment tout à la fois « Scorpion du vent » ou « Araignée du désert » ! Les espèces de cet ordre ressemblent à de grandes Araignées velues et peuvent mesurer une dizaine de cm. Elles se distinguent notamment des Araignées par une série de caractères morphologiques : un abdomen segmenté un peu à la manière des Scorpions, deux pinces énormes juxtaposées qui leur permettent de perforer leurs proies, voire de les dilacérer. Ces chélicères améliorés et dirigés vers l’avant peuvent en outre fonctionner séparément l’un de l’autre. Ils sont couverts de longs poils sensoriels disposés ici et là sur toute la surface de leur corps, ce qui leur confère un aspect hérissé. Les pédipalpes très développés servent aussi à la locomotion et donnent aux solifuges l’apparence d’avoir dix pattes au lieu des huit, caractéristique des Arachnides comparativement aux Insectes qui n’en possèdent que six. Il existe plus de six cent espèces peuplant les steppes désertiques chaudes du monde.

Le Maroc est riche d’au moins vingt sept espèces de solifuges, répartis en cinq familles et plus de dix genres. La famille des
Dasiidae concerne les genres Biton, Bossia et Blossiola avec un total de six espèces ; celle des Karschiidae ne comprend que quatre espèces dans le seul genre Eusimonia ; celle des Rhagodidae rassemble deux genres monospécifiques, Rhagodes et Rhagodira ; la famille Solpugidae est riche de quatre espèces rattachées à deux genres qui sont Oparbella et Solpuga ; et enfin la famille des Galeodidae, qui renferme les galéodes les plus connues : il s’agit de Galeodibus olivieri et Othoes saharae.

 Les Solifuges ne vivent que dans des habitats très dénudés, évitant les zones d'activités intenses comme les oasis, préférant les espaces ouverts et vides des steppes sahariennes. Très sédentaires, ils se tiennent la plupart du temps dans leur trou, lequel est parfois très profond. Lorsque la faim les tenaille, ils émergent à la nuit tombée, se transformant alors en redoutables prédateurs. Leurs proies peuvent être - toutes proportions gardées - de grande taille et s’il arrive que de grands sujets s’attaquent à de petits Lézards et même à des Micromammifères, leur prédation habituelle ne semble se diriger qu’à l’endroit d’Insectes divers et de Scorpions. L’animal localise sa victime au hasard de son itinéraire. Apte à des accélérations foudroyantes, il fonce alors sur sa proie à une vitesse déroutante, l'agrippe avec ses deux longs pédipalpes, organes de préhension, et la victime est aussitôt happée par les chélicères qui malaxent et broient son corps pour en extraire toute la substance liquide. Au bout d'une minute, une grosse Sauterelle est ainsi transformée en un méconnaissable petit paquet de pulpe. La Galéode n’est qu’une déchiqueteuse sur pattes, qui ingère jusqu’aux limites de ses capacités. Circulant comme un éclair, notamment lorsqu’elle se sent menacée, l’œil humain ne peut la suivre. Mais ce métabolisme élevé a un prix : les Solifuges vivent rarement plus d'une saison. Selon une fausse croyance, un Solifuge pris dans une chevelure humaine ne serait capable de se libérer qu’en cisaillant les cheveux avec ses chélicères. Dans certains pays d’Afrique, on le surnomme « coupeur de cheveux » !

On rencontre au Maroc quelques espèces impressionnantes, telle que
Galeodibus olivieri , dont la fatale réputation est d’être très dangereuse, sinon mortelle. Bien qu’impressionnante par sa grande taille au stade adulte, dotée de chélicères spectaculaires mais dépourvus de glandes à venin, cette galéode comme les autres ne présente pas le moindre risque pour l’espèce humaine. Il se peut que la croyance en sa dangerosité provienne tout simplement d’un préjugé. Une personne mordue peut évidemment s’infecter avec un instrument coupant utilisé pour extraire un venin inexistant et, panique aidant, l’effet désastreux peut avoir des conséquences fatales. C’est ainsi qu’entre méconnaissance et croyance, la rumeur entretient la légende. L’habitude des riverains du Sahara de conjurer les « Scorpions du vent » est en tout cas de leur planter un canif dans le ventre.


Les Araignées

Les Araignées sont parvenues à coloniser tous les déserts et leur effectif est proportionnel à la taille des populations d'Insectes qui représentent leurs ressources trophiques. Dans le milieu saharien, peu d’entre-elles tissent des toiles pour attraper les Insectes ailés et la plupart capturent leurs proies au sol. Les Lycoses et les Mygalomorphes sont les plus emblématiques. La plupart de ces Araignées, munies du corps robuste caractéristique d'un animal fouisseur, habite un nid souterrain. Celles vivant à la surface sont plus petites et plus légères. Les
Araneidae, Eresidae, Dysderidae, Philistatidae, Salticidae, Sparassidae, Therididae, etc. sont bien représentées au Sahara marocain. En voici quelques-unes pour se familiariser.

L’Argiope lobée (
Argiope lobata) est une Araneidae présente dans les milieux secs du Sud de la France et qui se retrouve le long de la côte Atlantique. Je l’ai trouvée non loin de l’Oued Drâa au nord de Tan-Tan ainsi qu’au bord de l’Oued Cheibeika.

Eusparassus dufouri est une grande Araignée de la famille des Sparassidae, dotée de longues pattes et qui s’abrite sous les grosses pierres des biotopes arides, paysages d’apparence martienne où l’on imagine difficilement que la vie puisse exister sur le modèle terrien ! Il suffit alors de retourner une pierre pour la découvrir. Affolée d’être ainsi exposée aux rayons brûlants du soleil, elle tourne autour de sa pierre avec agilité, s’efforçant de retrouver un abri et de se protéger. Si on tente de la capturer, elle peut effectuer des bonds d’une trentaine de centimètres, se déplacer à reculons ou latéralement et s’enfuir à une telle vitesse qu’il faut courir derrière elle pour ne pas la perdre. Bien que sa taille puisse intimider les esprits impressionnables et que localement les habitants la craignent, cette espèce n’est pas dangereuse.

Dans la famille notoire des
Therididae, la Veuve noire, Latrodectus tredecimguttatus, parfois encore considérée par certains comme une sous-espèce de Latrodectus mactans, appartient à un genre mythique dont les espèces sont réparties sur tous les continents (Amérique du nord au sud, Europe méridionale, Asie, Afrique, Australie). Au Maroc, elle a été contactée au sud jusqu’à Dakhla. La femelle se tient la tête en bas, c’est-à-dire le céphalothorax et l’abdomen orientés vers le sol, vit dans des anfractuosités de rochers, sous des pierres, à la base de buissons où elle construit une toile en forme d’échafaudage mais sans nappe horizontale, avec des fils tendus au sol. Elle est capable de capturer des proies disproportionnées avec sa petite taille. J’ai ainsi pu trouver une femelle protégeant ses cocons qui avait capturé et vidé de sa substance un relativement gros Scorpion du genre Buthus. Elle y parvient forte de sa position sous une pierre, laquelle laisse peu de possibilités de retraite à sa proie, et grâce aux fils très collants et solides qu’elle envoie et à son venin actif. Un venin qu’elle n’emploie que lorsqu’elle s’est assurée que sa victime est bien empêtrée dans les nombreux fils envoyés. Cette espèce est considérée comme possédant un venin dangereux, pour les petits enfants notamment. Je n’ai pas de chiffres concernant la région considérée, mais des statistiques américaines établissent que sur une période de vingt sept ans, « seulement » quatre pour cent des morsures ont été suivis d’une issue mortelle. Ce pourcentage est probablement exagéré car de nombreuses morsures n’ayant pas entraîné la mort n’ont pas été recensées. Néanmoins, le seul fait qu’une Araignée de petite taille puisse provoquer la mort ne serait-ce que d’un enfant peut frapper l’imagination. C’est sans doute l’une des raisons de la croyance non fondée que les Mygales, qui peuvent être énormes en comparaison d’une Latrodectus, sont très dangereuses. Bien qu’il soit douteux que les Latrodectus sahariennes puissent tuer qui que ce soit, leurs morsures ont pu entraîner de tels désagréments que de bien plus gros Arachnides (Lycosidae, Sparasidae et Solifugidae) sont perçus comme mortels. Ironiquement, alors que je montrais quelques « Veuves noires » à des habitants d’Agadir, ils me répondirent : « Mais non, ça fait rien ça ! » Car « ça » était petit et insignifiant, rien de comparable avec les Solifuges effrayants mais… dépourvus de venin. Chez les Latrodectus seules les femelles peuvent provoquer des accidents, les mâles beaucoup plus petits sont tout à fait inoffensifs. Les nombreuses « Veuves noires » du Maroc ou de France que j’ai pu observer n’ont jamais montré d’agressivité, surtout si on entend par-là un comportement agressant et l’Araignée attaquant un doigt situé à quelques centimètres ou moins. J’ai d’ailleurs pu les manipuler à plusieurs reprises sans me faire mordre, chose que je ne recommande toutefois pas, ne serait-ce que parce qu’un mauvais geste d’un manipulateur inexpérimenté est toujours possible. Les accidents sont produits, par exemple, lorsqu’en enfilant un pantalon ou une chemise, l’Araignée s’étant aventurée dans un vêtement, cette dernière se trouve pressée contre la peau et mord pour éviter l’écrasement. J’ai vu plus une fois un berger dormant à même le sol l’après-midi, alors que sous les pierres environnantes de nombreuses Veuves s’y trouvaient. Chose qu’il ignorait manifestement. Mais il n’avait en effet rien à craindre, les Araignées à ces heures-ci ne sortent jamais de leurs cachettes. Le même Homme se trouvait par contre certainement en danger réel lorsque prenant son vélo, sa mobylette ou encore sa voiture, il parcourait les routes de la région. Un apparent paradoxe qui en dit long sur la perception complètement erronée qui sévit dans les esprits apeurés face à la nature, mais obnubilés par la technique malgré les ravages en vies humaines qu’elle peut provoquer.



Les Serpents  

Ils ne laissent personne indifférents. Si dans la Genèse et les trois grands monothéismes (judaïsme, christianisme et islam), le Serpent est d’une essence diabolique, il n’en est pas de même dans toutes les cultures et n’en a point été ainsi de tous temps. Au contraire. Chez les Chaldéens, il n’y avait qu’un seul mot pour dire vie et Serpent. En arabe, le mot el-hayyah désigne le Serpent et le mot el-hayat la vie. El-Hay était un dieu, « le vivifiant », c’est-à-dire celui qui donne la vie ou est à la base même de celle-ci. Avant d’être détrôné et diabolisé par les religions monothéistes, le Serpent était un dieu ancien, originel que l’on retrouve dans maintes cultures.
Néanmoins, le mythe diabolique du Serpent s’est imposé, il persiste et a même traversé en Occident le siècle des Lumières pour continuer pernicieusement, pareillement à la ville et dans les esprits que dans la ruralité et sur le terrain, à menacer constamment l'équilibre de la « création ». Il semble que cette aversion vindicative témoigne d’une altération des fonctions intellectuelles (psychose) et d’un rapport honteux à une sexualité mal vécue qui n’aura de cesse tant que les femmes et les hommes ne se délivreront pas définitivement de leur complexe d’être des animaux qui dans leur spécificité humaine demeurent essentiellement égaux aux autres.

L’ordre des Ophidiens, ou Serpents, est représenté au Maroc saharien par vingt espèces réparties dans quatre familles.

Leptotyphlops macrorhyncus ou Couleuvre vermiforme est un Serpent fouisseur de la famille des Leptotyphlopidae qui n’a été recensé que dans quelques stations septentrionales du Sahara (moyenne Vallée du Drâa) et semble absent du Sahara marocain, bien que sa présence soit certaine en Mauritanie. Parfois stupidement appelé « Serpent minute », bien que parfaitement inoffensif, il présente un habitus vermiforme, à l’instar des Amphisbènes du genre Blanus, avec une coloration uniforme brune ou rose pâle, des écailles dorsales et ventrales lisses et brillantes, et une queue courte aussi grosse que la tête. Il vit dans les zones arides et semi-arides, fréquentant les éboulis rocheux et se nourrissant principalement de larves de Fourmis. Il est le Serpent le plus petit de la zone considérée, sa longueur maximale ne dépassant pas les 30 cm.

La famille des
Colubridae dénombre plusieurs espèces sahariennes : la Couleuvre fer-à -cheval (Coluber Hippocrepis), la Couleuvre algire (Coluber algirus intermedius), la Couleuvre à diadème du Maghreb (Spalerosophis dolichospilus), la Couleuvre à diadème de Clifford (Spalerosophis diadema), la Couleuvre à capuchon (Macroprotodon cucullatus cucullatus), le Serpent-chat d’Afrique du Nord (Telescopus dhara obtusus), la Couleuvre fouisseuse à diadème (Lytorhynchus diadema diadema ), la Couleuvre commune d’Afrique (Lamprophis fuliginosus fuliginosus), le Serpent mangeur d’œuf (Dasypeltis scabra scabra ), la Couleuvre vipérine (Natrix maura), la Couleuvre de Montpellier (Malpolon monspessulanus monspessulanus), la Couleuvre de Moïla (Scutophis moilensis), la Couleuvre de Schokar (Psammophis schokari). Certaines pénètrent largement le Sahara, d’autres ne se tiennent qu’aux abords présahariens, soit confinées au versant méridional de l’Anti-Atlas, soit franchissant le pas jusqu’aux régions des Bas et Moyen Drâa.
 
La Couleuvre fer à cheval (
Coluber hippocrepis) un beau Serpent qu’on rencontre également en Espagne, atteint l’étage saharien à sa lisière nord. Elle a été trouvée notamment à 20 km au nord-est de Tan-Tan, ainsi qu’à Assa. Elle peut dépasser 1,50 m et même exceptionnellement atteindre 1,78 m (selon P. Geniez & M. Thévenot), taille spectaculaire qui peut lui valoir d’être l’une des victimes propitiatoires des charmeurs de Serpents qui l’exploitent auprès de touristes. Ces derniers sont ravis d’avoir eu l’oh  combien ! « grand courage » de supporter avec quelques frissons consommateurs un Serpent souvent moribond  passé comme une ficelle autour de leur cou si sensible (qui sait si le Serpent ne pourrait pas subitement acquérir la puissance d’un Anaconda de 8 m…) Je me souviens de cette belle Couleuvre fer à cheval capturée alors qu’elle traversait une route agricole lors d’une nuit très chaude. Après l’avoir admirée et photographiée, nous avions décidé qu’il serait plus prudent pour elle de l’éloigner des bermes de cette route. En pleine nuit, nous la transportâmes toujours plus loin vers des buissons, jusqu’à nous perdre, ne pensant qu’à la sécurité de l’admirable animal. Une fois relâchée, nous ne pouvions plus retrouver notre voiture, tant nous nous étions éloignés dans la nuit noire ! Lorsque nous repassons sur cette route de ce Maroc que nous aimons tant, nous ne pouvons nous empêcher de nous poser la question : « Est-elle vivante et libre ? » , et d’espérer que loin des coûts de bâtons et jets de pierres meurtriers, loin aussi des charlatans de la place Jemaa-El-Fna de Marrakech, et autres lieux d’abêtissement touristique, elle continue de vivre sa vie de Serpent.

La Couleuvre-diadème du Maghreb (
Spalerosophis dolichospilus) est un endémique du Maroc. Elle était considérée et l’est parfois encore comme une sous-espèce de Spalerosophis diadema qui lui succède dans les régions sahariennes situées plus au sud. Elle fréquente les zones présahariennes et celles situées au nord du Sahara. Je l’ai trouvée près d’Aouinet-Torkoz et peu avant Mhamid, deux régions du Nord du Sahara marocain. Ce très beau Serpent hélas fréquemment victime des automobilistes est également exhibé par les charmeurs peu scrupuleux de la durée de vie de ce qui n’est pour eux qu’un objet renouvelable. Pourtant Spalerosophis dolichospilus est « l’une des espèces les plus menacées au Maroc » (Soumia Fahd).

La Couleuvre à diadème de Clifford (
Spalerosophis diadema) possède une vaste géonémie. On la retrouve dans toute l’Afrique du Nord, la péninsule Arabique, l’Afghanistan et l’Inde. Au Maroc, cette Couleuvre est très rare et n’existe qu’au Sahara, dans une zone comprise entre les environs de Tarfaya et Laâyoune, ainsi qu’à l’est jusqu’à Smara. Elle mérite une protection urgente.

La Couleuvre de Moïla (
Scutophis moïlensis) qui présente la particularité d’imiter le Cobra en dilatant son cou en forme de coiffe est une Couleuvre opisthoglyphe, c’est-à-dire venimeuse. Mais à l’instar de la Couleuvre de Montpellier, Malpolon monspesulanus, elle est inoffensive du fait de la position de ses crochets situés en arrière de la mâchoire. Elle peut atteindre la taille déjà respectable d’1,40m. Sa livrée est de couleur sable et elle fréquente principalement les régions sahariennes. Discrète, on la rencontre hélas plus souvent écrasée sur les routes qu’au long des promenades naturalistes.

Contrairement à sa
derivatio nominis, la Couleuvre de Montpellier (Malpolon monspessulanus) est répandue bien au-delà de la ville qui lui a donné son nom. De couleur vert olive, les mâles de ce grand Serpent à fière allure, très rapide et chassant à vue, peuvent dépasser les 2 m (au Maroc elle atteint exceptionnellement 2,17m). Elle court la malchance d’être l’une des victimes préférées des montreurs de Serpents, lesquels s’approvisionnent auprès de chasseurs spécialisés qui vont jusqu’à entasser une soixantaine d’exemplaires dans une pièce, où les plus grands spécimens n’ont plus comme recours pour survivre que le cannibalisme au détriment de leurs congénères plus petits. Une fois sur ce haut lieu du tourisme qu’est la place Jemaa-El-Fna de Marrakech, je remarquais qu’une Couleuvre de Montpellier, laquelle avait été passée sans ménagement autour du cou d’une touriste italienne, vivait ses dernières heures. Surmontant mon indignation face à tant d'inconscience et motivé par mon désir de lui expliquer que l’animal avec lequel elle s’était faite grandiosement photographiée était moribond, j’allais voir la touriste. J’espérais l’aider à comprendre qu’il ne fallait pas encourager ce genre de pratiques aussi anti écologiques que cruelles. Elle me rétorqua avec une infinie stupidité : « Mais c’est la vie ! » Opistoglyphe, ce Serpent est cependant complètement inoffensif comme en témoignent mes centaines de morsures. Une seule, particulièrement prolongée, avait provoqué une envenimation qui n’avait produit qu’un léger gonflement du doigt, phénomène qui disparut au bout d’une ou deux heures.

La Couleuvre de Schokar
(Psammophis schokari) est une autre Couleuvre opisthoglyphe. Mais à l’instar de la Couleuvre de Montpellier, Malpolon monspesulanus, elle est inoffensive du fait de la position de ses crochets situés en arrière de la mâchoire. De forme très effilée, elle peut atteindre 1,20m. Au Maroc, elle couvre la presque totalité du pays, Sahara marocain inclus. Sa répartition s’étend du Sénégal en Inde. C’est un Serpent qui occupe les étages bioclimatiques semi-aride, aride et saharien. Diurne et très agile, elle chasse à vue principalement des Lézards.

Le Serpent mangeur d’œuf (
Dasypeltis scabra), tout comme la Couleuvre commune d’Afrique (« commune » mais rarissime au Maroc) et la Vipère heurtante, est un autre témoin de la persistance au Maghreb occidental d’une faune à affinité tropicale. Ce Serpent aux mœurs remarquables est extrêmement rare au Maroc, avec seulement dix observations réalisées entre mai 1969 et mars 2002, dont une au sein du Sahara marocain, les autres dans le bioclimat inframéditerranéen de l’arganeraie qui illustre sa limite septentrionale. Trophiquement tributaire des seules pontes d’Oiseaux qui constituent son régime exclusif, cette Couleuvre ne dispose donc que de quelques mois pour être active et faire son plein de nourriture, après quoi elle se retire dès mai-juin dans un abri pour jeûner jusqu’à la prochaine saison. Ce bel animal est fortement menacé par les agressions diverses : violences vindicatives à son égard, épandages de biocides très nocifs à sa zoocénose (surexploitation agricole agressive de la région du Souss-Massa), destruction de son habitat par l’aménagement (région d’Agadir), mortalité accidentelle sur les routes. Cette Couleuvre inoffensive peut être confondue au premier regard avec l’Échide à ventre blanc (Echis leucogaster), une Vipère au venin très dangereux. Comme cette dernière, sa tête est ronde, son museau court et ses pupilles fendues verticalement à la manière des Vipéridés (en règle général, un des critères d’identification des Colubridés, en France notamment, est leur pupille ronde), ses écailles dorsales sont carénées, les motifs qui ornent sa robe et sa couleur générale sont semblables. Son comportement mimétique est tel qu’il imite le fameux antipredator behavior des Échides en adoptant la même position de défense et en stridulant, bien que plus faiblement. Il est désespérant de constater qu’une si précieuse espèce ne bénéficie pas du moindre programme volontariste de conservation, en dehors de textes tout aussi légaux qu’incantatoires. Il est urgent de tout mettre en œuvre pour la sauvegarde effective non seulement de Dasypeltis scabra, mais de tout un cortège herpétologique du grand Sud-Ouest marocain et du domaine saharien comportant notamment Lamprophis fuliginosus, Bitis arietans, Echis leucogaster, Telescospus tripolitanus et Naje haje. Et de même pour bien d’autres Serpents en d’autres régions où les menaces identifiées sont plurifactoriels.


Seul représentant maghrébin des
Elapidae, le Cobra d’Afrique du Nord, ou Cobra d’Égypte (Naja haje) se retrouve jusque dans l’extrême Sud du Mozambique. Il est le Serpent par lequel Cléopâtre se serait suicidée. Le Cobra d'Afrique du Nord est représenté au Sahara marocain par la sous-espèce Naja haje legionis. Sa présence semble de plus en plus aléatoire dans le triangle Agadir-Ouarzazate-Laâyoune où il était prééminent jusqu’au siècle passé, avec des extensions vers l’est jusqu’à Figuig, vers le nord-ouest aux environs d’Essaouira, vers le sud-ouest jusqu’à l’oued Assag et vers le sud-est jusque dans le Zemmour à Aïn-Timellousa, non loin de la frontière avec la Mauritanie. De préférence actif au crépuscule, voire nocturne durant la saison chaude, il devient diurne le reste de l’année, se nourrissant de Rongeurs, d’Oiseaux, d’Amphibiens et de Reptiles, dont d’autres Serpents. Il est considéré par certains comme le plus grand Serpent d’Afrique du Nord, un exemplaire d’une taille de 2,55 m ayant été rapporté. Toutefois au Maroc sa taille dépasse rarement 1,60m et le plus long exemplaire mesuré dans ce pays atteignait 1,81 m. Son venin est potentiellement létal, mais à l’exemple des autres Serpents venimeux, il n’injecte pas toujours à l’occasion d’une morsure une quantité suffisante de venin. Ainsi un Aïssaoui dont le métier était de capturer les Cobras afin de les vendre aux charlatans de la place Jemaa-el-Fna à Marrakech, me raconta qu’après avoir été mordu une fois il alla se coucher, dormit et se réveilla comme si rien ne s’était passé. Son envenimation avait été légère, au plus un léger engourdissement de la zone mordue. L’absence d’agressivité commune aux Serpents peut être illustrée par le témoignage suivant. Le même Aïssaoui venait une heure auparavant de capturer un magnifique exemplaire d’une taille d’1,50 m ou plus, et me le montra sur le chemin du retour. Le Serpent, sorti du sac où il avait été enfermé, se mit immédiatement en position de défense, il écarta largement ses côtes cervicales, déploya typiquement sa coiffe imposante ou capuchon afin d’intimider son ravisseur, puis moi-même qui m’approchais muni de mon objectif de 55 mm. Je le photographiais de très près, à environ 90 cm, sans qu’il manifeste une quelconque intention de se rapprocher, démontrant que les Cobras n’attaquent pas et cherchent seulement à intimider l’ennemi supposé. Au Maroc et ailleurs, le Cobra est menacé d’extinction, il a déjà largement disparu de régions d’où il était relativement abondant comme des abords de l’Oued Assaka, à l’ouest de Bou-Jérif, et dorénavant les chasseurs se sont rabattus vers l’Oued Drâa, au nord de Tan-Tan. Ce Serpent, l’un des joyaux du biopatrimoine marocain et précieuse relicte tropicale, demande des mesures draconiennes de conservation. Sans doute faudrait-il d’une part interdire leur prélèvement dans leur milieu naturel à quelque fin que ce soit, d’autre part entreprendre des élevages permettant d’alimenter en venin les instituts de fabrication de sérums et d’approvisionner aussi les véritables Aïssaoua, ceux qui savent manipuler des Cobras sans leur arracher leurs crochets, pratique qui les condamne à des chancres buccaux, à des infections diverses et à une mort prématurée. Il faudrait également interdire leur éradication systématique par des bergers et autres marcheurs habiles à manier le jet de pierres et le bâton, une interdiction accompagnée de campagnes d’information sur leur utilité, leur comportement et l’attitude à adopter en cas de rencontre avec un Cobra. Pour ce qui concerne leur utilité dans la régulation des Rongeurs, les exemples ne manquent pas. Ainsi, une véritable explosion des effectifs de Psammomys obèses, ou Rats des sables, peut être observée là où les Cobras, ainsi que les Vipères heurtantes, étaient auparavant relativement nombreux. Évidemment, si on tue les Serpents on aura des Rats. Voilà pourquoi dans l’Égypte ancienne, entre autres, on les utilisait comme gardiens du foyer (et du stock de Blé). Dans la catégorie des Serpents bienfaisants, les Égyptiens avaient adopté certaines espèces jugées inoffensives en tant qu'animaux domestiques pour veiller sur leur maison et les débarrasser des Rongeurs qui causaient à cette époque de véritables ravages dans les greniers à grains, et transmettaient des maladies contagieuses. Les Égyptiens avaient une telle maîtrise des Ophidiens dangereux comme les Vipères et les Cobras, qu'ils les élevaient avec précautions pour les lâcher la nuit dans le territoire ennemi ou pour les introduire au cœur des pyramides afin de protéger les trésors des rois défunts contre ce qu'ils considéraient comme le plus grand crime : la profanation et le pillage des tombes royales.

