« Ubi solitudinem faciunt, pacem appellant. »
(Où ils font un désert, ils disent qu’ils ont donné la paix)
Tacite (Vie d’Agricola)

L’arganeraie victime d’elle-même

A la découverte de l’arganeraie

L’Arganier : un arbre-providence « maltraité »

« Nous comprenons la nature en lui résistant. »
Gaston Bachelard

« On ne triomphe de la nature qu’en lui obéissant. »
Francis Bacon

L’Arganier, l’Arbre de fer ou l’Arbre de vie, (
Argania spinosa) (noms vernaculaires marocains : argan, targant, afias, abâu, zekmun) est une espèce xérothermophile qui appartient à la famille tropicale des Sapotacées (qui compte 600 espèces) dont elle est au Maroc la seule représentante septentrionale dans la région méditerranéenne. La derivatio nominis de bien des noms de villages et de lieux-dits du Sud-Ouest marocain, dont le plus significatif est celui d’Argana, situé au nord-est d’Agadir, a pour origine cet arbre. D’autres toponymes constitués à partir du même taxon mais dorénavant situés à l’extérieur de l’arganeraie (jusqu’au Sahara occidental), témoignent ainsi de sa présence ancestrale. L’Arganier accepte un étagement altitudinal de grande amplitude se situant du niveau de la mer jusqu’à plus ou moins 1500 m. Seconde essence forestière du pays après le Chêne vert, cet endémique original qui n’est pas sans rappeler l’Olivier, est un arbre multi-usages (forestier-fruitier-fourrager), dont l’espérance de croissance est d’une dizaine de mètres, d’un port à cime arrondie, à l’écorce grise et crevassée type peau d’éléphant ou de crocodile, aux rameaux épineux et aux feuilles persistantes, alternes, elliptiques, à pétiole court. C’est une espèce monoïque à fleurs hermaphrodites et à fécondation de type allogame (par pollinisation croisée). La fleur (mars à juin) est jaune et axillaire. Le fruit (la noix d’argan), baie à péricarpe charnu, est une drupe à noyau coriace renfermant deux à trois amandes très riches en huile et qui se récolte entre juin et août. Le limbe de la feuille, la tige et l’épine ont été récemment identifiés comme très riches en flavonoïdes. Ses racines en pivot sont traçantes dans le substrat rocheux, aptes à chercher fort loin dans le sol les millimètres d’eau annuelle nécessaire à sa vie. Pour économiser les avaricieuses ressources hydriques, l’Arganier peut sporadiquement se défolier, retrouvant à l’aubaine de nouvelles précipitations, son aspect touffu. C’est un arbre très protéiforme et tenter d’en rencontrer deux spécimens de bonne ressemblance n’est pas chose aisée. Hautement résistant, il porte dans son habitus tous les stigmates de son dur vécu, toutes les séquelles des traitements néfastes et mutilants. Ainsi, on rencontrera des sujets naniformes, prostrés, stressés et mutilés, tous évocateurs d’un broutage précoce et répétitif, d’un écimage ou d’un émondage réitéré et de toutes autres atteintes à leur intégrité. Le stade extrême et très spectaculaire est illustré par ces Arganiers abroutis à l’extrême, rabougris, repliés sur eux-mêmes et façonnés en «rochers verts», conséquence la plus tourmentée de l’impact du pâturage suspendu. Hormis quelques modestes indigénats dans le Sud-Ouest algérien, l’arbre d’argan est cantonné au Maroc où, entre steppe désertique et Océan, il constitue une véritable curiosité biogéographique liée à des territoires ne recevant guère plus de 150 à 400 mm/an de précipitations pour l’intérieur, 40 mm pour la frange littorale la plus méridionale. Mais ces régions ont néanmoins l’atout de brouillards et précipitations occultes (ou pluies ascensionnelles) parfois très importantes.

Apparu au Tertiaire,
Argania spinosa fut refoulé en Afrique berbérique sud-occidentale consécutivement aux glaciations du Quaternaire. En cet extrême Nord-Ouest du continent africain, l’Arganier couvrait originellement un territoire nettement plus vaste. Il en demeure encore quelques témoins permettant d’en comprendre la chorologie, en des régions excentrées comme sur le Plateau central (sud de Rabat) dans la Vallée de l’Oued Grou (une cinquantaine d’hectares à Tsili) ou dans l’Oriental : région de Debdou (une modeste surface entre Thuyas et Chênes verts) et à l’ouest d’Oujda, tant dans les Monts de Beni-Snassen (200 ha) où il est associé à la tétraclinaie, qu’aux alentours d’El-Aïoun où nous avons répertorié des spécimens vestigiaux en très mauvais état. Il n’y a pas si longtemps, il s’étendait au nord jusqu’au-delà de Safi, et au sud au-delà du Drâa jusqu’à la région de Tindouf. L’un des affluents de la Seguiet-El-Hamra porte encore le nom d’Oued Argane.

D’une estimation de 1.500.000 hectares boisés d’Argania spinosa datant du début du XXe siècle, il ne demeure présentement plus que 20 millions d’Arganiers sur une superficie de quelque 800.000 ha (7 % de la superficie forestière du Maroc), soit une perte de la moitié de sa surface. Le rythme de ce compte à rebours est présentement de l’ordre d’une éradication de 600 ha/an.

L’aire principale actuelle enveloppe tout le bassin versant du Souss (Taliouine - Aoulouz – Taroudannt – Agadir), les piémonts sud et ouest du Haut Atlas occidental, Haha et Ida-ou-Tanane jusqu’à Essaouira et Argana au nord/nord-est, les montagnes de l’Anti-Atlas sud-occidental (région du Djebel Lekst) jusqu’à Sidi-Ifni au sud-ouest. Plus bas et jusqu’à l’Oued Drâa, l’Arganier ne se rencontre plus en formations mais éparsement et par petits groupes de sujets généralement de port chétif. L’aire principale habituellement donnée par les auteurs s’étend de l’embouchure de l’Oued Tensift au nord à celle de l’Oued Souss au sud, entre 29 º et 32 º de latitude nord.
La Vallée du Souss en est la région charnière. Le Souss, formé de riches alluvions arrachées à l’encadrement montagneux, est actuellement un oued sub-fossile, un peu à l’instar des fleuves sahariens que sont le Ziz et le Drâa, avec de longues périodes d’étiage ne conservant qu’un lit souterrain, mais susceptible de crues d’une rare violence quand surviennent des orages orographiques. Rarement encore sauvage en forêt claire de l’arrière-pays collinéen ou plus fréquemment cultivé dans les plaines et sur le littoral océanique, l’Arganier est l’essence forestière incontournable du grand Sud-Ouest marocain, qui en peuple l’essentiel de ses paysages arides aux brumes fréquentes et lui imprime une physionomie bien particulière. La région supportant l’arganeraie offre des structures géologiques de sédiments néogènes et quaternaires (Souss-Massa), du type Jurassique et Crétacé (partie la plus occidentale du Haut Atlas), du Paléozoïque (essentiel de l’Anti-Atlas) avec quelques traces de Précambrien. La formation à Argania spinosa se manifeste généralement sur des sols bruts, à croûtes ou peu évolués, très souvent érodés par disparition de la couverture végétale, voire sur des sols isohumiques sur alluvions dse types marrons ou châtains.

On trouve les premières relations de l’Arganier dans divers écrits de géographes et médecins arabes ayant visité et étudié le Maghreb. En 1219, le médecin égyptien Ibn Al Baytar le citait dans son ouvrage « le Traité des Simples ». On en retrouve une référence explicite dans « Description de l’Afrique » de Jean Léon L’Africain (1515). Ces auteurs en relataient déjà la plupart des atouts. Les Phéniciens commerçaient son huile dans leurs comptoirs établis tout au long de l’Océan atlantique. Plus récemment, comme au XVIIIe siècle, bien des voyageurs et diplomates anglais donnent dans leurs récits des rapports documentés de la densité de l’arganeraie d’alors.

Les fonctions tant économiques qu’environnementales de cet arbre sont telles que plusieurs pays l’ont introduit ou ont tenté de l’introduire pour l’enrichissement de leur patrimoine. Ce fut le cas d’antan de l’Angleterre, des Pays-Bas, de la France et des États-Unis ; plus récemment d’Israël, de la Libye et de la Tunisie.


L’Arganier, brumisateur de la steppe

Envoyant son système radiculaire à grande profondeur, l’arbre d’argan élève l’eau qu’il restitue à la couche superficielle du sol par le jeu de la condensation, procurant un bienfait certain à toute la végétation mitoyenne. Prêter des larmes à l’Arganier n’est pas que le fruit de notre l’imagination face au drame de sa disparition annoncée ! Certains petits matins, il est loisible de le voir transpirer et ruisseler l’eau produite la nuit par ses cimes. Bien qu’il s’agisse d’une essence xérophile dans un univers steppique, les contrastes thermiques sont ici accentués par l’influence atlantique (hygrométrie forte de 80 %). Son besoin en eau est attesté par le fait qu’au-delà la courbe isohyète de 150 mm/an, quand l’Arganier est encore présent dans le pré-Sahara, il montre une identité ripicole en se confinant le long des oueds fossiles et des cours d’eau temporaires. L’importance climatique de cet arbre est donc parfaitement perçu dans le contexte de la régulation de le rosée, du brouillard, de la nébulosité en général ou alors des vents : la nébulosité limite l’évapotranspiration, le vent l’aggrave.


L’archipel de l’arganeraie

« Les gens sont fonction des lieux.
Les lieux sont fonction des gens.
 »
Anonyme


L’emblème d’une civilisation

Végétal prééminent d’une région homogène, la formation d’Arganiers imprime partout au paysage la discontinuité des taches vertes de ses boisements, copiant ainsi le modèle d’un archipel. C’est, en prise directe sur la steppe désertique puis le Sahara immédiatement plus au sud, l’ultime strate arborescente de protection,
le tout dernier rempart de verdure. Épargné par l’Homme, l’Arganier peut offrir des densités fortes, y compris dans des milieux écologiquement très rudes. Mais sous la pression de l’exploitation humaine et du défrichage, il n’y a plus guère de concurrence et les sujets ne sont plus aptes à exercer la moindre auto-élimination les uns vis à vis des autres.

L’arganeraie couvre très irrégulièrement les trois millions d’hectares de ces régions caractérisées par des conditions difficiles qui sont celles de l’aridité, du climat, de l’irrégularité topographique, de la diversité pédologique et de la rareté de l’eau.
Deux millions d’habitants vivent dans cette région (densité de 46 habitants/km2 pour le Souss) et sont directement ou indirectement concernés par ce vaste écocomplexe. La formation à Argana spinosa calque sensiblement le territoire originel de l’obédience soussi du dialecte tachelhit (parler berbérophone également nommé chleuh) et même si les souassa (ou soussis, natifs du Souss sensu lato) sont désormais majoritairement arabophones, on pressent ainsi l’Arganier, arbre tout autant endémique qu’économique, comme un réel symbole ethnique d’une civilisation première. La symbolique de cet arbre, abritant bien des rituels, a donné lieu à de nombreuses études. Son existence induit une loi divine engendrant une subordination spirituelle. Cette sacralité lui attribue un rôle lié tant à la vie qu’à la mort, au mariage, à la fertilité et à la naissance (nomination de l’enfant), à la sainteté (pèlerinages), à la baraka et aux jnoun (démons).

A la frontière de l’aride, cet écosystème original a subi depuis un siècle une perte de la moitié de sa surface, sous des facteurs cumulés à la fois anthropogènes (surpâturage, agriculture intensive et déboisement) et climatiques qui en découlent (sécheresse, désertification).
Comme l’Arganier s’avère être tout autant la victime de l’érosion des sols que son meilleur remède, la problématique consiste à en ralentir l’éradication.


Géographie de l’Arganier

Depuis l’embouchure de l’Oued Tensift au nord jusqu’à celui de l’Oued Drâa au sud, pénétrant l’arrière-pays dans les plaines du Haouz, des Rehamma, du Souss et du Drâa en amont jusqu’a Tata, individualisée par une identité climatique adoucie par la proximité atlantique, l’arganeraie se définit comme une écorégion de formations arborées macaronésiennes à éléments floristiques crassulescents et aphylles. Elle se développe aux étages infra et thermoméditerranéen où l’arbre individualise un certain nombre d’associations phytosociologiques conférant aux paysages une grande particularité. A partir de 1400 m, c’est généralement le Thuya qui le relaye.

Cette unité écosystémique originale peut se catégoriser en deux formations assez distinctes : l’arganeraie-verger de plaine (tendance à la forêt dite trouée, véritable forêt-parc) et l’arganeraie-forêt (tendance à la forêt claire) de montagne. Dans les deux cas, son rythme actuel est toujours plus proche de la steppe arborée que d’une forêt
sensu stricto. Sa dégradation accélérée indique que cette formation se dirige vers un type de boisement très lâche, propre à celui des Acacias sahéliens.

L’arganeraie du littoral et de plaine (notamment Vallée du Souss) appartient aux bioclimats saharien côtier (à l’extrême sud) et aride chaud-tempéré sur les portions côtières moyenne et septentrionale, ainsi que dans le Souss. C’est l’essentiel de la figure cultivée mais aussi celle correspondant floristiquement et sur le littoral à l’association aux Euphorbes cactoïdes (
Euphorbia echinus, E. regis-jubae, E. beaumeriana), à Senecio anteuphorbium et à des Chénopodiacées (Salsola spp.), la plus influencée par la mitoyenneté océanique. Entre les embouchures des Oueds Tennsift et Drâa, le paysage est imprimé d’un cachet floristique macaronésien extrêmement original. Subséquemment à une pression agropastorale séculaire devenue quasi-intensive, c’est la formation la plus dégradée et la strate arborescente est le plus souvent réduite à des individus torturés, voire à de basses souches abrouties. Le sous-bois y a été radicalement biffé, sans aucun signe de régénération décelable sur un sol décapé et squelettique. Des sujets vétérans d’une dizaine de mètres s’y rencontrent tout de même encore. Mais en plaine, l’arbre est surtout éliminé pour gêner l’intensification agricole et sa disparition génère l’érosion notamment éolienne des sols, voire l’apparition de dunes mobiles. L’une des plus belles arganeraies fut celle de la Forêt d’Admine, dans le Souss, avec jadis 22.000 ha, mais au cours des quinze dernières années elle a dû s’amenuiser de plus de 10.000 ha au profit de cultures irriguées, notamment sous serres. Elle apparaît désormais comme une formation totalement éreintée et dont le reliquat est fortement dénaturé.

L’arganeraie de l’arrière-pays (vallées en ressaut du Haut Atlas, montagnes de l’Anti-Atlas d’Aït-Baha à Tafraoute, etc.) répond au bioclimat semi-aride chaud et tempéré. Elle organise des formations plus variées, parfois de forte densité, et selon les aléas de proximité anthropique, on y compte encore ou non la strate sous-jacente d’un cortège floristique parfois remarquable, la topographie difficile mettant certains sites à l’abri partiel d’une pression excessive. Les fleurons de l’arganeraie sont peut-être les sujets en immixtion avec le fameux peuplement du Dragonnier (
Dracaena draco ajdal), élément paléotropical bien connu des Canaries et du Cap Vert, récemment découvert avec Laurus azorica sur quelques hautes falaises sauvages de l’Anti-Atlas sud-occidental. D’une manière générale, cet aspect proche du climax serait celui de meilleure conservation. Quand l’arganeraie est éradiquée de la montagne, c’est sous la pression du pastoralisme et cela entraîne alors le tassement des sols et leur perte par érosion hydrique.


L’Arbre des Femmes

Écosystème résultant d’un subtil équilibre entre l’Homme et la nature, Louis Emberger qualifia l’Arganier de « providence ». L’arganeraie présente un caractère fortement social, précisément familial, affectivement associé au quotidien de régions très pauvres que cette « armature de bois » protège du désert. L’appropriation humaine de cet arbre est tout spécialement le fait de la sphère de l’unité domestique conjugale, avec une division sexiste des savoirs et des usages, parfaitement traduite par la subtile distinction taxinomique que sont les vocables argan et targant. Argan (masculin) désigne le sujet vétéran, isolé sur des terres cultivables et traduit en l’occurence le champ de l’Homme et l’honneur au masculin. Targant (féminin) est illustré par les groupements plus forestiers et de taille ordinaire, soit la forêt des femmes, ainsi que la baraka (grâce, pouvoir surnaturel qui donne la chance) dont elles auraient la clé. C’est ainsi que l’essentiel des tâches liées à l’Arganier fut depuis toujours l’objet des femmes, l’homme se réservant les autres travaux des champs. Et si l’honneur des hommes reste sauf, les femmes y trouvent largement leur compte en indépendance et en liberté. Dans la pratique rituelle, on note une grande proximité, voire intimité, des femmes envers l’Arbre de vie. Ce sont elles qui nouent aux branches des ex-voto (souhaits amoureux, vœux de fécondité) de tissus, le plus souvent des parties effrangées de leurs habits, témoignant même enlacements et embrassades avec l’arbre sacré. Certains moussem officiant dans l’arganeraie sont exclusifs aux femmes.

Cette mosaïque de taches vertes sur un sol squelettique est absolument « miraculeuse » puisqu’elle organise la vie de quelques 6 % de la population marocaine. A la frontière de l’aride, l’Arganier fournit « tout » : excellent combustible, son bois très dense est une ressource tant pour la cuisine et le chauffage (y compris charbonnage) durant les froides nuits hivernales, que pour la charpenterie (poutres, solives), la menuiserie (fenêtres, contrevents, seuils, portes, etc.) ou la confection d’instruments, d’outils ménagers et agricoles (araire, attelle, charrue) ; c’est un pâturage suspendu pour les Chèvres, et de ses feuilles, fourrage de premier ordre, dépend un cheptel majoritairement caprin, compte-tenu des capacités de la Chèvre à la pratique du pâturage aérien, mais aussi Ovin-Bovin-Camelin (320 millions d’unités fourragères qui équivalent à 320.000 tonnes d’Orge). On doit à l’Arganier la célèbre huile d’argan aux qualités intrinsèques.

Des amandes de la noix d’argan, on extrait une belle huile orangée et parfumée, hautement nutritionnelle, et dont les valeurs indicatives de sa composition sont : 35 % d’acide linoléique (poly-insaturé) ; 45 % d’acide oléique (mono-insaturé) ; 62 mg/100 g de tocophérols ; 5,6 mg/100 g d’olyphénols ; 300 mg/g de carotènes ; 160 mg/g de stérols ; 150 mg/g d’alcools terpéniques. Il faut 100 kg de fruits mûrs et quinze heures de concassage-torréfaction-moulinage-malaxage-pressage de la pâte obtenue pour l’obtention d’un litre. L’huile sert tout autant à l’alimentation qu’en cosmétologie traditionnelle et moderne. Sa finesse de texture et son goût de noisette en font une huile des plus prisées pour aromatiser les salades, le couscous, comme touche finale sur les fromages, les soupes, voire pour relever les plats à base d’œufs. Le mélange huile d’argan, d’amandes pilées et de l’excellent miel de Thym régional est connu sous le nom d’amlou pour accompagner délicieusement le pain du petit déjeuner. La composition spécifique de l’huile d’argan la prédestine aux usages diététique, cosmétique et médical. Elle est une excellente source de vitamine E. Les habitant du Sud-Ouest marocain l’utilisèrent de tous temps pour soigner la varicelle chez l'enfant, l'acné juvénile et prévenir les vergetures chez les femmes enceintes. Confirmées par les récentes études scientifiques, d'autres propriétés justifient cette utilisation pour ses effets anti-inflammatoires et analgésiques. L'acide linoléique qu'elle contient est déterminant dans la prévention de l'infarctus du myocarde, pour la réduction du taux de cholestérol et dans la participation au développement cérébral. Une chercheuse de la Faculté des Sciences de l'Université Mohamed V de Rabat, Zoubida Charrouf, vient d’en décrire très récemment certaines substances aux propriétés antimicrobienne et antioxydante nouvelles. Au terme des phases de fabrication, les tourteaux sont utilisés pour la nourriture du bétail durant l’hiver.


Parallèlement à des programmes de recherche sur la valorisation d'
Argania spinosa et à des études sur la composition chimique et l'activité biologique des produits, quelques projets pilotes d'extraction mécanisée d'huile d'argan voient le jour. Sous l’impulsion de bailleurs de fonds, la coopérative de Tamanar, au sud d’Essaouira, tente par exemple depuis 1993 l’expérience d’une mécanisation de la chaîne d'extraction (décortiqueur, séparateur d’amandon, briseur de coque, grilleur rotatif des amandons, mixeur-broyeur, cuiseur-malaxeur, pressoir, moulin a mariaux), mais toutes les étapes ne sont pas encore résolues. La production et la commercialisation sont l’affaire d’un très grand nombre de coopératives territoriales et les membres constituant de ces entités sont des femmes rurales. Toutes expérimentées, elles assurent l’intégralité de la chaîne du produit, depuis la cueillette jusqu’au moulin (azerg ou r’ha). Désireuses de développer leur outil de travail pour améliorer leur situation socio-économique et par ricochet leur émancipation, elles réalisent des produits nobles et qualitatifs répondant aux normes internationales. Toutes ces coopératives respectent une rigoureuse déontologie et garantissent la véracité de leurs produits, ce qui est essentiel face aux nombreux risques de contrefaçons. Une appellation d’origine est en phase de concertation. Pour exemple, la coopérative de Tamanar traite 300 tonnes de fruits de l'Arganier par an pour en extraire principalement de l'huile 100 % naturelle commercialisée sous label, l'amlou et des produits cosmétiques pour la peau, les cheveux et les ongles.

Autre argument au bénéfice de l’Arganier : il est ainsi et traditionnellement l’Arbre des Femmes. Le Maroc sud-occidental est pionnier en ce qui concerne le nombre de centres voués au développement de la femme rurale (alphabétisation, qualification, insertion économique, santé maternelle et infantile). Ces activités sont soutenues par de nombreux acteurs associatifs issus d’un panel multisectoriel. C’est sans nul doute l’aspect socio-économique de l’Arganier qui fut le fer de lance d’une telle dynamique.


Phytocénose


C’est à l’intérieur de la classe des
Quercetea ilicis, largement définie pour contenir les groupements forestiers et présteppiques non montagnards du biome méditerranéen, que s’individualise l’ordre des Acacio-Arganietalia, réunissant le Gommier du Maroc (Acacia gummifera) et l’Arganier. Il participe à la définition du secteur macaronésien marocain, lequel ordre s’encarte dans l’infra et le thermoméditerranéen sous les distinctions de deux alliances : Senecio anteuphorbii-Arganion spinosae et Acacion gummiferae, enveloppant chacune de nombreuses associations locales. (Benabid, 2000).

