Les Carabes de la forêt de Soignes

 
 

Les forêts recèlent une diversité entomologique dont la richesse est souvent proportionnelle à leur ancienneté. La forêt de Soignes existant depuis des millénaires, bien avant la période néolithique, et même si elle s’est fortement rétrécie (6000 hectares de forêt de Soignes transformés en terres agricoles entre 1827 et 1836 !) il n’est pas étonnant d’y trouver encore de nos jours une faune entomologique d’un grand intérêt.

Parmi les coléoptères qui la hantent, les carabes sont foison, en quantité du moins si pas en nombre d’espèces, et parmi eux circule un vrai bijou vivant appelé Carabus auronitens auronitens f.ind. putzeysi MORS.

Coléoptère de la famille des Carabidae, C.auronitens aussi appelé de son nom vernaculaire Carabe à reflet d’or porte bien son nom. La tête et les élytres de la forme nominative de ce magnifique insecte sont verts/doré à reflets métalliques, tandis que le pronotum ou corselet est couleur cuivre métallique et les pattes roussâtres. La vive brillance métallique des téguments de ces carabes, résulte d’un phénomène optique d’interférences physiques. La chromatogenèse (évolution du chromatisme lors du passage du stade « nymphe » au stade « adulte ») est commandée soit par une mutation qui peut devenir héréditaire, soit par des conditions climatiques extrêmes qui peuvent perturber le bon déroulement normal de l’évolution des couleurs. Dans le cas de notre C.auronitens f. Putzeysi, c’est ici purement héréditaire, dû à une mutation naturelle ancienne qui a fait souche. Lors du passage du stade nymphe au stade adulte (imago), l’évolution normale du chromatisme chez la forme nominale de ce carabe, est de passer progressivement du bleu foncé noirâtre au vert/doré pour les élytres, et au doré/cuivré pour le pronotum. Certaines mutations  en libérant un gène jusque-là passif, peuvent permettre de dépasser le stade normal de la coloration verte ou cuivrée, vers des colorations plus chaudes, dites hyperchromatiques, rouges, pourpres ou violacées à reflets métallisés.(une forme individuelle plus rouge de type ignifer est signalée dans la littérature de Groenendael), où au contraire, suite à un arrêt prématuré de la chromatogenèse, s’en tenir au stade précoce ou la coloration restera bleu foncé/noirâtre. Dans le cas précis de la forme putzeysi de la forêt de Soignes, seules les élytres ne dépassent pas le stade mélanique, tandis que la tête et le corselet présentent des couleurs normales. Quel que soit l’aboutissement de sa coloration, C.auronitens est sans doute le plus bel insecte de l’entomofaune de Soignes.

Les Carabus ou « Carabes vrais » avec les Calosoma et les Cychrus sont moins de vingt espèces en Belgique, alors que les autres “carabiques” en comprennent plusieurs centaines de plus petites tailles.  Dans la forêt de Soignes, en comptant les trois espèces des landes, champs et prairies qui pourraient encore éventuellement s’observer sur le pourtour de la forêt, si toutefois notre agrochimie beaucoup trop agressive ne les a pas complètement éradiqués, on en dénombrerait avec certitude neuf à dix espèces relictuelles (quelques espèces citées dans la littérature ont disparu au cours du XXème siècle).


Liste des carabes présents en forêt de Soignes:


Carabus granulatus granulatus LINNAEUS (près des étangs)

Carabus (Archicarabus) nemoralis nemoralis MULLËR

Carabus(Mesocarabus) problematicus problematicus pseudogallicus DELACRE

Carabus (Megodontus) violaceus purpurascens crenatocostatus LAPOUGE

Carabus (Chrysocarabus) auronitens auronitens FABRICIUS

Calosoma inquisitor LINNAEUS

Cychrus attenuatus FABRICIUS



Liste complémentaire de carabes présents dans le pourtour, champs et prairies, de la forêt de Soignes :


Carabus (Eucarabus)  monilis FABRICIUS

Carabus auratus auratus LINNAEUS

Carabus cancellatus ILLIGER (probablement disparu)



La forme putzeysi de Carabus auronitens est donc comme nous l’avons vu plus haut, un « mutant » endémique de la forêt de Soignes, d’où son immense intérêt.