Dans la famille des
Viperidae, cinq espèces sont présentes au Maroc à l’étage saharien, dont quatre en sont spécialistes selon divers degrés d’intégration : la Vipère de Mauritanie (Macrovipera mauritanica), la Vipère à cornes (Cerastes cerastes), la Vipère de l’Erg (Cerastes vipera), la Vipère heutante (Bitis arietans) et l’Échide à ventre blanc (Echis leucogaster).

La Vipère à cornes (
Cerastes cerastes) est sans doute le Serpent le plus emblématique des régions sahariennes auprès du grand public. Sa répartition est vaste, puisqu’on la trouve dans l’ensemble du Sahara, de l’Océan atlantique à la Mer rouge, et au-delà jusqu’au Moyen-Orient. Elle est une habituée des milieux désertiques, à l’exception toutefois des grands ensembles dunaires. En été, c’est une espèce erratique qui peut parcourir de longues distances en soirée ou la nuit à la recherche d’une proie. Je l’ai vue inspecter des terriers de Rongeurs et autres petits Mammifères. A l’occasion elle ne dédaigne pas une Grenouille. Elle peut atteindre plus de 70 cm. Ses cornes sont parfois absentes. Peut-être serait-ce le noyau d’apparence « logique » qui expliquerait pourquoi à Mhamid comme à Aouinet-Torkoz on peut rencontrer des habitants croyant que les « cornes sont les crochets au repos »...

La Vipère de l’erg ou Vipère des sables (
Cerastes vipera) se distingue de Cerastes cerastes non seulement par l’absence de cornes, critère qui comme nous l’avons vu n’est pas toujours fiable, mais aussi par la disposition des yeux situés plus au-dessus de la tête, un peu à la manière d’une sole. Lorsqu’elle s’enfouit dans le sable, elle laisse alors dépasser ses seuls yeux. Sa répartition couvre une bonne partie du Sahara et on la retrouve jusque dans la péninsule Arabique. Au Maroc, elle n’est présente que dans un petit nombre de stations situées dans les régions sahariennes. On la trouve dans l’Erg Chebbi, les ergs de Mhamid et d’Iriki, ainsi que dans les dunes le long du littoral occidental depuis Aoreora jusqu’à Laâyoune, puis d’une façon plus parcellaire jusqu’en Mauritanie. C’est un Serpent de petite taille qui dépasse rarement 40 cm. Découverte ensablée sous une pierre et contrainte à quitter sa cachette, elle fuit rapidement, tentant de mordre quiconque s’approche d’elle. Mais contrairement à ce qui est affirmé, je ne l’ai jamais vu faire des « bonds », mais se détendre à environ un tiers de sa taille, ce qui me laissait beaucoup de latitude pour l’approcher et la macrophotographier. Une fois enfouie sous le sable, se croyant à l’abri, elle se calme et ne tente plus la moindre riposte. J’ai pu alors l’approcher à quelques centimètres sans qu’elle ne bouge d’un iota.

L’Échide à ventre blanc (
Echis leucogaster ) est considérée par certains auteurs comme un synonyme d’Echis arenicola, voire comme une sous-espèce : Echis arenicola leucogaster. En général la systématique du genre est l’une des plus compliquées et l’objet de beaucoup de controverses. L’intérêt particulier que revêt la détermination exacte de l’espèce et de la sous-espèce, notamment au Maroc, vient de ce que dans ce pays aucun sérum spécifique n’y est produit ou ne s’y trouve disponible. Or du fait des variations importantes observées entre les Echis dans la composition du venin et de ses effets sur les personnes mordues, un sérum produit à partir d’une espèce donnée (ou considérée comme telle), voire d’une sous-espèce estimée, peut s’avérer d’une efficacité douteuse, sinon inopérant dans le traitement d’une morsure d’une autre espèce ou sous-espèce. C’est une Vipère qui dépasse rarement les 60 cm, bien que des exemplaires de 83 et 87 cm aient été signalés, mais pas au Maroc à notre connaissance. L’explication pourrait être que les Échides dans ce pays vivent dans des régions très arides où les proies ne sont guère abondantes. L’Échide à ventre blanc, dont l’existence au Maroc est assez méconnue, est donné comme l’un des Serpents les plus rares du pays. Il en existe toutefois plusieurs stations et la population la plus généreuse semble se trouver aux alentours d’Aouinet-Torkoz, dans la province d’Assa-Zag, à 50 km de Tindouf, au nord du Sahara marocain. Plus au sud, une station existe dans la région du Zemmour, près de l’Oued Makil, au sud-ouest d’Amgala et une autre station en Mauritanie, mais tout près de la frontière marocaine, à Kreyma-El-Maijat. L’exemplaire représenté ici est le premier à avoir été photographié vivant en Afrique du Nord-Ouest. Une caractéristique des Échides est leur faculté de striduler assez fortement, une faculté qu’ont Cerastes cerastes et C. vipera, bien que chez ces dernières, la stridulation soit moins sonore. Pour ce faire les Échides placent leurs corps en cercles concentriques puis ondulent en déplaçant en sens contraire leurs anneaux adjacents. Ce faisant elles frottent leurs flancs aux écailles obliques et fortement carénées, et se gonflent d’air. Le poumon et le sac à air du Serpent servent alors de « soundbox ». Une Couleuvre, le Serpent mangeur d’œuf (Dasypeltis scabra), semble imiter les Échides en stridulant, bien que plus faiblement. Tant par les motifs de sa robe que par son aspect général et par l’attitude adoptée au moment de la stridulation, le Serpent mangeur d’œufs ressemble étrangement à l’Échide à ventre blanc.

Dans la littérature spécialisée, les
Echis entre autres sont fréquemment présentées comme des Serpents particulièrement « agressifs ». Ayant une autre définition du concept d’agressivité et ayant observé tout autre chose, je crois utile de relater mon expérience. Par ailleurs j’aimerais savoir comment en toute rigueur ceux qui parlent de l’agressivité de tel ou tel Serpent définissent ce concept et si ce mot sous leur plume n’en recouvre pas un autre : celui d’irritabilité ou d’excitabilité. Ainsi, ayant capturé le mois d’août 2002 une Echis leucogaster afin de continuer à la photographier dans de bonnes conditions, je peux décrire ce qui fut son comportement à différents moments. La première fois que je la vis, la nuit en maraude, longeant une espèce de muret, je m’approchais doucement d’elle et la photographiais à plusieurs reprises sans qu’elle manifeste la moindre « agressivité » ou excitabilité. Elle n’adopta pas cette première fois le comportement de défense (antipredator behavior) caractéristique du genre Echis. Lorsque je la capturais à l’aide d’un terrarium, en la poussant légèrement muni d’un modeste bâton, elle entra dans le piège très facilement. Ce ne fut qu’une fois enfermée et quand je l’observais à travers les parois transparentes qu’elle stridula bruyamment. Le lendemain, avant de partir pour la remettre en liberté, alors que je la montrais à la famille d’un ami marocain, sa sœur me dit avec insistance qu’il fallait la tuer. Outré en général à l’idée d’exterminer les Serpents qu’ils soient ou non venimeux et indigné qu’on me propose de détruire le représentant d’une des espèces de Serpents les plus rares du Maroc, je réagis en démontrant que les Serpents - et les Échides pareillement aux autres - n’attaquaient pas si on ne les agressait pas. Je fis sortir l’animal, le laissais se mouvoir librement dans la pièce où je me trouvais et… m’asseyais à terre. La Vipère en cherchant un abri où se cacher approcha ma cuisse nue (je portais un short) et glissa quelques secondes le long pour s’éloigner de nouveau… Elle ne stridula pas et ne manifesta pas la moindre irritabilité à cette occasion. Plus tard, mise à l’extérieur sur le sol pour une séance photographique, alors que le soleil brillait, elle tenta de trouver un abri avec une certaine vigueur. Comme je l’obligeais à stopper, elle adopta son comportement de défense, stridulant bruyamment. J’ai remarqué que les Serpents comme les Scorpions, exposés au soleil et craignant pour leur vie, s’empressaient de fuir et résistaient énergiquement à toute tentative de retarder leur fuite vers un abri. Une fois protégée sous un petit arbre, je titillais l’échide à l’aide d’un bâtonnet afin de la contraindre à adopter différentes attitudes de manière à pouvoir les photographier. Chaque fois elle tentait de fuir. S’étant réfugiée dans une cavité peu profonde, je décidais de la contraindre à en sortir en la poussant avec une petite branche. Ce fut la seule fois où elle manifesta ce qui pourrait ressembler à une forme d’agressivité si tant est que l’autodéfense puisse y être assimilée. Elle sortit de sa cachette et fit face en dardant sa langue et en avançant de quelques centimètres pour immédiatement après tenter de prendre la tangente.

La Vipère heurtante (
Bitis arietans) est une autre relicte tropicale et n’existe au Maroc que dans une partie limitée du pays, le long d’une bande allant de Taliouine en passant par Bou-Jerif (ouest de Guelmin), Tarfaya, Laâyoune, Lemsid, jusqu’à Boudjour. On peut supposer qu’elle se retrouve plus au sud encore dans les environs de Dakhla, mais sa présence n’y a pas été démontrée. Sa répartition sur le continent africain est très vaste, puisqu’on retrouve l’espèce jusqu’en Afrique du Sud. Pouvant atteindre 1,50 m de long pour un poids de 7,5 kg, une taille record de 1,95m ayant même été signalée, elle ne dépasse habituellement pas 1,20 m au Maroc. La raison principale est à notre avis qu’un grand exemplaire se fait particulièrement remarquer par les nombreux bergers et autres prédateurs qui sillonnent le pays, lesquels s’empressent soit de la tuer, ce qui est chose aisée étant donné la placidité et la lenteur de ce Serpent, soit la signalent aux Aïssaoua qui n’auront aucune difficulté à la retrouver. Pareillement au Cobra, elle est le Serpent le plus exhibé sur la place Jemaa-el-Fna. Elle mérite d’urgence des mesures volontaristes de protection. Ce joyau de la faune reptilienne du Maroc, notamment de ses provinces sahariennes, ne doit pas un jour connaître le sort contre lequel Ali Ben Bongo, le ministre de la Défense du Gabon, avait mis en garde à l’occasion d’une anecdote personnelle relatée à un journaliste. Un jour alors qu’il visitait le zoo de San Diego aux États-Unis, il avait pu découvrir une Vipère du Gabon (Bitis gabonica), un Serpent assez proche de la Vipère heurtante. Fasciné par l’animal et fier d’apprendre qu’il était originaire de son pays, il avait cependant éprouvé un certain malaise devant ce face-à-face en terre étrangère : il lui avait fallu venir en Californie pour découvrir ce formidable Serpent, joyau de la faune gabonaise !  Nous ne pouvons souhaiter aux Marocains de connaître une situation telle qu’il leur faudra se rendre en Europe ou aux États-Unis pour contempler en vivariums des espèces chez eux éteintes. C’est hélas ce qui est exactement en train de se passer concernant les Bitis marocaines. On en constate couramment la présence chez des terrariophiles, alors qu’elles deviennent de plus en plus difficiles à observer sur le terrain. Gageons que dans un futur proche la possibilité de les observer en liberté pourrait faire partie d’un « tourisme » écologique digne de ce nom et du concept qualifié de durable.


L’avifaune saharienne

D'une part, l'avifaune de tous les écosystèmes subdésertiques présente, aux périodes migratoires de printemps (fin février à début mai) et d'automne (septembre à novembre), une certaine similitude avec celle rencontrée dans les milieux oasiens, en particulier dans les zones favorables arborées et aux abords des points d'eau permanents ou temporaires (dayas plus ou moins salées bordées ou non de végétation, gueltas, ripisylves des bords d'oueds sahariens, etc.), où se concentrent alors notamment beaucoup d'espèces européennes ou nord-africaines insectivores, en transit vers leurs quartiers d'hiver subsahariens ou tropicaux ou, à l'inverse, de retour vers leurs aires de nidification. On peut ainsi noter dans ces endroits propices, et durant des périodes limitées durant l'année, des concentrations significatives de nombreux représentants d'espèces appartenant aux diverses familles des Sylviidés, des Muscicapidés, des Turdidés, des Laniidés, etc. Dans les autres régions plus sèches et moins favorables de la frange subsaharienne marocaine, beaucoup de ces espèces migratrices ne feront guère que transiter rapidement en survol, ne s'y arrêtant que fort peu.

D'un autre côté, la large frange subdésertique, caractérisée par des écosystèmes particuliers (acaciaes, balanitaies, steppes arborées à Armoises ou à chaméphytes, hamadas pierreuses ou regs, dunes sableuses ou ergs, ...), héberge également tout un cortège d'espèces nettement plus spécialisées, mieux adaptées aux conditions locales extrêmes de sécheresse et de température.
 
Dans les steppes à Armoises (
Artemisia inculta et autres), localisées surtout dans la partie orientale du pays (hauts plateaux, zones écotones entre le Moyen Atlas et le Haut Atlas, ...), et occupant de vastes étendues, les espèces aviennes nidificatrices caractéristiques du biome méditerranéen sont, notamment, la Perdrix gambra (Alectoris barbara), le Sirli de Dupont (Chersophilus duponti), l’Alouette de Clot-Bey (Rhamphocorys clot-bey), l’Alouette bilophe (Eremophila bilopha), la Fauvette mélanocéphale (Sylvia melanocephala), la Fauvette à lunettes (Sylvia conspicillata), le Traquet oreillard (Oenanthe hispanica) et le Traquet à tête grise (Oenanthe moesta). Quant à l'avifaune nidificatrice appartenant au biome saharien, elle y est représentée, entre autres, par le Grand-duc ascalaphe (Bubo (bubo) ascalaphus), l'Ammomane du désert (Ammomanes deserti), l'Ammomane élégante (Ammomanes cincturus), le Sirli du désert (Alaemon alaudipes) et le Roselin githagine (Rhodopechys githaginea). La rarissime et particulièrement menacée Outarde houbara (Chlamydotis undulata) y survit aussi tant bien que mal, tandis que le Ganga unibande (Pterocles orientalis) et le Ganga cata (Pterocles alchata), assez erratiques, sont caractéristiques de la zone, pouvant même occasionnellement y devenir extrêmement abondants, lors d'invasions épisodiques spectaculaires. Le Corbeau brun (Corvus ruficollis) y prend la place du Grand Corbeau (Corvus corax). En hiver, le discret et rare Pluvier guignard (Eudromias morinellus), d'origine scandinave et écossaise, est aussi ici un hôte régulier.
 
Les formations d'Acacias (ou acaciaies), relictes de la flore tropicale, sont représentées par plusieurs espèces du genre
Acacia, caractérisant les zones de transition entre la région méditerranéenne et la région saharienne proprement dite. Le Gommier du Maroc (Acacia gummifera), endémique, est encore bien implanté en zone méditerranéenne (Sous, Tadla, Rehamna, ...), constituant d'ailleurs l'espèce dominante de la végétation primitive du Haouz des environs de Marrakech, et atteignant même au nord les environs de Casablanca. L'avifaune de ces acaciaies méditerranéennes est assez semblable à celles déjà abordées dans les zones forestières proches, telles les iliçaies, les oléastraies et les arganeraies. Quelques espèces sédentaires plus caractéristiques des acaciaies, comme le Cratérope fauve (Turdoides fulvus), peuvent aussi présenter à ces latitudes leur limite nord de distribution africaine.

Plus au sud, en zones présahariennes et sahariennes marocaines, ainsi qu'entre les chaînes atlasiques et le véritable désert saharien, aux confins algériens et mauritaniens, deux autres espèces d'Acacias,
Acacia ehrenbergiana et Acacia raddiana, sont les mieux représentées (Vallée du Drâa et Djebel Sarhro par exemple), offrant aux riverains leur ombre bienfaitrice au milieu de paysages lunaires. Dans ces véritables savanes arborées, l'avifaune est ici plus proche de celles des régions désertiques africaines, bien que comptant toujours certaines espèces méditerranéennes. Ainsi, plusieurs espèces désertiques y prennent la place, en vicariance, d'espèces proches méditerranéennes : le Corbeau brun (Corvus ruficollis) y remplace le Grand Corbeau (Corvus corax), systématiquement très proche ; le Guêpier de Perse (Merops persicus) prend la place du Guêpier d'Europe (Merops apiaster) ; Jadis, le Vautour oricou (Torgos tracheliotus), complètement disparu aujourd'hui au Maroc, remplaçait ici le Vautour fauve (Gyps fulvus) du nord du pays, plus petit et moins puissant, mais lui aussi quasi disparu du pays en tant que nicheur.

Les savanes d'Acacias présahariennes sont aussi le domaine d'élection de toute une série d'espèces dont les populations locales sont bien adaptées à ces conditions extrêmes, comme le Courvite isabelle (
Cursorius cursor), l'Ammomane du désert (Ammomanes deserti), le Sirli du désert (Alaemon alaudipes), la Pie-grièche méridionale (Lanius meridionalis elegans), le Traquet à tête blanche (Oenanthe leucopyga), la Rubiette de Moussier (Phoenicurus moussieri), l'Agrobate roux (Cercotrichas galactotes), le Cratérope fauve (Turdoides fulvus), le Roselin githagine (Rhodopechys githaginea) et le Bruant striolé (Emberiza striolata).
 
Les écosystèmes arborés pouvant difficilement se développer dans les déserts caillouteux plus ou moins plats (regs, hamadas) et sur les dunes de sable sahariennes (ergs), ce sont surtout quelques espèces de chaméphytes et diverses espèces de Chénopodiacées (
Hamada scoparia, Nucularia perrini, Anabasis spp., Salsola spp.) qui subsistent. Cependant, dans ces écosystèmes, les conditions climatiques très rudes (sécheresse persistante, écarts thermiques journaliers très forts, vents violents, etc.) ont pour conséquence une faible densité de la couverture végétale, c'est-à-dire une faible productivité primaire. Les espèces aviennes (généralement résidentes ou, plus rarement, visiteuses d'été strictes) y sont donc, elles aussi, relativement rares et particulièrement bien adaptées. Ce sont surtout des espèces xérophiles et plus ou moins erratiques selon les saisons, qui essaient de profiter au mieux des pluies sporadiques et irrégulières régénérant localement la maigre végétation.
   
Les regs et hamadas, occupant surtout la zone saharienne, sont habités par l'Outarde houbara (
Chlamydotis undulata), le Courvite isabelle (Cursorius cursor), le Ganga couronné (Pterocles coronatus), le Ganga tacheté (Pterocles senegallus), le Grand-duc ascalaphe (Bubo (bubo) ascalaphus), l'Engoulevent d'Égypte (Caprimulgus aegyptius), l'Ammomane élégante (Ammomanes cincturus), l'Alouette bilophe (Eremophila bilopha), le Sirli du désert (Alaemon alaudipes), la Pie-grièche méridionale (Lanius meridionalis elegans),la Dromoïque du désert (Scotocerca inquieta), le Traquet du désert (Oenanthe deserti), le Traquet à tête blanche (Oenanthe leucopyga), le Traquet à tête grise (Oenanthe moesta), le Roselin githagine (Rhodopechys githaginea). Lorsqu'il existe, à proximité, des falaises rocheuses où ils peuvent établir leur nid, on peut encore y observer certains Rapaces, comme la Buse féroce (Buteo rufinus), le Faucon lanier (Falco biarmicus erlangeri) et le Faucon de Barbarie (Falco pelegrinoides), qui fréquentent ces milieux en quête de leurs proies, ainsi que la très locale et énigmatique Hirondelle du désert (Ptyonoprogne fuligula), dont une sous-espèce particulière atteint ces régions en limite nord de son aire de répartition géographique. 

Dans ces milieux très arides, on trouve encore, localement : le rare Traquet deuil (
Oenanthe lugens), notamment dans les régions d'Ouarzazate,  d'Errachidia, de Boudnib, du Djebel Sarhro, du Bas Drâa et de Goulimine ; la Fauvette naine (Sylvia nana), particulièrement dans la maigre végétation du Tafilalt ; le Ganga de Lichtenstein (Pterocles lichtensteinii), dans le Djebel Bani et dans le Moyen Drâa.

Outre les espèces migratrices en transit qui ne s'y arrêtent guère sauf s'il existe des points d'eau ou des zones arborées favorables (tamaris par exemple), les ergs purs comptent relativement peu d'espèces, parmi lesquelles le Moineau blanc (
Passer simplex) semble un des Oiseaux les mieux adaptés aux conditions extrêmes (dans l'Erg Chebbi par exemple, où il représente une spécialité locale que viennent observer les ornithologues étrangers). Cependant, les ergs purs étant relativement rares au Maroc, on rencontre souvent, dans les différents milieux sableux du sud du pays, toute une série d'espèces déjà citées dans les regs et hamadas, ainsi que certaines des espèces les plus xérophiles rencontrées dans les oasis, les frontières entre ces différents types d'écosystèmes n'étant pas toujours bien tranchées sur le terrain.

A l'extrême Sud du pays, dans les vallées désertiques et sableuses de l'Adrar Souttouf (Parc National de Dakhla en projet), vit une petite espèce particulière d'Alaudidés : la Moinelette à front blanc (
Eremopterix nigriceps), très localisée, mais récemment redécouverte dans la région encore sous-explorée d'Aoussard, aux confins mauritaniens.


A propos de quelques espèces

Voici quelques-uns des représentants sahariens les plus typiques de la classe des Oiseaux.

Dans la famille des
Glareolidae, le Courvite isabelle (Cursorius cursor) est un Oiseau ayant développé une grande adaptation aux contraintes extrêmes. Il habite les savanes d'Acacias présahariennes qui illustrent son domaine d'élection, mais il a réussi également à s’adapter aux regs et aux hamadas, occupant surtout la zone saharienne. Dans ces lieux désertiques ou semi-désertiques, il porte son corps beige pâle sur de hautes pattes robustes, avec de longues ailes beiges aux extrémités et noires sur la face ventrale. Son aspect général ressemble à celui d’un petit Pluvier doré, mais le Courvite isabelle est plus clair et plus effilé. Il est reconnaissable à sa nuque grise, ses sourcils bien dessinés en noir et blanc et son bec légèrement recourbé. Les juvéniles sont maculés de brun. Coureur aussi infatigable que rapide, il s’envole peu et passe son temps à arpenter la steppe, à la recherche des proies variées.

Le Cratérope fauve (Turdoides fulvus), seul représentant de la famille des Timalidae en Afrique du Nord, s’est également bien adapté aux savanes d’Acacias. Il fait partie des espèces sédentaires caractéristiques de l’acaciaie marocaine. Son apparence fait penser un peu à un Merle mais avec un plumage très clair : le Cratérope est brun jaunâtre en dessous et plus pâle sur le dessus, avec une queue plus longue que celle d’un Merle et un bec davantage courbé. Habitant les buissons et les forêts claires des paysages semi-désertiques, il est contraint à de longues prospections pour s’enquérir de sa pitance en proies variées. Il est ainsi possible de rencontrer un Cratérope fauve mangeant un Androctonus amoreuxi (Scorpionidé).

Le Corbeau brun (
Corvus ruficollis) remplace dans les régions sahariennes le Grand Corbeau (Corvus corax). L’habitat de ce Corvidae spécialisé sont les savanes présahariennes et sahariennes arborées notamment par les Acacias, mais aussi les steppes à Armoises avec des Jujubiers épars sur lesquels il aime à nicher. C’est un biotope remarquablement insolé qu’il faut en outre partager avec bien d’autres espèces. Le Corbeau brun ressemble plus à la Corneille noire (Corvus corone corone) qu’au Grand Corbeau. La nuque et le cou sont teintés de brun, mais il est difficile de les distinguer de loin, et jusqu’à leur première mue de l’automne, les juvéniles ne sont pas encore bruns. Les ailes du Corbeau brun sont plus pointues que celles du Grand Corbeau, et le bec est moins robuste.