L’Arganier correspond à de nombreuses séries et sous-séries de structures phytodynamiques dont on peut citer les primordiales : série inframéditerranéenne à Thuya-Arganier, avec ses sous-séries à
Olea maroccana (Ida-Outanane), à Juniperus phoenicea (ressaut méridional du Haut Atlas occidental), à Euphorbia echinus (Anti-Atlas occidental) ; série de l’Arganier et de l’Euphorbe oursin (marge occidentale de l’Anti-Atlas et littoral au nord de Tiznit) ; série inframéditerranéenne de l’Arganier et de Hamada scoparia (remt, assay) (plaine du Souss central, revers septentrional de l’Anti-Atlas occidental) ; série inframéditerranéenne de l’Arganier et de l’Euphorbe de Baumier (entre Agadir et Cap Rhir) ; série thermoméditerranéenne de l’Arganier (Anti-Atlas sud-occidental et versant méridional du Haut Atlas occidental) (Benabid, 2000).

Les essences majeures pouvant accompagner
Argania spinosa du nord au sud et du littoral à la montagne sont : Acacia gummifera (Gommier du Maroc, taddut), Acacia raddiana (amrad, talha), Tetraclinis articulata (Thuya, ârâar, azuka, amelzi), Juniperus phoenicea (Genévrier rouge arâar, l-horr, aifs) (surtout Haha et Ida-Outanane), J. oxycedrus (Oxycèdre, taqqa, tiqqi) et Rhus tripartita (Sumac, jdâri), ainsi que très étroitement le Dragonnier paléotropical. Le précieux Pistacia atlantica (Pistachier de l’Atlas, btem, drou) a encore sa place dans ce paysage, le plus souvent hélas sous préservation maraboutique.

Les principaux endémiques, dont beaucoup sont communs à ce Sud-Ouest et aux îles macaronésiennes, sont :
Caralluma burchardii, Andryala canariensis, Artemisia reptans, Nauplius schultzii et N. graveolens odorum, Sonchus bourgeani et S. pinnatifidus, Polycarpea nivea, Bassia tomentosa, Helianthemum canariense, Coronilla ramosissima, Laurus azorica, Bupleurum dumosum, Drusa oppositifolia et bien d’autres. Au sein des espèces très significatives, citons encore : Periploca laevigata, Senecio anteuphorbum, Launaea arborescens et L. acanthoclada, Warionia saharae, Euphorbia beaumierana, E. echinus et E. regis-jubae, Salsola longifolia et S. vermiculata, Genista ferox, Cytisus albidus, Teline segonnei. Parmi les raretés de la flore marocaine de la veine du Dragonnier, c’est aussi dans ce secteur macaronésien marocain que figurent Kalanchoe faustii, Commelina rupicola, Leptochloa ginae et Enteropognon rupestris.

Ces peuplements abritent d’autres xérophiles et thermophiles comme :
Ballota hirsuta, Whitania frutescens, Asparagus stipularis, Ephedra altissima, Lavandula dentata, L. mairei, L. multifida et L. stoechas, Salvia aegyptiaca, Androcymbium gramineum, Polycnenum fontanesii, Convolvulus trabutianus, Linaria sagittata, Gymnosporia senegalensis. Dans les associations intérieures, les éléments floristiques sont souvent : Ceratonia siliqua, Olea maroccana, Ziziphus lotus, Polygala balansae, Chamaecytisus albidus, Ephedra cossonii, Haplophyllum broussonetianum, Hesperolaburnum platycarpum, Eryngium ilicifolium, Globularia arabica, Withania adpressa, Jasonia hesperida, Fagonia zilloides, Bryonia dioica, Cymbopogon schoenanthus, Aristida coerulescens, Cenchrus ciliaris, Scilla undulata, etc.

Enfin, plus au sud, dans le Saharien tempéré où sur les oueds graveleux et les regs caillouteux s’élèvent quelques savanes désertiques unissant l’Arganier aux Acacias (
A. raddiana et ehrenbergiana) et à Balanites aegyptiaca, se joignent alors : Panicum turgidum, Pennisetum dichotomum, Lavandula stricta, Seetzenia orientalis, Boerhavia coccinea, Boetbellia hirsuta, Zilla macroptera, Anvillea radiata, Antirrhinum ramosissimum, Pergularia tomentosa, Lycium intricatum, Trichodesma calcarata, Farsetia hamietonii, Gymnocarpos decanter, Zygophyllum gaetulum, Hamada scoparia, Tourneuxia vanifolia, Fagonia glutinosa et d’autres espèces précitées.

Nous ne citons « rien » car au sein d’une aire aussi vaste et variée, selon les étages, les bioclimats, la topographie et les substrats, l’arganeraie implique un cortège d’un millier d’espèces et de sous-espèces vasculaires, dont 140 sont endémiques ! Le cortège malherbologique est également très fourni. Dès la sortie des hivers bien arrosés, dans les jachères des arganeraies cultivées ou dans le domaine de celles en processus de dynamique régressive (dégradation), la strate inférieure se garnie d’un tapis multicolore de Légumineuses thérophytes qui germent, fleurissent et grainent en quelques semaines, ainsi que d’Iris (
Iris sisyrinchium) surnuméraires dont l’effet bleu-violet-pourpre est tout à fait remarquable.


Le Dragonnier, l’arbre que cachait la forêt

C’est tout de même surprenant, l’histoire de la récente découverte d’une plante hirsute pouvant atteindre quinze mètres de haut, passée inaperçue non loin d’Agadir, jusqu’alors jamais appréhendée par les grands botanistes, prospecteurs pionniers du Maroc ! Tout se passe comme si l’Anti-Atlas du Djebel Lekst était un bout du monde ! C’est en 1996 que F. Cuzin et A. Benabid révèlent et décrivent leur fabuleuse mise à jour d’une sous-espèce marocaine d’une forme du Dragonnier des Canaries :
Dracaena draco ajgal. Selon les temps et les auteurs, cette plante se classe avec les autres espèces tropicales de Dragonniers dans une famille propre qui est celle des Dracaenaceae, voire plus communément dans celle des Agavaceae dont elle est fort proche, mais on la retrouve aussi dans les Amaryllidaceae, réunissant alors d’autres bulbeuses ou rhizomateuses ornementales comme les Narcisses, parfois plus globalement dans les Liliaceae.

Depuis la nuit des temps, une formation relictuelle de cette plante investissait discrètement les vires, les rocailles et les sommets des versants nord des falaises rocheuses du Djebel Imzi et du Djebel Adad Medni, dans les gorges de la vallée de l’Oued Oumaghour (Haut Massa), à l'est de Tiznit. Avant cette révélation que cachait en son sein l’arganeraie, ce
Drago n’était connu que des Iles Canaries et du Cap Vert. Mais si le monde scientifique en ignorait l’existence, une autre culture l’appréhendait parfaitement, si l'on en juge par les dessins rupestres d'animaux laissés en témoignages sur les rochers de ces djebels marocains par les ancêtres et exécutées avec le « sang » du Dragonnier. Une liqueur rouge à base de la macération des fleurs du Dragonnier, agréable à boire paraît-il, rappelle que de tous temps, sa sève (rouge quand elle s'oxyde à l'air) fut non seulement utilisée comme pigment dans l’art rupestre, mais aussi à l’usage d'applications médicinales, cosmétiques et tinctorales. Les Romains commercialisaient cette sève sous le nom de « sang de dragon ». Actuellement, les habitants de cette région exploitent les troncs évidés de l'intérieur pour l'apiculture, d'où son nom vernaculaire « ajgal », signifiant localement rucher.

Cette espèce de Dragonnier est un des symboles des Canaries. Il en reste fort peu à l'état sauvage, mais la plante est fréquemment cultivée. Les pieds ne se ramifient pas avant la première floraison et ils sont d’un aspect assez gauche, avec un tronc épais surmonté d’une touffe sommitale de feuilles persistantes, rigides et dressées, disposées en spirales. Cette plante semble vivre longtemps, mais compte tenu de la structure de son bois, il est impossible de la dater. Chaque ramification est supposée correspondre à une dizaine d’années. Les récits des premiers voyageurs aux Canaries mentionnent des géants supposés plurimillénaires. Le Dragonnier millénaire d’Icod, petite ville de la rive nord de l’Ile de Ténériffe, doit sa célébrité historique à la visite d’Humbolt, le grand botaniste allemand, qui le premier au XVIIIe siècle attira l’attention du monde scientifique sur l’âge évalué alors à deux mille ans que semblait avoir cet extravagant sujet. Aux Canaries, la longévité les plus vieux Dragonniers résulte de leur proximité d’un lieu saint (église, cimetière) qui les a protégés de l’industrie, alors florissante, de la fabrication du charbon de bois.


Zoocénose

Les Mammifères et la grande faune relictuelle

Le Chacal (
uccen en parler local) toujours présent, voit ses effectifs très atteints par les campagnes d’empoisonnement, celles antiacridiennes et la « guerre aux nuisibles » chronique, dans l’objectif de limiter les attaques des troupeaux. La faune des Mammifères carnivores de l’arganeraie se réduit au Renard roux (abaghugh, arakka, arakkuk, abayrru en berbère variante chleuh local), au Ratel (non signalé depuis longtemps mais au maintien probable), à la Genette (dont la peau est toujours utilisée en sorcellerie), à la Mangouste ichneumon (tazeldamane en tachelhit du Souss) (également persécutée pour le même usage), au Chat ganté (nommé localement arksim), au Lynx caracal (wizrane) (au bord de l’extinction) et à la Loutre (Massa). L’Hyène rayée (ifis) de raréfaction récente en Afrique du Nord, ne bénéficie plus de signalements de cette région alors qu’elle est encore vue dans l’Oriental, ainsi que plus au sud, le long de la frange atlantique. Le Sanglier (ahallouf, halouf, ilf, bou-tagant) (en abondance) et la Gazelle de Cuvier (Tafingoult, Ida-Outanane, en raréfaction) complètent le tableau des espèces plus ou moins climaciques

Le sympathique Écureuil de Barbarie (
abgour, aghour ou agbur, aussi anzil en parlers berbères locaux) (Atlantoxerus getulus) est parfaitement dans son élément sur ce sol écorché et les familles investissent tous les repaires rocheux possibles avec comme préférences les ponts d’oueds et autres canalisations en ciment. Le Souss illustre l’unique indigénat maghrébin d’une espèce très ressemblante qui lui est sympatride : l’Écureuil terrestre du Sénégal (Xerus erythropus), de taille à peine plus forte et à la tête plus allongée. De nombreux autres Rongeurs peuplent cette immense écocomplexe : le Porc-épic (appelé aruc) (encore assez répandu puisqu’on en trouve ça et là des épines perdues), le Mérione de Shaw (il pullule parfois, causant quelques dégâts aux récoltes céréalières), le Mérione à queue rouge, la Gerbille du Souss (petit animal au pelage remarquable et qui investit des biotopes sableux), la Gerbille hespérine (ne pénètre par l’arganeraie dont elle est mitoyenne et exclusive aux dunes de sables d’Essaouira), la grande Gerbille du sable, la petite Gerbille du sable, la Gerbille champêtre, la petite Gerboise, le Rat de sable diurne, le Lérot, la Souris sauvage, la Souris grise, le Mulot, le Rat rayé, le Rat à mamelles multiples, le Rat noir (c’est le Rat le plus ancien, notre premier commensal, vecteur de la peste en occident antique et médiéval) et le Surmulot (importé d’Asie centrale et installé seulement depuis le XVIIIe siècle). Les petits Mammifères insectivores sont représentés par : le Hérisson d’Algérie (se dit insi et bumhend ou boumehand selon les régions), la Musaraigne de Whitaiker, la Musaraigne de Tarfaya, la Musaraigne musette et quelques autres. Actif de jour et jusqu’au crépuscule mais difficilement repérable, un curieux animal fréquente aussi le Sud-Ouest marocain : c’est le Rat à trompe (Elephantulus rozeti), un Macroscélide de très petite taille, au pelage dorsal roux lavé de noir, aux oreilles démesurées et dont la tête porte un nez très long, épais et mobile (telle une trompe d’Éléphant). Les Chiroptères (Chauve-souris se dit ici ifrtitu) les plus notables du Souss-Massa en particulier et de l’arganeraie en général sont : le Nyctère de la thébaïde (région d’Agadir), le petit Rhinolophe fer à cheval, le grand Rhinolophe fer à cheval, le Rhinolophe euryale, le Rhinolophe de Cafrerie (Essaouri et réserve de Souss-Massa), le petit Murin (très fréquent), la Pipistrelle de Kuhl, l’Oreillard gris et le Minioptère.


Une avifaune de bonne augure

« 
Dans la hiérarchie artistique,
les oiseaux sont les plus grands musiciens qui existent sur notre planète.
 »
Olivier Messiaen

Le cortège ornithologique reste assez remarquable et doit bénéficier d’
une veille permanente en raison des menaces. En voici un relevé « terrestre » exhaustif. Sont exclues les espèces liées aux milieux aquatiques (telles que côtes maritimes, lagunes, mares temporaires ou rives d'oueds éventuellement présents dans la zone), pour n’inventorier que celles qui caractérisent l’arganeraie, voire visibles en milieux rocheux ou semi-cultivés.
 
Abréviations : NS = Nicheur sédentaire ; VE = Nicheur visiteur d'été ; H = Hivernant (le plus souvent d'origine européenne) ; P = espèce de passage (migrateur de printemps et/ou d'automne). Certaines espèces peuvent cumuler plusieurs de ces statuts.

Cigogne blanche (VE, P, NS ?) ; Cigogne noire (P) ; Ibis chauve (NS) ; Vautour chauve (P) ; Percnoptère d’Egypte (P) ; Balbuzard pêcheur (P, H) ; Aigle royal (erratique, très rare) ; Aigle ravisseur (NS, en déclin) ; Circaète Jean-le-blanc (VE, P) ; Aigle botté (VE, P) ; Aigle de Bonelli (NS, erratique) ; Milan royal (P, H ?, très rare) ; Milan noir (VE, P) ; Élanion blanc (NS) ; Busard des roseaux (P, H) ; Busard Saint-Martin (P rare, H rare) ; Busard cendré (P) ; Busard pâle (P printemps, accidentel) ; Buse féroce (NS) ; Bondrée apivore (P) ; Épervier d’Europe (NS, H) ; Autour chanteur sombre (NS, en voie d’extinction) ; Faucon crécerelle (NS) ; Faucon crécerellette (P, H potentiel) ; Faucon kobez (P printemps, accidentel) ; Faucon hobereau (VE, P) ; Faucon d’Éléonore (P rare) ; Faucon pèlerin (NS, H) ; Faucon de Barbarie (NS) ; Faucon émerillon (H rare) ; Faucon lanier (NS) ; Perdrix gambra (NS) ; Caille des blés (VE, H et/ou NS partiel) ; Odicnème criard (NS, erratique) ; Courvite isabelle (NS, erratique) ; Bécasse des bois (H rare) ; Ganga unibande (NS local) ; Ganga cata (NS local) ; Ganga tacheté (NS, local) ; Ganga couronné (NS local) ; Pigeon ramier (NS) ; Tourterelle turque (NS, en expansion près des agglomérations humaines) ; Tourterelles des bois (VE, P) ; Coucou gris (VE, P) ; Coucou-geai (VE parasite rare des nids de Pies bavardes, P printanier hâtif) ; Grand-Duc ascalaphe, dit Grand-duc du désert (NS) ; Chouette chevêche, dite Chevêche d'Athéna (NS) ; Chouette effraie, dite Effraie des clochers, nom mal porté au Maroc ! (NS) ; Chouette hulotte (NS) ; Hibou petit-duc (VE, P) ; Engoulevent d’Europe (VE rare, P) ; Engoulevent à collier roux (VE, P) ; Martinet noir (P) ; Martinet pâle (VE en agglomérations, P) ; Martinet à ventre blanc (P) ; Martinet à croupion blanc (NS en agglomérations) ; Martinet unicolore (H potentiel rare, N, S ? probable dans les falaises côtières notamment vers Taghazoute et au Cap Rhir) ; Huppe fasciée (VE, P, H rare) ; Guêpier d’Europe (VE, P) ; Rollier d’Europe (VE, P) ; Pic de Levaillant (NS possible très localisé) ; Pic épeiche (NS possible localisé) ; Torcol fourmilier (P, H très rare) ; Cochevis huppé (NS) ; Cochevis de Thekla (NS) ; Alouette des champs (H, P) ; Alouette calandre (NS locale) ; Alouette lulu (NS possible) ; Alouette calandrelle (VE, P) ; Hirondelle de rivage (P) ; Hirondelle paludicole (NS locale, erratique) ; Hirondelle des rochers (NS, erratique hivernale) ; Hirondelle rustique (VE, P, H très rare) ; Hirondelle des fenêtres (VE locale, notamment en agglomérations, P, H très rare) ; Hirondelle rousseline (VE, P) ; Pipit rousseline (VE, P) ; Pipit farlouse (H) ; Pipit des arbres (P) ; Pipit à gorge rousse (P et H très rare) ; Bergeronnette grise (NS, P, H) ; Bergeronnette printanière (NS locale, P, H locale) ; Bulbul des jardins (NS) ; Tchagra à tête noire (NS local) ; Rouge-gorge familier (H) ; Rossignol philomèle (VE, P) ; Agrobate roux (VE, P) ; Gorge bleue à miroir (P, H très local) ; Rouge-queue à front blanc (P) ; Rouge-queue noir (H) ; Rubiette de Moussier (NS) ; Traquet motteux (P) ; Traquet du désert (NS local) ; Traquet oreillard (VE, P) ; Traquet deuil (NS très rare et très local) ; Traquet à tête blanche (NS local) ; Traquet rieur (NS local) ; Traquet à tête grise (NS local) ; Tarier des prés (P) ; Tarier pâtre (NS local, P, H) ; Merle bleu dit Monticole bleu (NS local) ; Merle noir (NS) ; Grive musicienne (H) ; Grive mauvis (H rare) ; Fauvette des jardins (P) ; Fauvette à tête noire (P, H) ; Fauvette Orphée (VE typique, P) ; Fauvette babillarde (P rare, surtout printemps) ; Fauvette mélanocéphale (NS, P, H) ; Fauvette grisette (P) ; Fauvette passerinette (VE locale, P) ; Fauvette à lunettes (NS locale, P) ; Fauvette pitchou (H) ; Fauvette de l’Atlas (H, NS très locale à une certaine altitude) ; Phragmite des joncs (P) ; Locustelle tachetée (P rare) ; Bouscarle de Cetti (NS rare et locale) ; Rousserolle effarvatte (P locale) ; Hypolais polyglotte (VE, P) ; Hypolaïs icterine (P surtout de printemps, très discrète et dite accidentelle) ; Hypolaïs pâle, dit Hypolaïs maghrébin ou Hypolaïs occidental (VE, P) ; Pouillot fitis (P) ; Pouillot véloce (P, H) ; Pouillot de Bonelli (P) ; Pouillot siffleur (P surtout de printemps, rare) ; Pouillot ibérique, ex-Pouillot véloce espagnol (H probable) ; Gobe-mouches gris (VE, P) ; Gobe-mouches noir (P) ; Gobe-mouches de l’Atlas (P probable) ; Mésange charbonnière (NS) ; Mésange bleue (NS) ; Pie-grièche à tête rousse (VE, P) ; Pie-grièche méridionale (NS) ; Craterope fauve (NS local) ; Pie bavarde (NS) ; Grand corbeau (NS) ; Crave à bec rouge (NS, erratique, à une certaine altitude, sud du Tizi-n-Test) ; Étourneau sansonnet (H) ; Étourneau unicolore (NS, en agglomérations surtout) ; Loriot d’Europe (P) ; Moineau domestique (NS) ; Moineau espagnol (NS, erratique) ; Pinson des arbres (NS, P, H) ; Linotte mélodieuse (NS) ; Chardonneret élégant (NS) ; Verdier d’Europe (NS) ; Tarin des aulnes (H rare) ; Serin cini (NS) ; Gros-bec casse-noyaux (NS possible, à une certaine altitude au moins) ; Bouvreuil githagine (NS) ; Bruant ortolan (P) ; Bruant zizi (NS) ; Bruant proyer (NS local en zones cultivées) ; Bruant fou (NS local en zones rocheuses) ; Bruant striolé (NS local en agglomérations des villes et des villages, ainsi qu’en zones rocheuses).
 

Du large !

Le territoire assigné à ce livre est le plancher des Vaches, enfin des Moutons..., et les écosystèmes côtiers et marins, d’un intérêt considérable au Maroc, ne sont pas pris en compte car ils répondent à une toute autre thématique d’approche. Mais l’arganeraie s’ouvre sur l’Océan par des sites particulièrement féeriques que sont les entrelacs de barkhanes littorales en arabesques,  les caps et les embouchures : Cap Sim, Cap Tafelney, Cap Rhir, embouchure du Souss, du Massa, du Drâa, et plus encore en longeant la côte atlantique saharienne et ses lagunes de sable d’or. De la terre ferme, ou du rebord d’une de ces vertigineuses falaises atlantiques balayées par de puissants alizés et sur lesquelles déferle la houle, volent en très grand nombre les Oiseaux du large, et le naturaliste est alors interpellé par le phénomène des migrations. Le long de cette côte encore si pure et si sauvage, défilent les Oiseaux de mer qui se rendent vers les eaux riches du courant du Benguela, au large de l'Afrique occidentale : Sterne caugek et Sterne pierregarin, accompagnées des Labbes qui vivent à leurs dépens, Sterne voyageuse, Puffins, Fous de Bassan, Goéland d’Audouin, Grand Cormoran, Cormoran huppé et tant d’autres. Entre Afrique et Europe, le Maroc est un grand centre de passages. Dans ses plaines et ses montagnes, le plus vert des pays du Maghreb offre aux Oiseaux une infinie mosaïque d’écosystèmes. Les amateurs d’avifaune ont ainsi élu le Maroc comme l’une des terres les plus favorables à leurs observations passionnées. Les 450 km de littoral méditerranéen et 2200 km de façade atlantique, agrémentés de très nombreuses zones humides sont aussi de grands atouts pour ce paradis aviaire, pays de cocagne des ornithologues. Sur les 451 espèces d’Oiseaux bibliographiées au Maroc, 317 espèces répondent présentes comme nicheuses, estivantes-nicheuses, hivernantes et/ou migratrices. Les autres références portant sur des observations accidentelles et des espèces désormais disparues.