Dans la nature peuvent s’observer à peu près chez toutes les espèces vivantes des mutants soit peu pigmentés ou dépigmentés tirant sur le blanc (leucisme et albinisme) soit trop pigmentés et tirant sur le noir (mélanisme). Ce phénomène génétique s’observe également chez les insectes. Quand le mélanisme est poussé à son paroxysme par arrêt prématuré de la chromatogenèse, la couleur est d’un noir bleuté profond. Notre Carabus auronitens forme putzeysi, est ce que nous appelons un hémimélanisant. (hémi = demi). Seules les élytres sont atteintes de mélanisme, d’un noir violacé presque translucide avec des suffusions légèrement verdâtres dans les espaces intercostaux et les gouttières, tandis que la tête atteint le stade normal vert ou cuivré avec un pronotum rouge cuivreux.

Ce phénomène d’hémimélanisation est très localisé chez cet insecte et peu courant. Il faut se rendre dans l’ouest de la France pour observer plus couramment cette mutation, entre-autre en forêt de Bellème et en forêt d’Écouves pour trouver son corollaire normand avec les C. auronitens letacqi (très) légèrement différent cependant quant aux reflets et granulations. La forme putzeysi n’existe donc en Belgique, en fonction des connaissances actuelles, que dans la forêt de Soignes et en proportion très faible par rapport à la forme nominative verte/dorée.

En feuilletant la littérature spécialisée, nous pouvons lire que la forme hémimélanisante de cet insecte en forêt de Soignes est  devenue rarissime. C’est vrai et faux en même temps. Vrai parce que la proportion d’hémimélanisants peut être très faible, parfois de un individu sur mille dans certains secteurs de la forêt, faux parce que des recherches poussées dans les années septante m’ont fait découvrir une micro-station ou la forme Putzeysi était presque d’un individu sur trois ! Lieu que nous devons malheureusement tenir secret car bien des entomologistes souffrent encore de « collectionnite » et ce bel insecte en ferait vite les frais. Une recherche sur internet m’a d’ailleurs fait découvrir avec ébahissement que Putzeysi y était en vente, alors qu’il est strictement protégé en Région Bruxelloise !

Entre parenthèses, protéger un animal, quel qu’il soit, « à la pièce » hors contexte biologique n’est-ce pas là une démarche étrange, voire absurde, tant qu’on n’y associe pas au minimum son habitat ou au mieux toute la biocénose associée ? Cela semble évident aux yeux des naturalistes ! Cette protection “individuelle” n’est  trop souvent qu’un geste « politique » plus facile à prendre que de s’attaquer aux vrais problèmes de destruction des écosystèmes, gestes certes sympathiques, mais oh combien hypocrites, pris sans doute par des politiciens, soit peu au fait de la biologie des espèces, soit en quête de déculpabilisation à défaut d’apporter des solutions globales à long terme pour toute une biocénose. Donner par exemple un statut de protection intégrale “hors habitat” comme ce fut fait dans toute la Wallonie pour Carabus cancellatus qui était autrefois commun dans les champs et landes de toute la Belgique, périphérie de Soignes comprise, et permettre en même temps l’épandage d’insecticides/pesticides/biocides dans ses habitats ne sert strictement à rien. Dans cet environnement « empoisonné », cet insecte est au bord de l’extinction. Je n’ai réussi à en retrouver quelques individus qu’éparpillés dans quelques coins préservés de la région d’Arlon, alors qu’ils pullulaient dans les années cinquante dans quasi tous les jardins. Il y était, à cette époque, respecté avec son cousin le Carabe doré par tous les jardiniers qui avaient compris bien avant l’heure le rôle de ces insectes comme prédateurs indispensables aux équilibres naturels.

Heureusement, la forêt a toujours été mieux préservée de ces épandages et pollutions mortelles pour la petite faune que les champs et prairies avoisinantes. C’est la raison de la présence en nombre d’insectes parfois spectaculaires comme peut l’être le Lucane Cerf-volant qui vole encore en été du coté de Boisfort. La petite faune forestière souffre en fait plus d’un excès de « jardinage », de nettoyage des bois morts et d’un piétinement excessif par le public que d’une réelle “agression chimique”, quoi que la pollution des ruisselets ne fut-ce que par le sel déversé en hiver est terriblement néfaste à la microfaune du sol.


Il faut savoir que nous avons un vrai « bijou » unique au monde avec Carabus auronitens putzeysi, et le perdre à jamais serait vraiment navrant.



Jean Delacre


 

Carabus (Chrysocarabus) auronitens auronitens FABRICIUS

Photographie © Jean Delacre

Carabus (Archicarabus) nemoralis nemoralis MÜLLER

Photographie © Jean Delacre

Calosoma inquisitor LINNAEUS

Photographie © Jean Delacre

Carabus (Chrysocarabus) auronitens auronitens f.ind. putzeysi MORS.

Photographie © Jean Delacre