Comme le Courvite isabelle, le Traquet à tête blanche (
Oenanthe leucopyga)(de la famille des Turlidae), habite les savanes d’Acacias présahariennes, mais aussi les regs et les hamadas, toutes conditions de vie très rude. De tendance rudérale, on peut le rencontrer également dans des villes et villages situés dans ces régions. Le mâle a le dessus de la tête blanc (d’où son nom) et la queue blanche à l’extrémité avec les rectrices externes entièrement blanches. Le dessous est uniformément noir. La femelle et le mâle immature ont la tête noire ou très foncée et ne se distinguent du Traquet rieur (Oenanthe leucura) que par les rectrices externes qui sont entièrement blanches.

Il existe de très nombreuses espèces de Traquets et ils représentent un complexe prééminent parmi les Oiseaux des régions arides de bien des étages. Porte-bonheur, ils sont nommés
moula-moula dans certaines régions. Le Traquet à tête grise (Oenanthe moesta) est l’une des espèces aviennes nidificatrices très caractéristique du biome méditerranéen, habitant les steppes à Armoises et les abords prédésertiques ourlés et ponctués de buissons. C’est l’un des plus grands Traquets des zones considérées. La femelle est facilement reconnaissable à sa tête rousse, le mâle par contre ressemble beaucoup au Traquet deuil (Oenanthe lugens) mais diffère nettement du Traquet à queue rousse (Oenanthe xanthoprymna), la seule autre espèce à croupion roux.

Toujours au sein des
Turlidae, l’Agrobate roux (Cercotrichas galactotes) s’est également adapté aux savanes d’Acacias. D’aspect intermédiaire entre les Grives et les Fauvettes, il est facilement reconnaissable à sa longue queue étagée de couleurs rousse, puis noire et enfin blanche à son extrémité. Il tient sa queue le plus souvent ouverte et dressée, se balançant et l’entre ouvrant de façon spasmodique, non sans similitude avec un spectacle de French Cancan ! Le dessus du corps est roussâtre, le reste est plus clair dans le registre gris-brun. Cet Oiseau préfère les secteurs broussailleux aux abords des villages, les jardins oasiens, les palmeraies, les oueds desséchés et autres lieux semi-désertiques.

La Rubiette de Moussier (
Phoenicurus moussieri), aussi nommée Rouge-queue de Moussier, semble parfaitement adaptée aux conditions extrêmes des savanes d’Acacias présahariennes. Cet endémique d’Afrique du Nord est beaucoup plus répandu que le Rouge-queue à front blanc (Phoenicurus phoenicurus). Le mâle de la Rubiette de Moussier est coloré en noir et blanc sur l’avers, les côtés de la queue et la poitrine étant revêtus de roux ; la femelle est brunâtre, les côtés de la queue roux. Ces petits Oiseaux sont reconnaissables à leur queue rousse, fréquemment agitée et étalée en période nuptiale, rappelant le comportement des Traquets.

Membre de la famille des
Alaudidae, l’Alouette bilophe (Eremophila bilopha), appelée aussi Alouette hausse-col du désert, habite les regs et hamadas de la zone saharienne, mais tout aussi bien les steppes graminéennes. Le plumage beige, la tête colorée de noir et blanc, elle fréquente les déserts de sable et de pierres même dépourvus de végétation. Le mâle porte sur la tête des petites aigrettes noires au printemps.

L’Alouette de Clot-Bey (
Rhamphocorys clot-bey) habite et niche dans les steppes mésétiennes à Alfa et à Armoises, mais peut être rencontrée aussi dans les hamadas pierreuses et les lits d’oueds desséchés. Parmi les Alouettes, celle-ci est dotée du bec le plus massif. D’un plumage beige, habitus cryptique assez récurrent pour ces zones, sa poitrine est couverte de tâches foncées et elle porte des marques noires et blanches sur les ailes ainsi que sur les côtés du cou.

Autre
Alaudidae, l’Ammomane du désert (Ammomanes deserti) a développé des adaptations aux zones climatiques rudes et s’avère assez caractéristique des savanes d’Acacias présahariennes. Elle porte aussi les couleurs typiques de ce milieu : plumage beige pâle dont les tonalités varient en peu en fonction de l’habitat ; la queue a plusieurs rectrices foncées. L’Ammomane est dotée de pattes robustes car elle passe beaucoup de temps au sol à la recherche d’ombre et de nourriture dans les lits d’oueds, sur les terrains rocheux et au sein des boisements clairs d’Acacias.

L’Ammomane élégante (
Ammomanes cincturus) est plus petite que l’Ammomane du désert. A l’instar de cette dernière, elle niche dans ces régions. Sa coloration varie moins. Elle ne se distingue de l’Ammomane du désert que par une barre foncée bien visible au bout de la queue. Contrairement à l’autre Ammomane, cet Oiseau montre une tendance grégaire et se rencontre encore plus souvent dans des milieux davantage dénudés tels que les regs et les hamadas.

Le Sirli de Dupont (
Chersophilus duponti) est encore un représentant de la famille des Alaudidae et de l’ordre des Passereaux, qui niche dans des steppes à Armoises. Il possède un long bec recourbé, caractéristique de toute la famille, et bien approprié à un régime à la fois insectivore et granivore. La tonalité générale du plumage va du brun au roux. La poitrine est fortement striée. Cet Oiseau reste au sol et s’envole peu. Effarouché, il s’enfuit plutôt en courant sans sautiller.

Le Sirli du désert (
Alaemon alaudipes), nidificateur du biome saharien, est l’habitant des regs et des hamadas. C’est une des Alouettes les plus grandes. Ce Sirli possède un bec long et modérément recourbé, les ailes noires et blanches, le reste du plumage étant beige. Il porte des tâches foncées au cou, lesquelles sont absentes chez le juvénile.

Le Roselin githagine (
Rhodepechys githaginea), appelé encore Bouvreuil githagine, est une espèce propre à la famille des Fringillidae et qui niche dans les savanes d’Acacias. En hiver, le mâle et la femelle sont plus ternes qu’au printemps, colorés de gris teinté de rose, le bout des ailes foncé, le bec orange ou brun jaunâtre, les pattes rosées. Les tonalités roses sont réservées aux adultes et sont absentes chez les juvéniles. Au printemps, le mâle porte un beau plumage nuptial brun pâle nuancé de rose, les ailes et le dessus de la tête restant gris, son bec devient rouge vif et ses pattes couleur chair.

L’Outarde houbara (
Chlamydotis undulata), insigne représentante des Otididae du biome saharien, est rarissime et particulièrement menacée de disparition prochaine, notamment parce qu’elle est surchassée. L’Outarde est un Oiseau terrestre, de taille moyenne, au cou élancé et aux pattes assez longues. Elle marche en tenant la tête et le cou dressés. Elle s’aplatit sur le sol ou s’enfuit à la course quand elle est dérangée. En livrée nuptiale, on peut facilement la reconnaître car elle porte sur les côtés de son cou une touffe de plumes blanches et noires ainsi qu’une huppe mêmement bicolore. Son image était jadis associée aux plaines sèches subdésertiques ponctuées de buissons clairsemés ou même dénudées, mais il relève aujourd’hui de l’exploit d’en voir un sujet courir ou s’envoler.

Le Ganga unibande (
Pterocles orientalis) et le Ganga cata (Pterocles alchata), Pteroclididae caracrétistiques des zones sahariennes, sont normalement assez erratiques mais peuvent occasionnellement abonder et former des concentrations. Oiseaux terrestres, nichant aussi à terre, de couleur fauve pâle, ils se confondent très bien avec le milieu de leur habitat lorsqu’ils ne bougent pas. Le Ganga cata a le ventre blanc et les rectrices allongées. Le mâle est reconnaissable à sa poitrine rousse, le menton et la gorge sont noirs. La femelle a la gorge blanche. Le Ganga cata doit son nom aux cris « kata kata », émis souvent en vol. Cet Oiseau niche parfois en petites colonies. Le Ganga unibande est le seul à posséder le ventre uniformément noir. Le mâle a la face supérieure des ailes jaune et celle inférieure blanche. Il est facile de le déterminer grâce au fait qu’il est le seul à avoir la gorge (mais pas le menton) noire. Comme le Ganga cata, le Ganga unibande évite les vrais déserts et son preferendum est pour les terrains lapilleux.

Le Ganga tacheté (
Pterocles senegallus), aussi baptisé Ganga du Sénégal, ainsi que le Ganga couronné (Pterocles coronatus) fréquentent les regs et hamadas. Le Ganga tacheté est assez petit de taille, aux couleurs relativement pâles, avec une dominante beige rosé. Son ventre est beaucoup moins noir que celui du Ganga unibande. Le mâle a une bande gris-bleu en travers de l’œil et la gorge est jaune. La femelle est très mouchetée. Le Ganga couronné est un Oiseau tout aussi modeste de taille, plus petit encore que le Ganga tacheté. Il porte une queue courte. Le menton du mâle est revêtu de noir et un trait noir se manifeste entre le bec et l’œil.

Le Guêpier de Perse (
Merops persicus) prend dans le désert la place du Guêpier d’Europe. C’est un Meropidae sociable qui niche en colonies. On peut le voir souvent perché au faîte des buissons, sur les arbres ou les fils télégraphiques d’où il chasse les Guêpes, Mouches et autres Insectes ailés. Il est à cette fin doté d’un long bec arqué. Il se pose souvent à proximité des points d’eau et des oueds. Son vol rappelle celui des Hirondelles. Le Guêpier de Perse est un Oiseau au plumage vivement coloré, le vert beaucoup plus marqué que chez l’autre espèce, avec les joues bleues, la gorge marron, et les rectrices centrales plus longues que chez le Guêpier d’Europe.

La Fauvette mélanocéphale (
Sylvia melanocephala) et la Fauvette à lunettes (Sylvia conspicillata) appartiennent à la famille des Sylviidae et nichent en zones méditerranéennes. Ce sont des petits Passereaux migrateurs insectivores dotés d’un bec fin dont on peut trouver le nid au sol ou au sein des buissons bas. La tête de la Fauvette mélanocéphale est noire, avec le menton blanc. L’anneau orbital et l’iris sont rouges. La femelle est plus brune et sa calotte contraste peu avec le reste du plumage. La Fauvette à lunettes a la tête foncée, la gorge blanche, la poitrine rose et les ailes rousses. Le dos est brun, les pattes sont jaunes. Le cercle orbital est pâle et peu marqué. La femelle et les jeunes ont une tâche marron sur l’aile.

Au contraire du Courvite isabelle ou de l’Ammomane du désert, la Fauvette naine (
Sylvia nana) que l’on surprend dans les milieux à forte aridification, préfère des sols sableux. C’est la plus petite et la plus pâle des Fauvettes, de couleur beige clair avec uniquement une queue foncée et dont la base et le centre sont roux et les bords blancs.

La Chouette chevêche (
Athene noctua) est un Oiseau en partie diurne de la famille des Strigidae. Elle est facilement reconnaissable grâce à son vol ondulé, sa queue courte, sa tête volumineuse et surtout sa très petite taille par rapport aux autres représentants de la même famille. On peut la découvrir perchée sur un poteau ou un arbre, voire en suspens, volant sur place au crépuscule à la chasse aux Insectes. La sous-espèce saharae nidifie dans des régions sahariennes.

En ce qui concerne l’Autruche à cou rouge ou Autruche d’Afrique du Nord (
Struthio camelus camelus)(famille des Struthionidae), les populations sauvages sont de nos jours très menacées et ont ainsi pratiquement disparu des régions semi-désertiques qu'elles fréquentaient autrefois. On ne les rencontre plus que dans les Parcs nationaux et dans les Réserves. L’Autruches à cou rouge est présente au Parc national du Souss-Massa où elle est élevée dans le cadre d’un hypothétique projet de réintroduction. Des dessins rupestres rappellent que cet Oiseau faisait partie intégrante des paysages du Grand Sud marocain. Leur existence encore si proche (les dernières ont été observées au XXe siècle) s’est vue anéantie surtout par la chasse, notamment la chasse au fusil en voiture. De récentes observations (M. Aymerich) rapportées par deux Sahraouis, indiquant que des Autruches auraient été vues à une centaine de kilomètres à l’ouest de Tarfaya, restent à vérifier. Parler de l'Autruche au singulier n’est pas correcte puisqu'il en existe plusieurs sous-espèces, dont malheureusement les effectifs dans la nature sont parfois très peu nombreux. Celle d'Afrique du Nord (Struthio camelus camelus) correspond à la forme nominative en voie d’extinction. C'est le plus grand de nos Oiseaux vivant sur Terre, un mâle avoisinant les deux mètres. C'est aussi le plus gros, puisque certains sujets adultes peuvent atteindre un poids respectable compris entre 120 et 150 kg. Ses plumes, sa chair, mais également la simple chasse stupidement qualifiée de « loisir », en ont fait une victime privilégiée.

Le Marabout d'Afrique (
Leptoptilos crumeniferus), membre de la famille des Ciconiidae, est un grand Oiseau (long de 1,50 m environ), très emblématique de l’Afrique tropicale où il s’avère fréquemment anthropophile. Il possède un sac de peau nue qui lui pend sur la poitrine. Le marabout habite surtout en bordure des rivières, des lacs, sur les bancs de sable. Cet Oiseau est principalement un charognard, doté d’un bec énorme et redoutable, il est à même de déchirer efficacement les cadavres qu’il rencontre. Il complète sa diète par des d'Insectes, des Poissons et des Grenouilles. Il niche sur les arbres ou sur les rochers, après avoir déposé deux ou trois œufs à la fin de la saison des pluies, de sorte que la période d'élevage des jeunes coïncide avec la saison sèche, où les cadavres d'animaux morts de soif sont plus nombreux. C’est à l’image des autres cigognes un Oiseau au vol élégant, grand volateur épousant les courants ascensionnels pour évoluer. Deux Marabouts d’Afrique ont été récemment observés à l’Oued Chebeika, dans les environs de Tan-Tan.

L’Oedicnème criard (
Burhinus oedicnemus) qui a également reçu le nom vernaculaire de Courlis de terre, est un Oiseau de la famille des Burhinidae, assez peu commun en Europe, où il enregistre d’ailleurs une forte réduction de son aire de répartition et par conséquent une diminution en nombre d’individus. Sédentaire au Maroc, cette espère s’y montre encore communément. Grand Oiseau d’une quarantaine de cm, juché sur de hautes pattes jaunâtres, son plumage est de couleur terre et ses gros yeux jaune clair. A l’arrêt, il est parfaitement homotypique. Ses habitats de prédilection sont les steppes semi-désertiques, les endroits secs, sablonneux ou rocailleux, ainsi que bien des milieux ouverts à végétation basse. Son repas est composé d’Invertébrés terrestres ainsi que de petits Vertébrés qu’il chasse au crépuscule. Il doit son nom à son chant nocturne assez aigu et grinçant.

Le Vautour oricou (
Torgos tracheliotus) fait partie de la famille des Cathartidés et doit son nom aux nombreux plis qu'il porte sur la tête, des oreilles jusqu'au cou. Son plumage est marron foncé, voire noir sur ses ailes, et marron clair à blanc sur ses flancs et ses pattes. Sa tête et son cou sont dénudés et roses. Son espérance de vie est de l’ordre de trente ans dans son habitat naturel mais peut atteindre le demi-siècle en captivité. Avec une envergure moyenne de 2.70 m mais pouvant atteindre 3 m et un poids dépassant souvent 11 kg, l'Oricou est avec le Condor des Andes le plus grand de tous les Vautours (quatorze espèces). Il est distribué au nord de l'Afrique, de l'Atlantique à la Mer Rouge, au sud de l'Océan indien ainsi qu’en Afrique du Sud. La nourriture élective de ce charognard sont les carcasses mais il lui arrive aussi de tuer de petits animaux comme des oisillons ou encore des Insectes et ne délaisse pas non plus les oeufs d'autres Oiseaux. Régnant le plus souvent en maître dans la curée, il effraie les autres Vautours par ses soufflements et ses battements d'ailes puis « passe à table » en perforant de son bec puissant le cuir de la carcasse. Il vit seul ou en couple mais certains se rassemblent à la tombée de la nuit. Le nid, de 2 m de diamètre, est construit sur un arbre, souvent un vieil Acacia. C'est à la saison sèche que la femelle pond un seul oeuf à la saison sèche. Les deux parents se chargent de la couvaison à tour de rôle pendant presque deux mois. A la naissance, l'oisillon a un duvet entièrement brun sauf sur sa tête et son cou qui sont gris. Tant que celui-ci n'est pas capable de voler, au moins l'un des parents reste au nid, soit durant environ quatre mois. Après cette période, le jeune vautour est laissé seul au nid mais ses parents continuent de le nourrir pendant encore deux mois.


Mammifères sahariens d’hier et d’aujourd’hui

De nombreux Mammifères vivent au Sahara marocain, mais tous ne sont pas vraiment spécialisés à la steppe désertique et s’avèrent aussi présents dans les régions périphériques. Un exemple d’espèce purement déserticole est donné par l’Oryx algazelle ou Antilope dammah (
Oryx dammah), laquelle est devenue rarissime au Sahara ou en a disparu du fait des massacres acharnés perpétrés à son encontre. Cette grande Antilope pénétrait assez profondément les régions sahariennes, notamment aux époques pluvieuses et favorables au regain de la végétation. Son existence marocaine n’est désormais illustrée que par un contingent maintenu en semi-liberté dans quelques secteurs du Parc national de Souss-Massa. L’Addax et la Gazelle dama des plaines sahariennes sont deux autres Macromammifères de cette catégorie strictement saharienne. D’autres Mammifères n’occupent au sein du pré-désert que des niches écologiques particulières, lesquelles s’avèrent compatibles avec leur identité biologique. C’est vrai du Mouflon à manchettes (Amotragus lervia) qui habitait et habite parfois encore les petits djebels sahariens, mais qui est en très forte régression du fait du braconnage dont il est victime. Parmi d’autres espèces exclusivement sahariennes, tous types de biotopes confondus, on rencontre aussi quelques Rongeurs, notamment de la famille des Gerbillidés.

D’autres encore sont plus éclectiques et s’ils fréquentent la niche subsaharienne, ils voient aussi leur aire très étendue à l’extérieur et en d’autres écorégions, notamment vers l’ensemble du Nord atlasique. C’est le cas de la Gerbille champêtre, espèce saharo-magrébine qui se rencontre de l’Atlantique à la Mer Rouge ou encore du Mérion de Shaw qui peuple tout le Maghreb jusqu’en Égypte, y compris toute la bande nordique du Sahara, de Guelmim jusqu’à Figuig. Rejoignent cette catégorie le Rat à trompe, qui n’est pas un Rongeur mais un Macroscélide insectivore qui remonte l’Oriental jusqu’à la Méditerranée, le Hérisson d’Algérie qui tout en peuplant tout le Nord marocain parvient jusqu’aux confins de Tarfaya, le Hérisson du désert qui n’investit ni le centre, ni le nord mais n’occupe que la bande sud-atlasique depuis Laâyoune jusqu’à Figuig sans s’étendre dans le Sud saharien, de nombreuses Chauves-souris dont peu d’espèces s’aventurent vraiment dans le biome saharien, d’autres Rongeurs comme l’Écureuil de Barbarie, le Porc-épic, des
Muridae tels la Souris sauvage et le Rat rayé de Barbarie, puis le Lièvre du Cap, Lagomorphe à grande élasticité écologique, des Artiodactyles comme la Gazelle de Cuvier (montagnarde mais présente tout au long du Drâa) et la Gazelle dorcas (nettement plus saharienne mais atteint la Méditerranée au nord par les hautes plaines de l’Oriental), des Carnivores enfin  : le Chacal, le Renard roux, le Renard famélique, la Zorille de Libye, la Mangouste ichneumon, l’ Hyène rayée (quasiment exterminée mais qui auparavant fréquentait les Atlas, le Plateau central et le Rif), le Guépard (dont l’ultime présence aléatoire dans le Bas Drâa ne donne aucunement l’image de sa diffusion ancestrale tout au long des Atlas subsahariens), le Chat ganté et le Chat des sables ou Chat Marguerite (quasiment éteint) et le Lynx Caracal dont les populations saupoudraient il y a peu tout le Maroc.


Les Musaraignes

Dans la sympathique famille des
Soricidae, les espèces suivantes de Musaraignes sont représentées dans le Sahara marocain : Crocidura lusitania, Crocidura viaria, Crocidura tarfayensis, Crocidura whitakeri, Suncus etruscus. La Musaraigne de Tarfaya (Crocidura tarfayensis) est un endémique du Sahara atlantique dont l’aire littorale va de l’Oued Massa jusqu’au Sud de la Mauritanie. Elle fréquente les zones aréneuses fortement aridifiées, les formations à Euphorbes cactiformes et probablement aussi des stations rupicoles. Le Pachyure étrusque ou Musaraigne étrusque (Suncus etruscus) est connu du Proche-Orient, d’Europe et partiellement du Maghreb. Elle ne concerne le Sahara marocain qu’en son extrémité orientale, dans la région de Figuig.


Les Chauves-souris

Les Chiroptères qui hantent le prédésert ne sont pas légion. On ne peut guère citer que le Grand Rhinopome (en marge du Drâa et du Tafilalt), le Rhinopome à longue queue ou Petit Rhinopome (Djebel Bani, Foum-El-Hassan, Oued Tata, Ouarzazate, Tafilalt), la Nyctère de la Thébaïde (région du Bas Drâa), le Trident (Drâa, Tafilalt), la Pipistrelle de Kuhl (Drâa, Tafilalt) et la Sérotine (Bas Drâa).


Indices de bêtise dans la culture traditionnelle...

Associée au diable comme le Serpent, la Chauve-souris frappe l’imagination de bien des esprits faibles dans divers pays. Si en Chine, elle est un symbole porte-bonheur fréquemment représenté, en France, dans les campagnes, on la clouait comme le Hibou ou la Chouette – et la pratique barbare persisterait encore ici et là - sur sa porte afin de conjurer le mauvais sort. On affirme encore qu’elle s’accroche aux cheveux, etc.

Au Maroc et dans les régions sahariennes, bien des pratiques obscurantistes ont pignon sur rue. Ainsi à Guelmin (et ailleurs), en 2004, peut-on entrer dans un magasin vendant des plantes médicinales ou censées l’être, et trouver à côté de peaux de Chacal, de Genette et de Mangouste, de grappes de Caméléons séchés, de Huppes aux yeux crevés et conservées dans de vieux journaux, des cadavres de Chauves-souris en vrac et toutes espèces confondues, que des femmes viennent acheter pour les porter attachées à leur cou afin de retenir leur mari infidèle ! Les vieux démons moyenâgeux ont la peau dure ! Les croyances irrationnelles, l’illettrisme et les préjugés ancestraux de la mythologie contemporaine des « braves gens » viennent ainsi compléter le cortège des agresseurs « modernes » de la biosphère, l’inconscience et l’irresponsabilité de décideurs qui emploient des pesticides sans se soucier des nombreuses conséquences irréversibles, les razzias de gamins à qui on n’a pas enseigné la moindre valeur de la vie animale, et une liste interminable d’exactions à l’égard du vivant. La bêtise et l’esprit de lucre, toutes trivialités confondues, sauront avoir raison de la plupart des espèces d’un patrimoine naturel en plein naufrage.


La Hyène

Trois espèces d’Hyènes forment la famille des
Hyaenidae. La plus grande est l'Hyène tachetée (Crocuta crocuta), dépourvue de crinière, qui investit les contrées ouvertes de l'Afrique, au sud du Sahara, où son cri, sorte de ricanement, est bien connu. En bande, elles peuvent s'attaquer à des proies imposantes comme les Zèbres et les Gnous. L'Hyène brune (Hyaena brunnea) est un animal solitaire qui vit en Afrique australe, où il est devenu rare. Enfin, l'Hyène rayée (Hyaena hyaena), qui est marbrée de taches sombres formant des rayures et ne s'attaque jamais à de grandes proies, habite l’Afrique (dont la ssp. barbara au Maghreb) et l’Asie méridionale, du Moyen-Orient jusqu'en Inde. On doit prendre aussi en considération le Protèle (Proteles cristatus) qui est une sorte de petite Hyène d'Afrique orientale et australe, aux dents réduites et surtout insectivore. Les Hyénidés semblent descendre d'un Carnivore de l'Éocène baptisé Viverravus. Trois lignées en furent représentées au Miocène dont l’une conduisit à l'Hyène des cavernes, qui vécut en Europe au Pléistocène. Les Hyènes sont des Mammifères africains et asiatiques, de la taille d'un très grand Chien, caractérisés par des pattes antérieures plus longues que les postérieures et munies de quatre doigts, portant des griffes émoussées non rétractiles, un dos oblique, le cou assez long et souvent couvert d'une crinière, des oreilles pointues et une queue touffue. Le pelage est rude. Les mâchoires puissantes, armées de trente-deux à trente-quatre dents robustes sont aptes à broyer les os. Les Hyènes vivent dans les savanes où, cachées pendant le jour, elles sortent généralement en meutes le soir et sont alors reconnaissables au loin à leurs ricanements particuliers. Elles recherchent les charognes abandonnées par les grands fauves et les dévorent avec les Chacals et les Vautours, mais peuvent à l’occasion attaquer des animaux vivants. Après une gestation de trois mois environ, la femelle met bas, selon les espèces, de un à quatre petits. L'Hyène présente un curieux phénomène nommé pseudohermaphrodisme : les organes génitaux externes de la femelle ressemblent à ceux du mâle. Aussi, chez de nombreux peuples, croit-on que l'Hyène est tantôt mâle et tantôt femelle. Cette croyance est ancestrale et les plus grands savants de l'Antiquité et du Moyen-Âge s'en sont faits l'écho. Pline l'ancien et Ovide ont ainsi affirmé que l'Hyène était hermaphrodite.