Migrations au longs cours ou déplacements plus modestes, l’aptitude au vol des Oiseaux leur permet de compenser un climat devenu excessif, rigueurs hivernales le plus souvent, ou une carence saisonnière de nourriture (la plupart des Insectivores migrent) en rejoignant des conditions de vie plus favorables. La plupart de ces migrateurs se déplacent entre une aire de reproduction et une aire d’hivernage, selon un mouvement saisonnier qui confère à un immuable mouvement d’horlogerie. Entre ces deux destinations, il est alors possible de voir séjourner en transit des espèces inhabituelles. Avant le grand voyage, les Oiseaux doivent accumuler des réserves d'énergie sous forme de graisse, qui leur permettront d’accomplir l’effort et quand les conditions sont favorables, la prise de poids qui peut être double est rapide. Certains Oiseaux de mer stockent une telle graisse que quand ils quittent la colonie, les jeunes pèsent bien plus que leurs parents. C’est le cas de certains Puffins, comme le Puffin fuligineux (
Puffinus griseus) et le Puffin majeur (Puffinus gravis), qui migrent en boucle dans l’Atlantique et longent des côtes marocaines. La distance accomplie par certains de ces exilés peut s’avérer considérable. Le Sterne arctique que l’on observe exceptionnellement au large, parfois à l’embouchure de l’Oued Souss, est le champion des distances, avec 36.000 km par an, volant du nord au sud en franchissant l’équateur entre les étés arctique et antarctique. Le Traquet motteux, qui séjourne dans l’arganeraie, n’est pas en reste avec un voyage entre l’Alaska et l’Afrique. Quand il migre, le Martinet noir franchit chaque jour 750 km à tire d’aile !


Cervelle d’Oiseau, cervelle de Papillon !

Les raisons physiologiques du phénomène migratoire restent peu expliquées mais la photophase semble jouer un rôle déterminant en induisant les sécrétions de l'hypophyse. Il a été démontré que certaines espèces s'orientent à l'aide des étoiles et du soleil, mais elles attestent aussi d’une connaissance géographique locale leur permettant de revenir chaque année de leur vie sur le même site.

Comment le cerveau des Oiseaux traite-t-il les sons et les images pour leur procurer ce sens inouï de l’orientation ? Le professeur Frost, chercheur et vulgarisateur scientifique enthousiaste de l'Université canadienne McGill, s'est toujours intéressé au concept de la navigation chez les animaux, et grâce à son ingéniosité technique, il effectue des expériences qui révolutionnent les connaissances sur la migration des Oiseaux et des Insectes. Il a mis au point un appareil GPS miniature pour suivre la migration annuelle du Puffin fuligineux, un Oiseau qui parcourt chaque année un trajet faramineux. Il est aussi l’inventeur d’un simulateur de vol remarquable destiné à ces autres grands migrateurs que sont les Monarques et dont la région du Souss-Massa, et notamment de Taroudannt, est une station adoptée par le Petit Monarque, qui par ailleurs est partout observé divaguant sur le territoire marocain. Le professeur Frost a ainsi démontré que ces Papillons volateurs possèdent une boussole interne qui utilise la position du soleil et le temps pour s'orienter, et non une boussole magnétique. Cet équipement performant leur permet de réaliser un voyage annuel atteignant 4000 km.


Au Pays des Aïssaoua

« 
Là où va le serpent, un dieu le précède. »
Klaus Wentz

L’herpétofaune marocaine bénéficie d’une bonne connaissance mais on manque de données récentes sur le rythme de sa raréfaction, si ce n’est à propos des espèces les plus spectaculaires comme le Cobra ou la Vipère heurtante, cette dernière justement emblématique de la Vallée du Souss et victime d’un harcèlement fatal qui la met actuellement en tête de liste des éradications de la faune marocaine, non loin du Crocodile de l’Afrique de l’Ouest, éteint des gueltas du Bas-Drâa au milieu du XXe siècle à force de tirs répétés. Sans aborder ici les causes fondamentales responsables de cette régression dont le dénominateur commun est le chambardement écologique du milieu et sur lequel on argumentera dans un chapitre suivant, les prélèvements directs sont un facteur essentiel quand il s’agit de grands animaux. Le touriste gobeur de folklore et qui s’émeut un peu facilement devant les charmeurs de Serpents de la Place Jemaa-El-Fna à Marrakech ne le sait pas assez. Les Aïssaoua, fins spécialistes dans la capture et l’approvisionnement, opèrent notamment dans la plaine du Souss et sur toute la frange littorale au sud d’Agadir. Les Reptiles en cause sont normalement tous protégés par conventions internationales et leur exhibition comme leur commerce sont interdits. Les charmeurs ne se résument pas à ceux de Marrakech mais c’est une tradition bien vivante en de nombreuses régions marocaines et ils fréquentent la plupart des souks hebdomadaires des villes et des villages, exhibant Cobra, Vipère de Mauritanie, Vipère heurtante, Couleuvre à diadème, voire Varan du désert. Quant aux espèces employées tant dans la pharmacopée traditionnelle que consommées localement, il s’agit du Caméléon et du Fouette-queue pour le Sud-Ouest, auxquels s’ajoutent le Scinque officinal, ou Poisson des sables, et le Varan du désert en d’autres régions subsahariennes. Encore qu’il nous paraisse hasardeux d’imaginer que la dégustation du filet de Varan puisse être la cause de sa raréfaction et qu’en tout cas il ne puisse que s’agir d’une « gourmandise » peu accessible. Poser la question dans un petit restaurant « auriez-vous du Varan ou du Fouette-queue au menu ? » serait une stupide provocation ! D’autres causes sont la prédation par les enfants, la vente aux citadins et aux touristes, ainsi que l’exportation (cependant très réprimandée à l’extérieur) aux fins du regain actuel pour la terrariophilie, cette détention de mascottes, nostalgiques petits bouts de nature détenus « à la maison ». Les autorités locales ont témoigné d’un grand effort ces dernières années et la vente des Tortues d’eau ou de terre (« élégamment » ligottées et suspendues en étages par ordre de taille), du Fouette-queue (aux lèvres cousues et lamentablement traîné comme jouet au bout d’une ficelle), du Caméléon vif ou séché et autres Écureuils se fait de plus en plus accidentelle. Quant à la destruction systématique par crainte de morsures ou par pure phobie, elle n’est hélas pas en régression de la part des populations locales. Enfin, la circulation automobile revêt un impact catastrophique sur certaines espèces et le cas du Fouette-queue trouvant durant sa période nuptiale une mort surnuméraire sous les roues des véhicules est tristement édifiant.

Les plaines et les montagnes à
Argania spinosa, régions bien connues des herpétologues, recèlent toujours de bons habitats mais proportionnellement à l’étendue, la diversité s’avère être assez pauvre. C’est la conséquence d’une assez forte densité d’habitants et d’une grande persécution des faunes reptilienne et Amphibienne. Outre la conservation de quelques endémiques et l’existence de certains habitats très riches, la valeur de l’arganeraie est ici constituée par le panel très varié des affinités en place : macaronésienne, méditerranénne, saharienne et tropicale. Ce résultat est l’expression des modifications - migrations verticales et horizontales - engendrées par les changements climatiques (notamment glaciations) et topographiques des continents.


Inventaire herpétologique de l’arganeraie

Discoglosse peint (la plaine du Souss marquant sa géonémie méridionale) ; Crapaud commun (même remarque que pour le précédent) ; Crapaud de Maurétanie ou Crapaud panthérin ; Crapaud vert ; Crapaud de Brongersma ; Rainette méridionale ; Grenouille verte d’Afrique du Nord (forme du Sud marocain) ; Tortue grecque ou Tortue mauresque (nommée
Ifkr ou Butgra en dialecte berbère local) ; Émyde lépreuse ou Clemmyde lépreuse ; Tarente commune ou Gecko de Mauritanie ; Tarente de Böhme ou Tarente du Maroc ; Gecko à paupières épineuses ; Ptyodactyle d’Oudri ; Gecko casqué (hôte des formations littorales d’Euphorbes cactoïdes) ; Sténodactyle commun, ou Sténodactyle de Maurétanie ; Saurodactyle de Brosset ; Gecko à écailles carénées de Tripolitaine (ssp. algericus) ; Caméléon commun ; Agame de Bibron (présence considérable) ; Agame changeant ; Fouette-queue ; Lézard ocellé d’Afrique du Nord ; Psammodrome algire ; Éremias d’Olivier ; Éremias à gouttelettes ; Acanthodactyle commun ; Acanthodactyle de Busack ; Acanthodactyle doré ; Seps de Manuel ; Seps à écailles nombreuses ; Seps mionecton ; Sphénops occidental ; Eumécès d’Algérie ; Orvet du Maroc ; Amphisbène cendré ; Trogonophis mauve ; Couleuvre fer à cheval ; Couleuvre-diadème du Maghreb ; Couleuvre à capuchon (ssp. brevis) ; Couleuvre commune d’Afrique (Vallée du Souss, très rare) ; Serpent mangeur d’œuf (région d’Anezi, rarissime) ; Couleuvre vipérine ; Couleuvre de Montpellier ; Couleuvre de Schokar, dit Psammophis (formes rayée et unicolore) ; Cobra d’Afrique du Nord ou Cobra d’Égypte, dit Naja (le plus long Serpent d’Afrique du Nord, en voie d’extinction) ; Vipère de Mauritanie (atteint 1,80 m) ; Vipère heurtante (ses glandes peuvent contenir 350 mg d’un venin cytotoxique redoutable ; en voie d’extinction.) En langue berbère soussi, Serpent se dit ablinka ou algmad.


L’importance des plus petits

Représentant 80 % de tous les animaux à ce jour décrits (1.250.000 espèces), les Arthropodes ou Invertébrés sont évidemment une pléiade dans le petit monde de l’arganeraie, quand le biome est adéquat à fournir les niches écologiques respectives. L’Arthropode le plus ancien connu (500 millions d’années) serait le Trilobite, de mœurs marine, fossile très fréquent au Maroc.

Les Arachnides ont une préférence pour cet univers sec au sol écorché et outre une multitude d’Aranéomorphes aux toiles aériennes (Araignée se dit
taysusut dans le Haut Atlas occidental et tabghaynoust ou taghaynoust dans la région d’Agadir), nombreuses y sont les grandes espèces strictement terricoles, réfugiées sous les pierres ou nichées dans des puits tubulaires, répondant au nom générique de Mygalomorphes (genres Nemesia, Pachylomerus, Eresus, Dysdera, Filista, Phrita, etc.) dont celles du genre Ischnocolus avec mogadorensis comme vraie « Mygale marocaine ». Latrodectus tredecimguttatus n’est pas rare sous les pierres situées au pied des arbustes : c’est une Veuve noire. D’autres Araignées à valeur sociale importante et en place dans l’univers semi-aride et inculte de l’arganeraie sont les Tarentules (Lycosa). Un habitant spectaculaire du Souss et de sites steppiques plus au sud est une très grande espèce de Solifuge (= fuyant le soleil) (Galeodibus olivieri), aussi appelée Galéode ou Scorpion du vent. De plus de sept à huit centimètres, l’habitus est un peu intermédiaire entre celui de l’Araignée et du Scorpion, le corps hérissé de longs poils, l’abdomen souvent très ventru (au prorata des prises ingérées) et la tête est équipée d’impressionnantes chélicères portées très en avant et aptes à broyer le corps des victimes (Insectes, petits Lézards) pour en extraire toute la substance liquide. Les morsures infligées par ces puissants chélicères sont réputées très douloureuses mais le Galéode est inoffensif puisque non muni de glandes vénéneuses. Particulièrement vif, l’étrange bestiole est capable de foudroyantes accélérations et les bergers qui s’en méfient se plaisent à jouer de dextérité pour le tuer d’un rapide coup de couteau cruellement planté dans le gros abdomen.

En matière de mauvaise renommée, en Afrique du Nord et notamment dans cette région dont les paramètres écoclimatiques leurs sont favorables, les Scorpions (Scorpion se dit ici
igherdm et c’est sans doute l’origine des variantes de ce vocable qualifiant de nombreux villages) se taillent la part du lion ! Ils ont même été taxés de « symbole du sous-développement » en 2001 par un récent Ministre de la Santé (Thami El Khiary), sans doute « ulcéré » par les 300.000 piqûres annuelles qu’on leur attribue, cause première de mortalité devançant celle des intoxications alimentaires, paraît-il. Cela mériterait vérification car en Tunisie, où l’essentiel de la population est tout autant concerné par le scorpionisme, un récent rapport de la direction des soins de santé de base (DSSB) ne situe qu’entre 30 et 40.000 le nombre de piqués annuels, résultant en l'hospitalisation d'environ 600 à 1000 patients chaque année, d’une centaine de décès annuels jusqu’en 1990 et une d’une vingtaine seulement ces deux dernières années. Ce qui laisse bel et bien en avant les intoxications alimentaires, la nicotine et la circulation automobile... Tous les Scorpions sont venimeux mais ils sont inégalement dangereux pour l'Homme. L'envenimation scorpionique est un accident qui sévit à travers les cinq continents. Sa fréquence et la morbidité qui lui est rattachée en font un problème de santé publique dans de nombreux pays d'Afrique du Nord, en Inde et au Moyen-Orient. Le venin de Scorpion a une composition extrêmement complexe. On y retrouve des mucopolysaccharides, de la sérotonine mais également des peptides constitués de chaînes d'acides aminés plus ou moins longues. Les toxines scorpioniques ont une spécificité d'espèce. En effet, on en connaît qui sont actives contre les Mammifères et d'autres qui sont actives contres les Insectes ou les Crustacés. Ce sont les toxines longues (mini-protéines composées de 60 à 70 résidus d'acides aminés) qui sont responsables de la toxicité chez les Mammifères. Les composés actifs responsables de la toxicité des venins ont pour cibles biologiques les canaux sodium des cellules excitables dont ils perturbent les fonctions en ralentissant la transmission de l'influx nerveux à leur niveau. C'est donc des neurotoxines qui entravent les fonctions vitales régulées par le système nerveux sympathique principalement. Les toxines courtes (composées d'environ une trentaine d'acides aminés) sont actives sur les canaux potassium et chlore.

On rencontre dans la forêt d’Arganiers et ses alentours plus ou moins désertiques plusieurs espèces de Scorpions jaunes et de Scorpions noirs. Le premier groupe contient des espèces de Buthidae du genre
Buthus qui peuvent atteindre 7 cm, et plus. Ces Scorpions étaient auparavant classés comme sous-espèces de Buthus occitanus (le Scorpion languedocien), qui à la lumière des données contemporaines n’existe pas en Afrique du Nord. Plusieurs sous-espèces de Buthus atlantis ont des preferenda qui ne les éloignent guère du littoral. Parmi les Scorpions noirs résidant dans l’arganeraie, on dénombre des Buthidae des genres Hottentota et Androctonus : Hottentotta franzwerneri (10 cm), dont la piqûre est bénigne ; Androctonus mauritanicus, espèce supposée être coupable au Maroc du plus grand nombre de décès ; A. sergenti, localisé à l’Anti-Atlas ; et A. liouvillei, une nouvelle espèce propre aux zones franchement subsahariennes.

Parmi les Coléoptères, les nobles décomposeurs que sont les coprophages (Geotrupidae, Scarabaeinae, Aphodiinae) jouissent d’une représentation qualitative (diversité d’espèces) et quantitative (effectifs) à la hauteur des quelques trois millions de têtes d’Ovins, de Caprins, de Bovins et de Camelins qui font la richesse « excrémentale » du Sud-Ouest marocain. Les contemplateurs des bousiers aux mœurs si remarquables, tout comme les adeptes d’une certaine bionique élémentaire, auront ici un vaste champs d’observation et de quoi observer des prouesses aux relativités encore peu expliquées. Les saprophages, saproxylophages et autres détriphages (dont une prééminence de
Tenebrionidae) sont communément aperçus, les saproxyliques interviennent en l’occurrence du bois mort, de nombreux floricoles (particulièrement Cetoniinae) hantent les espaces florifères et attestent d’un certain maintien floristique au printemps, dans les vergers les moins bien « entretenus » de la région de Taroudannt ou de Tafraoute. De nombreux Carabiques (familles des Nebriidae, Siagonidae, Scaritidae, Clivinidae, Apotomidae, Trechidae, Pterostichidae, Harpalidae, Callistidae, Masoreidae, Lebiidae, Dryptidae...) aux spécialités respectives (ripicoles, psammophiles, halophiles, etc.) sont tributaires des berges, des ripisylves à Tamarix, des plages alluvionnaires de fleuves sahariens, des lits d’oueds ensablés ou graveleux et des écosystèmes sublittoraux à halophytes. Sur le cordon océanique, certains sont étroitement liés au niveau des laisses de haute mer ou aux zones de balancement des marées. Enfin, un bien curieux Carabe psammophile uniformément noir luisant : Carabus stenocephalus, hante les sables littoraux de cette côte Atlantique et s’immisce dans les groupements des séries inframéditerannéenes tant de l’Arganier et de l’Euphorbe de Beaumier (notamment région du Cap Rhir), que de l’Arganier et de l’Euphorbe oursin (sud d’Agadir), là où les brumes sont essentielles. Endémique strict du « peuplement atlantidien » du Maroc, il appartient à un sous-genre (Cathoplius) phyllogéniquement ancestral et tout aussi indigène de cette frange océanique (l’autre espèce habite le cordon littoral entre El-Jadida et Larache). On peut considérer ces représentants comme des « Calosomiens carabomorphes aptères », c’est-à-dire caractéristiques de la dichotomie Calosomes / Carabes. Carabus stenocephalus atteste comme tous les Carabes d’une certaine endogamie résultant de l’isolement de ses populations et son étrange forme cychrisée (rostre permettant une pénétration plus aisée des Helix dont il se nourrit partiellement) va s’accentuant du nord au sud de son aire littorale, attestant alors une malacophagie plus prononcée en ses limites géonémiques du Sahara marocain côtier (de l’embouchure du Drâa au Cap Boujdour). La race la plus svelte s’observe au-delà de l’embouchure du Massa. Ce Carabe est souvent associé, notamment dans le Parc du Souss-Massa, à un autre halophile aux puissantes mandibules : Scarites buparius. Quant aux Calosomes, ces grands prédateurs de chenilles et d’Orthoptères, les espèces présentes dans l’arganeraie sont Campalita maderae et C. olivieri.

Mais les Coléoptères les plus emblématiques des groupements végétaux auxquels contribue
Argania spinosa sont sans nul doute les Julodis, ces resplendissants Buprestes à la livrée chromatique métallisée et arborant souvent une pilosité blanche en pinceaux hirsutes. On les rencontre depuis l’étage inframéditerranéen jusqu’au supraméditerranéen où ils s’échappent de l’arganeraie, dans les habitats arborés ou non, parfois même dans la steppe la plus absolue, de préférence en zone rudérale ou près des lits d’oueds. Plusieurs espèces sympatrides et même syntopiques, aux coloris tout aussi chatoyants les unes que les autres, peuvent se manifester abondamment en mai-juin les années favorisées par un hiver suffisamment arrosé ou passer inaperçues durant celles de stress hydrique. Les adultes ont un vol lourd, haut et rectiligne, et dévorent les feuilles de nombreuses plantes et arbustes, comme les Jujubiers autour desquels ils organisent parfois d’impressionnants congrès. La larve se développe librement dans le sol et vit aux dépends de racines de végétaux variés. D’autres Buprestes sont propres à cette contrée, notamment aux confins du versant méridional du Haut Atlas, comme Acmaeoderella spp., Buprestis atlas (rarissime sur le Thuya) et Anthaxia lecerfi sur les Genévriers. Le géant de la famille et grande rareté pour les spécialistes est Steraspis ceardi à la livrée hyperchromatique et qui parasite le bois moribond des Acacias (et peut-être aussi de l’Arganier).

Se développant dans les puits et les seguias, les Odonates ou Libellules sont partie intégrante des paysages agricoles extensifs et symbolisent la présence bienfaitrice de l’eau. Une diversité de Diptères, d’Hyménoptères, d’Hémiptères et d’Orthoptères spécialisés peut aussi être recensée et cette région compte beaucoup d’espèces endémiques dans ces groupes et tout particulièrement en Hyménoptères. Au sein des Orthoptères, une créature extravagante peut envahir l’arganeraie : c’est
Eugaster guyoni, lourde et grasse éphippigère cuirassée de spectaculaires excroissances, comble du « bluff » pour dérouter l’ennemi. Incontournable de l’épigénie locale, cette drôle de Sauterelle émerge de partout au moindre degré hygrométrique d’origine océanique qui vient rafraîchir brusquement les fins de journées printanières. C’est un spectacle inouï de les voir spontanément sortir de leurs cachettes au moindre « coup » de rosée et coloniser les bermes des routes où, cannibales d’opportunité car végétariennes à l’accoutumée, elles sont alors d’autant plus nombreuses qu’attirées par les cadavres de leur congénères écrasées. Certaines portions de l’axe routier Taroudannt-Tazenahkt, notamment vers Aoulouz, pourraient être parfois classées glissantes en raison du charnier d’Eugaster écrabouillés...

Quant au Criquet pèlerin (
tamourghi), autre « symbole » des pays émergents pour parodier la citation ministérielle susdite, les plaines culturales du Maroc sud-occidental sont au premier rang des invasions sporadiques. Mais en dépit d’une gesticulation tant des populations que des autoirités, et d’épandages malheureux dont l’aspect dit inoffensif reste suspicieux, la rémission est le plus souvent de mise et l’Orthoptère ne se rencontre le plus souvent qu’en individus solitaires. Il est alors d’une présence paisible et habituelle dans les vergers, les cultures vivrières ou les domaines agricoles de cette région. Des alertes signalent des résurgences ou des infestations dans les pays du Sahel (Mauritanie, Mali, Niger, Soudan) lors de chaque saison pluvieuse correspondant au pic reproductif de l’Insecte. C’est à la suite de cette période que les formes grégaires prennent leur envol à la recherche de nourriture, pouvant couvrir des distances atteignant 5000 km. Les avant-derniers ravages d’essaims de Schistocerca gregaria datent de 1987 et 1989, puis les derniers de 2004, années de phases grégaires, c’est-à-dire d’une surpopulation surprise par un espace vital trop exigu et effectuant des déplacements à la faveur des conditions météorologiques, notamment des vents. Il fallut alors faire face à des essaims de 50 millions de Criquets au km2. Un grand essaim peut couvrir 1000 km2, contenir 40 milliards de sujets, dévorer jusque 40.000 tonnes de verdure par jour, ce qui selon les normes humaines, représente l’alimentation d’une ville de 400.000 habitants pendant un an. C’est dire la stoïcité dont il faut témoigner pour ne pas s’affoler devant un tel spectacle ! L’aire potentielle d’invasion couvre une superficie de 25 millions de km2 de terres cultivables réparties dans les cinq continents. La lutte antiacridienne à base d’épandages chimiques aériens laisse sur place et par l’effet des vents, des séquelles qui perdurent à très long terme au niveau des biocénoses. Pendant des années, le produit choisi pour mener cette lutte était la Dieldrine, un pesticide organo-chloré bioaccumulatif et à toxicité aiguë, connue pour résister à des processus bactériens et à la décomposition chimique dans l'environnement, persistance qui était jugée comme bien adaptée aux traitements de barrière. Dans le souci de préserver l'environnement de ses effets néfastes, la Dieldrine fut interdite dans la plupart des pays. Les pesticides modernes de substitution semblent moins persistants et sont alors appliqués plus fréquemment dans les traitements de couverture. Bien que leur toxicité soit moindre, leurs effets sur l'environnement restent graves. Pendant l’avant dernière invasion du Criquet pèlerin de 1986 à 1989, les bailleurs de fonds ont dépensé 300 millions de dollars et 1,5 millions de litres de pesticides ont été appliqués. En 2004, le budget global avoisinerait 500 millions de dollars. La communauté internationale, de plus en plus préoccupée par cette situation, encourage désormais la mise au point d'autres méthodes de lutte. Le Champignon entomopathogène, Metarhizium anisopliae acridum, obtenu à partir des spores d'un Insecte mort, a permis l’obtention d’excellents mycopesticides. Ce Champignon, spécifique aux espèces de Sauteriaux à antennes courtes (Acridoidea : Acrididae et Pyrgomorphidae), est largement répandu en Afrique et cause des épidémies locales dans des populations d’Acridiens. Les propriétés biologiques et physiques de ce Champignon font de lui un candidat idéal pour la lutte biologique augmentative et les spores de M. anisopliae acridum peuvent être facilement produites en masse. On pouvait espérer qu’en cas de nouvelles menaces, le recours à des interventions préventives inhérentes à la lutte intégrée (précisément à ces mycopesticides) serait éventualisé, mais une fois de plus il n’en fut rien. La lutte biologique reste un thème de recherche et de propagande dont on ne parle que durant les périodes de rémission. Après l’hiver 2003-2004, très pluvieux en Afrique de l’Ouest, une remontée massive d’essaims pressentie et signalée en provenance de Mauritanie par des équipes de surveillance mais non combattue préventivement, s’abattit en février-mars 2004 sur le Sud marocain. Les services de lutte antiacridienne auraient alors traité par moyens terrestres et aériens quelques 300.000 ha jusqu’au mois de mars, puis de nouveau en octobre-novembre pour un total de 1.500.000 ha. Savoir avec quel type de produits n’est jamais chose facile dans la presse où cette information essentielle semble négligée. Il s’avère que les substances utilisées furent « le Décis EC dans les périmètres cultivés et le Malathion ULV ou le Décis ULV dans les terrains incultes », et donc nullement des produits de lutte biologique.


Les Papillons bioindicateurs de l’arganeraie


Agents essentiels des cycles biologiques, réagissant
ipso-facto par un recul ou une extinction au moindre effet nocif (notamment au niveau des plantes-hôtes dont ils sont tributaires), les Papillons de jour ou Rhopalocères sont les véritables révélateurs pour tout diagnostic, tant pour la gestion et la sélection des sites à protéger, que pour l’évaluation de l’incidence biologique des surfaces menacées, en un mot pour la conservation du patrimoine naturel au service des populations rurales fragilisées par de nouvelles donnes économiques. Ils ne sont pas aptes à témoigner pour ou contre l’évolution intrinsèque du paysage comme certains animaux majeurs (valeurs climaciques, dégradation des formations arborées originelles, stades de transformation) car même pour les plus sténoèces, leur valence équivaut tout de même au minimum d’adaptation de leur plante-hôte. L’Homme a toujours façonné les paysages et il serait sot de réclamer des écosystèmes d’une naturalité à l’identique de l’original. Les Papillons nous ont suivi tout au cours de notre évolution et de nos civilisations, ils ont même profité de nos défrichements lors de la grande mutation du nomadisme chasseur-cueilleur à la sédentarité agricole. Ils ont ainsi investi la plupart des formations secondaires et de transformation. Les Papillons « ne nous parlent » que d’une certaine « salubrité » du milieu au jour le jour, d’un seuil d’acceptabilité au-delà duquel il y aurait lieu de s’inquiéter. C’est pour cela qu’ils représentent une indication fiable et pratique parce que quasi instantanée.

Seulement aptes à se développer dans des niches de bonne ou moyenne conservation, originelles ou de transformations, toute altération grave biffe irréversiblement du paysage ces Insectes, que ce soit l’agriculture chimico-intensive, l’excessive pression pastorale avec éradication de la strate végétale, l’excès de fréquentation anthropique avec piétinement, l’aménagement incisif du territoire et tout autre type d’agression de la biosphère. L’utilisation de ces données entomologiques pour une gestion à long terme exige évidemment un suivi dans un concept scientifique.

Pour une meilleure identification, des données plus complètes concernant les espèces ci-dessous nommées, on se reportera à tout guide d’identification des Papillons de Jour d’Europe et d’Afrique du Nord.


Famille des Papilionidae

Papillons spectaculaires, de grande esthétique car vivement colorés et parfois caudés, trois des quatre espèces qui peuplent ça et là le territoire de l’arganeraie sont d’un intérêt majeur car il s’agit d’« espèces-clés de voûte », ou « espèces-ombrelles ». Leur présence est quasiment toujours un indicateur du caractère indemne des lieux et s’ils hantent parfois les espaces culturaux, rudéraux ou autres lieux transformés par l’Homme, ils en attestent alors d’une certaine « propreté ». La Proserpine oasienne (
Zerynthia rumina tarrieri), de distinction récente, est la sous-espèce de la Proserpine peuplant tout le Maroc sud-occidental, bien isolée de Z. rumina africana qui vole de l’autre côté du Grand Atlas et dans tout le Nord jusqu’en Tunisie. Ce splendide Rhopalocère est l’ « espèce-signal » de l’arganeraie, peuplant presque toutes les cultures vivrières non traitées répondant au sens large au caractère oasien, à savoir une formation végétale d’origine spontanée, respectueusement gérée par l’Homme au bénéfice d’une nappe phréatique et surgissant au milieu d’un paysage aride, avec ou sans Palmiers-dattiers. Là où se fourvoie l’Aristoloche, sa plante-hôte, la Proserpine vole au printemps sur les taches vertes des légumes et des céréales, non loin de l’eau qui coule dans les étroites rigoles de terre de ces havres de paix et de silence. Le Voilier blanc (Iphiclides feisthamelii) n’est souvent pas loin de la Proserpine, à la condition que des arbres fruitiers de qualité biologique permettent à la femelle de ce grand volateur de déposer ses œufs. Et nul Papillon se sera trompé par la qualité ! Le Voilier blanc signe donc le vrai label écologique d’un verger. Le Machaon (Papilio machaon) est tributaire d’un grand nombre d’Apiacées (Ombellifères) sauvages, rudérales ou cultivées, comme le Fenouil (besbas, nafaâ, amsa), la Carotte, et des Rutacées comme la Rue (Haplophyllum tuberculatum) (ifeyjel, lfijll). Assez erratique dans l’arganeraie cultivée, des colonies plus denses sont localisées dans des oueds fossiles de l’arganeraie sauvage où pousse abondamment le Fenouil, comme aux alentours du Parc de Souss-Massa. Le Machaon du désert (Papilio saharae) n’est plus vraiment un résident de cet écosystème mais un riverain qui le côtoie aux limites alticoles de l’aride, dans la plupart des massifs de l’Anti-Atlas.


Famille des Pieridae

Ce sont les Papillons Blancs ! La plupart sont inféodés aux Crucifères, certains sont des éléments endémiques ou très rares. Laissons voler un peu partout dans les jardins, les cultures, les ermes, les bermes et les friches la Piéride de la Rave, grande ubiquiste, pour nous apercevoir déjà que dans le Sud-Ouest marocain, la grande Piéride du Chou n’est pas si commune que cela et possède donc quelques exigences. Dans les zones plus écorchées et au profit très temporaire du tapis multicolore que forment les inflorescences de Crucifères peu après les pluies hivernales (milieu nommé
âcheb par les Sahariens), mais aussi en lisières des cultures en bour ou en irrigué, on verra voler le Marbré-de-vert (Pontia daplidice), la Piéride des Biscutelles (Euchloe crameri), la Piéride du Sisymbre (Euchloe belemia), un Papillon jaune souffre qui est la très délicate Piéride de la Cléome (Euchloe charlonia) et le Souci (Colias crocea). Quand les bermes des chemins ou des routes sont bordées d’une magnifique Brassicacée violette (Moricandia arvensis) (korreb), un Papillon blanc au revers strié de vert pourra y voler très activement en zigzag, c’est le Zébré-de-vert (Euchloe falloui), élément afro-érémien au comportement opportuniste et très rudéral. Dans les gorges d’oued temporaires, sur quelques falaises abruptes et dans les éboulis de bord de route, là où pousse une plante épineuse très rupicole, le Câprier (kebbar, taylulut, amsilikh, afsas), il y aura toujours des nuées de Colotis evagore, une petite Piéride déserticole dont l’angle supérieur de l’aile antérieur est garni d’un bel orange. Attention ! Il s’agit là d’une espèce invasive et d’un indicateur de la désertification identifiant un processus absolument inverse à la bonne conservation de la formation ! Ses flux migratoires du sud au nord sont interceptés certains automnes jusqu’en Andalousie. Quand la couverture végétale s’amenuise et affleure le rocher, on a toutes les chances de voir apparaître presque spontanément ce binôme Câprier-Colotis en parfaite co-évolution. L’Aurore de l’érémial (Anthocharis belia androgyne), dont la femelle est dans le Sud-Ouest marocain exceptionnellement ressemblante au mâle, est l’un des bioindicateurs insignes du bon état de la forêt d’Arganiers et de la conservation de son sous-bois. Elle déserte toujours la « forêt-parc » et sa tendance abiotique. Elle peut se fixer dans les cultures si celles-ci sont riches en plantes de fourvoiement et enrichies de haies vives ou d’inextricables halliers protecteurs de tout un cortège floristique. Les Piérides pré-citées volent essentiellement à la sortie de l’hiver.


Famille des Lycaenidae

C’est une vaste famille de Papillons modestes en taille mais d’une très riche ornementation, dont font partie les célèbres « Petits Bleus ». Certains vivent sur des plantes basses, d’autres sont tributaires d’arbustes. Citons pour l’arganeraie :
Cigaritis allardi estherae (une sous-espèce très caudée du splendide Faux-Cuivré mauresque), Lycène très sensible, dont les dèmes sont peu nombreux et dont la femelle pond surtout sur des Genista et des Cistus ; Tomares mauritanicus amelnorum (une race du Faux-Cuivré du Sainfoin) qui ne vole qu’en janvier-février sur des pelouses mésophiles riches en annuelles thérophytes et dont la forte fréquence du cheptel est une contre-indication ; le Cuivré de l’Atlas (Thersamonia phoebus), délicat petit Papillon rouge bronzé aux mœurs ripicoles, endémique exclusif au Sud-Ouest marocain, qui ne quitte guère les rives d’oueds et les plages alluvionnaires des arganeraies les plus sauvages où il est tributaire des Polygonum ; Lampides boeticus, Leptodes pirithous et Zizeeria knysna, tous trois minuscules Azurés fréquents dans les cultures vivrières irriguées et dénuées de la moindre pollution ; Tarucus theophrastus et T. rosaceus, deux Azurés parasites du Jujubier (Ziziphus lotus) (sedra, azuggwar, nbeg) et qui abondent dans la steppe arbustive qui se forme dans les trouées de l’arganeraie ; l’Azuré du Mimosa (Azanus jesous), afro-érémien qui survole fébrilement la plupart des espèces d’Acacias (talha, amrad, taleh, qiqlan, tamat) servant de clôtures aux propriétés ; le rarissime Azuré de l’Anti-Atlas (Plebeius antiatlasicus), révélateur de la présence d’Astragalus caprinus, une très belle et rarissime Légumineuse bien nommée parce que partout victime de la dent des Caprins ; et quelques autres Lycènes fragiles comme Pseudophilotes abencerragus, Aricia agestis, Polyommatus icarus et P. punctifera.


Famille des Nymphalidae

Le Petit Monarque (
Danaus chrysippus) est installé dans les vergers de Taroudannt depuis les années 50. C’est un grand migrateur cosmopolite (Afrique, Asie tropicale, Australie) établit dans le Souss au bénéfice de sa plante élective Asclepias curassavica, qui pousse le long des irrigations traditionnelles. En sa qualité de résident, c’est un indicateur très marginal. Divaguant plus au sud, la femelle du Petit Monarque pond sur une autre Asclépiadacée très spectaculaire, Calotropis procera, (tourza ou turja dans les provinces sahariennes), arbuste au latex toxique qui se développe dans les lits d’oueds désertiques. Aucune grande Nymphale ne peuple cette région car elles sont toutes plus ou moins sylvicoles ou alticoles, même observation pour les Nacrés et les Mélitées (ou Damiers) dont les préférences sont praticoles, sauf deux exceptions rupicoles et érémicoles des habitats écorchés : la Fausse Mélitée orangée (Melitaea didyma interposita) et la Mélitée de l’érémial (Melitaea deserticola). Ces espèces très résistantes et spécialistes des biotopes érodées, ne sont pas des « outils » fiables pour une estimation de la conservation du substrat végétal de l’arganeraie, leurs plantes-hôtes qui plus est n’étant pas consommées par le bétail. Enfin, un Papillon sténoèce tardif qui ne vole qu’en septembre, la Fausse Coronide (Hipparchia hansii), et qui possède une pulvérisation de colonies dans bien des arganeraies de montagne, identifie des sites de bonne et moyenne conservations et sans trop de parcours, bien que ses Graminées-hôtes soient assez résistantes.


Les régions identifiées


Sous l’angle témoin de ces joyaux ailés, allons donc à la découverte des Lépidoptères diurnes de l’arganeraie tant sauvage qu’anthropisée et de ses formations associées ou mitoyennes, comme la tétraclinaie ou callitraie (Thuya de Berbérie), la juniperaie (Genévrier rouge aux Pays Ida-Outanane et Haha), les marges de l’oxycédraie (Genévrier oxycèdre), l’Acaciaie (notamment à
Acacia gummifera et raddiana), la rhussaie (Sumac à trois feuilles), la steppe arborée de Jujubiers ou à cactiformes, voire même la garrigue dans une version bien particulière. La visite se fait par région naturelle de manière à mieux appréhender la mosaïque de cet archipel continental que forme l’écocomplexe de l’arganeraie.

Les relevés ont nécessité plusieurs saisons car les Papillons de ces régions ne sont repérables qu’à la suite de conditions atmosphériques favorables, à savoir à la faveur des années de pluies abondantes ou au moins à la suite de précipitations orographiques intervenant de concert avec la phénologie des imagos. Adaptés aux variations climatiques extrêmes, leur dépendance des précipitations, tout comme celle concomitante de leurs plantes-hôtes, est absolue. Insectes éminemment opportunistes et à l’affût des meilleures conditions possibles, quand un taux d’accroissement exponentiel n’est pas déclenché (pics populationnels) en vue d’une forte fécondité, ils ont une capacité adaptative de diapause lors de leurs différents stades (œuf, larve, chrysalide). L’effet pluvial est donc une condition
sine qua non pour l’observation.


Dans l’arganeraie littorale d’Agadir à Essaouira

Bien que le couvert végétal de certaines stations du littoral immédiat, essentiellement garni d’un matorral à xérophytes cactoïdes récalcitrants, soit favorable au maintien de nombreuses plantes-hôtes, la proximité atlantique n’est jamais un facteur très propice aux Rhopalocères, d’où la paucité dans les biotopes de la frange maritime. Les propriétés agricoles de monoculture intensive et autres espaces abiotiques ont été évidemment ignorés dans ce travail et les prospections orientées vers des friches de l’arganeraie résiduelle des alentours de la ville d’Agadir, principalement au nord et à l’est. Très fleuries à la faveur des fins d’hivers bien arrosés, ces friches ont révélé une certaine valeur écologique sur le déclin, très certainement héritée du temps où régnait l’arganeraie. Les meilleurs indicateurs furent ici :
Zerynthia rumina tarrieri, Anthocharis belia androgyne, Euchloe belemia, Cigaritis allardi estherae, Tomares mauretanicus amelnorum et Melitaea didyma interposita.

Dans la région du Cap Rhir, l’arrière-pays conserve une entomofaune résiduelle dans une arganeraie très disséminée alternant avec la tétraclinaie, lesquelles sont pénétrées de pans de chênaie verte en taillis, de Genévrier oxycèdre, plus rarement de Pistachiers de l’Atlas et de Gommiers. Dès février, les inflorescences de
Lavandula stoechas fixent les imagos de Zerynthia rumina et de Glaucopsyche melanops qui sont les deux Papillons marqueurs de ce secteur.

Dans les montagnes de Tamanar, nous sommes au même étage bioclimatique que précédemment (thermoméditerranéen semi-aride tempéré) et dans l’anticlinal calcaire du Jurassique de tous les plateaux de cette région des Haha et Ida-Ou-Tanane. L’Arganier y façonne totalement le paysage, par places en association avec
Tetraclinis articulata, mais le sol est ici majoritairement dépourvu de ses valeurs chimique et physique, quand il ne fait pas place à la roche-mère, érosion extrême et conséquente à une pression pastorale excessive souvent conjuguée à des périodes de stress hydrique tenace. Quand le substrat n’est ni trop rocheux, ni trop pulvérulent, un regain a été observé au bénéfice de fins de printemps pluvieux, donnant naissance à quelques planches de Légumineuses ou de Crucifères, notamment dans les parties lacunaires des trouées bien exposées ou des parties tabulaires déboisées. Y volent alors le cortège habituel des Euchloe, en compagnie d’Anthocharis belia et de quelques vétilles. En tout état de cause et compte-tenu du peu d’indicateurs de valeur pour une telle étendue de montagnes, la fragilité constatée engendre de sérieuses inquiétudes pour une région déterminée à vivre de l’Arganier.

Tempérée à l’année par les vents alizés, la région de l’ancienne Mogador (aujourd’hui Essaouira) est un assez bon terrain pour les Papillons. Les alentours d’Ounara et l’immense matorral arboré de Thuyas situé immédiatement au nord vers le Djebel Hadid (secteur de la maison forestière Inspecteur-Watier) sont des sites entomologiques connus depuis des lustres. Mais ils ne sont plus proprement dit référentiels à l’arganeraie. Nous avons donc prospecté les formations idoines existant au sud et couvrant les Djebels Amsittene et Amardma. Les résultats sont assez disparates selon les points de prélèvements, mais pas mal de biotopes sont encore en place


Dans les vallées des contreforts occidentaux du Haut Atlas

La longue vallée enchanteresse qui monte depuis la côte jusqu’à Imouzzèr constitue encore un réel pays de cocagne pour le naturaliste, surtout lors de l’éveil glorieux du printemps. Il est intéressant de noter que la biodiversité y gagne quand l’arganeraie – par places très altérée - cède l’espace à de modestes cultures ou à des amandaies et oliveraies, et notamment comme ici à une palmeraie agrémentée de jardins. S’il y a 20.000 ans, la température plus fraîche et l’humidité plus grande étaient suffisantes, la plupart des Lépidoptères s’épanouissent dorénavant mieux dans les habitats façonnés par l’Homme, dont l’apport hydrique (irrigation) et l’attrait scyaphile ont un effet d’appel certain. Cette cohabitation est rendue possible par l’aspect respectueux de cultures vivrières indemnes de substances phytosanitaires. Ces Papillons y sont devenus de véritables rudéraux et de réels commensaux. On peut vraiment parler ici d’espèces hémérochores, s’épanouissant désormais grâce à une intervention humaine bienfaisante. Cette brève analyse sera valide pour pas mal d’autres localités suivantes où l’arganeraie originelle se retrouve mitoyenne de l’agriculture douce. En compagnie de quelques espèces plus éclectiques comme
Iphiclides feisthamelii, c’est Zerynthia rumina tarrieri et son Aristolochia baetica-hôte qui apparaissent comme le menu « clé de voûte » de cette association.

Aux alentours d’Imouzzèr-des-Ida-Outanane, entre 500 et 1000 m, c’est une version d’altitude de la précédente localité où l’arganeraie ponctuée de Thuyas de Berbérie alterne avec des espaces culturaux sur un lacis dense de terrasses et de belles oasis de montagne, parfois arrosées d’asifs aux eaux vives jusqu’en mai-juin. La biocénose est similaire mais nettement plus riche. Au tout premier printemps, des tapis de Biscutelles et d’autres annuelles impliquent
Anthocharis belia, Euchloe crameri et charlonia. Zerynthia rumina y est discret, mais partout. Aux alentours de 1000 m, quand l’arganeraie se développe sur un substrat assez nu, voire sur quelques plateaux karstiques assez tourmentés, à la condition que les Graminées sauvages y soient respectées, on y compte le tardif (septembre-octobre) et rupicole Hipparchia hansii, excellent bioindicateur local.

Dans le finage d’Argana, l’arganeraie exclusive y est très pauvre et la présence de nos bioindicateurs n’est plus que très résiduelle. Un repli populationnel se constate dans les petites oliveraies et oasis comme celles de Tassademt et Bigoudine où quelques bonnes espèces se sont reconverties.


Dans la Vallée du Souss

Dans les campagnes de Taroudannt, nous nous sommes évidemment détournés des grandes exploitations agricoles, mais vivement intéressés aux espaces de cultures vivrières ponctués d’Arganiers, parfois en orée d’unités plus intensives mais dépourvues du moindre esprit de remembrement, conciliant haies vives, flore des bermes de chemins, frondaisons, irrigation par seguias traditionnelles : véritable « bocage du Sud » au milieu de l’ « archipel de l’Arganier »… Deux types de Papillons indicateurs ont été utilisés ici : ceux respectifs à la santé de l’écosystème (
Zerynthia rumina et Danaus chrysippus sont les tenants de liste) et ceux attestant de la qualité naturelle des fruitiers et des cultures (Iphiclides feisthamelii et tout un cortège de Lycènes dits « parasites »).

Peu au-dessus de Tafinegoult et en ressaut du Haut Atlas méridional (nous sommes ici à la base du célèbre Tizi-n-Test reliant Taroudannt à Marrakech), le charmant hameau berbère de Tachguelte conserve dans ses jardins de beaux pans d’
Aristolochia baetica et Z. rumina atteste de la qualité des lieux. On retrouve cet excellent et presque incontournable indicateur en remontant les grands ravins vers l’arganeraie de montagne où d’autres marqueurs témoignent de l’excellent travail de conservation ici accompli par les forestiers : Cigaritis allardii estherae, Glaucopsyche melanops, Pseudophilotes abencerragus, Polyommatus punctifer, le binôme Melitaea didyma et deserticola, Hipparchia hansii et des Zygènes indicatrices dont nous ne traitons pas ici. En aucun cas nous atteindrons plus au nord la zone du Cyprès de l’Atlas, élément déjà externe à l’arganeraie.