La situation marocaine de l’Hyène n’est pas fameuse et n’excède pas la centaine d’animaux, dont les peuplements sont essentiellement concentrés sur le littoral saharien atlantique, ainsi que dans le Bas Drâa. Il s’agit partout d’ailleurs de sujets erratiques. Son caractère charognard lui a fait perdre d’importants effectifs victimes des campagnes d’empoisonnements par la strychnine. Depuis toujours persécutée au nom de la sorcellerie, sa dépouille était monnaie courante dans les souks jusqu’au milieu du siècle dernier et ce commerce est largement à l’origine de son déclin et son statut est celui d’une espèce au bord de l’extinction. Bien que théoriquement protègée par la loi, on peut encore en trouver sur les marchés des peaux résultant du braconnage. Sa cervelle, ses pattes, ses dents et ses poils sont toujours utilisés en sorcellerie, malgré l’hostilité des musulmans pratiquants qui font brûler toute dépouille découverte. Une infime partie de sa cervelle mélangée à un plat prétendait faire perdre la raison à son consommateur, méthode d’ensorcellement encore utilisée par la génération précédente dans le Sud du pays. On offre actuellement plus de 5000 dirhams pour une Hyène tuée, de quoi éveiller quelques convoitises (Cuzin, 1996). Les aires les plus favorables permettant des mesures de conservation, à la condition d’une surveillance effective et de l’abandon des campagnes d’empoisonnement aux conséquences dramatiques pour les Carnivores, seraient l’embouchure du Drâa, ainsi que de l’Oued Chebeika, le futur Parc national du Bas Draa, ainsi que quelques gorges du Haut Atlas central comme le projet d’aire protégée du Wabzaza (Cuzin, 1996). Des mesures de dédommagement des bergers en cas d’attaque des troupeaux, hélas toujours difficilement vérifiables, devraient aussi accompagner les espoirs d’une régénération de ce bel animal au Maroc.

Le Guépard

Le Guépard appartient à la famille des Félidés, mais contrairement aux autres Félins, ses griffes ne sont pas rétractiles. Son pelage est rude, de couleur jaunâtre avec des taches noires et rondes. Sa tête est petite et deux rayures noires relient le coin interne de ses yeux aux commissures de ses lèvres. Sa colonne vertébrale est très souple. Sa longévité est d’une quinzaine d’années. Toute sa structure révèle ses qualités d'excellent coureur, notamment sprinter car il s’essouffle rapidement. Il est donné comme l'animal terrestre le plus rapide avec une pointe à 100 km/h en quelques secondes avant de terrasser sa proie. Ainsi, il ne chasse pas à l’affût, ses capacités lui permettant de fondre subrepticement sur sa victime. Quand il court, on croirait qu'il vole car sa colonne vertébrale est très flexible : elle se détend ou s'arrondit pour lui permettre de faire des bonds de 6 à 8 mètres ! Autant qu'un cheval ! Et sa queue, comme un contre poids, l'aide à garder l'équilibre. Il peuple les savanes et les steppes sahariennes de l’Afrique, surtout à l’est et au sud-ouest, en qualité de prédateur d’Antilopes et de Gazelles, mais aussi de Lièvres et de Porcs-épics. Ce bel animal parcourt de très vastes territoires de l’ordre de 250 km2. A l’exemple des Lions et contrairement aux autres Félins, les Guépards sont relativement sociables. Il arrive souvent que des jeunes d'une même portée chassent ensemble. Seules les femelles adultes préfèrent s'éviter et leur territoire peut être jusqu'à cinq fois plus grand que celui des mâles. Après une période de gestation de trois mois, la femelle donne le jour à une portée de deux à cinq petits. Les Hommes ont toujours utilisé les talents de chasseur du guépard et on le dressait déjà dans l'antiquité. Des Égyptiens aux princes russes, en passant par les empereurs mongols, tous possédaient des Guépards avec lesquels ils organisaient des chasses royales. Autrefois, le Guépard vivait dans toutes les zones non boisées de l'Afrique, de l'Inde, de l'Asie occidentale et du Turkirstan.

Le Guépard est dorénavant en grand danger. La sous-espèce asiatique a pratiquement disparu et quant à celle africaine, elle ne se maintient qu’à la faveur de diverses figures de conservation. Vers 1900, il y en avait 100.000 dans le monde entier, aujourd'hui en grand danger il n’est reste plus que 10.000, dont une vingtaine maximum au Maroc. Déjà signalé comme très rare par les mammologues connaisseurs du Maroc autour de 1950, c’est un miracle qu’il ait pu se maintenir face aux multiples menaces. Ses dernières présences dépendent de vastes régions du Sahara marocain encore peuplées de Gazelles. Il est tout de même gagnant sur la Panthère qui ne possède plus que quelques sujets génétiquement isolés et retranchés dans l’Atlas. Ces éradications définitives sont à mettre au compte de l’Homme moderne et, en dépit des proclamations médiatisées et autres effets d’annonce, il semble bien que la plus grande destruction du vivant depuis l’apparition des Primates se poursuive impunément.


Le Caracal

Le Lynx Caracal (
Caracal caracal) est un Felidé dont les populations couvrent la presque totalité du Continent africain, dont l’essentiel du territoire saharien. On le retrouve également en Asie du Sud-Ouest. Fuyant les forêts denses, ce Mammifère carnivore habite les savanes et les collines rocheuses. Il a été observé dans les principales Hamadas, la Seguiet-El-Hamra, le Djebel Ouarkziz, le Tafilalt... Depuis quelques années, le caracal aurait déserté le littoral saharien. Son pelage est de couleur fauve-roux clair, le ventre est blanchâtre. La tête, fauve, présente deux raies lacrymales noires de l’œil au nez. Le bout des oreilles est prolongé de deux pinceaux noirs, lesquels sont à l’origine de son nom, Caracal signifiant « oreilles noires ».

Ce Félin crépusculaire et nocturne, qui peut peser entre 6,5 et 19 kg et atteindre une une longueur de corps variant de 650 à 900 mm, est un grimpeur agile qui se nourrit d’Oiseaux, de Reptiles, de petits Mammifères (Rongeurs, etc.) et à l’occasion de Gazelles. Il s’attaque parfois au petit bétail et aux volailles. Bien que l’espèce soit théoriquement protégée, la protection est peu appliquée et des Caracals sont tués chaque année par des chasseurs. Selon Cuzin, la densité de l’espèce au Maroc est extrêmement faible : la population devrait être estimée à moins de 250 animaux reproducteurs, en déclin continuel, et dont aucune sous-population locale ne devrait dépasser la cinquantaine d’animaux reproducteurs. Le statut de ce noble animal peut être considéré comme au bord de l’extinction. Outre un strict respect de la loi, des campagnes d’information sur la nécessité de le sauvegarder devraient être menées dans les villages et des programmes de recherche lancés afin de mieux évaluer les possibilités de le conserver.


Le Bubale

Le Bubale (
Alsephalus buselaphus) était la plus grande des Antilopes marocaines, quasiment de la taille d'un Cerf, mais avec un dos tombant. Cet animal qui peut atteindre au garrot 1,30 m et peser 140 kg est un habitant des steppes et savanes sèches. Au début du XXe siècle, il était encore un représentant classique de la faune du Maroc où il figurait notamment sur les Hauts Plateaux de l’Oriental, dans le Haut Atlas oriental et les marges présahariennes, évitant le pur domaine saharien. Les derniers sujets auraient été massacrés dans la région de Missour (Oriental) et dans le bassin de l’Oued Moulouya. Mais selon Panouse, un groupe de survivants auraient encore vécu vers 1945 dans la palmeraie de Foum-Zguid (Vallée du Drâa), non loin de la frontière avec l’Algérie. Cuzin rapporte que la disparition du Bubale au Maroc est due à sa surexploitation par l’Homme qui l’a exterminé à l’arme automatique du fait de la masse de viande qu’il représentait. Un notable, le caïd Krit, originaire d’Outal-Oulad-El-Haj (Oriental), affirmait avoir tué douze animaux d’un groupe de quinze dans les années 30. Le statut du Bubale correspond au Maroc à une espèce disparue. D’autres sous-espèces vivent encore dans le Sahel, en Afrique orientale et en Afrique méridionale. Il semble hélas illusoire d’entreprendre un programme de réintroduction de cette antilope géante au Maroc dans la mesure où le phylum est aujourd’hui altéré par la perte du taxon subspécifique correspondant à la région biogéographique.

Points de mire et mirages à volonté

L’intérêt naturaliste (et touristique...) de certaines régions naturelles du domaine saharien marocain mérite un regard rapproché. Ces divisions coïncident avec des régions ainsi individualisées par les autochtones et les administrations. En voici une trop brève sélection, du sud au nord et d’ouest en est. Les signalements rapportés et concernant quelques espèces cardinales (endémiques, emblématiques ou en voie de régression) correspondent aux informations tant bibliographiques que vécues, datant parfois de quelques années, d’autre fois de quelques décennies. On ne peut donc en garantir une brûlante actualité car au train (tout autant « climatique » qu’ « anthropique ») où vont les choses, le cri d’une Hyène rayée, les traces du Chat ganté, les fèces d’un Guépard, le terrier abandonné d’un Renard famélique, l’ombre d’un Varan du désert, le vol d’un Milan royal à Boujdour ou d’un Aigle ravisseur à Tan-Tan, la présence sur le transect Tata-Akka de pelotes de régurgitation d’un Grand-duc ascalaphe, ou encore le chant lointain de l'Engoulevent du désert, tous exemples d’indices ne datant que de la fin du siècle précédent (le XXIe n’ayant pas encore dix ans !), peuvent parfaitement être suivis du néant et rejoindre la liste posthume de la Gazelle dama, de l’Autruche d’Afrique du Nord, du Vautour oricou, du Crocodile de l’Afrique de l’Ouest et d’un long et bien affligeant etc. Ce qu’il y a de vraiment désolant (et nouveau) dans les extinctions de notre période, et peut-être tout spécialement dans les contrées arides, ce n’est pas la disparition de telle ou telle espèce en elle-même mais la rapidité du processus d’éradication et le fait que l’origine en soit la modification de l’espace.


L’Aguerguer : un désert côtier

Peu au-dessus du Tropique du Cancer, Dakhla (anciennement Villa Cisneos) est, à 300 km de la Mauritanie, la dernière ville du Sahara marocain. Paradis des pêcheurs (comme il y a avait des paradis pour chasseurs...), battue par le vent et le sable, écrasée sous le soleil, c’était la capitale de l’ex-Rio de Oro, dont l’ancien Tiris-El-Gharbia fait désormais également partie de la nouvelle région d’Oued Eddahab-Lagouira. Dans la quiétude des eaux turquoises de l’immense baie, se reposent d’innombrables Oiseaux migrateurs. La région est réputée pour la pureté de ses fonds marins. Le Dauphin à bosse, espèce tropicale, trouve ici sa limite septentrionale.

Sur un sol majoritairement formé de grés coquilliers, bordé de hautes falaises maritimes, la région de l’Aguerguer s’étale en rivage de l’Océan entre les parallèles 21.00 et 26.00 de latitude nord, soit depuis la frontière mauritanienne jusqu’aux abords du Cap Bojador. On y distingue de longues séries de barkhanes. La phytocénose y est particulièrement appauvrie et les éléments macaronésiens se font rares. Le paysage est assez monotone à l'intérieur et sur le littoral, cette monotonie n'est rompue que par les presqu'îles de Dakhla et le Golfe de Cintra. Bien que la dominante océanique en atténue les extrêmes, le climat est foncièrement aride, avec des hivers très froids et secs tandis que les étés sont très chauds et humides sur la côte où se produisent souvent des brumes, des brouillards et des rosées. Les pluies sont rares aussi bien sur le littoral qu'en retrait. Dakhla ne reçoit en moyenne que 45 mm par an. L'humidité maritime fait que la flore du littoral est tout de même abondante et diversifiée. Les eaux côtières exceptionnellement riches en Poissons sont le théâtre d’une surpêche dont on souffrira bientôt
. L'Océan est ici partagé entre les eaux canariennes et l'existence d'une grande masse d'eau très particulière, froide et très fertile, dont l'origine est due à la permanence d'un upwelling qui s'étend de la hauteur de Dakhla à celle du Cap vert. Ces remontées d'eaux froides et profondes, associées au courant des Canaries, jouent un rôle majeur dans le maintien d'un microclimat frais et de riches ressources halieutiques exploitées sans vergogne.


Et si on pêchait à la dynamite !

« La dégradation des milieux aquatiques au Maroc doit être un sujet de préoccupation majeure des administrations concernées.

En Méditerranée, le dynamitage est une pratique courante, à bord des sardiniers ou aux pieds des falaises ; ce qui perturbe, localement, la tranquillité de la plus belle colonie méditerranéenne des balbuzards pêcheurs et réduit leurs proies. On peut évoquer aussi la raréfaction de l'anchois, des moulières, de la grande Patelle. La chasse sous-marine en bouteille est fréquente. Les chasseurs sportifs, souvent viandards, se renforcent des professionnels en barque pour exploiter intensivement le mérou en été.
Le long de la côte atlantique, les lagunes subissent maintes agressions anthropiques et leur étendue régresse comme une peau de chagrin en compromettant les sites de nidification d'espèces rares de l'avifaune. En mer, maillages et tailles réglementaires des espèces commercialisables ne sont pas respectés. Les pollutions chimiques et physiques industrielles au sud de Safi peuvent être soulignées comme les rejets urbains des villes côtières. Au sud, la baie de Dakhla était un sanctuaire protégé de la pêche. Depuis deux ans, la levée de cet interdit a rassemblé sur le site presque deux cents barques armées de filets maillants et de filières à poulpes (600 pots/unité !). La faune abondante de sparidés, mérous, corbs, ombrines, courbines et langoustes, qui enthousiasmait les équipes internationales de chasse sous-marine ou les pêcheurs sportifs au surf-casting, n'est plus qu'un souvenir, le réseau trophique ayant été profondément perturbé. Les impacts d'une exploitation abusive et des pollutions sont perceptibles dans la baisse de certains rendements en pêche côtière ou hauturière céphalopodière.

Les eaux continentales ne sont pas épargnées... Pollutions chroniques urbaines, industrielles et barrages ont réduit l'aire de distribution des grandes aloses ; leur exploitation a chuté de 700 à 10 tonnes en 20 ans et leur extinction est proche... Que sont aussi devenus les oueds à truites ?

Le bilan devient consternant. Peut-on gaspiller des ressources alimentaires au Maghreb, négliger le maintien de la biodiversité ? L'avenir socio-économique des pêches professionnelles et sportives, des activités touristiques passe par une prise de conscience collective de le valeur de ces milieux aux potentialités multiples et par le respect des réglementations qui protègent la ressource. »

(Écosystèmes menacés, par Marc-Richard Sabatié, paru dans Le Courrier de l’Environnement de l’INRA, nº 51.)


Le Parc national de Dakhla : le Sahara « parqué »
Voici le sanctuaire stable et durable offert à la grande faune saharienne ou à ce qui en reste, car le Guépard, l’Addax, l’Oryx, certaines Gazelles et l’Autruche ont ici et depuis belle lurette des présences posthumes. Ce parc occupe un immense territoire de presque deux millions d’hectares s’étendant sur la province d’Oued Eddahab, frontalière avec la Mauritanie et enveloppant de grands territoires géographiquement distincts : un immense reg intérieur parsemé de butes gréseuses, au relief souvent allongé et une bande littorale fortement soumise à l'influence océanique. Le secteur côtier, établi sur l’Aguerguer, est délimité sur sa façade atlantique par de hautes falaises battues par les vagues et riches en varech. Cette zone est constituée d'un chapelet de petits reliefs ruiniformes, buttes gréseuses qui soumises aux caprices des vents très fréquents et puissants, ont dégagé des reliefs étranges, fortement découpés et qui constituent une originalité majeure. Ces grès karstifiés, ces surfaces rocailleuses fortement érodées ne facilitent pas la pénétration de ce secteur, dont la partie septentrionale fut autrefois le règne d'une importante population de Gazelles dorcas dont il reste aujourd'hui quelques hardes. La côte est spécialement vouée aux mesures conservatoires d’un contingent de Phoques moines, le plus important connu, et dont les individus sont aisément observables du haut des vertigineuses falaises, ainsi que de la Gazelle dorcas du plateau littoral. Le secteur terrestre occupe principalement la grande région de l'Adrar Souttouf, un immense reg aux inévitables ensablements, parsemé d’îlots montagneux et de longues collines à teinte très foncée et traversée par quelques lits d'oueds asséchés, ponctués d'Acacias. Jadis, ce territoire était riche en espèces climaciques sahariennes désormais éteintes. Aujourd’hui, il conserve encore de rarissimes Mouflons à manchettes, la fragile Gazelle dorcas, l’ombre de l’Hyène rayée, le Chacal « mal-aimé », le Fennec « trop aimé », le Renard famélique, le Ratel, la Zorille et le Chat ganté pour ce qui concerne les espèces les plus remarquables. La Mangouste rouge y a aussi droit de citer : c’est une espèce endémique et fréquente du Sahara marocain, de taille plus modeste que l’Ichneumon, elle possède un pelage brun rougeâtre à ocre et la queue est plus longue. Il convient de joindre aussi quelques Rongeurs spécialisés, tels la Mérione du désert, la Gerbille de Riggenbach (petite espèce endémique au ventre blanc), le Rat de sable diurne, le Pachyuromys à queue en massue, la petite Gerboise et le Lièvre. Des indices de la présence de l’Hyène, datant de 1995, donnent à penser que le bel animal farouche y survit toujours.

175 entités représentent l’avifaune du parc, dans les deux aspects maritime et terrestre, dont une petite espèce particulière d'Alaudidés : la Moinelette à front blanc, très localisée et redécouverte dans la région inexplorée d'Aoussard.

Du point de vue herpétologique, il est intéressant de dresser l’inventaire des espèces rencontrées et rapportées par la littérature scientifique pour cette région parce qu’elle représente non seulement les confins du territoire marocain mais aussi la limite d’expansion méridionale de bon nombre de Reptiles et d’un unique Batracien. Cet Amphibien est le Crapaud vert dont sa présence jusqu’ici et au-delà même du territoire de la Grenouille verte d’Afrique du Nord, pourtant fortement ubiquiste, témoigne de son étonnante résilience (la station la plus méridionale est le village d’El-Argoub, un peu plus bas que Dakhla). Les Reptiles, toutes familles confondues, comprennent : la Tarente commune (indigénat douteux à cette latitude, la limite admise de cette espèce profuse étant la basse vallée du Drâa) ; la Tarente annelée ; la Tarente du Hoggar (inféodée aux troncs d’Acacias dans l’Adrar Souttouf) ; le Gecko casqué (déserticole et hôte des formations aréneuses littorales) ; le Sténodactyle commun ; le Sénodactyle de Petrie (Gecko saharien strictement psammophile) ; le Gécko à écailles carénées (ssp.
occidentalis) (habitant des regs et des hamadas) ; l’Agame de Bibron (investit peu l’étage saharien et la région de Dakhla, avancée extrême, est à confirmer) ; l’Agame changeant (son preferendum est nettement plus saharien que l’Agame de Bibron et il tend à le remplacer dans les milieux plus hostiles ; son éthologie est également différente car au lieu de détaler promptement, il s’aplatit, cherche à rassembler des graviers et se fige) ; le Fouette-queue (ssp. nigerrimus noirâtre) ; le Varan du désert (il fréquente l’erg mais victime d’une grande prédation de la part de l’Homme, sa présence est désormais fortement diluée) ; l’Éremias de Pasteur (habite l’erg où il est rare et semble illustrer une vicariance de l’Éremias d’Olivier septentrional) ; l’Éremias à points rouges (espèce saharienne remarquable et exceptionnelle faisant l’objet que rares citations du Sahara marocain dans les regs très orientaux de l’Adrar Souttouf) ; l’Acanthodactyle de Duméril (dans l’Adrar Souttouf et en Maurétanie où il est propre aux ergs continentaux) ; l’Acanthodactyle doré (remplace l’Acanthodactyle de Duméril dans les massifs dunaires côtiers de l’Aguerguer) ; le Sphénops occidental (sabulicole craintif, propre à la façade atlantique du Sahara) ; le Sphénops de De l’Isle (belle espèce des zones sablonneuses de l’Afrique tropicale, au Maroc, elle n’est connue que de l’Adrar Souttouf et des confins du Tiris) ; le Scinque à bandes blanches (dit Scinque officinal ou Poisson de sable) ; la Couleuvre algire (espèce très discrète faisant l’objet de rares citations tant littorales qu’intérieures dans cette région) ; la Couleuvre à capuchon (ssp. nominative) (plutôt exceptionnelle au Sahara marocain, sa notation de Dakhla prouve la valence écologique d’une Couleuvre de rencontre plus habituelle aux étages humide et perhumide des montagnes boisées) ; la Couleuvre fouisseuse à diadème (nettement mieux en place sur le front subsaharien bordant les Atlas, un indigénat côtier est néanmoins présent contre la frontière mauritanienne) ; la Couleuvre de Montpellier (sa distribution s’essouffle sur le littoral du Sahara marocain où le secteur de Dakhla serait le point le plus avancé) ; la Couleuvre de Moïla (déserticole peu connu et, bien que d’une robe très claire, est parfois confondue avec le Cobra dont elle s’affuble de la parade dissuasive et bluffante lorsqu’elle est inquiétée) ; la Couleuvre de Schokar (avec une forme chromatique propre à la contrée) ; la Vipère à cornes (un peu partout mais évite l’erg et la frange littorale) ; la Vipère de l’erg (belle petite Vipère franchement arénicole, tout autant dans les dunes maritimes que continentales). Le contingent énuméré est celui que l’on rencontre dans l’Aguerguer et l’Adrar Souttouf. La plupart des taxa figurant dans cette liste se manifestent irrégulièrement dans les autres écorégions du Sahara marocain abordées à la suite et nous ne referons le point des présences herpétologiques qu’au niveau du Bas Drâa où le critère plus continental fait que la composition se modifie partiellement, reprenant un faciès davantage enrichi de composants paléarctiques.

Bien que peu concernées par les écosystèmes terrestres auxquels nous nous limitons, on peut citer les Tortues marines qui manifestent leur présence sur les côtes de cet océan très riche  : la Caouanne, la Tortue verte, occasionnellement la Tortue imbriquée, la Tortue-luth

La flore vasculaire ici évaluée à 250 taxa, compte notamment et pour les grandes espèces :
Acacia raddiana, A. ehrenbergiana, Faidherbia albida, Balanites aegyptiaca, Capparis decidua, Maerua crassifolia et plusieurs espèces de Tamarix. Dans les limites continentales de ce secteur se rencontrent d’impressionnantes barkhanes isolées et concaves. La qualité paysagère est rendue très originale par l’aspect surréaliste de ces massifs dunaires de barkhanes « chantante » (sous certaines conditions climatiques), qui semblent flotter sur l’extrême platitude du reg caillouteux.

Le Parc a non seulement pour mission d'établir un sanctuaire durable pour la grande faune saharienne subsistante, mais aussi celle de la réintroduction des espèces éteintes.


L’Addax n’a pas de frontière...

Outre son rôle de réservoir génétique potentiel (formule grandiloquente mais qui revient à dire qu’il n’y a plus grand chose d’autre à protéger qu’une potentialité !), l’autre mission du Parc est la réintroduction convoitée de certains grands Herbivores. Cet objectif essentiel appelle quelques remarques qui font qu’il confine à l’utopie s’il ne vise que le strict territoire national. Pour être rationnel et réalisable, la pensée qui y préside se doit être universelle et globale puisque transsaharienne. L’est-elle ?

L’un de ces Macromammifères est un remarquable Bovidé au pelage dorsal de registre gris et variable selon les saisons, au ventre blanc, aux cornes contournées en spirale et annelées plus de vingt fois sur leur partie basale. Cette grande Antilope est l’Addax qui depuis l’Atlantique et jusqu’en Égypte investit toutes les steppes sahariennes d’où elle a été persécutée puis décimée du paysage marocain et du Sahara marocain il y a une cinquantaine d’années. La dernière observation date de 1963 dans la Seguiet-El-Hamra et depuis toujours sa présence n’était que temporaire à l’est du Haut Drâa d’où elle regagnait l’Algérie. L’Oryx est une espèce voisine mais aux longues cornes rectilignes recourbées en arrière (chez les deux sexes), au pelage blanchâtre cà et là lavé de brun. Elle fit l’objet d’une chasse intensive et il est peu probable qu’il en subsiste quelques hardes dans le Souttouf, le Tiris ou le Zemmour. Comme la fragile Gazelle dama, pareillement éradiquée jusqu’à l’ultime, ces animaux ont fait l’objet d’une mise en reproduction dans de vastes réserves closes comme celles du Souss-Massa pour les deux grandes Antilopes ou de Sidi-Chiker pour la gazelle citée.

Il s’agit d’Herbivores du désert, parfaitement adaptés à la dispersion des pâturages aléatoires et qui se déplacent conséquemment en permanence. Et l’Addax est nomade sur de plus grandes distances encore. Pour ce qui concerne cette dernière (et censément de même pour les autres), tout effort de réintroduction obéira à la mouvance populationnelle de l’antilope sans frontière. Lâchée dans le Parc de Dakhla, elle sera vite en Mauritanie. Il est illusoire d’imaginer l’Addax et les autres Herbivores sahariens, y compris l’Autruche, sédentaires dans leur aire de lâché. Comme on ne peut clôturer deux millions d’hectares, l’option qui consisterait à fermer quelques poches reviendrait à faire perdre son sens à l’objectif de la réintroduction au sens strict et reproduirait de nouveau la figure zoologique des réserves concentrationnaires. Il en va de même pour les 286.000 ha du Parc du Bas Draâ et de sa proximité avec l’Algérie.
Pour l’instant et avec l’Autruche, l’Addax et l’Oryx se reproduisent et s’entassent sans perspective dans le Parc-réserve du Souss-Massa. Une leçon de plus qui prouve qu’il est toujours plus sage de sauvegarder que de réintroduire ou de régénérer.

Face aux risques élevés d’extinctions prochaines, certains programmes réalistes agissent en désespoir de cause. Tel est le cas de « l’Arche congelée », projet de scientifiques britanniques du centre de biomolécules de l'université d'Oxford, ayant entrepris le sauvetage d’échantillons de tissus des milliers d’espèces menacées. Leurs identités génétiques sous formes d’ADN préservés pourront être employées dans le futur pour d’éventuels clonages. L’Oryx du Sahara figure justement dans la liste des premiers animaux sauvés de notre déluge moderne sous forme d’ADN. Quand nous étions petits, il fallait nous rendre dans la salle de la préhistoire pour surprendre les formes paléontologiques du passé.
Le passé était le passé : lointain, et nous n’étions pas les artisans de ces fossiles. Comment imaginer alors que cette génération façonnerait son propre passé et qu’un demi-siècle plus tard, il y aurait urgence de mettre à l’abri les ultimes indices de notre propre casse, tableau de chasse d’un passé « contemporain » précipité par l’avidité de l’espèce « intelligente » et dominatrice ? Intelligente pour sa capacité, entre autres, de reconnaître l’acide désoxyribonucléique du noyau cellulaire. Imbécile pour avoir su fossiliser de ses mains tant d’espèces en une si courte période. Chaos.


L’Adrar Souttouf : l’aridité absolue

Culminant bien modestement à 518 m, la grande région de l'Adrar Souttouf partage avec l’Aguerguer, la figure de conservation du Parc national de Dakhla. Le territoire se résume schématiquement à un immense reg aux inévitables ensablements, de grandes collines à la teinte très foncée se découpant sur l'horizon, quelques lits d'oued asséchés parsemés d'Acacias et de Capparidacées, et le souvenir d’une grande faune autrefois si riche (Addax, Oryx, Bubale, Mouflon, Gazelles diverses, Guépard, Vautour, Autruche), aujourd'hui quasiment éteinte mais avec l’espoir d’un lent et progressif retour, cahier des charges du Parc de Dakhla auquel on peut toujours croire. Certains de ces Mammifères trop pourchassés bénéficient encore de poches de survie, mais ce n’est le cas que pour le Mouflon à manchette, la Gazelle dorcas et peut-être les dernières Gazelles dama, mais l’observation remontant à 1994, elle est probablement caduque dans le cadre une région qui fut longtemps très tourmentée par des évènements belliqueux. La plupart des autres Mammifères sont ceux signalés plus avant et relatifs au Parc national. Si la végétation ligneuse a beaucoup souffert des années de sécheresse, il suffit d'un peu d'humidité pluviale, pour que se manifeste une flore annuelle potentiellement dense et diversifiée, car les semences des plantes spécialisées ne perdent rien pour attendre... On découvre dans l’Adrar Souttouf des secteurs où les sols montrent une amorce de pédogenèse qui contraste avec les grandes étendues gravillonnaires ou sablonneuses. Ces horizons infinis offrent une plastique bien particulière liée au contraste des teintes intensément claires des surfaces éoliennes et profondément sombres des morphologies tabulaires. Des Hommes de tous temps ont parcouru ces immensités, nomades principalement, guerriers rezzou autrefois, derniers chasseurs des dernières gazelles et militaires récemment.

Les formations à
Acacia raddiana et A ehrenbergiana y sont remarquables et côtoient Capparis decidua et Maerua crassifolia, autour duquel volette parfois l’exceptionnel Piéride dorée (Colotis chrysonome), plus fréquente dans le massif algérien du Hoggar. On y trouve aussi un Cassier tropical : Cassia senna, sous-arbrisseau-hôte d’un remarquable Papillon pantropical et migrateur, la Piéride Catopsilia florella, qui vole aux Canaries, dans toute l’Afrique au sud du Sahara, jusqu’en Inde et la Chine, et que l’on rencontre très incidemment dans le Sahara marocain. Un autre Cassier, Cassia aschrek, plus présent dans le Zemmour occidental, est parasité par le même Rhopalocère. Enfin, la récente découverte sur le sol marocain du Crapaud de savane (Bufo xeros), aux limites mauritaniennes de la localité d’Aouadi, dans le secteur du Wadi Aïn-Ascaf, laisse sous-entendre que les quelques signalements de Crapauds jusqu’alors non déterminés de l’Adrar Soutouff devront être rapportés à cette espèce subsaharienne mais atteignant le Sahara marocain depuis l’Azeffâl de Mauritanie.


Le Zemmour occidental : un no man’s land

Les derniers combats significatifs de la guerre du Sahara ont eu lieu à Gueltat-Zemmour en octobre 1989, en janvier et en novembre 1990. Le seul point d’eau de tout le Zemmour occidental, véritable no man’s land, a longtemps été la Guelta du Zemmour, bassin permanent qui occupait une cuvette creusée par la chute d’une dizaine de mètres d’un oued temporaire alimenté par des pluies sporadiques. Selon des relevés et des photos de 1942 (Rungs, 1992), les indices laissés en période de hautes eaux enseignaient que le bassin pouvait alors atteindre une quarantaine de mètres de largeur pour dix-sept mètres de profondeur. La phytocénose comprend quelques espèces de
Rhus, Panicum turgidum, Hamada scoparia et de nombreux taxa méditerranéens.


La Seguiet-El-Hamra : un bassin sédimentaire de 90.000 km2

Ce bassin sédimentaire de plus de 800 km de longueur côtière supporte une hydrographie très dégradée et seul l’Oued Seguiet-El-Hamra coule occasionnellement quelques jours tous les cinq à six ans, n’atteignant qu’exceptionnellement la mer. Le bassin est limité à l’est par des massifs précambriens métamorphiques et éruptifs appartenant au bouclier R’Guibet. Au nord et au nord-est, une importante série paléozoïque recouvre tout le socle.

Le bassin inférieur de la Seguiet El Hamra offre avec ses ksour entourés de verdure et de Dattiers un havre de fraîcheur. C’est un secteur encore sous l’influence océanique, mais modérée. L’ample vallée calcaire, très ensablée, est bordée de regs saignés de rigoles de ruissellement des crues aléatoires. Consécutivement aux rares pluies, on y procède à de fugaces cultures sur les maaders et les grarats. Les Palmiers dattiers ne sont pas légion et les
Acacia raddiana sont très épars. Seul Rhus tripartita se présente en bon effectif. Les brouillards nocturnes suscitant de véritables « lames d’eau » ascensionnelles dynamisent le développement de Lichens fruticuleux du genre Ramalina. La Gazelle dorcas y est toujours signalée mais rarement contactée.

Le bassin supérieur de la vallée est particulièrement connu en vertu de son histoire. La légendaire ville de Smara, cité saharienne et ville sainte, y fut construite à la fin du XIXe siècle par le Cheikh Ma-El-Aînin pour lutter contre les occupants étrangers. Ce riche passé fut aussi à l’origine de grandes aventures humaines et guerrières. Non loin de Smara, le voyageur averti ne manquera pas d’admirer des gravures rupestres qui attestent de l'ancienneté de l'occupation humaine des lieux. Avec ses ksour bordés de verdure et de dattiers, la vallée du Seguiet-El-Hamra, offre un havre de fraîcheur. Entre les vastes regs, quelques vallonnements conservent de beaux peuplements d’Acacia raddiana (comme aux alentours du puits de Tifariti), mêlés de robustes Maerua crassifolia (surtout dans la vallée de l’Oued Seraya) où s’accroche la liane Cocculus pendulus. Il y a quelques décades, sur les rives et dans le lit de la Seguiet-El-Hamra, entre Farsyia et Haoussa, subsistait une forêt-galerie (ripisylve) très dense composée de Tamarix aphylla, T. pauciovulata, Acacia raddiana, Maerua crassifolia, Ricinus communis, Nitraria retusa, Limoniastrum ifniense, Cocculus pendulus, Ephedra fragilis et de grandes Graminées. L'un des affluents de la Seguiet-El-Hamra porte encore le nom d'Oued Argan, attestant l’ancienne limite géonémique méridionale de l’Arganier.

Les coléoptéristes seront peut-être surpris d’apprendre qu’en dépit des fortes contraintes climatiques, certains habitats subtils du Sahara marocain recèlent quelques remarquables Carabiques comme :
Scarites buparius, Myriochile dorsata, Cymbionotus semelederi, Emphanes inconspicuus, Ocydromus cruciatus, Pogonus chalceus, Masoreus saharensis, M. orientalis, M. affinis, Atlantomasoreus desertorum et quelques autres Coléoptères Carabidae.


Les Caps Bojador et Juby dans la mémoire de l’humanité

Près de Boujdour, le Cap Bojador, escale de Magellan sur la route des épices, terrorisait les anciens navigateurs. Le plus souvent noyé dans la brume, il paraissait infranchissable et tous les marins renonçaient à en affronter les vagues énormes eat faisaient demi-tour. Après douze ans de tentatives et de renoncements, le navigateur Gil Eanes, audace navigateur portugais réussit à le franchir en 1434
. Ce modeste cap africain situé à 120 milles au sud des Iles Canaries représentait depuis longtemps les limites du monde connu et selon la croyance médiévale, son franchissement marquait la sortie de l'espace intellectuel du Moyen-Age et l'entrée dans la « Mer ténébreuse ». Face aux Canaries, là où est blotti le port de pêche de Tarfaya, le Cap Juby est un formidable promontoire sur la côte Atlantique. Des cultures vivrières et temporaires entre les buissons de Rhus tripartita et de Launea arborescens, confinées dans les grarats, alternent avec des espaces de forte aridité où les Euphorbes cactoïdes et dendroïdes se complaisent sur le calcaire prééminent. Ancienne escale des pionniers de l’Aéropostale sur la ligne Casablanca-Dakar, les ombres de Guillaumet, Mermoz et bien sûr de Saint-Exupéry (Courrier Sud, Vol de Nuit, Terre des Hommes, Le Petit Prince) planent toujours sur le Cap Juby.


La Lagune de Khnifiss : un catalogue aviaire riche de 180 espèces

Située à 70 km au nord de Tarfaya, dans la baie du même nom, elle est parfois désignée comme Lagune de Naya dans certains guides. Sur 6500 ha, c’est une aire protégée longue d’une vingtaine de kilomètres. L’initiative de Jean-Bertrand Panouse, un naturaliste français précurseur, portait sur une superficie dix fois supérieure et un recentrage sur l’espace humide minimum devrait couvrir 20.000 ha. Cette aire est inscrite sur la liste Ramsar pour son importance mondiale pour les Oiseaux d’eau et c’est pour cette avifaune la troisième escale au sud, après la Merja Zerga et la Merja Sidi-Boughaba du littoral nord-atlantique. Les caractéristiques bioclimatiques sont celles de l’inframéditerranéen quasi-saharien, à hiver doux. Si l’eau de pluie y est une denrée rare (les 45 mm annuels ne sont qu’occasionnellement atteints), cette carence est compensée par une humidité maritime de 90 % durant au moins 75 jours par an, ce qui équivaut à une appréciable période de précipitations, même si discrètes puisque occultes. Ce véritable bras de mer s’appuie à l'ouest sur les magnifiques dunes vives d’Hassi-Fleiga, et à l'est sur une falaise de grès dunaire peu consolidé. Elle se prolonge vers l'intérieur des terres par une immense dépression saline, la Sebkha Tazra, ennoyée aux très fortes marées et où se trouve une exploitation de sel. La Guelta El-Aouina, voisine de l'embouchure de la lagune et isolée de celle-ci par une série de dunes, draine les eaux de l'Oued Aouedri et n'est donc alimentée que par les précipitations. Ces deux plans d'eau, proches géographiquement mais d'hydrologies très différentes, sont environnés de portions de biotopes variés : regs, ergs, sebkhas, krebs (escarpements de hamadas), sources (et puits), falaises vives littorales et plages. Le lagon est ceint d’une plate-forme côtière calcaire du Crétacé. Plusieurs vestiges archéologiques existent sur le site. L'un est une tour dont seul le sommet émerge du sable et tous les autres sont préhistoriques, où abondent les silex taillés, les fragments d’œufs d'Autruches gravés et les perles de collier pareillement en oeufs d'autruche.

La phytocénose des eaux marines est représentée majoritairement par des Cyanophycées, ces Algues bleues (ou Algues mucilagineuses), formes de vie primitive affines aux bactéries et qui réalisent l'assimilation de l'azote atmosphérique par des hétérocystes. Une trentaine d’Algues macrophytes a été cataloguée.
Zostera nana, plante herbacée marine, abonde. De grands herbiers de Rupelle (Ruppia cirrhosa), plante phanérogame, sont partout enracinés dans ces eaux saumâtres. La végétation à halophytes, notamment illustrée par Spartina maritima et Nardus sp., sert de pâture aux Chameaux dont on peut se questionner sur l’opportunité de leur présence ici. On trouve évidemment des Salicornes (Salsolacées) propres aux marais salants comme : Salicornia arabica, S. perennis, ainsi que Suaeda maritima, Atriplex portulacoides (pourpier de mer), Halocnemum strobilaceum, Arthrocnemum indicum, ainsi que Cistanche phelypaea, Cistanche jaune, glabre et charnue qui parasite ici les Salicornes. Des groupes isolés de Tamarix pauciovulata ponctuent çà et là la base des dunes. Enfin, bien des éléments macaronésiens restent fidèles à ce paysage. Ce sont en tout 70 espèces de plantes vasculaires qui ont été recensées, dont des endémiques rares. Outre un peuplement très diversifié d’Invertébrés marins et terrestres, on dénombre 17 espèces de Reptiles.

Parmi les 180 espèces d’Oiseaux, on peut citer : le Grand Gravelot
(avec un effectif de plus d’un millier de sujets), le Gravelot à collier interrompu, le Pluvier argenté (une colonie de 2000 exemplaires), la Barge rousse (de l’ordre d’un millier), l’Huîtrier pie, le Bécasseau maubèche, le Bécasseau minute, le Flamant rose (jusqu’à 700 couples peuvent nicher). C’est enfin le seul site de reproduction du Sterne pierregarin et l’un des deux du Goéland railleur. La lagune de Khnifiss est le lieu d’hivernage de centaines de Courlis à bec grêle et la sebkha constitue un site migratoire de la Spatule blanche.

Sans reprendre le petit catalogue herpétologique dressé pour le Parc national de Dakhla  (régions de l’Aguerguer et du Souttouf), et vaguement valide dans la plupart des secteurs un peu plus au nord (Amoukrouz, Imirikli-El-Abiod, Zemmour occidental), citons ici certains Batraciens et Reptiles présents, avec quelques nouveaux participants transfuges du Nord, tel le Crapaud de Maurétanie en limite d’aire, le Crapaud vert, le Crapaud de Brongersma (meilleure avancée au sud-ouest), la Grenouille verte d’Afrique du Nord (qui atteint l’embouchure de la Seguiet-El-Hamra), la Tarente de Böhme (en ses limites vers le sud), le Gecko casqué, les mêmes Sténodactyles que plus au sud, le Scinque à bandes blanches (ou Poisson de sable), le Caméléon (ne se rencontrera guère plus au Sud), l’Acanthodactyle-panthère (
Acanthodactylus busacki), la Couleuvre-diadème (au Maroc quasiment cantonnée dans ce secteur), la Couleuvre commune d’Afrique du Nord (relicte tropicale de très grande rareté et en voie d’extinction), le Cobra d’Égypte (son aire atteint le haut bassin de la Seguiet-El-Hamra et le littoral vers Echtoucan), la colossale Vipère heurtante (la limite de sa géonémie méridionale semble se situer un peu au sud de Laâyoune), etc. (liste non exhaustive). L’étrange Colubridé qu’est le Serpent mangeur d’œuf n’a pas été appréhendé à Khnifiss, ni dans ses proches alentours, mais possède une station isolée au sud du bassin inférieur de la Seguiet-El-Hamra, dans le Zemmour occidental.


L’Oued Chebeika et le Marabout d’Afrique au Maroc

Quelques kilomètres avant Tan-Tan, aux prémices du bioclimat inframéditerranéen, le site de englobe sur 3500 ha toute l'unité écologique de l'embouchure vers l'amont, afin de prendre en compte la multitude d'habitats qui existent vers l'intérieur, là où se développe notamment la végétation halophile. Le périmètre est déterminé par les reliefs qui forment le bassin de l’oued. Le régime hydrologique est soumis au balancement des marées. Dans sa partie aval, le lit entaille profondément (4 km de long, 1 km de large) la hamada littorale calcaire. De puissantes dunes vives sableuses investissent la rive droite de l'embouchure, tandis que des falaises dégagées par les vents dominants se dressent sur la rive gauche. En remontant de l'aval vers l'amont, on rencontre un chenal de marée serpentant dans une slikke largement découverte à basse mer, puis une vaste sansouire pénétrant profondément avant de céder la place à des zones buissonnantes et sableuses. C’est un splendide paysage essentiellement occupé par une avifaune marine et limicole. Quelques sujets du Marabout d’Afrique ont été observés à l’embouchure de l’Oued Chebeika en 2001 et 2002. C’est aussi un site de nidification du Traquet du désert et du rare Dromoïque du désert.


En remontant l’Oued Drâa...

A peine plus au nord du parcours saharien proposé, vaguement depuis Guelmim et Bouizakarne, à travers Taghjicht, Icht, Akka, Tata, Foum-Zguid et jusqu’à Mhamid, puis en remontant la haute vallée du Drâa, s’égraine un véritable rosaire d’oasis, certaines renfermant des palmeraies considérables. Ces sites ont été abordés dans le chapitre précédent. Il convient ici de parcourir schématiquement les écosystèmes sahariens qui bordent le Grand Sud marocain depuis l’Atlantique jusqu’au terme oriental du Djebel Bani.


Le Drâa : 1200 km de témoignages immémoriaux

Le Drâa naît prés de Ouarzazate de la réunion des Oueds Dadès et Ouarzazate, et coule dans la direction nord-ouest, sud puis ouest. Dans l'antiquité, c'était un fleuve permanent et le plus long du Maroc, mais aujourd'hui, ses eaux se perdent dans les sables après le coude qu'il forme à Mhamid. A la suite de crues exceptionnelles, il lui arrive cependant d'atteindre son embouchure, 1200 km plus loin, près du Cap Drâa. C’est un fleuve typiquement saharien, jouissant non loin de son bassin versant d’un cours en surface, sous l’influence chaotique des pluies et de la fonte des neiges. Les crues durent peu, quelques heures ou quelques jours, mais sont violentes et d’une énorme charge solide. Lorsque ses eaux dévalent dans les gorges supérieures, à l’instar de tous les cours d’eau sahariens, le Drâa devient alors un puissant agent d’érosion capable de tout emporter, jusqu’à changer son tracé. Lors des crues, les pics peuvent atteindre 4000 m3/seconde : un vrai mur d’eau à l’énergie turbo ! Plus bas, sous l’effet de la diminution de la vitesse, la charge se dépose provoquant des accumulations de galets et de sable qui encombrent le lit lors des étiages. Après un parcours supérieur montagnard très bref et au fil des quelques 200 km de la vallée oasienne qui mène à Zagora, le Drâa ne se manifeste déjà plus qu’en larges flaques semi-dormantes en surface ou sous l’aspect d’un filet d’eau peu profond. Puis l’essentiel de son cours dans le domaine saharien et jusqu’a l’Océan est de type spasmodique, souterrain dans la majeure partie du temps et de l’espace. Le stock d’eau qu’il génère n’en est pas moins négligeable.

La Vallée du Drâa est un foyer ancestral de civilisation. Il y a un temps immémorial, elle était le domaine des Kouchites (descendants noirs de Kouch, fils de Ham fils de Noé), c’est-à-dire des Hamites ou Éthiopiens occidentaux des anciens auteurs. Les Kouchites étaient païens, sédentaires et s’adonnaient à l’agriculture. Ils étaient censément déjà solidement fixés dans la région de Zagora, sur le site privilégié de Tazroute, où nous les « découvrons » au début de l’ère chrétienne. Aujourd’hui, les descendants des Kouchites sont les Haratines qui forment encore une partie importante de la population oasienne du Sud Marocain et dont on dit par ailleurs et probablement injustement qu’ils sont descendants d’esclaves d’origine soudanaise et non pas de populations autochtones protohistoriques et antérieures à la désertification du Sahara.


L’Embouchure du Drâa : un grand refuge

Juste au nord, l’infinie Plage Blanche développe son sable sur une cinquantaine de kilomètres. Ce nom provient de l’époque de l’Aéropostale : Saint-Exupéry et ses Hommes avaient noté cet immense ruban de sable blanc, rendu inaccessible par le cordon dunaire ourlé de vagues déferlantes tout autant que par la falaise. La ville de Guelmim nourrit le projet d’en aménager 1000 ha en une station balnéaire prestigieuse pour vacanciers à haut pouvoir d’achat... Sachant que les risques d’ensablement sont grands, il faut donc, pour en profiter, en parcourir la longue piste qui remonte depuis Foum-el-Oued-Drâa jusqu’a Foum-Assaka (et Bou-Jerif) avant cette redoutable offensive balnéaire qui en restera peut-être au stade de l’étude de faisabilité, comme c’est (heureusement) la cas de la plupart des initiatives du genre.

Le périmètre habituellement désigné par cette embouchure s’étale de la mer jusqu’aux Gueltas Kahla et Zerga (permanentes), et les massifs alentours. La piste qui mène à Foum-El-Oued-Drâa permet d’y accéder. A l’est, cet espace entre ainsi en contact avec le site suivant de M’Sied. Nous sommes dans l’inframéditerranéen à hiver chaud et tempéré. Il s’agit d’une ample cuvette creusée dans la hamada côtière par l'Oued Drâa et succédant à un défilé entaillé sur une dizaine de kilomètres. Le lit du fleuve est très sableux, mosaïqué de petites dunes couvertes d’une dense végétation buissonnante. L'oued à régime intermittent jusqu'à sa confluence avec l'Oued Tan-Tan, devient alors permanent dans sa partie la plus en aval, alimenté par le balancement des marées pouvant remonter sur plusieurs kilomètres, ainsi que sous l’effet de l'affleurement de la nappe phréatique. Plusieurs sources permanentes émanent de cette nappe sur les berges, par ailleurs investie d’une sansouire. Le plateau côtier est agrémenté de larges ondulations sableuses, parallèles au rivage, certaines de grande élévation. De hautes falaises vives bordent l’embouchure de part et d’autre.

La grande faune s’enorgueillit du maintien de la Hyène, laquelle d’ailleurs et par petites bandes, semble subsister sur presque toute la Côte du Sahara marocain, et notamment entre l’embouchure du Drâa et le Cap Juby, mais aussi plus à l’intérieur dans les reliefs du Moyen Drâa. Fait assez original pour le biome saharien, le Sanglier est ici ! Et il remonte le Drâa jusqu’à 70 km en amont vers le Djebel Guir, observations lors de l’hiver très pluvieux de 1992 (Cuzin, 1996). Autre découverte provenant du même et talentueux observateur, c’est ici la limite géonémique au sud du Renard roux. Le Chacal, le Chat ganté, le Ratel, et la Mangouste ichneumon (ne pénètre guère le Sahara au-delà) rejoignent cet inventaire. Les autres petits Mammifères qui peuplent le secteur sont : la Mérione à queue rouge, la Mérione du désert, la Gerbille occidentale, la grande Gerbille de sable, la Gerbille pygmée, la Gerbille champêtre, le Rat de sable diurne, le Pachyuromys à queue en massue, la Gerbille naine, la petite Gerboise, le Porc-épic (en limite d’aire), l’Écureuil de Barbarie, le Lérot, le Hérisson du désert, la Musaraigne de Whitaiker, la Musaraigne de Tarfaya (indigène côtière du Souss jusqu’en Mauritanie), la Musaraigne de Bolivar (endémique marocain), la Musaraigne
Crocidura lusitania (décrite de Mauritanie comme son nom ne l’indique pas !) et le Rat à trompe. Les Chiroptères ne se pressent pas á l’étage saharien et il ne semble y avoir que la Sérotine qui atteigne le Cap Drâa, quelques autres chauves-souris ne passant pas le revers méridional de l’Anti-Atlas. Le Lièvre du cap est le seul Lagomorphe du domaine.