Dans la région d’Aoulouz, en côtoyant toujours une altitude moyenne de 1000 m, sur une terre qui tient compte du Haut Atlas au nord et de l’Anti-Atlas oriental (Djebel Siroua) à l’est, l’arganeraie (par places très torturée) est ici ponctuée par un chapelet de jachères (assolement biennal), d’ermes dégradées à Asphodèles (revêtues dès février d’un manteau d’annuelles pionnières), d’espaces céréaliers, de modestes cultures d’autoconsommation en zones irriguées et de vergers paradisiaques (Oliviers, Amandiers, Caroubiers, Grenadiers, Figuiers, etc.) La richesse écologique réside en partie dans le fabuleux réseau de haies épineuses constitué à base de rameaux morts d’Acacias et de Jujubiers en guise de clôtures à effet pour le moins dissuasif. A l’intérieur de ces ourlets d’enchevêtrements inextricables et récalcitrants, à l’abri du piétinement, des Herbivores et des Humains, se développe très vite une végétation interne dominée par des espèces en lianes, favorisée aussi par l’ombre et l’apport hydrique d’un réseau très sophistiqué de seguias. Les Papillons significatifs sont
Zerynthia rumina, Euchloe belemia et charlonia, Gonepteryx cleopatra, Anthocharis belia, Melitaea didyma et quelques Lycènes.

Aux environs nord-ouest d’Iouzioua-Ounneïne, au cœur de la forêt d’Arganiers, tant à la faveur des pluies de fin d’hiver ou d’un « été indien » qu’au profit des aléas de la topographie, nous avons rencontré de belles surfaces herbifères agrémentées d’un cortège de Légumineuses, de Crucifères, et de la permanente vernale de ce type d’erme arborée proche de la thérophytisation : l’Asphodèle fistuleuse. Les Papillons présents les plus notables sont les
Euchloe (trois espèces), Tomares mauretanicus et Melitaea phoebe.


Dans l’Anti-Atlas sud-occidental

Au sud-ouest d’Aït-Baha (piste 7108 à Souk-El-Had-de-Targa-n-Touchka), quand l’arganeraie profite de petites plaines alluvionnaires, les plages des dépressions d’oueds temporaires reçoivent des ermes à Figuiers de Barbarie à l’intérieur desquelles se complaît une flore diversifiée, support de quelques marqueurs parmi ceux déjà cités.

Au sud-est d’Aït-Baha (S 509), c’est ici un boisement quasiment steppique, sur substrat rocheux, avec souvent le
darhmouss (Euphorbia echinus) en sous-bois, parfois accroché aux crêts en surplomb des immenses combes, voire de hautes falaises. Nous avons recensé pas mal de ravins transversaux dont la biocénose est riche et les effectifs fournis : Anthocharis belia androgyne, Tomares ballus et T. mauretanicus amelnorum (les colonies les plus étoffées de la très exigeante sous-espèce amelnorum sont ici), Melitaea didyma, Hipparchia hansii tansleyi, etc. Signalons pour l’anecdote la rencontre matinale en mars 1994 avec un Cobra assez « endormi », au plus bas d’un étagement de terrasses en surplomb.

Plus loin en direction de Tafraoute, entre Tioult et Agard-n-Tzak, entre Arganiers, Caroubiers et Pistachiers, volent quelques indicateurs d’origine afro-érémiennes, comme près des falaises où pousse la
Deverra le rare Papilio saharae (son aire régionale est plus nettement celle aride d’Aït-Abdallah), ou tout au long des bermes garnies de Moricandia arvensis, la Piéride de l’érémial Euchloe falloui. Les accompagnent Tomares mauretanicus et l’exceptionnel Plebeius antiatlasicus quand le fragile Astragalus caprinus fait sa timide irruption dans une jachère annuelle. C’est un cortège de haute valeur qui indique une conservation moyenne du site où l’Arganier n’est plus en réelle formation.

Sur la pittoresque piste qui depuis Souk-Khemis-des-Ida-Ou-Gnidif s’élève vers le puissant Djebel Lekst, l’Arganier n’est plus qu’une des composantes éparses du paysage dont la tendance près des contreforts est celle du matorral d’arbrisseaux xérophytes ligneux. Cette station est aux portes d’un autre écosystème de grande qualité qui est celui du Lekst où nous avons noté des plantes aussi significatives d’un passé plus humide qu’
Aristolochia longa (qui cohabite avec A. baetica, espèce plus xéricole) ou Colutea atlantica (le Baguenaudier de l’Atlas, qboura). Les bioindicateurs les plus emblématiques constituant le florilège de cette belle localité sont : Papilio saharae, Iphiclides feisthamelii, Zerynthia rumina, Anthocharis belia, Gonepteryx cleopatra, Cigaritis allardi, Thersamonia phoebus (près des asifs), Cupido lorquinii, le précieux Iolana debilitata (moins de cinq stations au Maroc !), Melitaea phoebe et didyma, et quelques autres.

Dans le bassin de Tafraoute (et sa vallée des Ameln), vers 1000-1200 m, l’arganeraie est très clairsemée mais on y trouve de très beaux sujets. Les jardins des oasis sont les gardiens d’un maintien élevé de la qualité écologique.

Aux environs nord-ouest de Tafraoute, sur la petite piste à Anirgi, 1200-1500 m, c’est à la faveur d’un immense ravin-refuge que l’arganeraie nous a procuré un intéressant cortège de Rhopalocères, dominé par
Zerynthia rumina, Anthocharis belia et Cigaritis allardi. Les pentes, victimes de translocation subséquente au piétinement du cheptel caprin, ne recèlent plus rien.

A l’est de Tafraoute, plusieurs localités au sud du Tizi-M’lil (Tagarzout, Tazalarhite…) situées à 1200-1400 m, sont certainement plus prolixe pour les Reptiles et l’arganeraie steppique est ici ponctuée d’un matorral en brosse formé de
doum (Chamaerops humilis) et de cactoïdes (Euphorbia echinus). Dans les longs corridors des ravins protecteurs des ardeurs solaires, se manifestent : Thersamonia phoebus, Melitaea didyma, M. phoebe, Melanargia ines et quelques autres.

Aux environs nord-ouest de Tafraoute : de Tizourhane à Tiffermit, les Lépidoptères les plus vulnérables tirent parti des reliefs et les oueds, cuvettes et ravins conservent
Zerynthia rumina, Thersamonia phoebus, Cupido lorquinii et même Pyronia cecilia (seule référence de l’Anti-Atlas !).

Au fameux et très aéré Col du Kerdous, sur le versant favorable à l’ouest, c’est une zone écotone entre la végétation dite forestière et celle steppique. La région appartient au Maroc cisatlasique, recevant de plein fouet les perturbations du front polaire quand celui-ci descend en hiver vers le sud. Le secteur bénéficie localement d’une fréquente, tenace et forte nébulosité, notamment estivale et liée à la proximité océanique. Nonobstant la modeste altitude de 1000 m du col, on se croirait certains jours dans les nuages des plus hauts sommets alpins ou pyrénéens. L'apport radiatif solaire y est donc très réduit et les journées à fort rapport d'insolation se situent en hiver et non pas en été. Ces chocs thermiques induisent ici une végétation dominée par des espèces à fort pouvoir de résilience. Les indicateurs qui font l’apanage de ce site sur sol granito-schisteux en pentes vives, très connu des naturalistes, et notamment du versant moins squelettique de Tiznit, sont :
Zerynthia rumina, Anthocharis belia, Cigaritis allardi, Melanargia ines, ainsi qu’un cortège appréciable et multicolore de Zygènes. Les terrasses aménagées par les forestiers dans le cadre d’un ancien périmètre en défends motivé par un reboisement, ont permis le développement d’une flore très variée, support d’une entomofaune tout aussi diversifiée. L’étage inférieur de l’arganeraie pure est bien moins fécond.

Anezi et sa région, installée sur une puissante formation détritique à base de grès, de conglomérats plissés et schistosés, de pélites, de varves et de tillites, s’inscrit dans la continuité de la précédente localité. Des oueds s'y encaissent en gorges profondes. Les djebels définis par la région d’Anezi sont assez contrastés et porteurs d’une arganeraie très clairsemée, surtout présente en ripisylve des cours d’eau temporaires. La végétation ouverte est empreinte des espèces suivantes :
Euphorbia echinus, Senecio anteuphorbium, Periploca laevigata, Launaea arborescens, Warionia saharae sur les adrets pentus, Haloxylon scoporium qui dénonce alors la forte aridification, Pollycnenum fontanesii et surtout Genista ferox (= G. ifniensis) et son cortège : Asparagus albus, Teucrium collinum, Phagnalon saxatil. L’ensemble est çà et là pénétré de Thuyas, de Caroubiers, de Lentisques, de Rhamnus lycioides, d’Oléastres et de rares Chênes verts. Certains groupements sont parfois dominés physiologiquement par l'Armoise blanche (Artemisia elba), comme dans la cuvette du Tazeroualt. La diversité des habitats permet le maintien d’espèces animales rares comme l’Outarde houbara, de nombreux Rapaces dont l’Aigle royal, la Gazelle de Cuvier, l’Hyène (mention récente), ainsi qu’une grande richesse en Reptiles, dont certains très rares comme le Serpent mangeur d’œufs (station connue de Dar Lahoussine). Les configurations de terrain les plus propices, tout comme les cultures vivrières et leurs friches, conservent quelques Rhopalocères héliophiles sensibles repris de l’inventaire du Col du Kerdous et ce sont les ubacs défrichés et mis en cultures aléatoires qui génèrent les meilleures niches lépidoptériques. Plusieurs Lavandes (dont Lavandula dentata et Lavandula pedunculata) représentent, avec Cistus villosus, les principales sources nectarifès disponibles.


Dans la région de Sidi-Ifni

Au sud de Mesti, à 500-600 m, en traversant les massifs d’Ifni qui forment le vaste bombement qui achève l’Anti-Atlas avant les plateaux dolomitiques de la plaine de Guelmim, une succession d’ermes à
Opuntia ficus-indica (zaâboul, hindia) (cultures ou fixation des sols ?) sur un paysage collinéen à Arganiers, entrecoupé d’oueds fossiles et d’horizons de Senecio anteuphorbium et d’Euphorbes (Euphorbia beaumierana et E. regis-jubae) attestent lors de saisons ayant bénéficié de pluies « utiles » d’un cortège vernal remarquable. C’est la limite géonémique sans appel de la plupart des espèces paléarctiques et les marqueurs sont : Papilio saharae, trois espèces d’Euchloe, Anthocharis belia en abondance (excellent indicateur pour le Sud) et Tomares ballus.

Il n’a pas été possible de prospecter quelques autres habitats d’apparences propices dans l’arganeraie mixte (chênaie verte et tétraclinaie vestigiale) et résiduelle des massifs d’Ifni.


Un premier bilan

Plus de 90 % des boisements visités se sont révélés comme victimes de dysfonctionnements et stériles en Rhopalocères. Dans la part restante, où il fut possible de sélectionner des stations favorables à nos prélèvements, sur les 24 localités retenues (d’une ou plusieurs stations chacune), 18 n’ont pu recevoir une note (appréciation) égale à la moyenne (5/10) : à savoir que ces habitats conservent une biocénose mais de nature déjà résiduelle, sans la trilogie qualité-quantité-diversité. La moyenne a pu être décernée à 4 localités : la vallée d’Imouzzèr-des-Ida-Ou-Tanane, l’arganeraie qui couvre le bas versant méridional du Tizi-n-Test (Tachguelte et au-dessus), le bassin de Tafraoute et le Col du Kerdous. Deux sites se sont avérés très féconds : la région d’Aoulouz, avec notamment les stations rudérales du piémont occidental du Djebel Siroua et la vallée des Ida-ou-Gnidif dans la Massif du Djebel Lekst.

On constate qu’une meilleure naturalité est propre aux biotopes : 1) Compris dans l’arganeraie de montagne et bénéficiant des bienfaits écoclimatiques dispensés par une situation en ressaut de contreforts, à l’abri de falaises, dans une dépression ou sur un versant atlantique ; et 2) N’incluant aucune pression pastorale agressive puisque soit dans le finage de villages (avec apport de jardins et cultures vivrières excluant le cheptel), soit bénéficiant ou ayant bénéficié d’une mise en défends de la part de l’administration de tutelle des Eaux et Forêts.


Le Parc national de Souss-Massa ou la protection à géométrie variable

Les embouchures des grands fleuves ayant été investies de longue date par l’Homme pour les valeurs qui leurs sont associées (notamment alluvionnaires), la tâche n’est jamais facile d’y promouvoir subséquemment la figure de protection qu’impose par ailleurs les richesses naturelles et notamment ornithologiques de tels lieux. Dans l’univers des zones humides, cette problématique est une constante, citons seulement la Camargue provençale (Rhône) ou la Doñana andalouse (Guadalquivir) où la conservation s’affronte sporadiquement aux velléités de l’emprise agricole et de la croissance touristique. Il en va de même des embouchures du Souss et du Massa où il faut tenter de soustraire un exceptionnel réservoir génétique à l’expansion d’une grande ville qui plus est vouée au tourisme de masse, aux nécessités et retombées néfastes d’une activité agricole non moins intensive, quand ce n’est pas aux effets pour le moins perturbant d’un champ de tir militaire.

C’est sur ce rivage atlantique qu'au VIIe siècle et selon la légende, Oqba Ben Nafi, conquérant arabe du Maghreb, aurait poussé son cheval jusque dans les flots, montrant ainsi qu’au nom du Prophète il avait poursuivi sa conquête « jusqu'au bout de la Terre ». Ce lieu est actuellement tout aussi mythique pour les naturalistes par la présence de la dernière colonie mondiale d'Ibis chauves.

Le cordon dunaire du littoral atlantique situé entre l’Oued Souss et Tiznit, enveloppant l'embouchure de l’Oued Massa, ses roselières et ses salines, aux bioclimats arides et semi-arides de l’étage inframéditerranéen, fut homologué Parc national en 1991 avec la mise en protection de 34.000 ha. L’espace aux qualités paysagères incontestables constitue une halte migratoire et un lieu d'hivernage pour beaucoup d'Oiseaux circulant entre l'Europe et l'Afrique via Gibraltar. Les limicoles en sont les premiers bénéficiaires dont certains, au bord de l'extinction, ne sont plus observés qu'au Maroc, tel l’Ibis chauve qui y possède une colonie fractionnée et dont la protection rigoureuse est la mission prioritaire du cahier des charges. Fin octobre 94, un Courlis à bec grêle, espèce au bord de l’extinction, a par exemple été noté à Massa. Spatules et Flamants fréquentent régulièrement les eaux saumâtres et quelques Grues cendrées connaissent ici le point le plus méridional de leur aire d'hivernage. Le Parc, géré par l'administration des Eaux et Forêts, s'organise. Une garderie se met en place et certains des agents techniques ont de solides connaissances naturalistes, ce qui permet un bon suivi des populations d'Oiseaux. Depuis certains postes d'observation, il est désormais possible d'observer les mouvements de l’avifaune en fonction des marées et à toute heure de la journée les ébats de nombreux sangliers dans les vasières. Avec plus de chance on pourra apercevoir au crépuscule un couple de Mangoustes ichneunon ou un furtif Chacal doré.

En amont de la réserve intégrale, sur les coteaux de la vallée de l'Oued, s'étalent les jardins irrigués de Massa et de nombreux douars. Un va et vient d'ânes chargés de Luzerne, de Maïs ou de fèves, circulent entre les nombreux chemins creux servant de canaux d'irrigation lors de l'inondation des parcelles. Il se produit alors un véritable festival de plumes ! Dès qu'une parcelle est inondée les Hérons gardes-bœufs, les Guifettes migratrices, les Bergeronnettes de toutes espèces, des Glaréoles et autres limicoles se précipitent pour happer les Insectes et les larves essayant d'échapper à la noyade. Parfois, un Aigle de Bonelli ou un Faucon lanier attaque sans prévenir. Une population d'Ibis falcinelle (environ 60 individus) fréquente depuis quelques années ces jardins et un heureux événement intervint au printemps 94 : la découverte de trois nids dans une héronnière de Gardes-boeufs. C’est un nouveau site de nidification pour cette espèce et une avancée très marquée vers l'est par rapport à ses lieux de nidifications habituels situés dans les Balkans.

Dans cet immense éventail d’habitats, depuis la grève aux Laridés jusqu’à l’arganeraie où l’Oedicnème criard et le Courvite isabelle apprécient les étendues au sol dépouillé, et y compris le finage des villages essentiel pour les espèces rudérales, le cortège aviaire est un must pour l’ornithologue : Fous de bassan , Grand Cormoran, Héron garde-bœuf , Aigrette garzette, Héron cendré, Ibis falcinelle, Spatule blanche, Flamant rose, Marmaronette marbrée, Tadorne casarca, Canard colvert, Sarcelle d’été, Canard souchet, Fuligule milouin, Barge rousse, Courlis cendré, Courlis corlieu, Chevalier gambette, Chevalier aboyeur, Bécasseau corcoli, Chevalier cul-blanc, Bécasseau sanderling, Bécasseau minute, Bécasseau variable, Pluviers de plusieurs espèces, Huîtrier pie, Échasse blanche, Avocette élégante, Sterne caugek, Sterne royale, Ganga unibande, Goéland d’Audouin, Labbes pomarins, Mouette mélanocéphale, Goéland leucophée, Goéland argenté, Perdrix gambra, Tarin des aulnes, Pie bavarde, Pie-grièche à tête rousse, Rouge-queue de Moussier, Fauvette mélanocéphale, Bergeronnette printanière, Bergeronnette des ruisseaux, Linotte mélodieuse, Chardonneret élégant, Bulbul des jardins, Cisticole des joncs, Hirondelle paludicole, Martinet à ventre blanc, Faucon pèlerin, Alouette pispolette, Cochevis de Thékla, Pie-grièche méridionale, Pigeon ramier, Tourterelle maillée, Tchagra à tête noire, etc. (liste non exhaustive).

Le mérite de la création de ce Parc revient à sa position géographique méridionale, à la diversité de ses biotopes au sein du grand écosystème de l’arganeraie, à la richesse, à l'originalité et au fort taux d’endémisme de sa faune et de sa flore. La végétation du parc, à affinités macaronésienne, tropicale, saharo-sindienne et méditerranéenne, est très typique. Elle est composée d'une steppe littorale, d'une steppe à Euphorbes cactoïdes et dendroïdes, d'une végétation dunaire à base de
Traganum, d'Arganiers issus de la formation originelle sur les terrains rocheux, d’Acacia gummifera, de Tamarix spp. et d'espèces aquatiques comme le Typha, les Phragmites et les Joncs colonisant les rives de l'oued. Quelques 250 plantes vasculaires y ont été recensées. La série à Traganum moquinii et Rhus albida reste liée au cordon dunaire. Quant à celle à Argania spinosa et Euphorbia echinus, quasiment climacique, elle est nettement plus extensive et investit l’arrière pays (flancs de l’Anti-Atlas occidental) depuis la frange littorale. Deux associations dominent le paysage végétal du Parc : le Retamo monosperma-Helianthemetum australis, haut matorral peuplant l’essentiel du secteur dunaire et qui illustre un paraclimax préforestier de l’arganeraie ; et l’Euphorbio echini-Arganietum spinosae, groupement dense de trois Euphorbes parfois arboré d’Arganiers, et qui n’est que la représentation vestigiale de l’ancienne arganeraie.

Le Parc sert actuellement de lieu privilégié pour la reconstitution de troupeaux de base de certaines espèces sahariennes disparues du Maroc, notamment la Gazelle dama mhorr, l'Oryx, l'Addax et l'Autruche à cou rouge, dans l’hypothétique perspective de leur réintroduction dans les biotopes sahariens d'origine de Dakhla, du Bas Drâa et du Lac temporaire Iriqui. On y rencontre aussi des hardes de Gazelles dorcas. Le parc abrite 257 espèces d'Oiseaux à majorité de limicoles, 46 espèces de Mammifères, 40 espèces de Reptiles et Amphibiens et 9 espèces de Poissons, ainsi qu’une grande diversité d’Invertébrés dont un précieux cortège de Papillons Rhopalocères et surtout d’Hétérocères spécialisés, ainsi qu’un fort contingent coléoptérique. Les embouchures des oueds Massa et Souss, situées dans le parc, constituent des zones humides d'importance internationale pour les Oiseaux migrateurs.


L’avantage d’un défaut de fabrication

Nichant sur les falaises atlantiques du Maroc jusqu’au littoral saharien et notamment présent avec la Cormoran huppé dans les estuaires du Souss et du Massa, le Grand Cormoran n’est jamais une rencontre banale : 80 à 90 cm de taille, 130 à 160 cm d’envergure, 2000 à 2500 g de poids pour un adulte de 4 ou 5 ans et qui vivra bien une vingtaine d’années. Les pattes portent d'énormes palmes et la queue est raide et cunéiforme. Son bec de corne en crochet et aux tranchants légèrement dentelés, parfaitement adapté au mode de nutrition piscivore, est observable chez d’autres Oiseaux au même régime alimentaire. Le Grand Cormoran consomme quotidiennement entre 400 et 500 g de Poissons, d’Annélides et de Crustacés. Uniformément noire à distance, sa livrée est austère et seules quelques touches de blanc aux joues et à la gorge apportent quelque éclat à cette longue silhouette de cerbère des mers. Mais une observation rapprochée permet de découvrir un plumage d’une inattendue richesse, le noir des adultes offrant un superbe reflet vert métallique et les ailes portant un motif en forme d'écailles couleur bronze.

Son corps est particulièrement bien adapté à la nage sous-marine et pourtant, le plumage des Cormorans est le seul qui ne soit pas imperméable à l'eau. Cette carence est liée à une déficience de la glande uropygienne. Située à la base du croupion, cette glande produit la sécrétion qui sert tout spécialement aux Oiseaux marins à graisser les plumes pour les rendre imperméables. Défaut de fabrication pour le bel Oiseau aquatique ? Il en n’est rien, bien au contraire. La perméabilité à l'eau de son plumage se révèle être un avantage car elle lui permet d'éliminer l'air emprisonné dans ses plumes et diminue ainsi la poussée ascensionnelle lors de la plongée. Un inconvénient tout de même : les Cormorans doivent consacrer beaucoup de temps à se sécher les ailes en les étendant entre deux plongées de pêche.


L’agonie de l’Ibis chauve pouvait s’achever au Club Méditerranée...

Les lois, directives et bonnes intentions ne servent à rien quand il s’agit de la priorité économico-récréative, plat de résistance de nos sociétés contemporaines, tous formats confondus. Il est donc de toute première instance d’apprécier à sa lamentable mesure la notion de
protection symbolique, seule attitude de fait possible, toutes les preuves ayant été données tous azimuts pour que l’initiative de protection effective apparaisse dénuée de tout recours face à de plus puissants et souvent dérisoires lobbies. La protection cosmétique, sur mesure, objet de tous les gargarismes actuels, « ne mange pas de pain » et revêt en effet tous les avantages du compromis politique (effets d’annonce, rhétorique et verbalisme d’apparat, tautologie, incantations, pathos, vœux pieux), sans présenter les inconvénients et les contraintes de la protection volontariste et effective. Vox populi s’en contente puisque, dans sa joyeuse ignorance de véhémente consommatrice aveugle, la foule gobe tout et le contraire de tout. Quant à la biotechnocratie, quelle autre éthique peut-elle bien avoir que celle du rapport de force transmis comme formation suprême par ceux qui la rémunèrent ? Il n’y a pas si longtemps, dans bien des pays notamment européens, dans l’imposture ignorante d’une urgence toute politique, on assista à l’émergence d’une génération subitement « verte » de décideurs soucieux d’apparaître écologiquement corrects. Ils mirent en oeuvre un ersatz de protection qui ne trompa pas les initiés : la protection à la pièce. Cette pantomime qui prétendait protéger une espèce sans conserver son espace, sauvegarder l’habitant d’un écosystème tout en faisant main basse sur son habitat, en un mot protéger le fruit tout en coupant l’arbre, n’était pas sans rappeler que « quand le sage montre la lune l’idiot ne voit que le doigt. » Le subterfuge fonctionne encore, par exemple en Espagne du Sud où l’on continue à « déménager » des colonies de Caméléons « protégés » pour pouvoir investir et bétonner leur biotope. Sans l’alerte des ornithologues, les dangers de cette dérive ont bien failli frapper les Ibis chauves du Parc du Souss-Massa, pourtant promulgué in primis pour les protéger, ainsi qu’on va le voir plus loin.