L’avifaune littorale et intérieure de l’embouchure, et plus globalement de la région de Tan-Tan à Guelmim, est sommairement indiquée par ce cortège : Canard pilet, Sarcelle marbrée, Macreuse noire, Martin-pêcheur d'Europe, Martinet des maisons, Pigeon biset, Tourterelle maillée, Tourterelle turque, Ganga unibande, Barge à queue noire, Courlis corlieu, Courlis cendré, Chevalier gambette, Chevalier aboyeur, Chevalier cul-blanc, Tournepierre à collier, Bécasseau maubèche, Bécasseau sanderling, Bécasseau minute, Bécasseau variable, Combattant varié, Avocette élégante, Pluvier argenté, Grand-gravelot, Pluvier à collier interrompu, Labbe parasite, Goéland d'Audouin, Goéland leucophée, Goéland brun, Goéland railleur, Sterne hansel, Sterne caspienne, Sterne voyageuse, Sterne caugek, Balbuzard pêcheur, Circaète Jean-le-Blanc, Busard des roseaux, Buse féroce, Aigle de Bonelli, Faucon crécerelle, Faucon lanier, Faucon pèlerin, Fou de Bassan, Grand Cormoran, Aigrette garzette, Héron cendré, Héron garde-boeufs, Flamant rose, Spatule blanche, Cigogne noire, Puffin des Anglais, Pie-grièche méridionale, Pie bavarde, Merle-bleu, Grive musicienne, Gobe-mouches noir, Rouge-queue de Moussier, Tarier pâtre, Traquet rieur, Traquet motteux, Traquet à tête grise, Traquet du désert, Étourneau unicolore, Mésange charbonnière, Hirondelle de rivage, Hirondelle de rochers, Hirondelle rustique, Hirondelle de fenêtre, Bulbul des jardins, Hypolaïs polyglotte, Pouillot véloce, Fauvette mélanocéphale, Ammomane isabelline, Sirli du désert, Alouette calandrelle, Alouette pispolette, Cochevis huppé, Alouette bilophe, Moineau domestique, Moineau espagnol, Bergeronnette grise, Bergeronnette printanière, Pipit farlouse , Roselin githagine , Bruant striolé.

C’est ici la limite d’un bien étrange Coléoptère
Carabidae, le carabe rostriforme Cathoplius asperatus dont la ssp. aliai est propre à quelques secteurs littoraux entre le Cap Drâa et le Cap Boujdour. Les Carabes sont habituellement restreints aux écorégions humides, voire perhumides, notamment aux forêts profondes. Mais les Cathoplius et spécialement ce subendémique se sont spécialisés aux zones arides de la frange atlantique où l’absence de pluie est compensée par des brouillards maritimes. C’est au moment fort de la nébulosité côtière, soit en automne, qu’on a le plus de chance de les surprendre dans les dunes, occupés à déguster un Helix, l’avant-corps largement plongé dans la coquille, d’où leur adaptation morphologique par cette tête exagérément effilée en rostre. Un autre Carabique carnassier fréquente ce rivage, c’est Scarites buparius dont les mandibules acérées attendent, grandes ouvertes et à l’abri d’un terrier au pied d’une dune, le passage d’une quelconque proie.


La Réserve de M’Sied et ses derniers Guépards

Entre les prolongements occidentaux des Djebels Ouarkziz et Bani, approximativement entre M’Sied et Aouinet-Torkoz, 175.000 ha ont été promulgués site d’intérêt biologique et écologique, aire protégée largement motivée par des formations forestières à
Acacia raddiana très étendues, denses et comptant quelques sujets vétérans tout à fait exceptionnels pour le Maroc, des ripisylves à Tamaris sur les rives de certains oueds semi-permanents et une flore spécialisée de guelta très originale cantonnée le long du Drâa. C’est aussi le cadre du futur Parc du Bas Drâa très médiatisé et pour cause : on peut y surprendre quelques survivants d’Acinonyx jabatus, le grand Félin ! Sûr que demain, si l’on trouvait un vieux Lion de l’Atlas, même sénescent, il en résulterait un tapage médiatique et la promulgation d’une immense réserve... pour l’enterrer vivant. N’eut-ce pas été plus sage de prendre quelques mesures pionnières avant de génocider ces remarquables animaux que de se faire présentement gorge-chaude face aux derniers survivants ? Au lever (et au coucher !) du soleil, le décor est parfois grandiose, avec une symphonie de couleurs où se mêlent le sable et la roche, l’espace désertique et les reliefs, le reg écorché et l’acaciaie. En quelques fins d’hivers et certains premiers printemps, quand l’eau est présente, la végétation revêt une relative luxuriance. C’est donc ici que vivent les derniers Guépards du Maroc, préalablement considérés comme éteints depuis 1975 mais retrouvés en 1994 (Cuzin, 1996). Sont-ils vivants et génétiquement viables en 2005 ? La chose est rendue possible par l’immensité de l’espace et l’effectif encore respectable de la Gazelle dorcas (évalué à une centaine d’exemplaires), le menu favori du magnifique Félin. Les autres Mammifères emblématiques sont l’Hyène rayée, le Lynx caracal, le Chat ganté, la Genette (limite d’aire) et le Fennec (le plus petit des renards, reconnaissable à ses très longues oreilles). Reste à savoir ce qu’il en reste à ce jour, les inventaires se voulant parfois complaisants. Le Renard roux n’est pas loin car deux animaux ont été découverts morts dans le lit du Drâa, au sud d’Aouinet-Torkoz (Cuzin, 1996). Parmi la petite faune des Rongeurs, signalons la Mérione de Shaw, la Mérione du désert, la grande Gerbille du sable, la Gerbille champêtre, le Pachyuromys à queue en massue, la Gerbille naine, la petite Gerboise, l’Écureuil de Barbarie, le Lérot, le Hérisson d’Algérie et le Hérisson du désert (sympatrides voire même probablement syntopiques sur certains sites), le Rat à trompe, etc.

Les Amphibiens et les Reptiles forment ici un groupe cardinal dont la biodiversité et la présence d’entités remarquables appellent à la plus rigoureuse protection. En voici la liste probablement non exhaustive : le Crapaud de Maurétanie, Le Crapaud vert, le Crapaud de Brongersma, la Grenouille d’Afrique du Nord, la Tarente de Böhme, la Tarente du Hohhar, le Gecko d’Oudri (limite occidentale), le Stérodactyle commun, le Sérodactyle de Maurétanie, le Gecko à écailles carénées, le Caméléon, l’Agame de Bibron et l’Agame changeant sur leur marge de sympatrie, le Fouette-queue, le Varan du désert, l’Érémias à gouttelettes, l’Érémias de Pasteur, l’Acanthodactyle-panthère, l’Acanthodactyle rugueux, l’Acanthodactyle de Duméril, le Seps ocellé (limite d’aire au sud-ouest), le Seps à écailles nombreuses, le Sphénops de Boulenger (limite de diffusion à l’ouest), le Leptotyphlops macrorhynque (nommons-le Couleuvre vermiforme !), la Couleuvre-diadème du Maghreb (limite d’aire) (à ne pas confondre avec la Couleuvre-diadème ou Couleuvre de Clifford que l’on trouve au sud du Cap Juby), la Couleuvre fouisseuse à diadème, la Couleuvre de Montpellier, la Couleuvre de Moïla, la Couleuvre de Schokar, le Cobra d’Égypte, la Vipère de Maurétanie (forme pâle), la Vipère à cornes et rien de moins qu’une Vipère des pyramides (genre
Echis) : l’Échidre à ventre blanc, présence absolument insigne pour le Maroc. Cette riche association est plus ou moins celle qui se manifeste dans les basse et moyenne vallées du Drâa.


L’Oued Tighzer : des traces contemporaines du Crocodile

Au sud d’Assa, aux alentours de Tuisgui-Remz, la vallée aval de l’Oued Tighzer, bordée au sud par le Djebel Ouarkziz est d’une richesse floristique digne d’intérêt, notamment jusqu’au secteur où un foum permet à l’oued de rejoindre le Drâa. S’y manifestent entre-autres :
Hamada scoparia (Salsolaceae), Boerhavia coccinea, B. verticillata (Nyctaginaceae), Gymnocarpos decander (Caryophyllaceae), Farsetia hamiltoni, Zilla macroptera (Brassicaceae), Acacia raddiana, Acacia ehrenbergiana (Mimosaceae), Balanites aegyptiaca, Fagonia glutinosa, Zygophyllum gaetulum (Zygophyllaceae), Zizyphus lotus (Rhamnaceae), Argania spinosa (Sapotaceae), Pergularia tomentosa, Calotropis procera (Asclepiadaceae), Convolvulus trabutianus (Convolvulaceae), Trichodesma calcaratum (Boraginaceae), Lycium intricatum (Solanaceae), Antirrhinum ramosissimum (Scrophulariaceae), Lavandula stricta (Lamiaceae), Anvillea radiata (Asteraceae), Panicum turgidum, Pennisetum dichotomum (Poaceae)(excellente Graminée pastorale des lits d’oueds sahariens), qui forment en partie une phytocénose saharienne pénétrée d’espèces méditerranéennes, pour certaines aux limites de leur plasticité écologique.

Si Pline disait le Crocodile présent dans la Vallée du Drâa il y a donc deux mille ans, il y subsistait encore ici, dans la Guelta de Tuisgui-Remz, à la moitié du siècle passé (Geniez, 1996).
Il a été exterminé principalement au fusil ou à l’arme automatique. Le Crocodile de l’Afrique de l’Ouest (Crocodylus suchus) a été retrouvé en Mauritanie en 2000 alors qu’on le croyait éteint dans ce pays. Un programme de réintroduction de ces Crocodiliens pourrait être envisagé dans le futur Parc national du Bas Drâa, peut-être à partir d’une souche de Crocodylus sahariens dont les représentants se sont adaptés à des conditions très rudes et sont nettement plus petits. Ils atteignent au grand maximum deux mètres et demi alors que leurs congénères d’Afrique tropicale peuvent mesurer cinq mètres.


La balanitaie d’Aït-Oumribet

Balanites aegyptiaca (Zygophyllacées) est un arbuste très rameux et épineux pouvant atteindre une dizaine de mètres, aux fruits en drupe pulpeuse ayant un goût fortement sucré et dont le jus fermenté donne une boisson alcoolisée favorisant la digestion. Cet arbre, très apprécié des dromadaires, est parfois nommé Dattier du désert et développe un écosystème de brousse particulièrement présent dans les régions sahéliennes de l’Afrique occidentale. Au Maroc, il n’existe quasiment plus sous forme écosystémique, sauf à Aït-Oumribet (région d’Akka) où se maintient une balanitaie, confinée dans une faible dépression entre l’extrémité occidental du Djebel Bani et l’Oued Drâa.
+C10-143ter
Le site est constitué d’un reg parcouru par l’Oued Tamanart, environné d’un système collinéen gréseux riche en escarpements et en canyons. Quelques secteurs boisés d’
Acacia raddiana et d’A. ehrenbergiana font partie intégrante du paysage. Certaines années, le Petit Monarque (Danaus chrysippus), grand Lépidoptère migrateur, vole nombreux autour des Pommiers de Sodome, ou turja (Calotropis procera) qui poussent dans cette région, notamment aux alentours d’Icht. Cette aire protégée (Site d’Intérêt Biologique et Écologique) reprend la conservation des espèces caractéristiques à toute cette région saharienne, dont certaines ont hélas déjà dû disparaître localement (Gazelle de Cuvier, Gazelle dorcas, Lynx caracal, Ratel, Rat épineux pour les Mammifères). Ici aussi, ponctuellement dans la Guelta Tanzida, le Crocodile de l’Afrique de l’Ouest ne disparaissait qu’en 1950. Idem un peu plus à l’est, au sud d’Akka, dans la Guelta de Taffagount. Ces gueltas étaient alors nettement plus en eau que maintenant.

L’oasis de Tissint : une pharmacopée marocaine

A l’est de Tata, Tissint : un écosystème à Acacia, une steppe à Chénopodiacées, l’une des plus remarquables palmeraies à l'orée du désert, où les gens sont âpres au travail, ingénieux et accueillants, où l’eau des résurgences de l’oued pérenne abonde en cascades, un aqueduc, la maison de Charles de Foucauld, le village d’Akka-Sidi, l’agadir d’Akka-Igherm, avec les reliefs du Bou-Moussi et le grand reg de Tamsraout à l’horizon.

Au cœur de la moyenne Vallée du Drâa, adossés au Djebel Bani, chaîne modeste mais formidable frontière physique, les alentours de la palmeraie de Tissint font l’objet d’une herborisation ancestrale lui conférant une valeur culturelle indéniable. D’excellents chercheurs contemporains, marocains et étrangers, ont consacré de louables efforts à ce site, à l’évaluation et à la valorisation de sa biodiversité. Les plantes exploitées de tous temps sont :
Acacia raddiana, A. ehrenbergiana, A. gummifera, Ammodaucus leucotrichus, Anastatica hierochuntica, Androcymbium gramineum, Anvellea radiata, Asphodelus tenuifolius, Bubonium odorum, Calotropis procera, Capparis spinosa, Centaurea pungens, Cistanche sp., Cleome arabica, Cotulea cinerea, C. anthemoïdes, Cressa cretica, Eruca vesicaria, Eryngium illicifolium, Euphorbia calytrata, E. granulata, Fagonia glutinosa, Forskahlea tenacissima, Hamoxylon scoparium, Imperata cylindrica, Launea arborescens, Maerua crassifolia, Mesembryanthemum nodiflorum, Nitraria retusa, Panicum turgidum, Peganum harmala, Pergularia tomentosa, Phoenix dactylifera, Plantago sp., Reseda villosa, Retama raetam, Spergularia marginata, Tamarix gallica, Warionia saharae, Withania adpressa, Zygophyllum gaetulum. L’une des dernières corporations d’herboristes sahariens veille sur ce capital indéniable. Autrefois palmeraie très productive, renommée pour ses dattes, et comptoir d'échanges important sur la route des caravanes allant au Soudan, Tissint a depuis beaucoup périclité sur le plan agricole et commercial en raison de la disparition du trafic des caravanes, du déclin des centres spirituels de la région, de l'émigration et de l’invasion du Bayoud. Le négoce des plantes médicinales pourrait relancer l'économie de l'oasis si les Tissintis savaient donner la mesure de leur génie pour saisir cette nouvelle chance. Le pastoralisme (6000 têtes recensées il y a une dizaine d’années pour une centaine d’usagers des parcours) y est hélas très dévastateur et peu compatible avec ces ressources végétales.

Le dernier rapport faunistique est l’oeuvre de F. Cuzin. Onze espèces de Mammifères ont pu être recensées dans le strict cadre des 31.000 ha des limites du Site (Plan directeur des aires protégées du Maroc), dont les plus remarquables sont : la Gazelle de Cuvier, la Gazelle dorcas, la Genette, le Ratel, la Zorille, le Renard famélique, le Porc-épic, le Rat épineux, l’Écureuil de Barbarie et la Pipistrelle de Rüppell. Le même inventaire livre trente-trois espèces d’Oiseaux nichant au sein du périmètre du site, dont : la Tadorne casarca, l’Aigle de Bonelli, le Percnoptère d’Égypte, le Faucon de Barbarie, le Faucon lanier, l’Outarde houbara, le Courvite isabelle, le Ganga de Lichtenstein, le Ganga tacheté, le Ganga couronné, le Hibou Grand-duc ascalaphe, le Sirli du désert, le Merle bleu, le Traquet deuil, le Merle noir, le Cratérope fauve, etc. Une vingtaine d’espèces reptiliennes est connue des alentours, cortège mêlant aux taxa sahariens quelques méditerranéens très avancés tels que la Couleuvre vipérine et l’Émyde lépreuse. Les espèces herpétologiques les plus remarquables sont : la Tarente du Maroc, la Tarente du Hoggar, le Gecko à paupières épineuses, le Varan du désert, l’Érémias de Pasteur, l’Érémias à points rouges, le Cobra, le Serpent-chat d’Afrique du Nord, le Crapaud de Brongersma et quelques autres. Certains Coléoptères indicateurs vivent ici, c’est le cas de
Carabidae carnassiers comme les Calosomes : Calosoma maderae (très fréquent certaines années où abondent les chenilles dont il est prédateur par excellence) et C. algiricum, nettement plus exceptionnel.

L’acaciaie de Mrhimima
+C10-144bis +C10-144ter
Entre le revers du Djebel Bani au nord et la frange septentrionale de la Hamada au sud, le Drâa et ses affluents circulent dans une large vallée orientée d’est en ouest, lors de crues de printemps aussi fournies qu’occasionnelles. Les cultures aléatoires y sont donc répandues. A l’est, la vallée est quasiment boisée par une acaciaie d’un développement remarquable (notamment à Mrhimima). Dans le Maader Bergat :
Tamarix pauciovulata et Atriplex halimus, et dans l’Oued Khrouf : Acacia ehrenbergiana, Tamarix sp., Lavandula stricta, Launaea arborescens, Panicum turgidum sont trop souvent broutés.

Plus au sud, aux confins de la frontière avec l’Algérie, les mornes plateaux de la Hamada du Drâa, constitués de terrains sédimentaires en dalles et en regs dépourvus de sable, sont très froids en hiver. La végétation est très diluée et seulement illustrée par l’Anabase (
Fredolia arietioides), Chénopodiacée endémique. Le Trident (Aselia tridens), grande Chauve-souris au pelage roux variable, notable par sa feuille nasale dont la lancette élargie porte trois pointes est signalée de cette région. L’étrange animal habite le milieu aride depuis le Maghreb jusqu’en Arabie.

Le Lac Iriki : l’ombre de la Gazelle dama

Entre Foum-Zguid et Mhamid, le célèbre Lac Iriki et 10.000 ha alentours sont, seront ou ne seront pas une réserve pour les Oiseaux sédentaires et migrateurs. En période humide, lorsque la nappe fait surface, c’est pour l’avifaune spécialisée une escale très prisée. Une steppe chichement arborée, une savane à Acacias et des milieux dunaires très couverts de tamaris représentent les habitats d’une hyène erratique, de quelques mouflons éperdus et de l’Outarde houbara pourchassée et surchassée. Le Renard famélique, dont l’aire est strictement saharienne, fait l’objet de quelques signalements de cet habitat. Le Fennec et la Zorille semblent s’y maintenir, mais le premier ayant la sympathie des visiteurs étrangers, il est outrancièrement dérangé. La Gazelle dorcas, perturbée par le tourisme d’aventure et que certains guides tiennent à montrer, s’évade de plus en plus du secteur. En 1993, une Gazelle dama, autre espèce de la plaine saharienne, a été vu par des nomades dans le lit du Drâa à peine plus à l’ouest, au sud de Foum-Zguid (Cuzin, 1996). Les traces du Varan du désert ne sont pas rares dans cette région.

Dans cette ambiance très continentale, entre la Hamada du Drâa et l’Anti-Atlas oriental, on pourrait s’attendre à une composition herpétologique quelque peu différente de celle plus subocéanique du Bas Drâa. Il en n’est rien et le cortège est assez fidèle dans son ensemble. Il faut comparer les composants herpétologiques de la région de l’embouchure avec celle du secteur de Ouarzazate pour noter un relatif contraste. Dans la région de Foum-Zguid à Zagora, la richesse est seulement nettement moindre que dans les régions de Foum-El-Hassan, d’Assa ou de M’Sied, et les apports ne se résument qu’à l’Acanthodactyle à longs pieds (dit de l’erg) et à la ssp.
laterimaculatus du Scinque officinal (le Poisson de sable). Le Varan du désert est aperçu parfois, le Fouette-queue, certains Geckos, quelques Couleuvres et la Vipère à cornes ainsi que celle de l’erg sont en place.

Quand le niveau est exoréique, même très partiellement, les conditions sont suffisantes pour observer dans sa course rapide
Megacephala euphratica, une très belle Cicindèle halophile dont c’est ici un habitat saharien. Les années trop sèches, on se contentera du spectacle d’autres Coléoptères carabiques très emblématiques des dunes : Anthia sexmaculata, noir et six fois maculé de blanc, et moins fréquent Anthia venator. Matin et soir, ces Carabes, chasseurs redoutables, sortent de leurs abris et circulent avec véhémence entre les grosses touffes de Stipagrostis pungens et de Panicum turgidum.


L’Oued Mird dans l’objectif de la durabilité

A une trentaine de kilomètres à l’est du Drâa, avant qu’il ne fasse un coude dans la région de Mhamid, sur le versant oriental des Djebels Tadrart et Rhart, l’un des paysages les plus originaux de cette partie du Drâa est peut-être la grande Vallée de l’Oued Mird, qui a creusé son lit au cœur des hamadas, peuplée d’une acaciaie majeure encore agrémentée de quelques phases en futaie. Fossile en surface, le cours d’eau est permanent à une profondeur d’une dizaine de mètres les années humides et permet le maintien d’une végétation buissonneuse à base de :
Convolvulus trabutianus, Farsetia hamiltoni, Gymnocarpus decander, Retama raetam, Foleyola billotii, Launaea arborescens, Pergularia tomentosa, Zizyphus lotus, Panicum turgidum, Pennisetum dichotomum, Ephedra alenda. La Gazelle dorcas, la Zorille, le Porc-épic, l’Écureuil de Barbarie, le Rat épineux sont quelques-uns des Mammifères contactés sur ces 60.000 ha. On doit aussi mentionner les présences pour l’avifaune de l’Aigle de Bonelli, du Faucon pèlerin, du Faucon lanier, de la Tadorne casarca et de l’Outarde houbara, et d’une herpétofaune affine à celle du secteur d’Iriki.

Un projet-pilote déjà initié d’observatoires, commandité par des ONG européennes, consiste en la conception et la mise en oeuvre de l'intégration d'un suivi de la faune sauvage dans un programme de surveillance à long terme de la désertification en Afrique. La zone d'action couvre ici notamment les terrains de parcours représentant plus de 80 % de la superficie concernée. Comme partout, l'aridité climatique, le caractère très aléatoire des précipitations et la mauvaise gestion des terrains de parcours ont contribué à la dégradation de la végétation et du sol de la région.
Les actions dans le domaine de la lutte contre la désertification visent à réduire l'impact de la pression humaine sur ce milieu sensible et à contribuer à sa restauration. L’objectif a l’ambition d’être poursuivi en concertation avec la tribu des Aït Zekri, principale usagère des lieux. Le système tient compte des besoins et des traditions de la population tout en préservant la pérennité de l'écosystème. Il tente de définir un programme d'aménagement pastoral compatible et durable, avec une veille sur la conservation des ressources naturelles de base (eau, sol, végétation).


Les Oiseaux du Drâa sur le vif

Voici un rapport d’observations du groupe ornithologique Clamator, datant d’un séjour dans cette région du Drâa (alentours de Mhamid) en mars 2004. Ce groupe était composé de Jean-Claude Beaudoin, Alain Fossé et Bruno Legendre. Quelques notations extérieures à l’avifaune sont ajoutées. On percevra de suite les nuances de ce cortège avec les associations aviaires listées sur la frange océanique entre Dakhla et le Cap Drâa.

Mardi 9 mars, fin de journée, R'Gabi/Oulad Driss :
Engoulevent du désert (un chanteur dans la palmeraie de R'Gabi et un, le même ?, vu en vol au crépuscule, vers 19 h 30), Fauvette mélanocéphale (au moins un mâle dans la palmeraie de R'Gabi), Cratérope fauve (une famille au même endroit).
Mercredi 10 mars, début de matinée, R'Gabi/Oulad Driss : 
Tadorne casarca (deux en vol), Chevalier culblanc, Tourterelle turque, Tourterelle maillée, Faucon de Barbarie (un adulte, probablement mâle, attaque timidement des pigeons domestiques), Tourterelle des bois (au moins un chanteur), Chevêche d'Athéna (chanteur à nouveau au lever du jour), Cochevis huppé (un individu pâle, probable
macrorhyncha, chantant au sommet d'un Palmier), Bulbul des jardins, Merle noir, Pouillot véloce (au moins deux dont un à aspect ibericus (?), silencieux…), Bruant striolé, Fauvette passerinette (au moins huit).
Mercredi 10 mars, 9 h-14 h, marche vers un point (puits Oumouzmou) situé dans la vallée de l'oued Mezouaria (ca 29° 52' 52" N, 5° 46' 54" W, alt. 560 m), env. 13 km, à vol d'Oiseau, vers l'O.-N.-O. (295°) d'Oulad Driss, puis, 15 h-18 h, env. 7,5 km, à vol d'Oiseau, vers l'O.-S.-O. (257°) jusqu'au puits solaire de l'Oued En N'am (ca 29° 51' 58" N, 5° 51' 32" W, coucher de soleil à 18 h 28) :
Cigogne blanche (traces de poses récentes entre les deux oueds), Faucon crécerelle (migrateurs probables), Ammomane isabelline, Alouette calandrelle (près d'une centaine d'Oiseaux l'après-midi en plusieurs troupes s'alimentant au sol ; au moins un chanteur au-dessus d'un secteur fortement végétalisé près du puits solaire), Bergeronnette grise (une
alba au puits solaire), Traquet à tête blanche (quelques couples en famille avec des juvéniles volants en cours d'émancipation dispersés dans des secteurs de dunes basses avec buttes consolidées par Tamarix articulata), Traquet motteux oenanthe, Traquet oreillard, Traquet du désert, Fauvette à lunettes, Fauvette passerinette (fréquents migrateurs à l'arrêt dans les Tamaris ; apparente majorité de mâles), Fauvette du désert (un mâle chanteur contacté dans l'après-midi à près d'une heure de marche du puits, se tenait dans un secteur plat occupé par une nappe sableuse colonisée par une végétation éparse dominée par des touffes basses d'Haloxylon scoparium, Chenopodiacae arbustive à rameaux articulés ; ce mâle émettait régulièrement son chant du sommet de ces touffes ; capture une petite Noctuelle ; approche tolérée seulement jusqu'à une vingtaine de mètres), Pouillot de Bonelli (deux migrateurs dans Tamaris), Pouillot véloce (quelques migrateurs), Pie-grièche méridionale (une ssp. - algeriensis/elegans/dodgsoni - sur le seul Acacia radiana rencontré entre les deux oueds), Corbeau brun (au moins 2-3 ; un individu capturant des gros Criquets et ravitaillant peut-être au nid…), Moineau blanc (au moins 10 à 15 individus différents ; dispersés en petit nombre - 2 à 5 individus ensemble - dans les secteurs de dunes basses avec Tamaris et près du puits ; deux couples achevant sans doute de construire des nids placés dans des cavités de troncs de gros Tamaris articulés - cavités provoquées par la chute de branches basses), Roselin githagine.
Jeudi 11 mars
Du puits solaire (temps beau, chaud et calme, 6-7 °C au lever du jour, 32-33 °C à l'ombre le midi) vers la vallée du Drâa (direction S.-S.-E. 142°) avec déjeuner à 5,4 km à vol d'Oiseau (ca 29° 49' 41" N, 5° 49' 26" W), pause de 12 h à 14 h 45 (ca 30 °C à l'ombre) puis direction E. 98° sur 6 km où bivouac en bordure nord de la palmeraie au milieu des dunes (ca 29° 49' 14" N, 5° 45' 45" W) :
Cigogne blanche (vol de 43 à 10 h), Faucon crécerelle (migrateurs à l'arrêt), Caille des blés (deux levées d'une zone herbeuse), Œdicnème criard (un en vallée du Drâa), Chevalier culblanc (un migrateur), Ganga tacheté (trois en vol ; identifiés aux cris le matin), Huppe fasciée (au moins trois dont un chanteur), Ammomane élégante (un couple sur une étendue dénudée avec quelques cailloux), Sirli du désert (deux ou trois dans le même secteur ; au moins deux chanteurs), Alouette calandrelle (fréquente dans des étendues planes assez végétalisées, flore naturelle et parcelles de céréales ; à la fois des groupes très mobiles et des Oiseaux manifestement cantonnés ; un œuf attribuable à cette espèce trouvé hors d'un nid dans céréales), Cochevis huppé (quelques Oiseaux cantonnés dans es zones sableuses à tamaris plus ou moins à l'écart de parcelles de céréales), Hirondelle de cheminée (migrateurs), Hirondelle de fenêtre, Bergeronnette grise
(alba), Traquet motteux (deux migrateurs), Traquet oreillard (deux mâles), Traquet à tête blanche (comme la veille la plupart des couples ont des juvéniles volants), Fauvette de l'Atlas (un mâle dans des tamaris trouvé en début d'après-midi s'est laissé approcher de près sans montrer de nervosité ; a paru plus posé qu'une Passerinette mais il faisait particulièrement chaud ! Silhouette de Passerinette, n'évoque guère une Pitchou), Fauvette à lunettes (au moins 5-6 Oiseaux concentrés dans un secteur plat avec plages herbeuses denses où dominait une Crucifère à aspect de Ravenelle, formant des touffes épaisses, peut-être associée à une Graminée, dans un lit d'oued un peu au sud du puits solaire ; des mâles chantant activement dont un ou deux en vol et au moins une femelle), Fauvette passerinette (quelques dizaines de migrateurs dans Tamaris et Acacias), Pouillot véloce (quelques migrateurs), Corbeau brun (au moins un), Moineau blanc (contacté en petit nombre), Roselin githagine (à l'abreuvoir du puits solaire notamment).
Vendredi 12 mars C10-155 C10-156-DP
Route vers l'E. 90° (7 h-12 h) pour déjeuner à 10,2 km, à l'O.-S.-O. d'Oulad Driss (ca 29° 48' 33" N, 5° 39' 30" W), puis direction E.-N.-E. 63° sur 4,3 km où bivouac près d'une guelta en amont du barrage de R'Gabi (ca 29° 49' 47" N, 5° 37' 07" W atteint à 16 h 40), temps chaud avec nuées et vent de sable sensible dans l'après-midi :
Cigogne blanche (vol d'env. 110 en début d'après-midi près d'Oulad Driss), Tadorne casarca (deux en vol le matin et un couple sur la guelta le soir au crépuscule), Aigle botté (un migrateur clair près d'Oulad Driss), Busard des roseaux (deux fois un mâle en migration), Faucon crécerelle (quelques migrateurs), Œdicnème criard, Échasse blanche (cinq sur guelta), Petit Gravelot (un près d'Oulad Driss, un sur le Drâa), Chevalier culblanc (trois et un et un sur gueltas), Tourterelle turque, Tourterelle des bois, Engoulevent du désert (un ou deux chanteurs en soirée), Guêpier d'Europe (peut-être entendus brièvement près de Mhamid), Huppe fasciée (au moins un migrateur), Alouette calandrelle (sans doute quelques-unes en déplacement), Cochevis huppé, Hirondelle de fenêtre, Hirondelle de cheminée (petits groupes de migrateurs), Pipit des arbres (deux), Pipit farlouse (un au barrage de R'Gabi), Bergeronnette printanière (une en vol le matin puis deux, dont un mâle
flava, sur gueltas), Bergeronnette grise (quelques migrateurs alba, une subpersonata au barrage de R'Gabi), Rouge-queue à front blanc (une femelle), Traquet à tête blanche, Merle noir, Traquet oreillard (un mâle le matin près du bivouac), Fauvette de l'Atlas (une femelle brièvement vue avec des Passerinettes dans la palmeraie à l'ouest de Mhamid le matin), Fauvette passerinette (souvent contactée dont près d'une dizaine ensemble dans la palmeraie à l'ouest de Mhamid ; quelques femelles), Pouillot véloce (au moins un migrateur), Cratérope fauve (une famille près du bivouac du soir ; juvéniles de taille adulte avec commissures jaunes ; zone sableuse en bord de Drâa avec nombreux Tamaris et quelques Palmiers), Bulbul des jardins, Pie-grièche méridionale, Pie-grièche à tête rousse, Corbeau brun (au moins trois, dont un au barrage de R'Gabi), Chardonneret élégant, Linotte mélodieuse, Moineau domestique, Moineau blanc, Bruant striolé.
Samedi 13 mars
• route vers le N.-O. 319° à travers une zone à Acacias pour déjeuner à 5,1 km en limite de la vallée de l'oued Ben Haki (ca 29° 51' 54" N, 5° 39' 12" W), puis direction S. 183° sur 4 km où bivouac au camping d'Oulad Driss, temps chaud plus calme que la veille mais vent de sable dans l'après-midi :
Milan noir, Aigle botté, Chevalier culblanc (un sur guelta près du bivouac le matin), Tourterelle turque, Tourterelle des bois, Tourterelle maillée (palmeraie de R'Gabi en soirée), Petit-duc scops (un à la nuit tombée perché dans un Dattier de la palmeraie de R'Gabi ; s'est laissé examiner, et photographier, durant une dizaine de minutes), Coucou gris (un en migration dans les Tamaris des dunes), Sirli du désert (au moins deux), Alouette calandrelle (sans doute notée en vol), Cochevis huppé, Hirondelle de rivage (au moins une avec quelques Hirondelles de cheminée), Hirondelle de cheminée (petit passage), Hirondelle rousseline (au moins une en soirée à Oulad Driss), Bergeronnette grise, Bergeronnette printanière (au moins deux dans la palmeraie d'Oulad Driss), Traquet motteux (un le matin au bivouac, un dans la zone à Acacias, un
seebohmi lors de la pause du déjeuner), Traquet oreillard (un mâle au nord d'Oulad Driss, deux dont un stapazin lors de la pause déjeuner), Traquet du désert (un mâle au nord d'Oulad Driss), Traquet à tête blanche, Merle noir (palmeraie), Fauvette passerinette (au moins deux dizaines de migrateurs dans les Tamaris), Pouillot de Bonelli (un migrateur), Pouillot véloce (au moins un migrateur), Cratérope fauve (bivouac le matin et palmeraie de R'Gabi), Pie-grièche méridionale, Pie-grièche à tête rousse (au moins deux), Moineau domestique, Moineau blanc (cinq au bivouac le matin et au moins dix en bordure nord de la palmeraie dans les dunes avec tamaris), Bruant striolé, Corbeau brun.
Dimanche 14 mars
Barrage de Tidri sur l'oued Drâa en amont d'Oulad Driss (ca 29° 51' 02" N, 5° 33' 27" W) (7 h 45-9 h 30) :
Aucun autre signe des Gangas que des traces dans la boue…, Tadorne casarca (un couple), Milan noir (cinq migrateurs quittant un dortoir), Busard des roseaux (un mâle en migration), Faucon de Barbarie (un adulte en chasse), Poule d'eau (une), Petit Gravelot (au moins sept migrateurs et un couple paraissant cantonné), Hirondelle de rivage (au moins deux), Hirondelle de cheminée (petit passage), Bergeronnette printanière (env. 6-7 dont trois mâles
iberiae), Bergeronnette grise (plusieurs dont au moins une subpersonata), Traquet du désert, Traquet à tête blanche, Fauvette passerinette, Pouillot véloce (au moins 12), Pie-grièche méridionale (deux dans les Acacias), Moineau blanc (au moins 2-3), Roselin githagine (au moins 4-5), Cochevis huppé (un), Corbeau brun (au moins un).


La haute vallée : grandeur et décadence

Au-delà de Mhamid et du Tizi-Beni-Selmane, la haute Vallée du Drâa ici exoréique (eau en surface), apparaît d’abord comme un long corridor de palmeraies, de casbahs et de ksour contenus de part et d’autre par les Djebels Bani, Bou-Debgane, Tadrart, Amergou, Rhart, Azlag, Bou-Zeroual. Peu avant Tamegroute et sa célèbre bibliothèque coranique, les dunes de Tinfou ont été anéanties par une fréquentation sans contrôle.

Au barrage de Tidri, on peut découvrir les traces de la Loutre et avec beaucoup plus de chance, par exemple par une nuit de pleine lune, surprendre le bel animal dans une gorge du Drâa. Beaucoup d’Oiseaux sont observables plus en aval, aux alentours du Djebel Azlag, tant en palmeraie que sur les falaises, dans le lit et sur les rives du fleuve que dans les défilés : Héron cendré, Héron pourpré, Cigogne blanche, Chevêche d’Athéna, Faucon crécerelle, Aigle de Bonelli, Faucon crécerelle, Chevalier aboyeur, Chevalier culblanc, Pigeon biset, Tourterelle turque, Tourterelle maillée, Ammomane isabelline, Cochevis huppé, Hirondelle de cheminée, Bergeronnette grise, Rouge-queue à front blanc, Traquet oreillard, Traquet du désert, Traquet à tête blanche, Fauvette passerinette, Pouillot véloce, Gobe-mouches gris, Bulbul des jardins, Moineau domestique, Linotte mélodieuse, etc. Parmi les Batraciens qui avaient pris la tangente plus au sud, on retrouve : l’Émyde lépreuse qui était absente des habitats sahariens, ainsi que la Tortue grecque (ou mauresque) qui se manifeste de nouveau depuis Agdz ; tout comme pour les Reptiles : le Lézard ocellé d’Afrique du Nord dont Zagora est le site le plus avancé au sud.

En amont d’Agdz, on sort du long défilé linéaire du Palmier dattier et le paysage minéral devient celui dantesque et dénudé de l’imposant Djebel métamorphique Sarhro qui culmine à 2712 m plus à l’est. A l’instar du Djebel Siroua, c’est une autre frontière qui filtre implacablement la flore et la faune paléarctique en vue d’une sélection purement saharienne sur le revers méridional. Les habitats sont autant diversifiés que dégradés et du Genévrier rouge, du Thurifère, voire du Chêne vert qui d’antan présentaient de belles formations, il ne reste que de rarissimes témoins altérés, preuve qu’en hissant coûte que coûte les Camélidés à cette hauteur et en renfort des Chèvres et des Moutons, la mise à néant d’écosystèmes décrit comme paradisiaques il y a moins d’un siècle, peut être mission accomplie. Triste forfaiture de surpâturage sans souci légitime du lendemain, complétée par une exploitation minière aux effets de surface inconsidérés. Un mémorial au Mouflon (le dernier isolé et esseulé date de la fin du XXe siècle), à la Gazelle de Cuvier (encore abondante en 1981, elle devenait non repérable ou s’éteignait en 1994 (Cuzin, 1996), au Lynx (un rescapé en 1993), à l’Hyène (dernier spécimen vu en 1989) et a bien d’autres animaux climaciques peut être édifié dans le Sarhro, où néanmoins fut constatée une certaine l’abondance du Chat ganté lors de prospections de 1993 et 1994 (Cuzin, 1996). Ce siècle laissera ses traces assassines en tous types d’écorégions, notamment celles dont on ne parle jamais au grand public qui les croit protégées parce qu’au bout du monde, oubliées, perdues mais finalement non mieux à l’abri. Aux abords du Tizi-n-Tinififft, la géomorphologie ne peut laisser indifférent les amateurs de « natures mortes » et chaque virage réserve ses surprises dans les improvisations les plus fantaisistes de la masse rocheuse. A l’horizon des gorges de roche noire du Djebel Tifermine, se dessine le Djebel Toubkal qui émerge plus de six mois de l’année sa haute croupe neigeuse. Sur les contre-versants les moins dépouillés, de vastes pans de la belle Crucifère pérenne
Moricandia arvensis colorie au printemps les abrupts du violet de ses inflorescences. C’est le temps de vol du Zébré-de-vert (Euchloe falloui), Piéride saharo-arabique spécialisée qui peuple les abords sahariens de l’Adrar mauritanien jusqu’au nord de l’Arabie Saoudite. Puis tout jauni, ce miracle florifère sombre dans le néant jusqu’aux prochaines pluies, en automne, dans un an ou deux, ou beaucoup plus tard. Ici, la nature sait attendre. Autour de quelques pitons rocheux en proue au-dessus de cet univers sélénique, vole l’exceptionnel Machaon du désert (Papilio saharae), dont la présence est impliquée par quelques touffes de Deverra, cette étrange Ombellifère déserticole hôte de sa chenille et qui permet à sa femelle de perpétrer l’espèce tant que la tyrannie pastorale lui prêtera vie. Les enfants qui par-ci, par-là proposaient au touriste des Fouettes-queues morts ou vifs ont quasiment déserté les bermes des routes. C’est une bonne chose et ce n’était pas trop tôt... A Ouarzazate, la traversée prend fin dans un décor de bazars et de parpaings. Il en faut pour tous les goûts, y compris les plus suspects.


Le Tafilalt : le mirage du tourisme équitable

On peut arriver dans le Tafilalt depuis le nord par la Vallée du Ziz, ses profondes gorges et ses palmeraies linéaires annonciatrices d’oasis proches, c’est une instructive progression vers le Grand Sud saharien. Depuis l’ouest, Ouarzazate ou l’Atlantique, la route carrossable est celle via Tinerhir et qui tombe à Erfoud, ses vraies femmes drapées dans leur haïk noir, ses faux Hommes bleus et ses fossiles du Dévonien qui font le trottoir et vous donnent envie de retourner 370 millions d’années en arrière ! Plus carrossable encore est la liaison Tansikht-Rissani, avec l’avantage d’être à la fois 100 % saharienne et un heureux itinéraire bis à l’harassante Vallée dite des mille casbahs. Cette ancienne piste « très légèrement nappée d’asphalte » longe les piémonts méridionaux des Djebel Sarhro et Ougnaf, constituant une remarquable traversée pour ceux qui démunis de tout-terrain ne peuvent s’aventurer sur les pistes pour y polluer la végétation. Ce « raccourci », permettant de multiples découvertes et escapades, conduit presque tout droit de la Vallée du Drâa à Rissani, berceau de la dynastie Alaouite et ancienne Sijilmassa, port nord-saharien du Tafilalt médiéval fondé par les Berbères Miknaça Kharijites au VIIIe siècle (757), avant même la ville de Fès.


In memoriam l’Erg Chebbi

Coucher de soleil, lever de soleil, caravanes de Land-Rover cassant les pistes à vive allure, poubelles, Tokyo-Erfoud-Tokyo le temps d’une photo et d’un tour à dos de Dromadaire, tout le monde fait auberge traditionnelle, l’Erg Chebbi n’est plus qu’un tas de sable pour touristes en culotte courte,
le seul désert sonore du Maroc. La façade orientale reste peut-être fréquentable. Au sein du saharien tempéré, cet erg qui doit l’essentiel de ses misères écologiques à sa renommée touristique, est formé de plusieurs massifs s’élevant à plus de 100 m au-dessus d’un reg très âpre, ponctué de rares Acacias et Tamaris. Au niveau de Merzouga, il est mitoyen du seul point d’eau de la région : le Dayet Tamezguidat (ou Srji). Quand il est en eau, ce lac temporaire constitue un précieux relais pour quelques espèces d’Oiseaux migrateurs et le spectacle des Flamands roses est du plus bel effet dans ce décor de reg noir rehaussé du sable d’or des dunes majestueuses qui s’y reflètent. L’aspect floristique de l’Erg Chebbi est nul mais celui du lac assez notable lors des années pluvieuses, avec notamment une ceinture de Cypéracées vivaces (Scirpus holoschoenus). Le Chat des sables, espèce absolument remarquable, a pris la tangente eu égard à la formidable pression anthopique et la Gazelle dorcas ne donne plus signe de vie. Le charmant Fennec, sévèrement persécuté, est en sursis. Entre autres présences aviaires, le Moineau blanc, bien adapté aux conditions extrêmes, y est ici l’objet d’observations ornithologiques assidues. Le cortège reptilien n’est plus celui qu’il était il y a un siècle (assertion documentée par la bibliographie) et l’on peut encore citer quelques présences qu’il serait judicieux de sauvegarder. C’est le cas entre-autres de la Tarente du désert, du Gecko d’Oudri, du Gecko à écailles carénées, de l’Agame changeant, du Fouette-queue, du Varan du désert, de l’Érémias d’Olivier, de l’Érémias à gouttelettes, de l’Érémias à points rouges, de deux ou trois espèces d’Acanthodactyles, du Seps ocellé, du Sphénops de Boulenger, du Poisson de sable, du Scinque fascié (grosse espèce répandue au sud du Sahara et contacté pour la première fois au Maroc à Taouz), du Leptotyphlops macrorhynque, de la Couleuvre algire, de la Couleuvre-diadème du Maghreb, de la Couleuvre de Moïla, de la Couleuvre de Schokar, de la Vipère à cornes et de la Vipère de l’erg.

Un peu plus loin le village de Taouz marque la fin de la descente au Sud, avec non loin la Hamada du Guir et l’Algérie. C’est un peu le coin des paléontologues car les découvertes d’ossements de Dinosauriens et de Crocodiliens dans ce haut fond du Crétacé y ont été nombreuses. Là, il suffit de se baisser pour ramasser des fossiles. Et si la chaleur insupportable tenaille, des gravures rupestres d’Herbivores sont là pour rappeler le temps du Sahara humide et frais... En direction sud-ouest, une piste audacieuse tente de suivre le cours ensablé de l’Oued Ziz et de ses lagunes évanescentes. Attention ici aux ensablements fatidiques dus au fech-fech, une « farine » de sable pulvérulent qui recouvre le sol, dépôt alluvial qui masque la mince croûte superficielle et qui cède sous le poids du véhicule. Comme la faune ne se manifeste que de nuit, c’est en bivouaquant qu’au crépuscule ou à l’aurore on pourra apercevoir non sans émotion un Fennec, un Fouette-queue, une Gerbille ou une Gerboise, ou avec plus de chance suivre la ballade en quête de proie d’une merveilleuse Vipère à cornes, d’un Scorpion ou d’un Solifuge. Percevoir le jappement du Chacal serait la récompense suprême. Avant de retrouver Zagora par cette piste et avec le talent de ne pas se perdre, de n’avoir pas sombré dans l’océan aréneux, ni supporté une fatale tempête de sable mettant un terme à toute mobilité durant deux ou trois jours, il ne faut pas négliger la petite oasis d’Hassi-Remlia, là où le Ziz et le Rheris assemblent leurs eaux pour donner naissance à l’Oued Daoura qui entaille la région des Kem-Kem, puis disparaît dans le vide, vers Tindouf. Non loin à l’ouest, les fins d’hivers aux pluies providentielles, la Daya El-Maïder est un site remarquable pour l’observation naturaliste. D’ordinaire, une chape de plomb recouvre cette mer sèche et couve quelques millions de semences qui feront le fugace tapis florifère d’un jour. Leçon de patience, de résignation, mais aussi de fuite des quelques familles qui avant survivaient dans quelques douars isolés. Avant, il pleuvait plus souvent...


Au sud de l’Oriental : le Djebel Grouz heureusement oublié

La chaîne, frontalière avec l’Algérie, prend son origine un peu à l’ouest de Figuig, s’étend sur 80 km et domine le plateau avec 1839 m. Ce paysage calcaire est des plus pittoresques avec de puissants contrastes de teintes et de formes. L’accès n’est pas des plus aisé et sur la ligne de faîte les risques de se retrouver en territoire algérien sont grands... Les naturalistes n’ont pas de frontière ! L’essence forestière insigne qui s’y développe sous forme d’écosystème est le Genévrier rouge (
Juniperus phoenicea) dont cet isolat limitrophe du Sahara fut l’élément fondateur d’une figure de protection de 60.000 ha de l’étage thermoméditerranéen à bioclimat aride (et semi-aride), très représentatif du type Atlas présaharien. En piémont, le botaniste observe de nombreuses plantes spécialistes de l’aridité  : Anabasis aretioides et A. aropediorum, Hamada scoparia, Helianthemum intricatum, Launaea arborescens et L. acanthoclada, Diplotaxis harra, Echium trigorrhizum. D’autres espèces interviennent aux abords des oueds : Olea oleaster, Zizyphus lotus, Ballota hirsuta, Micromeria hachreutineri, Centaurea maroccana, Stipa parviflora, Oryzopsis miliacea, Gallium ephedroides. Quelques pistaciaies présteppiques à Pistachier de l’Atlas doivent leur survie aux « vibrations » maraboutiques... Les nappes d’Alfa et d’Armoise, agrémentées de Romarin, constituent le manteau végétal de cette zone d’où sont recensés (peut-être un peu généreusement) l’Hyène, la Genette, la Zorille, la Gazelle dorcas, le Mouflon à manchettes, le Porc-épic, etc. Certains Rapaces de grand intérêt semblent s’y maintenir, tels le Faucon lanier, le Faucon pèlerin, le Percnoptère d’Égypte, l’Aigle de Bonelli, l’Aigle royal et le Gypaète barbu, sans garantie du présent immédiat pour les deux derniers cités.

L’herpétofaune de la région de Figuig, palmeraie, plaines désertiques et tous djebels confondus (Grouz, Maïz, Goulimina, Rhals) rassemble : le Crapaud de Maurétanie, la Grenouille verte d’Afrique du Nord, la Tortue mauresque, l’Émyde lépreuse, la Tarente du désert, le Gecko d’Oudri, le Gecko à écailles épineuses de Tripolitaine, l’Agame de Bibron et l’espèce voisine l’Agame changeant, le Fouette-queue ou
dob, le Varan du désert, l’Acanthodactyle-panthère, l’Acanthodactyle rugueux, l’Acanthodactyle de Duméril, le Sphénops de Boulenger, l’Eumécès d’Algérie, la Couleuvre d’Algérie, la Couleuvre de Schokar, le Cobra d’Égypte, la Vipère de Maurétanie et la Vipère à cornes.

De nombreux autres paysages nord-sahariens peuvent être visités au sud de l’Oriental et selon l’itinéraire Boudnib, Bouânane, Bouarfa. Ils sont de valeurs inégales, généralement riches quand la pression pastorale n’est pas outrancière, le plus souvent peu prospectés. Théoriquement et depuis 1967, 220.000 ha de la Réserve de Bouarfa doivent porter secours aux Gazelles de plaine de ce secteur.