Le mot «
néantisation » est désormais proposé pour désigner cette véritable philosophie sociétale de la profanation des valeurs naturelles. Il est à inscrire au vocabulaire du XXIe siècle, pour la première fois dans l’histoire de l’Homme. Et même si nous croyons pouvoir – parfois – recourir à quelques ultimes et drastiques mesures pour tenter, dans l’aboulie générale, de sauver ce qui reste, nous sommes la dernière génération à pouvoir le faire. Depuis notre enfance, ne sommes-nous pas accoutumés à prendre note de cette constatation et à entendre dire « de mon temps, il y avait... » ? Il y avait... « des grenouilles », « des hannetons » ou « des papillons »... Il est peu probable que cet état d’âme puisse être transmis à la génération suivante, faute de mémoire collective et de références vécues. Les « vieux » de la vallée du Ziz vous disent : « de mon temps il y avait une forêt de genévriers... », ceux du Souss : « il n’y a pas si longtemps, on voyait encore des ibis chauves... »

L'Ibis chauve (
Geronticus eremita) est un Oiseau bien étrange. Échassier paisible et peu farouche, lourd et courtaud (70-80 cm de hauteur), au plumage entièrement noir irisé, au long bec courbe et rouge, il a vraiment « une drôle de gueule » ! Totalement nue, elle lui vaut ce qualificatif de « chauve ». Mais comme elle est plantée à l'arrière d’un toupet de longues plumes hirsutes, le nom d’Ibis chevelu lui est aussi appliqué. Comme la plupart des Ibis et des Spatules, c'est une espèce migratrice. Mais il diffère éthologiquement des autres membres de sa famille fréquentant les zones humides et recherchant les arbres pour nidifier, en nichant quant à lui dans les falaises de milieux arides ou steppiques, s’y nourrissant d'Insectes, de Scorpions et de Reptiles. Des hiéroglyphes de l'Égypte ancienne nous rappellent son appartenance à l'avifaune de ce pays. L'Ibis chauve a vécu en Europe centrale d’où il fut décrit des Alpes au milieu du XVIe siècle, avant d’en disparaître suite au refroidissement climatique. Victime d’une méconnaissance totale, il fut longtemps considéré comme une espèce mythique, jusqu'à sa redécouverte en Afrique du Nord (Maroc, Algérie) et au Proche-Orient (Turquie, Syrie) au début du XIXe siècle. Au milieu du XXe siècle, face au saccage de ses habitats, on ne le retrouve plus qu’au Maroc et en Turquie, où l’ultime colonie fut décimée par un empoisonnement dû aux pesticides antiacridiens, les Criquets étant une des proies favorites de l’espèce. Gageons que les actuels épandages aux pesticides d’identité peu divulguée qui surviennent dans la région d’Agadir-Tiznit en cet octobre 2004 où nous rédigeons ces lignes, n’auront pas les mêmes effets néfastes que ceux de Turquie.

Les colonies marocaines étaient jadis réparties sur l'ensemble du territoire : Maroc oriental, Moyen Atlas, Haouz, Haut Atlas, Souss et Côte atlantique, avec un effectif global estimé jusqu’en 1940 à 1500 individus. En 1975, il restait encore 21 colonies d’un maximum de 250 couples couvant et peut-être 100 à 150 individus non nicheurs, pour la plupart immatures, dans le Moyen et le Haut Atlas, la plaine de Marrakech, le Sud du Haut Atlas et la Côte atlantique. Au cours de la période 1975-79, la raréfaction fut telle que les autorités marocaines élaborèrent, avec l'aide des représentants du WWF/UICN, un projet de sauvegarde visant à la création du Parc national de Souss-Massa, mis sur pied en 1991, avec comme mission prioritaire la préservation de cet Oiseau cardinal. On constate en 1981 l’extinction des colonies du Moyen et du Haut Atlas. Cette année-là, sur 34 sites marocains connus pour abriter ou avoir abrité une colonie, seuls 12 restent occupés, dont seulement 8 par des nicheurs. Le printemps 1982 voit les effectifs chuter à 380 individus répartis sur 15 sites, dont 93 couples nicheurs. En 1985, l'une des plus importantes colonies, celle d'Aoulouz, dans le Souss, qui comptait une quarantaine de couples nicheurs en 1924, et encore une vingtaine jusqu'en 1981, s’effondre à 5 couples suite au fort dérangement des travaux engendrés par le chantier du barrage en amont. Depuis, aucune preuve de nidification n'a plus jamais été enregistrée sur ce site de longue date favorable à l’énigmatique Oiseau. C’est en 1995 que le glas commence vraiment à sonner pour l’Ibis chauve dont ne subsistait déjà plus que les deux colonies actuelles : celle fractionnée en plusieurs sous-colonies du Parc national de Souss-Massa et l’autre de Tamri, à 60 km au nord d'Agadir, non protégée, soit 250 à 300 Oiseaux au maximum, effectif depuis peu en légère augmentation, qui exploitent pour leur alimentation les steppes côtières et les lisières de l’arganeraie, notamment vers Tamri et Taghazoute.

L’Ibis chauve ne subsiste donc plus à l'état sauvage dans le monde que dans cette dernière zone des falaises maritimes de la région d'Agadir. Ce qui signifie que sa disparition de ces derniers refuges équivaudrait à l'extinction définitive de l'espèce, si l’on excepte quelques récentes observations de petites populations sporadiques dans la péninsule Arabique et la corne de l’Afrique. Les causes de ce déclin catastrophique semblent être d’abord liées à la sécheresse récurrente qui se manifeste au Maroc depuis une vingtaine d'années et qui, en engendrant une réduction des ressources alimentaires, perturbe gravement la reproduction. Toute une panoplie de nuisances humaines convergent aussi sur les derniers représentants de cet Oiseau. La transformation des habitats potentiels, par exemple en lieux de gagnage, et les épandages de pesticides (dont le DDT), sont des causes majeures auxquelles il faut ajouter le harcèlement hors et dans les colonies, avec tirs d'adultes au nid et consommation des poussins, donc un trop grand relâchement dans la surveillance rapprochée. Sur le site de Tamri, les Oiseaux sont trop souvent perturbés par des enfants qui les font sciemment envoler pour les montrer aux touristes ébahis dans l'espoir d'une modeste rémunération.

Suite aux efforts déployés en faveur de l'espèce par BirdLife International depuis 1993, en collaboration avec les responsables du Parc national de Massa (engagement de deux gardiens pour surveiller les colonies, creusement de cavités artificielles dans les falaises afin de compenser l'effet des éboulements naturels, identification des zones de nourriture dans le périmètre du Parc, etc.), la population a amorcé pour la première fois depuis le début de son déclin historique, une très légère reprise de ses effectifs. C’est ainsi qu’au cours de la saison de reproduction 2001, on a pu comptabiliser un total de 65 couples nicheurs, répartis environ pour moitié dans le Parc national et pour moitié à Tamri. Mais, avec moins de 250 Oiseaux dans la nature, il n'en reste pas moins que l'espèce est toujours classée en réel danger d'extinction imminente par l'UICN. Il subsiste moins d'Ibis chauves dans ses derniers bastions marocains (360 Oiseaux en 1982, 220 en 1990) que dans les zoos du Monde (408 en 1982) ! Affligeant !
 
Quand un répit très relatif semblait se présenter pour sauvegarder, dans l’énergie du désespoir, cet extraordinaire Oiseau, véritable fossile survivant, une menace tout autant damoclésienne qu’inattendue vint en compromettre le sursis en juillet 2001 : l’annonce d’un projet d'édification d'un Club Méditerranée de 7000 à 9000 lits à Tifnit, sur une superficie de 260 ha, en partie sur le territoire même du Parc national et sur des steppes constituant les zones de chasse de plus de 65 % de la population mondiale des ibis durant une grande partie de l'année ! Le Groupe d'Ornithologie du Maroc (GOMAC) rédigea immédiatement une lettre de dénonciation de l’ahurissant projet aux autorités nationales concernées, puis une pétition internationale fut ensuite engagée. Il fut instamment demandé au Club Méditerranée de revoir l’initiative incongrue en recherchant un site alternatif hors du Parc national de Souss-Massa, dont l’objectif premier est « quand même » la sauvegarde de l’Oiseau et non la promotion d’un centre de vacances tapageuses. Peut-être soucieux d’allier économie et écologie, seule politique viable pour tenter d’assurer un tourisme durable sur une planète préservée dans sa biodiversité, aux dernières nouvelles (2004), le Club MED semblerait devoir renoncer à son projet de complexe hôtelier en plein Parc national et au détriment du dernier sanctuaire de l’Ibis chauve. Mais la vigilance est de mise et la communauté scientifique a de quoi continuer à se « faire des cheveux blancs »... pour l’Ibis chauve car son statut actuel préfigure une mort annoncée, et la menace est permanente.

Dès 2003-2004, sous l’impulsion conjuguée de toutes les associations ornithologiques marocaines et de BirdLife International, une surveillance effective et efficace se tient sur place pour parer tant aux perturbations émanant des dérangements de visiteurs non accrédités, qu’à d’autres méga menaces plus pernicieuses et radicales pouvant être concoctées par des décideurs capitalistes dont le rêve non avoué est de ne faire qu’une bouchée de pain de la région d’Agadir, quitte maintenant à avancer avec le masque facile de l’écotourisme ou de toute autre figure émanant de l’imposture verte.

D’autres combats sont menés en Europe pour la réimplantation de cet Oiseau, sur la brèche de la disparition depuis 400 ans. Par exemple, la station autrichienne de recherche Konrad Lorenz basée a Gruenau, entreprend avec des moyens très sophistiqués, des lâchers progressifs d’Oiseaux nés dans des zoos dans une vallée de la Haute Autriche. Après un suivi très rapproché, 24 sujets mis en liberté surveillée semblent s’adapter, les soins sont alors de plus en plus réduits et l’expérience en bonne voie de succès. Mis en volière en automne, ils sont encore et momentanément privés de migration. La reproduction en captivité, en particulier dans les zoos d'Innsbruck et de Vienne, reste un bon palliatif. Un projet commun avec le zoo espagnol de Xeres prévoit de relâcher un contingent dans la baie de Cadix.

Chaque espèce végétale ou animale compte, toute disparition affecte la biodiversité.


Les problématiques de l’arganeraie

Main basse sur l’arganeraie, la nature dénaturée et au diable les préjudices !

« C’est une triste chose de penser que la nature parle
et que le genre humain n’écoute pas. »
Victor Hugo


Silence : on coupe !
Traditions usagères d’hier à aujourd’hui

« 
Comment les gens réagiraient-ils si les animaux passaient le bulldozer
sur leurs maisons pour planter des arbres ?
 »
Bill Watterson

« 
Si tu détruis l'ombre de ton arbre, tu chercheras celle des nuages qui défilent. »
Proverbe malien

« 
La forêt est, depuis le protectorat, un espace de conflit entre les communautés et l’État.
Cela a entraîné une gestion anarchique des forêts.
 »
Ali Amahan


Depuis la mise en place (1917) par le protectorat français d’un code forestier, la forêt est domaniale et propriété du Royaume, les populations ne jouissant que de certains droits d’usage. Un peu plus tard (1925 et 1938), en raison de la prépondérance usagère de l’arganeraie, une législation plus affinée fut mise en place pour cette région. Mais par ailleurs et pour esquiver toute revendication de propriété, la plantation d’arbres au sein de l’arganeraie est chose proscrite. Conjointement à la juridiction de l’État, le droit coutumier (azrf) régit la forêt d’Arganiers, organisant notamment la répartition des parcelles. Les relations entre la jemâa et le garde-forestier sont ainsi tout autant complémentaires que conflictuelles, et en raison de l’aspect coopératif de ce terroir, l’appropriation individuelle qui domine de fait se trouve atténuée par les pratiques collectives dont le pastoralisme. D’Essaouira à Sidi-Ifni, le territoire de l’Arganier est donc domanial ou « présumé domanial ». Cette propriété de l’État se décline selon des règles coutumières entérinées par l’usage et qui impliquent, entre-autres, une jouissance privée des arbres aux habitants. A savoir que l’usage des Arganiers est divisé comme des lopins de terre en parts d’héritage aux ayants-droits de chaque famille : deux pour le garçon, un pour la fille. Il en résulte une parcellisation extrême. Il est aussi implicitement interdit aux Chèvres des uns de grimper sur les arbres des autres. Dans la pratique, l’exercice de ces droits d’usage fait que la domanialité apparaît comme très relative et ce partage par les usagers aboutit purement et simplement à une figure de privatisation. Les dahirs de 1917 et 1925 définissent déjà les fondements juridiques de tels droits, celui de 1938 en profilait un désir de protection face aux abus de jouissance des tribus usagères de l’époque, précisant notamment : «
toute transaction ou cession entre les indigènes de ces tribus et des étrangers à ces tribus est interdite. » Tout défrichement et coupe de rejets étaient aussi prohibés, exception faite des arbustes non forestiers comme le Jujubier, sauf sur les pentes et versants où l’extraction était opportunément interdite. Il était autorisé de cultiver les vides et même de mettre les troupeaux à l’abri d’une clôture temporaire dans les parcelles usufruitières. La présence inopinée de l’eau n’excluait nullement une irrigation. Ce sont là toutes les tendances qui, face à l’intensification agricole et à la montée des profits, ont suscité les convoitises et la tradition usagère eut ainsi bon dos... L’institution en 1983, par l’administration des Eaux et Forêts, d’un octroi pour toute mise en culture sous Arganier n’a fait que déclencher une ruée de nouveaux intérêts et de sournoises transactions avec des investisseurs agricoles allochtones à la zone et avides de spéculations. Une multitude de droits d’usage et de passations en cascade par la voie de l’héritage ou par transactions avec des étrangers font que le système juridique de la domanialité n’a plus guère d’emprise sur le pays des Arganiers.

La législation qui se voulait garante d’une sauvegarde de l’arganeraie est devenue pernicieusement l’instrument légal de sa dégradation. L’appât de la vente aux enchères des droits d’usages est souvent irrésistible face à la masse monétaire mise en jeu. A cela s’ajoute un certain laxisme, ainsi que toute une panoplie de petites et grandes corruptions car les défrichements, les coupes et les creusements illicites de puits se font au quotidien, en toute impunité. Ils sont le plus souvent le fait de très gros propriétaires et investisseurs, voire de groupes financiers nationaux ou étrangers, et opèrent sur des terrains immenses et sciemment déboisés, profitant du couvert des activités régulières en place.


La dent longue


Le mode de gestion de l’arganeraie par les populations riveraines se fait sur un modèle agro-sylvo-pastoral tripolaire dont les trois dimensions sont : la production de cultures annuelles dont la céréaliculture traditionnelle (notamment Orge) et de plantes herbacées, la production fruitière (et ligneuse) et la production animale, désormais la plus problématique.

Depuis longtemps prohibé sur le revers nord de la Méditerranée pour ses effets néfastes (élimination des régénérations, des rejets et des basses branches par broutage, piétinement entraînant tassement et solifluxion des sols), le parcours forestier – en pricinpe extensif - est une tradition encore vivace dans les pays du Maghreb et l’arganeraie entre-autres en subit pleinement les dramatiques et irréversibles conséquences. Du temps où les effectifs restaient dans des limites acceptables, où les éleveurs veillaient à la mise en réserve pastorale saisonnière d’une partie de l’espace (cas de l’agdal en montagne avec interdiction de pâturer durant la période la plus sensible pour les plantes), disons jusqu’au début du siècle passé, un équilibre existait entre la pression du cheptel et la dynamique des peuplements, tant bien que mal la forêt et le sous-bois parvenaient à se reconstituer. Conséquence démographique, l’accroissement presque insidieux du nombre de têtes n’a cessé depuis et condamne irréversiblement toute chance de régénération.
Selon la règle coutumière, il n’y a pas de limitation d’effectifs. Outre l’excès numéraire, les séjours s’allongent. Les arbres sont mutilés, ébranchés souvent jusqu’à la cime. A la charge pastorale locale de l’arganeraie, s’ajoute fréquemment la lourde contrainte d’une concentration de troupeaux caprins et camelins des nomades Sahraouis remontant du grand Sud en période estivale de disette.

« 
Ne fais pas d'une Chèvre ton jardinier. »
Proverbe hongrois

La Chèvre, bien trop prééminente dans le paysage du Maroc sud-occidentale, est certes championne de la lactation (bien soignée, les bergers rapportent qu’elle peut conserver sa lactation sans la renouveler par une nouvelle gestation pendant deux, voire trois années successives) mais tout aussi championne de la destruction. Voraces, ces ruminants artiodactyles, probables descendants de la Chèvre à bézoard (
Capra aegagrus) ne laissent rien sur leur passage. Bien qu’elle ne soit pas toujours à exclure radicalement et qu’un effectif « homéopathique » puisse être judicieux, notamment dans la lutte contre les ligneux pyrophytes, la Chèvre domestique (Capra hircus) s’est donc toujours attiré les foudres des autorités ou des protecteurs de la nature. Le problème est d’autant plus pénible que c’est par tradition la « Vache du pauvre » et que sa limitation revêt un évident et délicat problème social. Encore qu’en connaissance du terrain, on comprend vite que dans la plupart des cas, l’élevage caprin représente aussi une source de prestige et un signe de richesse, peut-être tout relatif, mais constituant finalement un capital plutôt symbolique, une « économie de consomption » (G. Bataille) qui n’est plus de mise. Déjà dès 1669 en France (nous devions pourtant être encore loin des risques de désertification actuelle ou des prémices d’une quelconque écoconscience...), des mesures conservatoires édictées par une ordonnance des Eaux et Forêts vont se traduire par une série d'arrêts dirigés contre les usages immémoriaux de « parcours et de vaine pâture », visant notamment à exclure les Caprins « de tous les lieux où les arbres d'espérance doivent être préservés de leurs dents venimeuses». Durant tout le XVIIIe siècle français les troupeaux communaux vont se heurter à l'opposition systématique de l'État, gestionnaire de la plupart des forêts. Le lyrisme de Jules Michelet (1798-1874) assistera plus tard la pensée des puissants et « tirera » à son tour sur Capra hircus : « À la Révolution, toute barrière tomba ; la population pauvre commença d'ensemble cette œuvre de destruction... Le petit bétail, se multipliant sans nombre, s'établit dans la forêt, blessant les arbres, les arbrisseaux, les jeunes pousses, dévorant l'espérance. La Chèvre surtout, la bête de celui qui ne possède rien, bête aventureuse qui vit sur la commune, fut l'instrument de cette invention démagogique. » La réduction de la charge pastorale notamment caprine est une mesure incontournable si l’on veut sauver ce qu’il reste de la formation à Argania. Quand le cheptel outrepasse la capacité herbage-fourrage, cela se nomme « surpopulation », et rompt évidemment l’équilibre écologique d’un écosystème sensibilisé par un stress climatique puisque aux frontières de l’aride. La Chèvre, animal très rustique, est le plus nuisible puisque se nourrissant du feuillage des arbres et des arbustes, elle porte atteinte à l’ossature même d’un écosystème forestier. Et comme la Chèvre est par excellence l’animal adapté depuis des lustres aux zones arides, ménager ce mariage endémique est une problématique qui n’est pas sans rappeler la dualité de la Chèvre et du Chou ! Le surpâturage (au sol ou « aérien ») est un écocide lent et « efficace », qui a déjà largement fait ses « preuves ». Ses effets sont irrémédiables. Un sol perdu, étrépé, sans plus d’édafaune, de litière et de décomposition, l’est pour toujours et relève de la pénurie grave. Il faudrait peut-être choisir entre la Chèvre et l’Arganier ! Un seuil de tolérance a été fixé par la FAO en 1981. Il est de 0,8 tête de petit ruminant à l’hectare. Dans l’arganeraie, la charge moyenne est multipliée par 3 ou 4. Une dérive si aberrante n’autorise aucune remontée biologique et si mal gérée, l’arganeraie ne peut déjà plus faire face aux besoins des populations et de leurs troupeaux. Le parcours en forêt, véritable anachronisme, est désormais le plus dangereux des droits d’usage. Il en va de même pour les autres formations d’autres régions marocaines comme celles du Chêne-liège, du Chêne vert, du Cèdre et du Thuya. Mais le Souss-Massa supporte un nombre de 2.858.000 têtes, soit 12 % de l’effectif national. Ce n’est pas rien.

Le processus de désertification déclenché notamment par le surpâturage suit un mode régressif en plusieurs phases. La dégradation s’annonce par un envahissement d’espèces xérophiles bien adaptées aux sols écorchés et à croissance rapide. Ce matorral donnera ensuite naissance à une steppisation assez rapide, due à l’ensemencement tenace de plantes très adaptées à la xéricité (Spartes, Artemises, Thyms, etc.) et qui vont dominer les groupements ligneux précédents. Intervient ensuite l’érosion qui, sur un sol à maigre recouvrement, conduit vite au déchaussement des éléments floristiques, exception faite de quelques arbres épars. Sur ce substrat scalpé, ne pousse plus alors qu’une invasion d’espèces annuelles opportunistes tirant leur avantage de la brièveté de leur cycle. C’est ce que les spécialistes nomment la thérophytisation. L’ultime figure est enfin la désertification identifiée par la mort des vieux arbres, faute d’eau et d’éléments nutritifs. Cette description s’applique à l’essentiel des forêts méditerranéennes mais il convient de préciser que le processus est encore plus vif dans la formation semi-aride à Arganier car en raison de la pauvreté du sol qui ne correspond le plus souvent qu’à une strate lapilleuse, elle se passe souvent des phases de matorallisation et de dématorallisation, pour ne comporter qu’un passage brutal à la thérophytisation.

Mais que faire pour tenter d’esquiver ces menaces émanant du cheptel, quand même les quelques figures consensuelles et légitimes de mises en défends ne sont pas respectées ?
Toute prédication contre les risques de désertification équivaut à prêcher dans le désert !


Surpompage et déserts agraires : « eau secours ! »

Au surpacage s’est allié ces dernières décennies un défrichement amplifié pour le gain de nouveaux espaces voués à la production intensive du maraîchage sous serres, ainsi qu’à l’agrumiculture exigeante de la basse vallée du Souss, car il n’y a pas que le cheptel qui ait ici « la dent longue », les agriculteurs aussi ! Avec comme objectif l’adaptation forcée aux exigences de l’exportation à destination du marché européen, il a fallu désaisonnaliser en cultivant sous serres plastiques tomates, aubergines, fraises, melons, etc. Les cultures sous abris connaissent au Maroc une expansion considérable. Au cours des vingt dernières années, les superficies couvertes sont en effet passées de quelques dizaines hectares expérimentaux (1974) à plus de 10.000 ha. 62 % de la superficie couverte sont réservés aux primeurs, 34 % aux bananes, 3,5 % aux fleurs et les 0,5 % restants à diverses autres cultures. Dans le Sous-Massa l’essentiel de l’arganeraie mis en culture occupe plus de la moitié de cette surface plastifiée. Cette technique présente l’avantage d’économiser sensiblement l’eau mais comme il y a toujours un tribut à payer, sa gourmandise en engrais n’est pas sans provoquer d’irréversibles altérations des équilibres écologiques mitoyens et pour y remédier on commence maintenant à irriguer avec des eaux enrichies de fertilisants solubles. Pour lutter dans ce milieu fermé contre les parasites, certains agronomes conseillent d’y développer la protection biologique intégrée (PBI pour les initiés) et raisonnée, c’est-à- dire la lutte biologique sous serres, à l’usage de laquelle l’agriculteur dispose d’une armée d’une trentaine d’auxiliaires, prédateurs ou parasitoïdes, avec implantation sous les serres de plantes relais comme par exemple l’Orge, plante-hôte de Pucerons auxiliaires. La technique s’inscrit dans la nécessité d’une
agriculture durable défini en 1992 à Rio de Janeiro par les États s’accordant sur les graves menaces d’une croissance irréversiblement destructrice de l'écosystème terrestre. Cette conception fait intervenir un complexe de méthodes satisfaisant les exigences à la fois écologiques, économiques et toxicologiques, en réservant la priorité à la mise en œuvre délibérée des éléments naturels de limitation et en respectant les seuils de tolérance.

Ici comme ailleurs,
le poids des normes de production imposé par l’exportation de l’agriculture maraîchère et fruitière fait fi du moindre principe de précaution et défigure désormais toute relation entre l’Homme et le milieu. Ces produits et précisément la banane (production annuelle : 100.000 tonnes), bénéficient de prêts considérables subventionnés par le Ministère de l’Agriculture. Comment en serait-il autrement ? Les pertes sont pourtant incommensurables puisqu’il y va de l’écosystème et de toutes ses composantes de biodiversité. A commencer par la dégradation du sol rendu azoïque, substrat dont plus d’une dizaine de milliers d’années de genèse sont à l’origine de la constitution. La seconde perte irréparable est l’épuisement des ressources en eau. Quant à la qualité salutaire des fruits et des légumes, son effondrement progressif est manifeste puisqu’on recours à de hautes quantités d’engrais chimiques afin de restituer la faible partie d’une fertilité perdue, ainsi que de produits phytosanitaires pour lutter contre des parasites d’espèces d’origine tropicale non adaptées au climat méditerranéen. La banane, grande consommatrice d’eau, est par exemple tout autant infestée de doses pesticidaires hors normes que des vers Nématodes dévorant ses racines. Quant à la tomate, des semences OGM en provenance d’Israël furent à l’origine d’un désastre viral dans la région de Tiznit. Cette hyper production coûte que coûte comporte un risque de caractère délétère et atteste une fois de plus que dans nos sociétés l’enjeu économique est évalué comme au-delà de l’intérêt conservatoire.

C’est dommage, mais l’eau est une ressource limitée... ! Au pays soussi, le bruit assourdissant de la motopompe a déjà remplacé le chant flûté du Bulbul... Mais le chant du Bulbul n’est pas créateur d’emplois. Rien que pour la zone Souss-Massa, sur les 228.000 ha agricoles, 120.000 sont des terres en cultures pluviales (bour) et 108.500 en irrigué, lesquelles absorbent 915 Mm3/an d’eau brut. Le nombre de jours pluvieux ne dépasse que rarement un mois et les précipitations annuelles sont donc faibles (moyenne de 250 mm/an). Ces grandes exploitations agraires sont d’une redoutable avidité, a fortiori durant les années de stress hydrique.

Les ressources en eau de surface, toujours pour le Souss-Massa, qui sont assurées par un complexe de six barrages d’une capacité de 797 Mm3 et mobilisant un volume régularisé de 360Mm3, sont utilisées pour l’irrigation de 35.000 ha, la recharge aléatoire de la nappe et l’approvisionnement en eau potable d’Agadir et de Tiznit. Plus en amont, près d’Aoulouz, l’édification d’un nouveau barrage sur le bassin versant du Souss, destiné à réalimenter cette nappe, n’a finalement eu aucun impact, si ce n’est le saccage paysager, floristique et faunistique, ainsi que le déplacement des populations de tout un précieux secteur. Quant au stock d’eau souterraine, il est assuré par la nappe du bassin hydrogéologique de l’Oued Souss (estimation : 30 milliards de m3) et de quelques autres de moindres volumes (inférieurs au milliard de m3). Les prélèvements bruts d’eaux souterraines sont passés de 205 Mm3 en 1969 à plus de 615 Mm3 présentement. Fortement sollicitées par le développement hydroagricole, elles accusent un important déficit de réalimentation. L’irrégularité des ressources superficielles (les apports constatés au niveau des barrages ne représentent que 60 à 70 % des apports théoriques) et la surexploitation des ressources souterraines (le prélèvement brut outrepasse le seuil renouvelable grâce à un déstockage) créent un état de réelle raréfaction et de crainte pour le futur.

Jusqu’aux années 60, la nappe phréatique de la vallée du Souss n’était qu’à une profondeur de 10-20 m et donc à la portée des racines des arbres. Dès le début des années 90, il fallait creuser jusqu’à 100-120 m pour atteindre le niveau. C’est maintenant jusqu’à 150-200 m qu’il faut pomper ! Les 25.000 puits de la région Souss-Massa-Drâa, pompant à usages domestique, industriel et agricole, engendrent un rabattement de 1 à 2 m par an. Dans certains cas plus fréquents que prévus, cette baisse exponentielle induit alors l’intrusion de l’eau salée. L’augmentation de salinité de l’eau rendra à court terme incompatibles ces cultures capricieuses et il n’existe pas de plantes cultivées halophiles. Imaginons les décennies à venir et le prix de revient du kg de la banane, de la tomate ou de l’orange qui, selon les espèces, nécessitent entre 500 et 1000 litres d’eau. Cette réserve aquifère déjà consommée était pré-romaine et de plus de 2000 ans d’âge.
Ainsi, outre la destruction de tout un paysage, les devises empochées par l’exportation d’oranges, de tomates, de melons, de concombres ne compensent nullement la perte irrémédiable des ressources naturelles et il s’agit donc purement et simplement d’une exportation de l’eau, denrée rare au Maroc. Pour donner une idée chiffrée, l’exportation de 100.000 tonnes d’agrumes et de tomates équivaut au départ de 50 à 100 millions de mètres cubes d’eau !

Un autre volet néfaste est celui de la mutation des outils d’exploitation agricole. Originellement, l’existence des cultures céréalières vivrières ne perturbait pas trop l’équilibre de cette forêt claire car le travail du sol se faisant à l’araire, il se limitait à la superficie et ne blessait pas les racines traçantes des Arganiers. L’actuel labour mécanique, très en profondeur, agresse gravement les arbres sur pied. Quant à la régénération assistée, l’ameublissement du sol à l’aide de charrues à disques est à proscrire car destructrice de la strate arbustive. Au contraire, les charrues à dents travaillent le sol sans en renverser l’horizon. Le crochetage manuel à la binette ou à la houe reste une bonne méthode en esquivant les touffes arbustives.

Enfin, outre l’hydromorphie et la salinisation, il existe un cortège d’impacts négatifs qui sont les corollaires habituels de l’irrigation et de l’aménagement de barrages et autres retenues : l’usage des biocides et fertilisants polluant les eaux souterraines et de surface, leurs effets néfastes sur la flore et la faune, l’eutrophisation et un long etc.

Face à cette problématique de l’eau,
la définition d’une politique volontariste s’impose pour rationaliser et assurer une relative pérennité des ressources hydriques. La promotion de l’irrigation localisée, une meilleure maîtrise des eaux de crues (épandage par dérivation), un développement des systèmes de pilotage des irrigations et surtout privilégier les cultures les moins consommatrices. Le savoir-faire d’une société paysanne composée d’habiles irriguants sachant depuis des lustres maintenir les traditions idoines, tout en s’adaptant aux technologies plus récentes (goutte à goutte, pivots, aspersion), devrait rendre possible l’implication de ces mêmes usagers dans cette gestion.


La « racine » du mal...

L’éradication annuelle alarmante de 600 ha d’Arganiers n’est pas acceptable quant on sait que d’une part l’espace est laissé à un paysage scalpé et lunaire et que d’autre part l’arbre est l’ultime recours contre la paupérisation des populations locales, le principal paramètre pour endiguer aussi l’actuel phénomène exponentiel de l’exode. Son exploitation forestière procure 800.000 journées annuelles de travail et l’extraction oléagineuse plus de 20 millions de journées. Jusqu’à ces dernières décennies, la tradition voulait que l’Arganier soit certes exploité, mais sans excessive pression et jamais arraché.

«
User, ne pas abuser » est une maxime traditionnelle de modération ! A l’égal de n’importe quel autre être vivant, l’Homme est le produit d’un processus évolutif dont le succès réside dans la capacité d’adaptation au milieu, avec la différence appréciable que l’extraordinaire augmentation de l’efficacité biologique de l’Homme et de ses conséquences, se sont déroulées dans le délai très court de seulement quelques milliers d’années. C’est cette évolution si rapide qui, associée à la nécessité de dominer intuitivement la nature sans trop chercher à en comprendre les subtilités, a conduit l’homo sapiens (espèce « intelligente ») à une situation estimée maintenant (et peut-être un peu tard) comme fort préoccupante pour l’avenir des générations futures.

Lors du Colloque national des forêts (Ifrane, mars 1996), un appel solennel fut lancé par S. M. Le Roi Hassan II pour «
rechercher des stratégies alternatives pour soulager la pression qui s’exerce sur les massifs forestiers », haute recommandation en faveur d’une prise en compte des ressources naturelles. La Conférence des Nations-Unies sur l’Environnement et le Développement (CNUED, Rio de Janeiro, 1992) a reconnu le rôle déterminant de la gestion des forêts pour un développement durable et a invité les gouvernements à « formuler des critères de valeur scientifique éprouvée, et des directives pour la gestion, la conservation et le développement durable de tous les types de forêts. » L’appel pour la mise au point d’indicateurs a fait l’objet de plusieurs initiatives : la Déclaration de Bandung (1993), le Forum sur les forêts des pays en développement (FFPD, 1993), le Processus d’Helsinki (1993), le Processus de Montréal (1994), l’Initiative de Tarapato (1995), l’Initiative du Fonds Mondial de la Nature (WWF, 1994), l’Initiative de la FAO/PNUE (Le Caire, 1996), etc.

Surpompage et surpâturage sont ainsi les deux mamelles... de la désertification de l’arganeraie. Avec finalement une totale insouciance de l’avenir résultant d’une évidente paresse intellectuelle quand il s’agit de songer à pérenniser la pluralité du paysage.

Tel est l’affligeant constat d’une exploitation hâtive et destructrice du sol. Sauf en d’exceptionnels milieux protégés ou en retrait, l’Arganier a désormais perdu sa capacité de prolifération. Sa germination naturelle n’existe plus car elle exige un sol pluristratifié et la présence d’une strate végétale protectrice contre le broutage des jeunes pousses. La seule régénération possible est celle par rejets de souche qui poussent vigoureusement en couronne, mais à la condition péremptoire qu’elle se décline à une mise en défends respectée durant une décennie. Ce qui est bien rarement réalisable.

Une première « sonnette d’alarme » avait été tirée par le dahir de 1925, précisant les règles légitimes d’utilisation de l’arganeraie, accordant de larges droits de jouissance mais induisant quelques obligations d’entretien (qu’il conviendrait de rendre désormais plus effectives et contraignantes). De nombreux programmes de développement, d’agroforesterie, d’écologie ou strictement socio-économiques (dont la valorisation des produits dans les domaines pharmacologique et cosmétologique) ont été depuis engagés pour tenter de palier à cette problématique. Plusieurs partenariats internationaux se sont mobilisés sur le thème, notamment une coopération bilatérale franco-marocaine inter-universitaire dont la Faculté des Sciences d’Agadir fut le fer de lance. D’autres coopérations allemande, belge, canadienne vinrent plus récemment montrer leur intérêt pour la réhabilitation de cet écosystème à caractère social. Plusieurs rencontres scientifiques et politiques ont été aussi l’occasion de débattre de l’arganeraie. Mais force est de constater que la dégradation s’est poursuivie et se poursuit toujours, et que nonobstant les bonnes intentions, de regrettables implantations agricoles d’une intensité extrême investissent cyniquement le paysage, notamment en amont de Taroudannt (Haut-Souss). Un siècle est passé, un siècle qui a vu l’arganeraie s’effondrer de la moitié de sa surface contemporaine. A l’avènement du souci de gestion viable, un tel gâchis est pour le moins jugé incongru et contraire à toute légitimité. On entrevoit ainsi l’issue apocalyptique pour ces régions et la perte incommensurable pour la biodiversité.

Une gestion plus respectueuse est la clé pour une meilleure préservation des 800.000 ha résiduels, probablement accompagnée de la création de périmètres (et non plus d’individus) en défends, une solution parmi d’autres pour la reconstitution de la strate végétale, du sous-bois et une réelle reconfiguration de l’arganeraie et de tout son cortège floristique et faunistique. Les communes rurales usufruitières et les populations riveraines directement concernées par un droit coutumier doivent en devenir les acteurs essentiels. Quant aux administrations de tutelle, leur nouvelle éthique doit être la stricte application des normes de recommandations du développement durable, face à toute velléité d’atteinte au patrimoine légué qu’il est de notre devoir de transmettre indemne aux générations suivantes.
Rappelons que le souci de gestion durable se décline en termes de décennies et de siècles.


Le tourisme, mais pas à n’importe quel prix !

« En réalité, au Maghreb, le risque climatique est moins important que les erreurs d'aménagement. » Pierre Rognon

Ainsi qu’il existe tout un panel d’options agricoles, comme celle biologique dont l’essor ne peut plus être démenti, il existe différentes figures de tourisme dont l’écotourisme, plus respectueux car mieux intégré. Des conservationnistes extrémistes prétendent néanmoins que, le tourisme ayant tué le voyage (les deux philosophies sont radicalement divergentes), il n’existe pas de « bon » touriste, hormis celui qui reste à cultiver son potager... Certains voyagistes désignent l’écotourisme comme d’avenir. Dans l’immédiat et face aux deux cent millions de touristes grégaires qui chaque été envahissent le Bassin méditerranéen, le touriste vert ne fait pas le poids. Mais on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre, et le choix s’impose entre quantité et qualité. Certes embryonnaire, le tourisme responsable ne demande qu’a se développer mais encore faut-il lui proposer des horizons assez indemnes et non pas ceux porteurs des stigmates résultant d’un divorce trop prononcé entre l’Homme et la nature. Et si l’on abusait de la formule par une communication excessive, si l’on voulait faire du tourisme naturel une nouvelle panacée pour exacerber jusqu’aux écosystèmes les plus sensibles, ce serait une erreur consistant à vouloir concilier l’inconciliable. Les principes du tourisme durable ont été arrêtés par l'OMT dès 1988. Il s’identifie comme une façon de gérer « 
toutes les ressources permettant de satisfaire les besoins économiques, esthétiques et sociaux, et de préserver l'intégrité culturelle, les écosystèmes, la biodiversité et les systèmes de soutien de la vie ». En bref, c’est un voyage « responsable » qui préserve les environnements naturels et se soucie du bien être des populations locales. Le facteur « nature » y est omniprésent. Il suffit d’ouvrir le premier catalogue venu pour constater la part croissante faite par les émetteurs aux offres de tourisme vert et formules affines, ainsi qu’à ceux dits d’aventure. Le vocable « écotourisme » est parfois évincé pour être censé contenir une connotation un peu mièvre, affiliée à celle de « boy-scout » avec code de conduite, et ne pas faire recette en manquant d’effet d’appel. Les formules quasi synonymes de « tourisme culturel », « tourisme durable » ou « tourisme équitable » sont alors parfois avancées. Le Maroc est une destination dont les accroches habituelles sont le passé (histoire, monuments) et la tradition (culture, artisanat, coutumes), mais aussi le paysage et tout ce qui se conjugue à la nature et au naturel. C’est aussi le pays spatialement le plus accessible pour ce qui concerne l’exotisme de proximité (n’est-ce pas « un autre monde » à 14 km de l’Europe ?) Le Maroc est une destination idéale pour « un autre tourisme », mais il demeure une grande part d’ombre dans ce que sera la pratique d’une formule somme toute très conceptuelle, si ce n’est suspicieuse. Question de mentalité.

Sous la formidable pression de la dynamique récréative, il faudrait une société ascète et se prévalant d’un utopique ministère du Futur pour barrer la route à la ruée dévastatrice vers les pays du soleil. Comme pour la Côte d’Azur, la Costa del Sol, la Costa Brava et autres Rivieras, le choix a donc été fait pour le destin balnéaire de la Baie d’Agadir et de ses environs, région relevant intégralement de l’arganeraie. Il serait déplacé de le remettre en question, mais peut-être très rationnel d’en mieux gérer l’expansion et d’en négocier le devenir en le ramenant à une figure moins corrosive du capital culturel. L’essor touristique, jugé désormais essentiel et imparable, nécessite une planification réfléchie pour éviter les erreurs des programmes trop ambitieux, à court terme et aux conséquences parfois irréparables. Sous son aspect trop industriel engendrant toujours l’édification littorale d’un « mur de béton », le tourisme balnéaire de masse et son lot d’escapades dans l’arrière-pays est une activité dévastatrice. Trop de sites planétaires ont déjà été biffés par les méfaits des tours-opérateurs et il n’en reste que ruines, paysages défigurés et « poubellien supérieur », cette nouvelle strate de nos sols. Quel observateur, même néophyte en la matière, ne pourrait constater que l’accroissement du flux touristique et les aménagements agressifs qu’il induit ne sont pas partout totalement perturbant et négatifs pour l’environnement ? Le processus du mitage de la côte Atlantique tant au nord qu’au sud d’Agadir est déjà entamé, avec de nombreuses spoliations et d’irréversibles atteintes à la biodiversité paysagère présteppique si originale, caractérisée par des espèces cactoïdes et crassulescentes (le très fameux et si pittoresque cachet floristique macaronésien), associées à des Arganiers encore prospères dans les stations jusque là peu anthropisées. Quant au tourisme intérieur, il demande un sérieux encadrement. Il n’est que de voir dès les premiers beaux jours de fin d’hiver et après le passage du public gadiri excursionniste, l’état des berges de l’asif bordant la route si pittoresque qui mène aux cascades d’Imouzzèr-des-Ida-Outanane pour s’en persuader ! Une bonne note est à délivrer aux initiateurs et gestionnaires du tourisme d’Essaouira aux mouvances nettement plus culturelles et respectueuses, trésor du passé oblige. Si l’espèce humaine porte en elle l’obligation biologique de tirer le meilleur parti de sa domination de la planète Terre, elle tient aussi le devoir moral de sa non-destruction, crime parfait contre les générations à venir.


Reboisement : prendre le problème par la racine...

Une expertise de la FAO (1978) signalait pour l’Arganier qu’en raison de l’insuffisance des connaissances de base sur cette espèce, il était illusoire de vouloir mettre en place un quelconque programme de reboisement. Bien qu’un certain échec entre les aménageurs forestiers et les chercheurs ait été parfois dénoncé, le Ministère chargé des Eaux et Forêts et divers laboratoires universitaires consacrent actuellement tous leurs efforts à la recherche de solutions pour envisager la réintroduction de l’espèce. Mais les mécanismes de reproduction d’
Argania spinosa ne sont effectivement pas encore suffisamment connus pour le repiquage sur les sites des fruits germés en laboratoire. Plus de 80 % des jeunes pousses meurent dès la première année et cet échec interdit tout programme à grande échelle. Aucune action significative de reboisement de surfaces en perdition n’a donc pu aboutir jusqu’à ce jour, alors que les résultats de la recherche ont démontré qu’il n’existe pas de raisons techniques s’opposant à la transformation de ce type de reboisement. Un projet pilote de replantation est en cours sur une surface d’une dizaine d’hectares dans la province d’Essaouira.

Dans l’objectif de la multiplication de l’Arganier, il existe un bilan des programmes de recherches et des résultats acquis. Il a été démontré que la technique de trempage des graines dans l’eau était tout à fait satisfaisante pour obtenir une bonne germination. Compte tenu de la grande variabilité génétique de l’espèce, il est nécessaire de pouvoir disposer d’individus homogènes et une technique de multiplication a été optimisée par bouturage (à partir de rameaux prélevés) et culture
in-vitro. Les problèmes de transplantation sont liés au système racinaire des plantules, ainsi qu’aux symbioses mycorhiziennes. La croissance des racines peut être fort rapide par rapport à la partie aérienne et il est rapporté qu’après 38 jours, le système racinaire pouvait mesurer vingt fois la longueur de la partie aérienne. Ainsi, la méthode des mottes compactes utilisée en pépinière pour la production des plantules est-elle incompatible. Les résultats disponibles ont montré qu’il était possible de produire, par multiplication végétative, des plants conformes au pied-mère, ce qui autorise toutes possibilités en fonction des souhaits et des besoins des reboiseurs. L’affinage de ces recherches est à compiler dans la bibliographie spécialisée.


Peut-on croire en une Réserve de la Biosphère en prime ?

L’Arganier étant un arbre à dimension sociale, le conserver n’induit pas sa mise sous clé. Ce serait tout aussi irrationnel que de proclamer une réserve de l’Olivier ! C’est donc un dilemme car la surveillance de 800.000 ha n’est pas chose facile.

Depuis décembre 1998, et sur un modèle de réserve en grappe (zonages), l’arganeraie fait partie du réseau mondial des Réserves de la Biosphère (programme de l’UNESCO), qui théoriquement implique certaines contraintes.
Ce ne devrait être ni un bluff, ni un vœu pieu, encore qu’il relève de la gageure de chercher à préserver tout en poursuivant le développement, objectifs difficilement compatibles sur un même espace. Mais le processus en chaîne de déstructuration et de métamorphose du contenu socio-culturel qui était seul susceptible de garantir l’équilibre naturel de l’arganeraie et de ses vestiges ne semble pas prêt à faire marche-arrière et il est fort à penser que cette « politique de la terre brûlée » ira jusqu’à son terme. Voici les louables dispositions régissant cette figure de protection pour le moins paradoxale.