Les marchands de sable

Déclaration de principe

« 
A force de suivre les itinéraires indiqués qui ne conduisent qu'à des impasses,
il va finir par s'engager sans demander conseil à personne sur son propre chemin
. »
Yvan Audouard

« A l'heure du désert-business, des faux Touaregs « made in Taiwan », habillés en bleu, guettant le touriste dans tout le Sud du Maroc, les bivouacs-folklores autour de Zagora, le non-respect permanent de l'environnement fragile du désert et de la culture ancestrale des nomades, le guet-apens des bazars ; il faut agir avant que le désert de la Hamada du Drâa ne rejoigne celui d'Erfoud où il y a plus de guides que de nomades, plus de 4x4 que de chameaux, plus de stress que de quiétude. Autour d'une équipe de nomades de la région de Mhamid, le projet « Sauver la Hamada du Drâa », initié il y a quelques années, a besoin d'un second souffle pour continuer cette expérience, encouragée par beaucoup d'amis suisses, à travers les trois respects fondamentaux : respect de l'environnement, respect du visiteur et respect du visité. Les amis du désert, ayant eu l'occasion de le découvrir avec Kada qui personnifie à lui seul toute la noblesse des gens du désert, Janet dit Loretan, au sourire lumineux, Mahmoud, la force tranquille, Bekkar, Mohamed, Ali, le berger Hssain, l'ami des fennecs, et d'autres…, ont pu mesurer tout le sens des ces trois « respects » . Le but principal de ce projet est de préserver la belle Hamada du Drâa, particulièrement la rive gauche du fleuve, et permettre sa découverte à travers le partage et le respect. La préserver de quoi ? Des 4 x 4 bien sûr, des rallyes et autres marathons dévastateurs, notamment le rallye du Dakar et le Marathon des Sables, et assurer la quiétude de quelques espèces rares tels le fennec, l'outarde houbara, la gazelle et le varan du désert, sans parler de plusieurs espèces de plantes d´une beauté exceptionnelle, hélas en voie de disparition par une malédiction conjuguée de la sécheresse et du tourisme de masse en véhicules tout-terrain. Le dernier refuge, pour toutes ces espèces, est cette bande étroite entre le lit du Drâa et la frontière Maroco-Algérienne. Les magnifiques houbara et la gazelle du désert ont pratiquement disparu de cette région, pourchassées sans pitié par les princes du Golfe. Ignorant toutes les normes de protection de la faune animale et végétale, ils ont carte blanche pour chasser où ils veulent, ce qu'ils veulent, quand ils veulent et comme ils veulent, ne ménageant aucun moyen matériel ou humain. Leur proie préférée étant la houbara à cause, paraît-il, de ses vertus aphrodisiaques. Ils ont poursuivi le magnifique Oiseau jusque dans les zones inaccessibles, près de la petite chaîne d'Errich. Nous vous invitons à bivouaquer au pied d'une dune, à prendre un thé sous un tamaris, à préparer un délicieux pain dans le sable. Dans le désert, l'Homme fait la part entre l'essentiel et la futilité. Le désert ne se décrit pas, il se vit… »
(Zaïla, l'autre façon de découvrir le désert, Mahmoud Darbali).

Allez savoir si « Zaïla » est sincère ou cherche à s’accaparer un créneau du secteur ?


Stoïque, exemplaire, équitable mais illusoire, un super écotouriste déserticole est attendu...

« Un touriste se reconnaît au premier coup d’œil,
C’est un individu habillé d’une manière telle que,
s’il se trouvait dans son propre pays,
il se retournerait dans la rue en se voyant passer.
»
Philippe Meyer.

« 
Le tourisme est la réalisation achevée d’un univers de la désespérance. »
Chantal Thomas.

Les principes du tourisme durable ont été arrêtés par l'OMT dès 1988 ; le tourisme durable se définit comme une façon de gérer « 
toutes les ressources permettant de satisfaire les besoins économiques, esthétiques et sociaux et de préserver l'intégrité culturelle, les écosystèmes, la biodiversité et les systèmes de soutien de la vie ». Une distinction nette peut être faite entre les notions d'écotourisme et de tourisme durable : le terme même d'écotourisme désigne une composante du secteur touristique, alors que les principes de durabilité doivent s'appliquer à tous les types d'activités, d'opérations, d'entreprises et de projets touristiques, qu'ils soient anciens ou nouveaux. En bref, c’est un voyage « responsable » qui préserve les environnements naturels et se soucie du bien- être des populations locales. Le facteur « nature » y est omniprésent.

« Les marginaux sont les ramoneurs du conformisme. »
André Larivière


Les voyageurs épris du Sahara existent et ont toujours existé. Ils sont inhérents à ce milieu, épris de sa civilisation, de sa magie et de ses beautés naturelles, cultes, discrets, sous-équipés et respectueux, ne faisant ni morale, ni prosélytisme, prêts à défendre et non à saccager, individuels ou en groupuscules non fédérés, ils sont généralement animés d’une initiative qui se conjugue à l’éthique des initiés, et pratiquent avant la lettre et avant qu’on le leur impose le voyage durable, solidaire, équitable et tout ce qu’on voudra rajouter dans la rhétorique emphatique du marketing récurrent. L’écotouriste est ethnologue, archéologue, paléontologue, géologue, botaniste, zoologue, photographe spécialisé ou simplement amateur de découverte, de peinture, de contemplation, de méditation. C’est un modeste voyageur du savoir. Vous en êtes ?
Ces gens n’ont nul besoin d’être exhortés, recrutés, sollicités et ne montrent guère de sympathie pour les ruées touristiques et l’art de décevoir qui y préside.

Il faut rappeler in primis un principe.
Il n’y a pas d’écotourisme dès l’instant qu’un voyage est initié par voie aérienne : un gros avion (type Boeing 747) brûle 15000 litres de kérosène à l’heure, autant que 1500 voitures, c’est beaucoup trop pour aller faire « respectueusement » cuire un pain dans le sable ou déranger l’avant dernier fennec... S’il ne peut utiliser un moyen de transport plus respectueux, l’écotourisme reste l’un des nombreux idéoplasmes de l’écoconscience, une invention gratuite (mais qui peut rapporter gros...), une vue de l’esprit émanant de corridors écotechnocratiques plus ou moins marchands... de sable.

L’Aguerguer, le Drâa, le Tafilalt ne sont pas les Alpes ou la Camargue françaises, définitivement vouées, à tort ou à raison au tourisme vert, ni même les Andes (3000 visiteurs/jour au Machu Pichu !) ou le Népal déjà sérieusement entaché par une empreinte touristique excessive. Une liste des destinations porteuses de tourisme naturel et culturel et déjà gravement saccagées pour la cause serait sans fin. L’inverse n’est pas disponible ou se réfère à l’échec. Mettre tous les « terroirs » dans un même panier écotouristique relève du non-sens. Au Maghreb, la trop grande disparité est exacerbée par l’extrême proximité géographique : entre l’Andalousie (qui n’est pas la région la plus riche d’Espagne) et Tanger (qui n’est pas celle la plus pauvre du Maroc), il y a 14 km et une perte de pouvoir d’achat de 14 % ! L’invité occidental fait ainsi naître chez son hôte une inévitable convoitise. La génération présente de l’amphitryon du Sud marocain, par exemple, joue chaque jour sa vie dans le Détroit de Gibraltar pour tenter de gagner un Eldorado dérisoire et les touristes-aventuriers de pacotille croisent ces candidats à l’exil forcé depuis le pont de leur bateau, ceux-ci ayant le digne privilège de visiter à satiété « le désert » que les premiers tentent de le fuir à la nage et contre la perfidie des lois iniques. Criante injustice. Comme il est proclamé que la pauvreté, qui mène au déni de soi-même, constitue une atteinte aux droits fondamentaux de l’être humain et qu’elle doit se situer au cœur des préoccupations internationales, l’une des stratégies de développement est donc de se rendre sur place « pour dégustation », tout en poursuivant l’édification de murs dans le sens inverse, des murs tout de même un peu troués, de quoi avoir la main d’œuvre à bon marché qu’il nous faut...


Les marchands de sable nous parlent...

« 
Le désert est la seule chose qui ne puisse être détruite que par construction. »
Boris Vian

« 
Les effets conjugués de la croissance économique, de la pression démographique, du développement du tourisme accentuent, d’années en années, les menaces qui pèsent sur l’avenir même de l’homme. »
Corinne Lepage

« 
Le tourisme est l’industrie qui consiste à transporter des gens qui seraient mieux chez eux,
dans des endroits qui seraient mieux sans eux.
 »
Jean Mistler.

Le Sahara représente selon les spécialistes une demande nouvelle et comme il semble pour le moins judicieux de sauvegarder le milieu, d’en gérer les ressources naturelles et humaines dans la perspective du développement durable, on nous fait accroire que l’on pourra limiter, doser, filtrer le nombre de touristes, respectant un seuil de compatibilité. C’est du moins ce qu’énoncent les grands principes de l’UNESCO (Vers une stratégie pour un développement durable du tourisme au Sahara, 2003), une charte éthique d’organisateurs spécialisés et tant d’autres annonces ou vœux pieux. Lutter contre le danger de la massification reviendrait à demander à ceux qui s’accrochent encore légitimement à leur oasis de nier tout appât du gain. C’est illusoire. A des gens « qui ont tout mais qui n’ont rien » (la notion de manque est purement existentialiste et n’a pas sa place dans les économies de subsistance ou autarciques...), on ne demande pas de ne s’emparer que d’1 quand ils peuvent avoir 10, a fortiori forts des leçons de consumérisme reçus par le biais de la télévision satellite, en ces parages Oiseau de mauvais augure. Nous avons une expérience du voyage dit de nature au Maghreb et la litanie perçue à chaque étape est celle d’une plainte de non-fréquentation, de chambres vides et d’espoirs déçus, et ce, au cœur d’écosystèmes déjà largement victimes des affres du tourisme. Et si la population, soudainement « illuminée », résistait à la tentation en se contentant d’un tourisme de découverte minimum, on imagine bien mal le capitalisme obéir à une telle prérogative et ne pas profiter du créneau. Du jamais vu !

A l’exemple du mouton de Panurge, les terriens moyens devenus touristes se suivent, cultivant la peur de l’inconnu et ne font qu’enrichir quelques espaces déjà privilégiés du secteur touristique, y compris dans le domaine que l’on pourrait imaginer vierge du domaine saharien. Quitte à parcourir des centaines de kilomètres en ribambelles de véhicules 4 x 4 fortement polluants depuis Agadir, Marrakech ou Ouarzazate, pour retrouver chaque soir le confort et le conforme. Drôle d’évasion ! Les autres, les « antitouristes » qui marchent derrière les louables initiatives d’un grand nombre de concepteurs d’itinéraires alternatifs et autres comptoirs du désert, méritant au mieux le label d’écotourisme parce qu’ils en ont l’habit, se suivent aussi. Leurs pollutions sont plus modestes mais leur pénétration est maximale, tant dans la culture de l’habitant que dans l’intimité des écosystèmes. C’est peut-être cet aspect qu’il convient d’encourager mais il n’est nullement susceptible de satisfaire aux besoins économiques du secteur spontanément inventé pour le recevoir. Les adhérents aux randonnées pédestres ou chamelières restent un épiphénomène. Le flux touristique mondial, toutes figures confondues, a été de de l’ordre de 715 millions d’arrivées en 2002 (soit une recette de 474 milliards de dollars), dont seulement 28,7 millions d’entrées pour le Continent africain, parent pauvre du tourisme (Organisation mondiale du tourisme). Le chiffre mondial prévu pour 2010 est de 8000 milliards de dollars, soit 12,5 % dans le PIB mondial. Bon an mal an, le Maroc reçoit quelques 2,5 millions de touristes. Outre les destinations classiques (Agadir, Marrakech...), les initiatives culturelles (villes impériales) existent depuis longtemps. Au sein de ce panorama, la place de l’écotourisme ne semble pas honnêtement définissable en chiffres. Certains rapports avancent une part de 30 % du global pour le tourisme culturel et naturel, mais ce chiffre outrancier ne tient compte que de la nature des sites et non de l’éthique des visiteurs. Tout touriste traversant une ville impériale, un village de montagne, une oasis présaharienne, visitant une cascade, une aire protégée n’est pas un écotouriste ! Bien au contraire. Il suffit de se poster au pied de l’Erg Chebbi pour le comprendre !
C’est l’attitude qui fait l’écotouriste, non la destination ! Tout touriste allant admirer les ibis chauves par simple curiosité se retrouve pris dans les statistiques du tourisme durable alors que son activité va à l’encontre du souci durable de l’Oiseau et de son écosystème. Le chiffre raisonnable des touristes se voulant respectueux de l’environnement par sensibilité à son égard ne doit pas dépasser 0,5 %. C’est-à-dire 125.000 amateurs d’antitourisme pour le Maroc, ce qui est insuffisant pour motiver un secteur. Et même si ces visiteurs sont de bonne foi, cette modeste fréquentation de la nature pèse déjà trop lourd dans la balance écologique.


Concilier l’inconciliable

En l’hypothèse que sa promotion puisse en améliorer le chiffre, celui-ci deviendrait ipso-facto incompatible avec les critères sensibles du milieu ciblé. L’écotourisme massif n’est plus de l’écotourisme. Le lien à la beauté et à la dimension ressourçante du désert sont des choses essentielles qui ne tiennent justement que par une fréquentation bien en deçà du seuil de tolérance. La haute montagne et le Sahara se ressemblent : havres de silence et de paix, sanctuaires de la nature où toute présence intruse est de très loin amplifiée comme par un effet de réverbération. Mettre la biodiversité saharienne en vitrine est pur anachronisme, il faut se montrer vertueux, chaste et pudique de ces subtiles richesses aux limites de l’immatériel, et les cacher (en y veillant !) est la meilleure recette de préservation. Pourrait-on, sinon, faire subir un examen de passage à chaque candidat convié au voyage, avec code de conduite, charte de déontologie, stage de sensibilisation, gestes et paroles conseillés à l’acteur-voyageur ? Quant au tourisme des aires protégées et hardiment présenté comme tel, « avec circuits en profondeur » (sic), c’est quoi sinon le comble de l’imposture et de la récupération ? Si le tourisme les pénètre, sont-elles toujours protégées ces aires ?

Les efforts internationaux actuellement entrepris pour dynamiser ce type de voyage ont tout de la caricature, du stéréotype, avec leurs fausses déclarations de principes (auxquelles personne ne croit !) masquant bien mal l’objectif toujours inavouable du gain qu’exacerbe le « nouveau créneau », avec sa cohorte de clientèle « gobe-tout »... Les citations des anachorètes du désert, scientifiques ou religieux, ne manquent pas d’être appelés à la rescousse pour racoler le touriste douillet en mal d’aventure. Les offres de voyage à thèmes envahissent tous les supports, on nous propose même de suivre les pas de Charles de Foucauld et de ses disciples, de rencontrer les descendants des familles berbères qui l’avaient accueilli dans le « désert » du Sarhro... « Ils » pensent à tout.

Les pièces à conviction de cette imposture verte sont déjà engrangées : il suffit de se pencher sur le sort des secteurs pionniers de l’affairisme saharien dont les « arénapoles » marocaines se nomment par exemple Zagora ou Erfoud. Surfréquentation, loisirs menaçants, dunes défaites et jonchées d’immondices, ces sites sont livrés sans la moindre retenue aux « marchands du temple » et aux faux-guides (pas toujours incompétents...). De leur capital écosystémique, il ne reste pas grand chose, l’appauvrissement faunique est extrême, l’érosion culturelle est manifeste et cette promotion n’a même pas su mettre les casbahs et les ksour à l’abri de l’enlaidissement du parpaing. Les populations sont niées ou asservies, les enfants transformés en mendiants. Si c’est cela la source d’inspiration et l’exemple à poursuivre, voire à amplifier ! Le cas d’Ouarzazate (cité cinématographique et réserve de figurants pour films en carton-pâte), n’est guère plus relevant, sauf que sa position de port saharien, un peu en retrait des sites sensibles, induit apparemment moins de dégâts. Quant à son rôle de levier dans la lutte contre la pauvreté locale, il est difficile de parier sur une redistribution locale de la manne touristique, mais plutôt sur la naissance d’une impitoyable concurrence dont sont sorties plus enrichies encore les classes dominantes. L’une des répercussions de la promotion d’Ouarzazate comme destination phare aux portes du désert est finalement d’avoir provoqué la mutation du charmant itinéraire de la haute Vallée du Drâa en celui d’un infernal circuit automobile. Sa charge et sa constance ont su écarter la totalité d’une faune perturbée par les caravanes de voitures, de tout-terrains, de camions, de camping-cars hors gabarits (chacun valant bien le prix de tout un douar présaharien...), de motos grosses cylindrées, maintenant de quads aux performances sonores, en une formation linéaire ininterrompue, chapelet routier rehaussé de rallyes d’aventure de tous les sexes (puisqu’il existe un rallye féminin, on attend un rallye homosexuel...), suscitant un mercantilisme de bord de route exacerbé. De quoi faire avorter la dernière gazelle ! Au milieu de cette grande parade se rendant à la curée des dunes, on devine parfois l’ombre héroïque et militante d’un couple d’écotouristes vrais en tandem. Ils y avaient cru mais on ne les reprendra plus.


Quand l’écotourisme se mord la queue !

« 
Allons ! La marche, le fardeau, le désert, l’ennui et la colère. »
Arthur Rimbaud.

Donc, l’écotouriste existe, c’est un touriste « souterrain » qu’il ne faut surtout pas dénaturer en le réinventant. C’est un voyageur qui aurait pour maître Théodore Monod et quelques autres comme Panouse ou Heim de Balsac pour le Maroc. Certains, déjà artériosclérosés, continuaient à arpenter le reg tant ils y croyaient. « Là où il y a la volonté, il y a un chemin » (Winston Churchill) pourrait être une devise de l’explorateur saharien, ascète et résigné, la passion au ventre, archétype correspondant à une classe financièrement sans pouvoir et dont les entreprises voyagistes se fichent comme de leur première chemise. L’ennemi déclaré de ce « drôle de zèbre » est le touriste que certains, comme Haroun Tazieff, comparaient à une lèpre. Vouloir maintenant, à grand renfort d’images et de communication, travestir l’ « égotouriste » tout-le-monde dont la mentalité semble « indécrottable » en faux aventurier du désert serait jeter un définitif discrédit sur l’image un peu « magique » des écosystèmes sahariens, en achever le saccage de la flore, de la faune et de ses habitants (même s’ils sont naïvement demandeurs), et aboutir à faire fuir... les écotouristes innés. Mais cet effet boomerang est un peu le modèle du système sociétal animant les décideurs dont la vénalité et le court terme qu’elle induit place la conservation non pas comme un objectif essentiel mais comme une astuce de plus pour parvenir à leurs fins. L’écotouriste de toujours n’est pas un « touriste », c’est un voyageur ! Depuis que le tourisme a tordu le cou au voyage, il y a confusion. Pour le voyageur, c’est le chemin qui est l’objectif, il ne cherche pas spécialement à parvenir à une destination, c’est sur la route qu’est le plaisir, la connaissance, la rencontre. Le tourisme est farouchement dépendant d’un « timing », il le faut pour faire Paris-Erfoud-Paris en un bref (mais si enrichissant !) voyage de fin de semaine. Le vrai voyageur n’est pas une cible des services de communications des opérateurs, il décide seul et voyage seul, là et comme il le veut. Le voyageur protoécotouriste n’est pas une vache à lait, il n’enrichit financièrement personne et partage sa survie avec le quotidien des populations qu’il visite, ou bivouac humblement, anonymement, invisiblement. Il cherche la paix et la trouve. Il exècre la piscine, la pelouse et le golf. Il n’est pas recruté en nombre et sur des catalogues aux images archéotypées. Tout jeune, il portait déjà ses voyages dans son cœur et dans son pur esprit. On ne peut donc le séduire, le rabattre, le réduire, l’apprivoiser, lui montrer le chemin. C’est en marchant qu’il fait son chemin. La plupart du temps, le voyageur a quelque chose à faire car c’est aussi un chercheur, il est maître de son cahier de route et fréquente le Sahara depuis toujours. Il a rendez-vous avec une trace, un os, une Araignée, l’arôme d’une fleur... Ce milieu aride se mérite, demande une préparation, une vocation. L’écotourisme jetté en pâture et en offre promotionnelle est bien une forme d’excuse de notre société quelque peu acculée à ses forfaits, au mieux un projet d’amende honorable, au pire un montage de plus dans le monde qu’on sait.

Des cités culturelles aux bleds du bout du monde, des sites archéologiques aux réserves naturelles, des îles aux glaciers, des pôles aux tropiques, les plages, les montagnes, les forêts, les campagnes (terroirs) et maintenant les déserts, tout doit être bradé par les opérateurs touristiques et leur dernière trouvaille qu’est l’écobusiness. Le droit au voyage est un fait nouveau, la dégradation de la planète et la récession culturelle aussi. Ça va de pair. Les systèmes arides sont les plus fragiles, la régénération y met des siècles et la plupart des dégâts y sont irréversibles. L’infecte pain industriel y a déjà remplacé le pain du pays que l’on mangeait à genoux il n’y a même pas dix ans à Zagora ou à Erfoud... Au fait de l’érosion culturelle et du saccage de l’environnement partout laissés par la fréquentation touristique, et sachant que ça ne pouvait pas durer, l’invention du « durable » a été proclamée comme une incantation, sans que personne n’apporte la moindre garantie de viabilité de ce second temps du tourisme rural. Les touristes pionniers visitant Marrakech auraient-ils pu penser qu’on en arriverait à une telle foire sans plus d’authenticité ? Ils étaient de bonne foi, comme le sont les premières émules écotouristiques qui déambulent suréquipés dans l’oasis sans se poser la question du regard qu’ils feraient, chez eux, dans leurs deux pièces-cuisine ou leur jardin de Seine-et-Marne si subrepticement, quelques berbères touristes à l’envers les y venaient voir, ne serait-ce que pour apprendre comment avec tant d’argent on peut faire si peu de belles choses et être tant malheureux !

Le spectre d’un écotourisme exploité comme tel présente dans le contexte saharien de trop grands risques de dérapages et de dérives. Les exemples au bilan global négatif déjà vécus sont édifiants : mise à sac des composants de la biodiversité, nouvelles pollutions, sur-utilisation de l’eau et des ressources au mépris d’un tissu social pratiquant le génie de la parcimonie, dégradation de l’habitat, folklorisation des coutumes, mercantilisme, perte des repères culturels et des savoir-faire, irruption de nouvelles modes perturbantes, création d’un climat de dépendance sans aucune garantie d’avenir, délitement des groupes et des parlers locaux, et un long etc. A l’inverse d’autres formules, l’écotourisme saharien est inné et ne demande rien. C’est d’ailleurs une définition du tourisme solidaire.... et solitaire. C’est en tout cas l’avis des écologistes et des naturalistes avisés, experts qui bien évidemment entrent en lice sans n’avoir aucune voix au chapitre, pas le moins désireux de se voir initiés par « Robot
sapiens economicus » aux arcanes lobbyistes du désert-business. Émules de René Dumont, de Paul-Émile Victor, de Jacques-Yves Coustaud, d’Haroun Tazieff, de Norbert Casteret, mais nullement disciples de Gilbert Trigano ou de Jacques Maillot, l’écologie reconnaîtra les siens. Le niveau d’incompétence écologique des concepteurs de voyage est aussi bien documenté que leur avidité. Mais leurs projets sont portés au pinacle par les groupes de pression et le juteux système des connivences, ce qui leur permettra d’atteindre leur nouvel objectif qui est l’organisation de piètres cénacles entérocolitiques et autres saturnales de pique-niqueurs eunuques dans le silence désormais violé de cette terre de dépouillement, jusqu’ici chargée de symboles, de magie et de rêves. On ne peut pas toujours se taire, surtout à l’heure où l’on compte les dernières Gazelles et les ultimes Guépards, lesquels survivants semblant bien attirer la convoitise voyeuriste. Comme tous fantasmes apocalyptiques, les espèces en voie d’extinction, en voilà un bon filon...

Il y a cent ans, le tourisme n'existait pas et cependant, l'industrie touristique est le troisième secteur économique du monde, après le marché du pétrole et celui des véhicules à moteur. Mais toute médaille a son revers. Le développement exponentiel du tourisme va de pair avec une dégradation tout aussi exponentielle (et très souvent irréversible) de l'environnement.
Quel qu’en soit la figure exploitée, le tourisme a été, est et restera « un vandalisme sympathique » qui participe à un écocide lent et certain. Cela crève partout les yeux et ne pas en convenir confine à un remarquable cynisme. Le tourisme de nature promet un concept bien séduisant mais purement conceptuel. L’application de ses projets, et tout particulièrement dans le domaine saharien, va à l’encontre de sa profession de foi. C’est donc un marché de dupes, une promesse mensongère. La seule garantie offerte par l’offre écotouristique est ainsi le détournement de son objectif.

« 
L’incrédulité est le premier pas vers la philosophie. »
Diderot