« Description : la réserve de biosphère de l'arganeraie (RBA) est la première réserve de biosphère crée au Maroc, pays méditerranéen dont les richesses naturelles présentent le plus d'originalité. Cette réserve est conçue autour d'une essence forestière endémique du Maroc à savoir l'Arganier (Argania spinosa). En effet, l'Arganier a une grande valeur biogéographique, étant la principale caractéristique du secteur macaronésien marocain. Les formations forestières à base d'Arganiers sont localisées dans la région du Sud-Ouest marocain. Ces formations à base d'Arganiers sont extrêmement adaptées à la sécheresse et latitudinalement très engagées en constituant le dernier rempart face au Sahara. De ce fait, la forêt d'Arganiers constitue un bouclier contre la désertification directe. La forêt d'Arganiers assure des fonctions et des usages multiples pour les populations dont les activités socio-économiques sont fortement liées aux divers produits que procurent l'arganeraie. En conséquence, l'Arganier offre de multiples possibilités économiques à travers les différentes filières émergentes (huile d'argan, écotourisme, produits du terroir, etc. ) susceptibles de contribuer efficacement au développement socio-économique de la région du Sud-Ouest marocain, une des régions les plus dynamiques du Maroc. » « Situation : il s'agit d'un triangle isocèle dont la base est constitué par le littoral atlantique avec la ville d'Agadir au milieu, et le sommet très engagé vers l'est. Les limites extérieures poussent des points extrêmes: - au NW = 31° 20 mn de latitude N - au SW = 29° 15 mn de latitude N - à l'W = 10° 25 mn de longitude W - à l'E = 8° 10 mn de longitude W. »


Le verger pourrait sauver la forêt…, une solution honorable !


Il faut entendre ici par le mot « verger » non pas seulement la figure de l’Arganier-fruitier cultivé, mais tout espace d’arbres fruitiers alternatifs et si possible autochtones (Olivier, Amandier, Dattier, Abricotier, Caroubier, etc.) acceptant les conditions écoclimatiques du Sud-Ouest marocain et mené selon la méthode traditionnelle non agressive, avec acceptation des « mauvaises herbes », tant thérophytes que pérennes, ainsi que d’ourlets d’arbrisseaux. Car l’observation la plus significative de l’analyse de cet inventaire est que les cultures extensives et les espaces oasiens mitoyens de l’arganeraie sont venus en renfort pour fortifier cet écosystème intrinsèquement appauvri. Nombreux sont, par exemple, les Lépidoptères qui, refoulés par la trop grande érosion des formations d’
Argania, sont devenus transfuges des espaces culturaux voisins ou inclus, irrigués et ombragés, riches en halliers d’épineux (excellents refuges), lesquels Insectes n’ont d’ailleurs fait que suivre la ressource trophique de leurs plantes-hôtes. S’il fallait biffer de notre rapport des Papillons marqueurs de l’arganeraie ce type de stations mixtes majoritairement situées dans le finage des hameaux, le bilan serait nettement plus alarmant, voire d’une réelle vacuité. Et parodiant un vieux dicton, le verger ne doit pas « cacher » la forêt ! C’est donc dire que l’arganeraie « sauvage », désormais livrée à une activité pastorale érosive, se retrouve vidée de ses composants faunistiques et floristiques. L’estimation de conservation de l’arganeraie-forêt avec dynamique évolutive, c’est-à-dire conservant encore son sous-bois et une flore tout au moins résiduelle ou éparse, est inférieure à 10 %. C’est du moins ce qui est exprimé par notre étude présence/absence des rhopalocères indicateurs de cet écosystème originellement riche et caractéristique. Nous sommes donc déjà en dessous du défi légitime qui consiste à protéger 10 % de la part d’un écosystème. Les milliers de kilomètres parcourus l’ont été trop souvent sans succès de rencontrer la moindre localité favorable à nos observations biologiques, dans des galeries d’Arganiers tourmentés, sur un sol squelettique.

Et quand nous faisons l’apologie du « verger » et des jardins, voire des cultures, c’est surtout
a contrario des méfaits du cheptel (qui là, au moins, n’y pénètre pas) et sous-entendu qu’il convient d’écarter toutes les formes agressantes de la monoculture intensive s’appuyant sur les phytosanitaires et dont l’avidité n’accepte l’Arganier ni en orée, ni en ponctuation, mais procède par l’arrachage et le remembrement avant exploitation. L’agrochimie est apparue autour des années 50 et c’est depuis cette époque que l’herbicide a remplacé le hersage. Dans ces vergers mitoyens réside désormais l’actuel réservoir génétique de l’arganeraie, hélas en modèle réduit et voué à une certaine flore de fourvoiement et à la faunule (Passereaux, Rongeurs, Amphibiens et Reptiles compris). On peut estimer que ces sites de cultures vivrières, innocemment créés par l’Homme il y a quelques 8000 ans, constituent le potentiel de regain et de recolonisation de l’arganeraie environnante. Ces cultures-biotopes ont déjà une longue histoire de « marchepied » pour de nombreuses espèces. Une preuve de plus – s’il en fallait – pour contrecarrer tout postulat de l’éventuelle zizanie entre l’Homme et la nature, voire pour en étayer la réconciliation. Havres de paix et modèles d’un agro-écosystème rudéral, un plan d’encouragement de ce type de paysage agricole à aspect parcellaire serait d’une certaine faisabilité dans l’axe prometteur de la production de fruits et de légumes biologiques, d’autant plus que les terres y sont (encore) localement vierges de fertilisants et de biocides. Certains pays n’ont pas hésité face aux profits d’un tel programme.

Les mesures à prendre ne sont concrètement pas trop contraignantes, encore faudra-t’il, ici et ailleurs, pouvoir offrir aux populations pastorales pratiquant le néfaste pacage en forêt - réelle problématique - des palliatifs économiques et culturels à une obligatoire réduction de têtes.

Les relations entre l’Arganier et l’Homme accusent un bilan négatif engendrant de réelles préoccupations d’avenir. Telle est la perspective et l’enjeu est primordial : préserver la pluralité du paysage national en s’appuyant sur des valeurs patrimoniales. Un réaménagement concerté de la vocation usagère sylvo-pastorale de l’arganeraie et la création d’un réseau de « réserves rudérales » pourraient constituer un début de mesures pratiques, avec la volonté de juguler le développement exponentiel, matrice majeure d’érosion sociale, culturelle et identitaire. Pour ce qui est des « beaux restes », il est fortement recommandé de les mettre d’urgence sous la plus sévère et irrévocable protection.


Épilogue

Quand le futur ne sera plus que du passé... ou l’arganeraie sur fond de crise

« Connaître et penser, ce n’est pas arriver à une vérité absolument certaine,
c’est dialoguer avec l’incertitude
. »
Édgar Morin
«
J’ai appris que pour être prophète, il suffisait d’être pessimiste. »
Elsa Triolet

Ce futur ne sera plus que du passé quand les énergies fossiles des combustibles carbonés (charbon, gaz et pétrole) seront taries,
ce qui est pour demain à la quasi-unanimité des scientifiques et experts non compromis, version politiquement incorrecte et évidemment réfutée par qui de droit mais sans controverse documentée. L’arganeraie et une liste interminable d’écosystèmes ne doivent finalement leurs misères qu’aux seuls hydrocarbures. Qu’en serait-il de l’agro-exportation, de l’usage du bioterrorisme à base des fertilisants issus de la pétrochimie, de l’industrie touristique et des loisirs dont le dénominateur commun est la transportabilité, sans l’or noir ? Une augmentation de 1000 % du prix du pétrole sera, en plein pic de production, le signal annonciateur de ce spectre de l’épuisement, et ce, d’ici la moitié de ce siècle, 2040 pouvant être retenu comme date-hochet à agiter pour tenter d’exorciser ce que certains papes du consumérisme et commissionnaires du « happy end » entrevoient comme une apocalypse et qui ne sera rien d’autre que leur propre « fin des haricots ». Mais que de dégâts et méfaits à la sortie et à l’heure de l’état des lieux de notre « Maison du Quaternaire » que – locataires - nous n’avons pas héritée de nos parents, mais empruntée à nos enfants !

Quels seront ces « restes » en 2040, voire même en 2100, d’un écosystème majeur qui couvrait un million et demi d’hectares aux prémices de XXe siècle, dont nous sommes déjà coupables de la perte de la moitié et où vit présentement 6 % de la population marocaine ? Sachant bien qu’aucun texte législatif ne serait susceptible de freiner
la curée d’un paysage convoité par les filières agrumes et primeurs, secteur stratégique participant à l’équilibre de la balance commerciale. Fruits et légumes représentent au Maroc une production annuelle moyenne est de 7 millions de tonnes, dont 40 % des exportations sont produits par la région du Souss pour un chiffre de 7 milliards de dirhams. Aucune loi, aucune recommandation ne feront donc reculer la spéculation internationale induite par un tel créneau, tous les congrès du monde ne seront qu’incantatoires et le recul de l’Arganier ne pourra qu’être consommé. Le réchauffement planétaire en prime, on ne voit guère se profiler un type de politique écoconsciente susceptible d’au moins stabiliser les pertes de l’arganeraie à la moyenne actuelle de 600 ha l’an. De cette arganeraie déjà « fossile » par places, nos petits-enfants ne connaîtront au mieux que quelques spécimens sauvegardés, voire quelques lambeaux de « forêt sans arbres », soigneusement étiquetés « Argania spinosa » dans quelque réserve abiotique et policée d’une biosphère époumonée. A la manière dont nous nous rendons déjà aujourd’hui au chevet certains autres arbres-curiosités, remerciant le destin de nous en voir préservé quelques échantillons « culturels ». Le Pistachier de l’Atlas, qui ne se voit plus qu’en périmètre maraboutique, appartient à cette catégorie.


Crise énergétique et retour aux fruits de saison

L’hypothèse du tarissement progressif des ressources pétrolières à très court terme est étayée par l’actuelle très ardente convoitise autour des pays détenteurs des ultimes réserves et les guerres d’appropriations dont ils sont victimes sous fond de pseudo conflits de civilisation. Car il y va de l’effondrement de toute une économie tentaculaire, aucun substitut disponible ne pouvant offrir des avantages de coût, d’usage et de transportabilité équivalents.

Certains avaient du pétrole, d’autres avaient des idées (comme celle du moteur à eau), mais le drame commun est d’avoir conservé aussi longtemps une dépendance des hydrocarbures épuisables et polluants à hauteur de 85 % de notre approvisionnement. Énergie la plus convoitée au monde, la combustion du pétrole rejette 10 milliards de tonnes de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère chaque année (42 % des émissions globales de CO2). L’une des conséquences directes bien connue est le réchauffement de la planète. Tous les sites prometteurs ont maintenant été explorés et les découvertes importantes remontent à une trentaine d’années.
Actuellement, nous trouvons un baril pendant que nous en consommons quatre. Il n'existe aucun espoir de dénicher de très grosses réserves même dans les zones les moins explorées comme dans les grandes fosses marines ou sous les pôles. Ceci est occulté par les grandes compagnies et les pays gros producteurs qui laissent entendre le contraire. Nous sommes donc sur une pente concernant la durée des réserves, d'autant que la demande a tendance à s'accroître. L'ensemble de ce qui reste comme réserves mondiales normalement accessibles est de 1000 milliards de barils, 1000 Gigabarils (Gb). A un rythme de production actuel (1998) de 23,6 Gb ceci peut être interprété comme l'idée que l'on disposera encore de pétrole « conventionnel » abondant et bon marché pendant 43 ans environ.
Les énergies renouvelables (hydraulique, solaire, éolien) ne peuvent se développer que sur des sites isolés possédant les caractéristiques requises. Le continent africain et spécialement le Maghreb disposent justement d’immenses potentialités en matière d’énergies renouvelables, et qu’attend la coopération internationale pour s’en mieux préoccuper ? Importateur de 97 % de ses besoins énergétiques, le Maroc est sous une totale dépendance, sans aucune marge de manœuvre pour assurer ses besoins vitaux en cas de rupture d'approvisionnement. Situé dans la ceinture solaire énergétique qui, autour de la terre, procure le meilleur rayonnement, le Maroc bénéficie d’un gisement potentiel considérable, présentement évalué à 5,5 kWh par m2 et par jour. Entre Atlantique et Méditerranée, le potentiel éolien est tout aussi intéressant et l'expérience de Koudia El Beida, parc éolien de 50 mégawatts installé en 2000 au nord du Maroc, permet d’injecter suffisamment d'électricité dans le réseau pour alimenter une ville comme Tanger. La Tunisie, la Turquie, la Grèce, Chypre, la Jordanie, d’autres pays du pourtour méditerranéen devancent le Maroc en ce domaine essentiel pour le futur proche.
Quitte à un consensus sociétal visant à l’acceptation d’une dangerosité (accidents du type Tchernobyl), une relance de l’énergie nucléaire à fission, sur le modèle du fameux « tout nucléaire » des années 80, est éventualisée en certains pays comme la France. Mais même en utilisant les surgénérateurs, l'uranium sera lui aussi très bientôt épuisé et certains thèmes comme la gestion des déchets et le démantèlement des centrales obsolètes restent peu transparents et sujets à caution. Quant au nucléaire à fusion, il requiert une température supérieure à 100 millions de degrés (celle qui a lieu naturellement au cœur du soleil et des autres étoiles), laquelle est bien trop importante pour nos technologies actuelles. L’hydrogène (piles à combustible), carburant totalement propre et produit par électrolyse de l’eau, resterait l’un des meilleurs candidats pour l’après-pétrole.

Le pétrole devenant un produit de luxe et rien pour l’instant n’étant donc réellement pressenti pour le remplacer, avions, bateaux et véhicules pourraient être « en rade » d’ici quelques décennies et le retour à la bicyclette ne laisse guère envisager une exportation aisée, par exemple des quelques 600.000 tonnes annuels d’agrumes qui doivent chaque année sortir du Souss-Massa. Les mêmes transports devenus inexistants ou pour le moins fort peu démocratiques, le tourisme redeviendra du même coup de proximité et donc restera chez lui. Seule la moto-pompe solaire connaîtra un bref instant de gloire, très bref puisque la nappe phréatique de l’ex-arganeraie sera épuisée et pourquoi tenir un quota de 15 tonnes d’oranges à l’hectare puisque l’exportation ne sera plus viable...
Ce ne sera pas l’apocalypse mais la décadence de l’« American way of life » que nous tenions pour acquis mais qui ne date que de quelques décennies, d’un progrès basé sur la destruction et d’une économie de marché par laquelle les valeurs humaines étaient sacrifiées et celles naturelles profanées. Ce ne sera pas l’apocalypse mais un retour à une certaine case départ et... aux fruits du terroir et de saison, ainsi qu’aux lentilles. Tout un réajustement. Pour les peuples vivant hypoénergétiquement malgré eux, toujours sans électricité et sans eau courante mais en rêvant grâce aux médias, ils n’auront nul besoin de cette réadaptation et les derniers seront alors – sans nul doute – les premiers.
Pour le Souss et pour le Monde, c’est bel et bien un cuisant rappel au rapport du Club de Rome de 1970 et à sa suggestion d’un effondrement du système global pour le XXIe siècle faute d’une croissance zéro, tardive revanche d’un malthusianisme que ne viendront pas infirmer des millions d'Hommes à la mer (boat people et autres clandestins) depuis la fin du siècle passé. Malthus créa les fondements du darwinisme social, de l'écologisme et d’une l'économie positive toute fondée sur l'observation des faits, induisant une contrainte morale conduisant tout Homme censé à ne pas chercher à avoir un nombre d'enfants tel qu'il ne pourrait plus les nourrir, et pour en revenir « à nos moutons », plus de Chèvres que d’Arganiers. Mais nos sociétés altruistes et d’apparat n’ont jamais pu évacuer un fatal malentendu faisant du darwinisme social une sorte de nazisme théorique. En règle générale, les hommes politiques sont d'accord pour contrôler la population des pays qui ne sont pas les leurs. Face à la dénatalité des pays industrialisés, on ne peut s'empêcher de penser que la race blanche sera bientôt minoritaire dans un monde peuplé d'Asiatiques. Ce genre de réflexe ignore complètement le fait que tous les Hommes sont embarqués sur la même planète et que le sauvetage de l'espèce passe avant la suprématie d'une race ou d'une nation si tant est que ces concepts aient encore une ombre de signification.
L'écologie peut être définie brièvement comme l'ensemble des interactions entre les êtres vivants et leur environnement. Cette définition s'inscrit globalement dans le cadre de la biosphère. L'interprétation qui en est faite aujourd'hui par une certain diktat médiatique, avec écho fatal sur l'opinion publique, ne prend hélas en compte qu'une dimension très restrictive de cette écologie. Des problèmes aussi proches que l'épuisement des ressources pétrolières ou l'accentuation de l'effet de serre ne nous concernent pas ou si peu car ne modifient pas directement, immédiatement et visiblement la manière dont nous vivons au jour le jour. La préoccupation écologique dans le cadre d'un environnement temporellement et géographiquement de proximité constitue le niveau 0 de l'écologie. Les dictatures mises en place pour exploiter le pétrole, les peuples réduits à l’esclavage pour fabriquer nos vêtements, ne sont que quelques-unes des nombreuses conséquences qu'implique à l'échelle du globe la boulimie écervelée du consumérisme. Dans cet égo-concept étriqué, notre espèce détruit de nombreux paysages écosystémiques et spolie les ressources. Cela n’est pas nouveau : les Grecs ou les Espagnols anéantirent déjà d’incommensurables masses forestières pour construire leurs navires, la forêt libanaise fut dilapidée par le roi Salomon pour l’édification du grand temple de Jérusalem, etc. Élargir notre champ de vision constituerait déjà le niveau 1 de l'écologie. Cette vue peut être globale géographiquement, mais aussi globale temporairement. D'une certaine manière, toute vie humaine étant égale, que celle-ci se produise dans le présent ou le futur, la différence est sans importance. Le niveau 2 de l'écologie est le niveau que nous devrions atteindre si nous considérions que toute vie humaine a la même valeur sur Terre. Si l'Homme de là-bas à la même valeur que l'Homme d'ici, si l'Homme de demain à la même valeur que l'Homme d'aujourd'hui, alors nous ne devrions plus réduire l'échelle de la vie humaine à notre propre existence. L'Homme a besoin de la Terre pour vivre et non le contraire.

Même la définition du « développement durable » est ambiguë : «
un développement qui satisfait les besoins de la génération actuelle sans compromettre ceux des générations futures ». Chaque terrien dispose (disposait...) de 0.5 tonnes équivalent pétrole d’énergie (sommairement niveau actuel d’un Indien). Un Nord-Américain a t’il atteint son état de grâce quand il utilise 7 tonnes équivalent pétrole par habitant de la planète ? Un Français de l’an 1800 se suffisait de 20 kg de viande par an mais un autre Français de l’an 2000 parvient-il à la plénitude en en « bouffant » 100 kg par an ? Qui chauffe sa maison à 22 °, s'éclaire avec des ampoules de 100 W, roule seul dans un véhicule tout-terrain de 2 tonnes à plus de 100 km/h, atteint-il son nirvana ? Chez l’« homo economicus » post-moderne, besoins individuels et nécessités collectives sont antagonistes, et ce « développement durable » ne nous fournit alors pas l'ombre d'une solution consensuelle, si ce n’est l’effet intellectuel, voire politique, d’une simple fable éthique à laquelle il faut tout de même souscrire, ne serait-ce que pour témoigner.


Donc...

Avec l’Anti-Atlas comme barrière contre la rigueur des extrêmes steppiques et le Haut Atlas filtrant les excès continentaux, profitant du courant adoucissant océanique, assis sur une incommensurable réserve d’eau, ce Sud-Ouest marocain avait, entre mer et montagnes, tout du Jardin des Délices. Bien plus qu’un strict écosystème,
l’arganeraie pouvait être tenue pour une véritable civilisation respectueusement organisée autour d’un arbre multi-usages. Une providence ! Une aubaine ! Il est un livre qui raconte l’histoire d’une pomme qui nous perdit. Ce serait donc ici et maintenant l’orange (et la tomate de contre saison !) car l’Homme étant par nature insatiable, voici qu’à l’image de tout Eldorado, le Pays de l’arbre d’argan se retrouve victime de lui-même. Bénéficiant de toutes les protections naturelles et doté d’un charme de vie à nul autre pareil, voici un paradis terrestre au bord du gouffre. L’arganeraie doit affronter un écheveau d’inextricables problématiques et il semble déjà bien tard pour ralentir un processus qui, de dégradations en compromissions, d’atteintes aux équilibres en corruptions quotidiennes, d’exactions en urgences économiques, risque de biffer de la Terre une écorégion tout autant irremplaçable qu’elle était unique en son genre.

L’arganeraie, patrimoine naturel et culturel, est un écosystème endémique au Maroc. Il y jouit d’une grande amplitude spatiale et abrite des espèces types, indigènes et remarquables, mais la plupart fragiles car à valence écologique limitée et donc de faible résilience.

L’arganeraie est dans un état alarmant.
Démunie du moindre principe de précaution, sa mauvaise gestion fit table rase de la moitié de sa surface en un siècle et la majeure partie de ce qui reste n’est plus qu’une forêt très amplement thérophytisée. Le degré d’altération du cortège flore-faune est inquiétant et documenté par de nombreuses et très récentes disparitions. Compte tenu de son aspect social, il n’est pas envisageable de mettre sous clé tout l’écosystème ou même une partie en ayant recours à une figure de parc-réserve classique. L’agression prééminente identifiée est agropastorale. Limiter les effets du parcours est donc une entreprise de concertation avec les populations usagères. Luter contre les excès de l’exploitation agraire intensive, qui plus est enfreint très souvent les textes en vigueur, dépend essentiellement du législateur et du politique.

Nous n’avons ni les réponses ni le pouvoir des remèdes mais nous espérons avoir posé les bonnes questions.


L’approche des problématiques qui assaillent cet écosystème majeur relève de la sempiternelle ambiguïté entre le développement et la préservation, et démontre une fois de plus l’erreur de considérer les nécessités économiques comme prioritaires et d’estimer subsidiaire le devoir de conservation.
La qualité du développement dépend de la qualité des Hommes.


Exhortation

On recherche une race courageuse d’homme politique (durée moyenne du mandat : quelques années) susceptible de proposer un concept non préjudiciable pour le futur de la collectivité, s’appuyant sur des mesures velléitaires dont les effets ne seront pas miracles et ne se feront ressentir que dans un demi-siècle ou plus...

« De tout temps, un homme d'État est celui qui réalise en lui la raison
et l'impose au-dehors par une croyance. »
Édouard Herriot

« Gouverner c'est prévoir. »Émile de Girardin

« L’élection encourage le charlatanisme. »
Ernest Renan